Contes populaires-racontes par des Juifs du Maroc

Dans nos régions arides, nombreuses sont les histoires qui racontent, comment un dragon demande une vie humaine (généralement une belle princesse) en échange du droit d'accès aux sources d'eau ou de la promesse d'épargner une ville menacée de destruction. Celui qui parvient à vaincre le monstre reçoit, en récompense, la, main de la princesse et souvent même tout le royaume. Parmi les histoires publiées dans ce volume, nous retrouvons ce monstre . Dans d'autres nous voyons le héros ou un ange obtenir la main de la. princesse et accéder au trône

Un autre sujet est le problème soulevé par les souffrances du juste et la prospérité du méchant. Très souvent l'homme juste est pauvre (Nos. 18, 39, 66) et doit supporter des vexations de la part d'un homme riche et méchant. Mais en fin de compte, c'est l'homme juste qui triomphe. La récompense (ou la punition), n'atteint pas nécessairement ceux qui la méritent dans le monde de l'au-delà. L'avarice, qui conduit au refus de faire la charité est plus particulièrement mise en évidence comme l'un, des plus grands péchés, qui est puni par la peine de mort (Nos. 16, 39). La charité est récompensée — elle conduit à la richesse et peut même sauver un homme de la mort certaine, même dans les cas où l'arrêt de mort a déjà été prononcé (No. 16). La ré­compense pour la charité n'est pas forcément accordée de suite, mais elle ne tarde jamais à venir (No. 55). L'avarice et le goût du luxe constituent le sujet du vieux conte sur l'homme qui n'est jamais satisfait (No. 45)

La tension sociale trouve son expression dans le conflit entre le pauvre ouvrier et le riche employeur et la lutte, moins appa­rente, entre l'érudit et l'ignorant. Parfois l'ouvrier peut, grâce à sa sagesse, dominer son employeur (No. 67) tandis qu'en d'autres occasions, le pauvre reçoit un cadeau qui peut faire des miracles (No. 3). Une importance suprême est accordée à la foi en Dieu et tout s'arrange à l'heure fixée par Dieu (No. 18). Le prophète Elie, qui est dans l'imagination de toutes les communautés juives, le sauveur du peuple, remplit également cette fonction dans les légendes des communautés juives du Maroc (No. 34)

Le conflit entre le sage et l'ignorant évolue selon la philosophie contenue dans le dicton rabbinique: "Le coeur est touché par la charité". Le peuple, c'est-à-dire le public qui écoute les histoires, se range, bien entendu, du côté de l'humble cordonnier dont le pouvoir magique n'est pas moins grand que le pouvoir du juste rabbin Hayim Ben-Attar (No. 28). Le peuple aime également le petit berger, qui se met sur la tête pour louer Dieu, et ce geste spontané a la même valeur spirituelle que la prière du juste (No. 32). La croyance dans la force du destin et dans les décrets d'en-haut qui se réalisent plus tard dans la vie, est très forte chez les peuples méditerranéens et il n'est pas étonnant que nous ren­contrions dans nos contes des traces de fatalisme (Nos. 43, 71). Dans la littérature populaire, les chances d'un homme de changer son destin sont minimes et les héros qui réussissent effectivement à améliorer leur sort sont très rares, mais existent néanmoins (Nos. 56, 63). La sagesse et l'intelligence, opposées à la stupidité mal­faisante, sont un thème que les habitants du bassin méditerranéen aiment énormément. Le sot, dont l'ignorance dépasse l'entende­ment, ignore souvent les lois naturelles, et accomplit des actes ab­surdes (Nos. 8, 10, 12). Et le naïf qui croit tout ce qu'on lui dit (mais qui est considéré moins ignorant que le sot) est trompé et exploité (No. 11). L'intérêt du public est stimulé par les four­beries du fripon qui exploite le sot. Djouha représente, dans la littérature populaire, le héros qui, tout en étant naïf, fait preuve d'une certaine débrouillardise (Nos. 10-12). Djouha est un carac­tère que nous retrouvons dans la littérature folklorique de diffé­rents pays: dans les pays de langue turque et dans les Balkans, nous le rencontrons sous le nom de Hodja Natser-ed-Din, en Perse et dans les zones d'influence culturelle perse, il s'appelle le "Mul- lah", tandis que dans les pays de langue afghane, il devient Katchal, le chauve. Ce héros ressemble quelque peu à Till Eulenspiegel et à Herchele Ostropoler, figures populaires bien connues dans de nombreux pays européens

Dans la plupart des cas, il y a une relation entre les contes à am­bitions éducatives et instructives et les histoires se proposant d'ex­pliquer les lois naturelles et qui remplissaient chez les masses popu­laires une fonction semblable à celle de la "science" dans la vie de l'homme moderne. En effet, ces histoires trahissent une cer­taine curiosité intellectuelle, quoique les solutions offertes soient plutôt primitives. C'est ainsi que plusieurs de nos histoires (Nos. 51, 52, 65) expliquent l'origine de certaines institutions sociales, juives et générales. Dans une société plus évoluée, ces histoires sont moins nombreuses et ont un caractère presque humoristique. Il n'en est pas de même des histoires relevant du domaine de l'étiologie de notre collection. Les narrateurs (et leur public égale­ment) croient, sans l'ombre d'un doute, que ces récits sur l'origine de l'argent (No. 51), des tremblements de terre (No. 52) et des lois alimentaires rituelles (Kachrouth) (No. 65), sont tout à fait authentiques 

La vie est un processus complexe et difficile et les parents vou­draient transmettre à leurs enfants, une partie au moins, de l'ex­périence qu'ils ont acquise. Dans les contes populaires, cela se fait par les conseils que le chef de famille mourant donne à ses en­fants. Ceux-ci, s'ils suivent les conseils de leur père, jouissent de la prospérité matérielle et écartent les souffrances et les malheurs que la destinée avait en réserve pour eux (No. 69). Ce conte mérite notre attention particulière, parce qu'il appartient à une catégorie d'histoires où la femme joue un rôle central. Nous y rencontrons trois types de femmes: (1) l'héroïne d'une histoire d'amour qui est demandée en mariage par un jeune homme (Nos. 1, 25, 26) ; (2) la femme mariée dont la fidélité provoque les sym­pathies et l'émerveillement des auditeurs (Nos. 48, 70) ; (3) la mère qui, dans ses relations avec ses enfants et ceux d'un premier lit de son mari ne s'en tient pas toujours aux exigences morales de la société et de la religion (No. 17). Parfois, la fem­me est le symbole de la fidélité et de la loyauté (No. 70) quoi­qu'elle puisse aussi commettre l'adultère et trahir (No. 48). On voit qu'on peut envisager la question sous deux aspects différents et le conte populaire essaye de trancher la question: Salomon, le plus sage des hommes, prend le parti de la femme, tandis que le hibou prétend que la femme ne possède aucune vertu (No. 44)

Le public auquel ces contes s'adressaient ne constituait pas seu­lement une société religieuse. Les Juifs du Maroc, par exemple, aspirent à un centre national qui, il est vrai, est le caractère reli­gieux. Jérusalem est identique à Erets-Israël, et un certain nom­bre de personnages que nous rencontrons dans ces histoires, sont animés par le désir de vivre en Terre sainte. Le chadar (rabbin- émissaire) qui visite les pays de la Dispersion pour collecter de l'argent pour les yechivotli d'Erets-Israël a déjà réalisé cette am­bition. Au cours de ses pérégrinations, il arrive aussi au Maroc, où il enseigne la morale aux Juifs (No. 16). Dans un autre conte, un rabbin réalise personnellement la recommandation de s'établir en Erets-Israël après avoir subi un échec lors d'une première ten­tative (No. 31). Parfois, le paysage palestinien sert de fond aux histoires et pas seulement à celles qui ont un caractère biblique et dont l'action se passe forcément en Erets-Israël. C'est ainsi que les âmes des morts sont purifiées dans le Lac de Galilée (No. 27). L'aspiration à l'indépendance et à l'égalité avec les Gentils trouve son expression dans les comptes rendus de batailles que des héros juifs ("Les fils de Moïse") ont livrées aux ennemis de leur peuple (No. 2)

Pour terminer, quelques remarques d'ordre général

Le nombre d'histoires dont les héros sont des animaux ou qui se classent dans la catégorie des fables, est très petit, mais cette remarque s'applique à toute la littérature de cette région cultu­relle. L'histoire où un serpent sert fidèlement son maître (No. 60), constitue l'exception qui confirme la règle. La deuxième histoire d'animaux de cette collection (No. 53) est, en fait, une allégorie pleine d'esprit

Les légendes dont l'action se passe à des endroits qui ne sont pas liés, d'une manière ou d'une autre, à la religion, sont, elles aussi, très peu nombreuses. Le conte où il est question de la mon­tagne où la fille du roi, à la recherche d'un trésor, reste enfermée à jamais, (No. 13) et de "la chambre de la Juive de Marrakech" (No. 22) sont uniques en leur genre

Nous ne pouvons pas nous étendre ici, sur la question de la relation qui existe entre les contes populaires réunis dans ce volume et la littérature ancienne de notre peuple. Mais il nous semble intéressant de signaler que plusieurs contes (Nos. 19, 45, 57) ac­cusent, sous des formes nombreuses et variées, l'influence de la littérature talmudique et midrachique

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