Les veilleurs de l'aube-V.Malka

Il faut attendre les années 1950 pour que paraisse une véritable anthologie poétique. Elle est l'œuvre de profes­sionnels et c'est pourquoi elle ne tarde pas à devenir très populaire au sein des communautés juives de tout le pays. Ses auteurs sont deux chantres de Mogador ayant une longue expérience à la fois de la poésie religieuse, mais aussi des techniques de la musique andalouse. Car cette anthologie constitue la véritable bible (le vade-mecum) des veillées de supplications au cours desquelles ces œuvres sont chantées. Les pièces réunies dans ce réper­toire appelé Chir Yedidout (Chant de l'amitié) sont classées. Les auteurs prennent soin d'indiquer, en tête de chaque pièce poétique, le mode musical andalou sur lequel il convient de l'interpréter.

Une première édition de ce répertoire paraît d'abord à Vienne, en 1890, sous un titre emprunté au prophète Zacharie (Za 11, 14) qui donne à « la fille de Sion » cet ordre : Ronni vé-simhi (Chante et réjouis-toi !). Cette édi­tion est l'œuvre d'un rabbin, David Iflah (que tout le monde appelle, signe de respect et de considération, le Cheikh, autrement dit le chef). On a déjà noté le fait que les imprimeurs qui éditent le livre n'étant pas hébraïsants, on y trouve de très nombreuses coquilles, des erreurs et des confusions de lettres (par exemple le « hé » et le « het » dont les graphies se ressemblent beaucoup en hébreu).

C'est grosso modo le même livre qui est édité à Marra­kech pour la première fois. Les deux chantres qui en pren­nent l'initiative, David Elkaïm et David Iflah, ont obtenu le concours d'un troisième spécialiste, lui-même rabbin : Haïm Afryat. Les trois hommes, tous trois passionnés de poésie et de musique andalouse, se sont attachés à mettre à la disposition de tous les amateurs de ce type de chants un répertoire relativement complet et facile à consulter. Dans l'avant-propos donné à cette anthologie, les trois auteurs rappellent que

le livre est conforme à l'usage des communautés maro­caines où l'on a coutume de veiller dans la nuit du shabbat, durant la saison d'hiver, pour chanter les louanges et glorifier notre Dieu par la récitation des psaumes de David et par des hymnes et des chants que des auteurs des géné­rations anciennes et nouvelles ont composés à divers moments de notre histoire…

Durant des décennies, c'est cette édition qui sera utili­sée par les fidèles de ce type de chants religieux, à Fès et à Casablanca, à Mogador et à Marrakech. L'anthologie est composée à la fois de chants de poètes marocains mais également d'une série de poèmes ayant pour auteurs les illustres poètes espagnols du Moyen Âge, en particulier Salomon Ibn Gabirol et Abraham Ibn Ezra.

C'est que, à tort ou à raison, les lettrés parmi les juifs du Maroc se considèrent peu ou prou comme les héritiers et les successeurs des poètes juifs du Moyen Âge espa­gnol. Le Maroc, dans leur esprit, a, depuis l'expulsion des juifs par les rois catholiques, pris la place qu'occupait jusque-là dans les lettres juives le continent ibérique. Est- ce à dire que les productions des poètes des deux pays se valent ? Ont-elles littérairement ou esthétiquement parlant la même valeur ? Y a-t-il désormais dans les métropoles chérifiennes les équivalents de poètes tels qu'Ibn Gabirol ou Yehouda Halévy ? Sûrement pas !

Le panorama général de la poésie judéo-espagnole, produite au Moyen Âge, est assurément plus vaste, plus riche, plus substantiel que celui des poètes juifs de Fès, de Marrakech et de Meknès. La langue y est plus belle et les inspirations plus universelles, plus ouvertes sur la cité. Il reste que l'on peut observer entre les uns et les autres une certaine continuité. Elle s'exprime à la fois dans les thématiques des œuvres mais aussi dans le choix des tech­niques poétiques.

Il y a chez les poètes juifs du Maroc une obsession des thèmes religieux. On procède par répétitions et reprises d'idées. C'est toujours la même vénération religieuse et la même dévotion à « Dieu, maître des univers ». Simple­ment chaque poète a son style, sa démarche et sa façon de dire. Parce que chacun a ses modèles et ses maîtres. Mais chez les uns et les autres, c'est toujours la même recherche du sacré et de la piété. Partout c'est le problème de la foi – c'est-à-dire de la confiance en Dieu – qui pré­vaut. Seule compte au bout du chemin l'intention intime du fidèle. Ici comme ailleurs et en tout temps, on chante et on célèbre d'abord la sainteté du shabbat parce qu'elle constitue le rappel de la « royauté » de chaque individu.

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