Norman Stillman L'experience Judeo-Marocaine. Un point de vue révisionniste

L'impuissance des Wattâsides à déloger les Portugais du littoral, et de fait, leurs rapports relativement étroits avec eux grâce à des intermédiaires juifs, ne fit que rehausser le prestige des shorfa (ar. cl. shurafâ'), les descendants du Prophète, et des Murabtîn (ar. cl. murâbitûn), saints hommes soufis que les Européens appelèrent marabouts. La prolifération de ces personnages populaires et charismatiques a peut-être été la cause de la segmentation politique du Maroc jusqu'à l'avènement de la dynastie alaouite; néanmoins ils façonnèrent le climat spirituel de l'époque, un climat belliqueux, attisé par le zèle du jihâd (guerre sainte) contre les incursions chrétiennes. Tant les Saadiens que les Alaouites acceptèrent les idéaux religieux et les valeurs de cet âge héroïque et anarchique de 'crise maraboutique' suivant Henri Terrasse Leur légitimité était basée sur le fait qu'ils étaient tout à la fois shorfa et mjahdîn (ar. cl. mujâhidûn), l'équivalent islamique des croisés. Une telle atmosphère n'était pas très propice à l'interprétation indulgente des lois restrictives concernant les incroyants.

La vie urbaine juive, qui est la seule vraiment tangible dans les sources écrites, changea très peu durant la période chérifienne. Les descriptions de Germain Mouette au XVIIème siècle, de Georg Hôst et Louis de Chénier au XVIIIème siècle et de Charles de Foucauld au XIXème siècle concordent toutes fondamentalement et témoignent amplement du mépris dans lequel les juifs des villes étaient généralement tenus. Mouette, qui passa onze ans au Maroc, offre une appréciation édifiante, quoique réservée de la condition sociale des juifs marocains:

Les Juifs sont en grand nombre dans la Barbarie, et n'y sont pas plus estimez qu'ailleurs; au contraire, s'il y a quelques immondices a jetter dehors, ils y sont les premiers employez. Ils sont obligez de travailler de leur metiers pour le Roy, lorsqu'ils y sont appeliez, pour leur nourriture seulement, et sujets a souffrir les coups et les injures de tout le monde, sans oser dire une parole a un enfant de six ans qui leur jettera quelques pierres. S'ils passent devant une mosquee, en quelque temps et saison que ce soit, il leur faut oster leurs souliers, n'osans mesmes dans les villes royales, comme dans Fez et dans Maroc, en porter, sur peine de cinq cents coups de baston et d'estre mis en prison, d'où ils ne sortent qu'en payant une grosse amande.

On doit garder présent à l'esprit qu'une grande partie de cette dégradation décrite par Mouette et les autres, était largement ritualisée. La lapidation par les enfants musulmans était une coutume respectée dans de nombreuses régions du monde arabe, et bien qu'agaçante, était rarement dangereuse étant donné qu'il n'y avait pas généralement d'intention malveillante. (Je peux ajouter que j'ai moi- même vu des enfants jeter des pierres sur des juifs à Sefrou même). Le harcèlement des procesions funéraires juives était aussi une coutume ancienne et répandue à laquelle les juifs s'adaptèrent. En général, les juifs acceptaient leur humilité forcée avec philosophie. C'était, après tout, naturel pour un peuple en exil. Ceci explique les forts courants de mysticisme cabbaliste, de messianisme et de sionisme religieux au Maroc.

                                                                                            La procession funéraire était considérée par les Musulmans comme une infraction à la restriction dhimmi concernant les cérémonies publiques. Pour des incidents pareils dans la période médiévale, voir Goitein, Mediterranean Society, II, p. 285. Selon Mouette, Histoire, p. 177: 'S'ils enterrent quelques- uns des leurs, les enfants les accablent de coups, leur crachent au visage et leur disent mille malédictions'. Voir aussi Ovadia, Sefrou, III, p. 14

Le statut de pariah des juifs n'était pas sans quelques compensations économiques. Exclus de nombreux métiers par les guildes, ils furent forcés ou trouvèrent le moyen d'exercer certaines occupations répréhensibles (makrûh) défendues aux musulmans. Ainsi, les juifs avaient le monopole virtuel de la joaillerie, étant donné que d'après le rite malékite, la fabrication d'objets d'or et d'argent destinés à la vente au-dessus de la valeur intrinsèque du métal touchait à l'usure. Le prêt d'argent était aussi un monopole juif, mais à la différence du premier, il était particulièrement méprisé. Durant la dernière partie du XIXème siècle, les prêteurs juifs étaient l'objet d'un amer ressentiment de la part des Musulmans. Comme dans l'Europe médiévale, cette animosité populaire était fréquemment dirigée contre tout le groupe, bien que la grande majorité des juifs fût trop pauvre pour s'occuper d'activités aussi lucratives.

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