Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

colomb bechar

Dans un décor repoussant, les productions de l'artisan juif sont appréciées : Les femmes assises autour du foyer se retournèrent en nous voyant. Elles portaient la «mlahfa» des Bédouines, mais en coton blanc sale, très ample, traînante, ceinturée très bas. Sur leur front, couvrant à demi les bandeaux noirs, un foulard de soie sombre étroi­tement serré supportait des chaînettes d'argent qui allaient rejoindre les lourds anneaux d'or des oreilles. Encore plus que les ksouriennes musulmanes, celles-là étaient languis­santes et étiolées, d'une pâleur de cire. Quelques-unes pourtant étaient belles, la figure ronde, l'œil très grand et très noir, aux paupières lourdes

Seul, l'éclat mobile des bijoux donnait un peu de vie, de gaîté, à ces masques troublants de mortes

Etrange réaction devant la pauvre humiliée et dont le malheur n'émeut pas la jeune femme 

La plus belle, avec de magnifiques yeux rougis de larmes dans un visage de volupté et d'amertume, s'isolait dans un coin, farouche. Elle nous jeta un regard noir. Près d'elle, une vieille momifiée, aïeule aveugle, se lamentait à voix haute, tordant ses pauvres mains gourdes

Haïm, le bijoutier, quitta sa petite forge et ses menus outils, pour nous souhaiter la bien­venue. Il s'excusa de l'état où nous trouvions sa demeure qu 'un malheur venait de frap­per : la veille, Esthira, la femme de Haïm, se rendait avec sa mère chez des parentes, au ksar d'Oudarhir. Elles rencontrèrent des bergers nomades qui les abordèrent et poussè­rent l'audace jusqu'à découvrir le visage d'Esthira. Ils allaient la violer, quand passè­rent des cavaliers du makhzen du pacha d'Oudarhir. Les nomades s'enfuirent. Et main­tenant la honte et la désolation assombrissaient encore la maison. Esthira était la belle éplorée

C'était en effet le lot habituel du Juif à cette époque : laissé à la merci du Musulman qui peut à tout moment l'agresser, le molester, il n'a le droit ni de se défendre, ni de deman­der réparation, et encore moins de se faire justice, comme le suggère ironiquement le Mokhazni ; en fait, et I. Eberhardt l'a bien remarqué, le Juif «courbé sous le joug musul­man, sans voix à la djemaa » n'a pas voix au chapitre ; donc, on le lui fit bien voir… selon la formule de La Fontaine

* la Djemaa est la réunion des sages et notables chargés de prendre les décisions importantes, d'arbitrer les conflits.

Comme Haïm s'éloignait pour nous faire préparer le café, mon compagnon, le mokhaz­ni, se mit à rire 

– Chez nous, quand pareille chose arrive, l'homme retrouve le coupable et le tue. Eux, ils se contentent de geindre comme des souris à qui on a marché sur la queue. D'ailleurs, la juive est belle, et les bergers avaient raison. Elle est bien bête, si elle a vrai­ment résisté : regarde son juif, comme il est laid 

(…) Les membres de la djemaa de Zenaga siégeaient sur les bancs d'un carrefour avec, à leur droite, une coulée de lumière trouble entre deux murs.

Ils s'alanguissaient dans l'étoujfement du sirocco et subissaient la torpeur somnolente des choses

Haïm s'arrêta à l'entrée du carrefour, retirant ses savates. Puis, courbé jusqu 'à terre, il alla baiser successivement le pan du burnous de tous les ksouriens impassibles. Haïm venait là pour demander justice contre les bergers qui avaient outragé sa femme… Mais il n'avait guère d'espoir. Pourtant, accroupi à terre, il raconta son affaire. Quand il eut fini, un grand vieillard tout voûté, le regard encore ardent sous d'épais sourcils blancs, esquissa un geste vague

  • Que pouvons-nous y faire ? Si celui qui a outragé ta femme était un des nôtres, nous le punirions, car ce sont des actes indignes d'un musulman. Quant à des nomades… tu es coupable toi-même de laisser une femme circuler seule dans les ksour… Non, juif, nous n 'y pouvons rien 

Haïm, timidement, essaya d'insister. Alors le vieillard fronça les sourcils et dit durement 

  • Nous avons dit, juif ! va-t-en 

Grâce à Isabelle Eberhardt, dont le témoignage exprime bien la misère morale, la détres­se muette et l'accablement de ces Juifs tafilaliens, soumis et tellement écrasés par la rési­gnation, nous pouvons juger de la condition de ces Juifs, peu différente de celle d'es­claves ; écrites pour se moquer plus que pour dénoncer, ces pages n'en traduisent pas moins, à la fois le malheur de ces Juifs et l'incapacité des observateurs étrangers à le com­prendre, à lui apporter le moindre soulagement, comme si la fascination de l'Islam com­mandait cette sorte de distanciation ou pire, comme si cette souffrance juive entrait dans l'ordre des choses

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