Presence des Juifs du Maroc au Canada.. Dr Sonia Sarah LIPSYC Directrice de ALEPH

Dr Sonia Sarah LIPSYC

Directrice de ALEPH, sociologue et dramaturge

ALEPH, un centre singulier d'études juives contemporaines au cœur de la cité francophone de Montréal

J’emprunte l'idée de relater le parcours de ALEPH en me référant aux cinq livres de la Torah et au beau roman, « Le second rouleau » d'Abraham Moses Klein (1909-1972), l'un des auteurs (juifs) anglophone, québécois et montréalais, le plus important de la littérature canadienne

GENESE

  • « Je rêverais de créer un Institut de pensée juive, ouvert et indépendant, mais je ne sais pas avec qui le faire… »
  • Peut-être avec la personne que vous avez en face de vous » ai-je rétorqué au directeur de la communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ), Robert Abitbol avec qui je conversais

Je me trouvai à Montréal en cet hiver de janvier 2008 à l'invitation de la CSUQ pour préparer une série de conférences sur « Femmes et Judaïsme » dans le cadre de la Quinzaine sépharade qui devait se dérouler au début de l'été. Je venais, en quelque sorte, en éclaireuse pour mieux connaître cette communauté à laquelle un groupe de femmes et moi- même allions plus tard nous adresser. J'avais demandé, au cours de mon séjour d'une dizaine de jours, à rencontrer quelques-uns des protagonistes essentiels ou représentatifs de la communauté sépharade. Je fis ainsi connaissance avec des rabbins (Moise Ohana, de la congrégation d'Or Hayim ou le rabbin David Banon en charge des divorces comme juge au Tribunal rabbinique de la ville), des pédagogues (comme les responsables de l'Ecole sépharade Maimonide), des acteurs sociaux (Diane Sasson, la directrice de l'Auberge Shalom qui accueille des femmes de tout milieu qui fuient la violence conjugale), le groupe des femmes juives francophones ou des intellectuels comme Perla Serfaty- Garzon ou Jo Gabay, etc

Mais seriez-vous prête à venir séjourner ici ?

Pas tout de suite mais d'ici un an, pourquoi pas, si nous avançons dans ce projet.

Et c'est que nous fîmes avec, bien sûr, la collaboration de David Bensoussan alors président de la CSUQ. Je suis venue cette année-là trois fois dans cette « belle province » du Québec, moi qui n'avais jamais mis les pieds, auparavant, au Canada mais qui songeais avec plaisir à Montréal, cette enclave francophone au milieu de l'Amérique du nord anglophone. Montréal une ville bâtie sur une île, tout autour d'une montagne, où l'on entend les mouettes ; Hochelaga, de son vrai nom indien. Une ville qui avait accueilli, au cours des XIXe et XXe siècles, des Juifs d'Europe centrale – le Yiddish a été ainsi la troisième langue parlée dans la citée après l'Anglais et le Français – et depuis les années cinquante des Juifs d'Orient et d'Afrique du nord, des Egyptiens, des Irakiens, des Libanais et surtout des Marocains. Montréal compte approximativement aujourd'hui une population juive de 90.000 âmes dont 60.000 sont d'origine ashkénaze et anglophones alors que 30.000 sont d'origine sépharade, et ont hérité du Français comme langue maternelle mâtinée d'Espagnol pour certains d'entre eux. Partis quelques milliers de leurs terres natales, ils devinrent des dizaines de milliers sur le nouveau continent

EXODE

Intellectuelle et artiste, née française au Maroc, à Casablanca, d'un père ashkénaze et d'une mère sépharade, j'avais jusqu'alors principalement vécu en France (Strasbourg et Paris) mais aussi en Israël. L'étude juive est ma passion et j'ai été l'élève de maîtres, hommes ou femmes, principalement orthodoxes comme Claude-Annie Gugenheim, Nehamah Leibowitz (1905-1997), Liliane (1938-2007) et Henri Ackerman3 et des rabbins Elyaou Abitbol, Alain Lévy, Daniel Epstein et Léon Askénazi dit Manitou dont j'ai eu le privilège d'être une année la secrétaire personnelle, à Maayanot, le lieu d'études juives qu'il dirigea à Jérusalem. Mais si l'étude juive est d'abord une initiation, le limoud, cette confrontation permanente avec les textes y tient une place centrale. Ce limoud s'exerce seul(e), en groupe et surtout avec des havroutot, compagnes ou compagnons d'étude. Et j'ai eu le plaisir d'échanger dans ce cadre-là avec des hommes et des femmes d'envergure parmi eux le rabbin Marc Kujawski ou l'écrivaine Barbara Honigmann. Chaque être humain est décrit dans le Talmud de Babylone comme un rouleau de Torah, depuis sa naissance (traité Niddah 30b), qui aspire encore et toujours à se déployer. Et dans ce cheminement, toutes les rencontres voire la diversité des disciplines, comptent. J'appartiens à un Judaïsme ouvert qui aime les conjugaisons de savoir et qui respecte toutes les sensibilités ou courants qui composent notre tradition et notre histoire. Je suis habitée par cet impératif de la connaissance qui me pousse à partager. L'étude juive, c'est une connaissance à la fois ancrée dans le temps et nomade car chaque génération se doit de la transmettre et de la renouveler. Aussi, après avoir enseigné en France et en Israël, tant dans des institutions qu'à la télévision et des cercles privés, j'étais prête à poursuivre cette route en acceptant la responsabilité que l'on me confiait : créer un centre d'études juives indépendant d'une congrégation, ouvert à tout un chacun(e), affilié ou non, de notre communauté, et bien au-delà. De tous les titres proposés, ALEPH fut retenu, il résonnait aussi bien en Hébreu qu'en Français et symboliquement abritait en ses lettres l'itinéraire de l'apprentissage. ALEPH Centre d'études juives contemporaines en est la dénomination complète car elle vient souligner à la fois l'héritage de la tradition et le souci de l'interroger au regard de plusieurs disciplines comme l'histoire, la sociologie, l'art, etc. La création de ALEPH fut le fruit d'un dialogue constant avec les dirigeants de la CSUQ, notamment avec son directeur Robert Abitbol. Et plus de deux ans plus tard, il l'est toujours, comme si l'existence même de ce lieu exigeait cet échange, cette havroutah dont je parlais précédemment. A Montréal, je rencontrais une communauté sépharade vivante, diversifiée et courageuse – il en fallait pour quitter les bords de la Méditerranée pour les horizons enneigés du Québec. Troisième communauté sépharade au monde après Israël et la France dans une cité qui serait la deuxième métropole francophone sur la planète, elle est légitimement préoccupée par la transmission et le renouvellement de son patrimoine.

ALEPH venait ainsi s'inscrire aux côtés de l'Institut d'Etudes Sépharades présidé par Judah Castiel. Cependant sa vocation était de proposer à un public francophone at large l'accès aux connaissances juives de façon traditionnelle, pluridisciplinaire, plurielle et para académique

Je proposais d’emblée des journées thématiques durant lesquelles les femmes comme les hommes viendraient étudier plusieurs heures, sous forme de cours, de conférences, de causeries et de façon pluridisciplinaire (histoire, sociologie, étude des textes), un sujet ayant trait au monde juif. La suggestion étonna – y aurait-il un public ? J'en étais persuadée – et l'équipe dirigeante de la CSUQ me fit confiance. Pour la première journée thématique « Talmud, enquête dans un monde très secret » et l'inauguration de ALEPH en mars 2009, je demandais à un ami, le cinéaste, conteur, écrivain et enseignant Pierre-Henri Salfati de venir nous donner cours et présenter son film et livre éponyme. Une table ronde, le soir, intitulée « Le Talmud aujourd'hui à quoi ca sert ? » donna le ton de ce qu'est ALEPH. Une pluralité puisqu'il y eut des orthodoxes et un rabbin "conservative", une mixité puisque une femme était conviée à s'exprimer sur son rapport au Talmud et une liberté de pensée car le débat fut animé en toute cordialité

Même si les nouvelles générations de la communauté juive montréalaise sont bilingues avec une préférence pour l'Anglais et que les mariages entre Sépharades et Ashkénazes existent, il reste que ces « deux solitudes » pour reprendre une expression courante au Québec, persistent en particulier dans la méconnaissance de l'histoire ou des us et coutumes de l'une et de l'autre. C'est pourquoi, en même temps que nous créions ALEPH, je proposais à Bryna Wasserman, directrice artistique de la Compagnie Yiddish Dora Wasserman et du Centre Segal des Arts et de la Scène, d'ouvrir un atelier de théâtre juif francophone. Quinze femmes s'y inscrivirent et je leur fis découvrir la pièce du « Dibbouk » de Anski (1863-1920) originellement écrite en Yiddish avant d'être traduite en Hébreu. J'écrivis une pièce en Français, « Dibbouk Skoun Ada – Dibbouk qu'est ce que c'est ça ?» – qui raconta comment ces femmes sépharades découvrirent ce chef d'œuvre du théâtre juif. Cette pièce dans laquelle, elles jouaient, chantaient et dansaient, fut programmée dans le cadre du Premier festival international de théâtre yiddish à Montréal. Nombre de ces femmes sont devenues des membres assidus du public de ALEPH. Elles inaugurèrent par là même, la dimension culturelle de ce centre d'études juives.

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