L'experience judeo-marocaine – Norman Stillman

Il y avait toujours aussi un infime pourcentage de juifs qui étaient en mesure d'éviter la plupart des fardeaux inhérents au statut de dhimmîs. Ils appartenaient pour la plupart à l'élite commerciale des villes côtières ou dans les capitales de l'intérieur telles que Fès, Meknès et Marrakesh. Nombre d'entre eux étaient des descendants des megorâshîm qui avaient maintenu des contacts familiaux et d'affaires avec l'étranger et de ce fait avaient un vernis de culture européenne, ou du moins parlaient espagnol ou français. Le commerce avec l'étranger ou l’emploi par les consuls européens locaux étaient les moyens les plus sûrs par lesquels ils pouvaient obtenir le statut tant désiré de protégés qui les soustrayait effectivement à l’emprise du système légal marocain.

 La protection devint de plus en plus accessible à partir de la fin du XVIIIème siècle au fur et à mesure que les puissances européennes intensifiaient leur pénétration à l'intérieur de l'Empire chérifien. Au XIXème siècle, quelques marchands juifs pouvaient aussi bien acquérir la nationalité étrangère en voyageant à l'étranger, ce qui ne consistait parfois qu'en une brève visite à l'Algérie française voisine où l'on pouvait facilement se procurer de faux actes de naissance. Très petite minorité, peut-être un pour cent du total de la population juive à la fin du XIXème siècle, les protégés et les juifs naturalisés étaient souvent arrogants et par conséquent détestés de la population musulmane. Quand l'historien al-Nâsirî voulut souligner combien l'attitude des juifs devint inacceptable après la célèbre visite de Sir Moïse Montefiore en 1864, il écrivit:

Les juifs devinrent arrogants et frivoles et pas seulement les juifs des villes portuaires.

Les mêmes facteurs sociaux et psychologiques qui incitèrent tant de membres des classes supérieures à rechercher le statut de protégé ou une nationalité étrangère, incitèrent plus tard l'écrasante majorité des juifs urbains à lier leur sort au Protectorat et à adopter, suivant la rhétorique de l'époque, 'les bienfaits civilisateurs de la culture française'.

Cet état de chose était éminement profitable aux Français tandis que l'Alliance Israélite Universelle 'produisit une élite juive singulièrement versée dans les domaines les plus importants aux entreprisent du protectorat.
 " Peu de juifs virent quelque raison de soutenir le mouvement nationaliste et n'ayant pas la nationalite francaise contraite ment a leurs freres algeriens, la plupart des Juifs marocains restèrent à l'écart du mouvement d'indépendance              

Après l'Indépendance, les juifs marocains ne se trouvèrent pas cependant dans une situation aussi irrémédiablement compromise que celle des juifs algériens qui avaient pris fait et cause pour la présence française. Mais avec l'intensification du nationalisme islamique et la lutte contre 'le néo-colonialisme' français, la situation déjà bien affaiblie des juifs devint plus précaire encore, ce qui provoqua leur déclin numérique de façon continue. L'expression de John Waterbury résume bien la situation: 'Le problème juif du Maroc est en train de se liquider de lui-même'.

Conclusion

On peut maintenant se demander avec raison si ce point de vue apparemment tout brossé en noir est tout ce que comportait l'expérience juive au Maroc. Bien sûr que non. A l'intérieur de ce cadre restrictif que je n'ai esquissé que brièvement, la communauté juive marocaine créa une riche vie culturelle et spirituelle, une vie culturelle qui demande à être mieux connue. L'arrivée des megorâshîm qui vinrent en plusieurs vagues aux XlVème et XVème siècles infusèrent un sang culturel nouveau dans la société juive maghrébine. Les juifs marocains ont préservé dans une grande mesure la tradition pédagogique andalouse qui combinait l'étude de la jurisprudence pratique (halâkha le-ma'ase) avec la grammaire hébraïque et les belles lettres. Il existe une littérature riche et très considérable tant en hébreu qu'en judéo-arabe. Les très beaux piyyûtîm (poèmes religieux) sont peut-être le meilleur spécimen de cette littérature. Il en va de même pour les qînôt (lamentations).

Tout ceci cependant mérite d'être étudié de plus près. Ce que j'ai essayé de faire ici est d'expliquer 'la règle du jeu' à l'intérieur du cadre général dans lequel la vie juive se déroulait. En dépit de ses aspects restrictifs, il permettait une grande autonomie interne aux juifs qui avaient leur propre société dans les confins du mellâh. Leur organisation interne et le soin de leurs propres pauvres firent l'admiration de Mouette et plus tard de de Foucauld, qui ni l'un ni l'autre ne pouvaient être taxés de philosémitisme. On ne doit pas confondre cependant la vie interne des communautés quelque fût sa richesse et sa beauté avec la vie dans la société marocaine considérée comme un tout.

Il serait faux de décrire la vie juive marocaine, comme une suite de persécutions, tout comme il serait erroné de prétendre le contraire. Certaines périodes furent évidemment meilleures que d'autres. A la veille de la période contemporaine, au XIXème siècle en particulier, les habitants de la plupart des villes étaient fréquemment les victimes désignées des actions de pillages de la part de tribus en maraude ou de troupes rebelles. Mais suggérer que les juifs n'étaient pas plus mal que n'importe quel autre élément de la population comme l'ont fait Rosen, Schaar, Chouraqui et d'autres, est une simple vue de l'esprit. Le mellâh était généralement pillé avant tout autre quartier de la cité. Dire que: De telles attaques étaient cependant invariablement dirigées contre la propriété des juifs plutôt que contre leurs personnes est une distinction de sophiste.

Les chroniques juives telles que Yahas Fâs du rabbin Avner ha- Sarfati et Divre-ha-Yamim de la famille Ibn Danan, ainsi que les documents de l'A.I.U. montrent à l'évidence qu'il y eut d'importantes pertes en vies humaines.

De plus, les émeutes périodiques contre les juifs étaient courantes. Elles étaient inspirées le plus souvent par des réformateurs religieux, à la suite de prétendues violations du contrat liant les dhimmîs à la communauté musulmane. Cela consistait d'ordinaire dans la destruction d'une synagogue, étant donné que la présence de n'importe quel lieu de culte violait le code musulman puisqu'ils avaient été érigés après la venue de l'Islam. Quelques-unes de ces émeutes, ainsi que l'a récemment démontré Leland Bowie, avaient aussi des causes socio-économiques.

Vue historiquement, la vie juive marocaine se déroulait dans les limites du statut de dhimmîs tel qu'il fut perçu au Maroc. Les rapports personnels là où ils existaient, avaient certes un effet atténuant à l'échelle locale. C'est cet aspect des choses que Rosen considère être le plus représentatif. Historiquement parlant, il n'en a rien été.

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