La Politique des Autorités Marocaines envers les Juifs après l'Indépendance (1956-1962) Dr. Pinhas Katsir

 La Politique des Autorités Marocaines envers les Juifs après l'Indépendance (1956-1962) Dr. Pinhas Katsir

Le Dr. Pinhas Katsir a été l'agent du Mossad au Maroc, chef du service des renseignements et de la branche civile de la Misguéret. Voici des extraits de sa thèse de doctorat sur "L'organisation et les tendances politiques des Juifs du Maroc depuis l'Indépendance. "

La volonté de collaboration

La proclamation de l'indépendance du Maroc a été accompagnée des déclarations solennelles sur l'égalité des droits des citoyens juifs. Le roi Mohammed V est revenu plusieurs fois sur cet engagement et c'était aussi un des sujets favoris dans les discours des dirigeants de l'Istiqlal au pouvoir, et des chefs de la gauche. Nombreuses sont les causes de ce phénomène: avant tout, la volonté de fonder un état moderne, soucieux des droits de l'Homme, droits que les futurs dirigeants du Maroc s'étaient engagés à respecter au cours des négociations précédant l'indépendance. Mais aussi pour s'attirer les sympathies des médias européens et américains et bénéficier du soutien de l'opinion publique internationale – qui avait tant contribué à l'obtention de l'indépendance.

Les dirigeants marocains, éduqués dans les universités françaises et professant des opinions progressistes, voulaient prouver leur maturité politique et de plus ils étaient conscients de la contribution économique de la dynamique communauté juive. Pour eux la communauté juive faisait partie intégrante de la nation et ils aspiraient à mettre fin aux institutions préservant son autonomie. Au cours des années 1954-56, l'exode des juifs s'était soldé par quelques 90.000 départs, touchant avant tout les classes les plus popularises, mais la grande majorité des juifs du pays plus de 200,000 était restée sur place. Il convient de souligner que les déclarations et les promesses des dirigeants marocains avaient contribué à les rassurer.

Ils avaient été impressionnés par la volonté de les traiter en citoyens à part entière, contrairement à leur statut passé inférieur de "dhimmis", qui n'appartiennent pas à la nation musulmane, sans droits politiques et auquel il était interdit de porter des armes. D'autre part, les juifs des grandes villes, émancipés, engagés dans la culture européenne et réussissant dans les affaires, avaient tendance à se considérer comme supérieurs aux musulmans restés en arrière. Leur aspiration véritable était de se fondre, en principe et dans la pratique, dans la communauté européenne. Les cercles influents au sein de la communauté avaient fait le pari de la poursuite de leur vie au Maroc avant tout du fait que leur sécurité personnelle n'était point en danger. Il convient de souligner que de larges couches de la population européenne étaient également parvenues à la même conclusion. Malgré le marasme dans le commerce et l'industrie, provoqué par l'exode de milliers de Français, l'économie n'avait pas été touchée à sa base. Nombreux furent les juifs qui profitèrent de ces départs, prenant la succession d'entreprises françaises actives. De plus l'émigration n'était pas la solution pour tous et une partie des juifs devaient s'adapter à la nouvelle réalité. Il convient de souligner l'antiquité de l'installation des juifs au Maroc qui ont vu se succéder les régimes sans perdre de leur vitalité ni de leur identité. La décision de partir ou de rester, était une décision individuelle, bien que naturellement influencée par l'environnement, les voisins et les parents. Le choix a prévalu surtout dans les milieux bourgeois et riches qui entendaient conserver leur position économique et leur bien-être tout en appréhendant un avenir incertain en dehors du Maroc. De plus, les possibilités d'émigration en France étaient limitées, et le capital dont ils disposaient insuffisant pour leur garantir le même niveau d'outre-mer.

Pendant les trois années qui ont suivi l'indépendance, le sultan et l'Istiqlal ont mené une politique intégrative. Au début, leur politique visait à traduire dans les faits les proclamations d'égalité et la volonté de les considérer comme une partie intégrante de la nation – d'où la tolérance en matière économique et religieuse, mais parallèlement s'est aussi imposée la tendance à la fusion de leurs œuvres de bienfaisance dans le cadre national. Leurs dirigeants n'avaient pas compris la nature profonde des liens qui unissent les juifs à travers le monde, ni la complexité de l'administration des œuvres de bienfaisance juives en grande partie financées par le judaïsme mondial. Pour eux la question juive au Maroc était marginale, car ils pensaient que la nation est au dessus de tout et la religion n'est qu'une affaire individuelle. C'est ainsi que s'est exprimé le roi lui même le 13.9.56 devant le nouveau Comité de la Communauté de Casablanca, en souhaitant la fusion des œuvres de bienfaisance. Il devait également leur demander de convaincre leurs coreligionnaires de ne pas quitter le Maroc qui "a besoin de tous ses fils". Rapidement, la réalité s'est imposée comme différente: le Maroc, pays arabe et musulman était contraint de prendre position dans le conflit israélo-arabe, un conflit aux conséquences négatives pour le judaïsme marocain. Les positions politiques envers les juifs après l'indépendance étaient très libérales. Le prince héritier Moulay Hassan déclarait devant les juifs qu'il comprenait leurs liens sentimentaux avec la Terre Sainte – à l'instar de ceux qui lient les musulmans à la Mecque, mais que cela ne devait pas porter atteinte aux relations fraternelles entre les deux communautés sur le sol marocain. Interrogé sur le conflit israélo- arabe et ses retombées sur les juifs du Maroc, le ministre des Finances, et un des ténors de la gauche, Abdelrahim Bouabid, répondait qu'il en espérait la fin proche. Un autre dirigeant de la gauche marocaine Mohamed Elfassi, ne rejetait pas la possibilité de liens culturels entre le Maroc et l'Etat d'Israël, mais cette attitude devait changer avec le temps.

Les dirigeants de l'Istiqlal au pouvoir ont rendus visite aux pays du Moyen-Orient et avaient été impressionnés par l'expérience égyptienne en matière de planification économique et surtout de son non-alignement entre deux blocs. Le rêve du dirigeant du parti, Allai Elfassi, de recouvrir les frontières historiques du pays, rencontrait un grand écho dans l'opinion publique, et avait besoin pour se réaliser de soutien des pays arabes. Par ailleurs, la volonté de forger une personnalité spirituelle marocaine authentique devait aussi contribuer à vouloir revenir aux sources arabes et faire de l'arabe la seule langue officielle du pays. Le roi Mohammed V lui aussi soutenait cette vision du Maroc comme une partie intégrante du monde arabe, lui qui se voyait comme le commandeur des croyants de tout le Maghreb, et dont l'influence spirituelle s'étendrait à l'ensemble du monde arabe. Cette tendance avait trouvé sa première expression publique dans le célèbre discours de Tanger, en 1947, dans lequel il avait souligné les liens qui doivent lier le Maroc au monde arabe, surtout après la création de la Ligue Arabe. Ce discours a soulevé des vagues de protestations en France.

La volonté d'aider les frères algériens dans leur lutte pour l'indépendance, devait également faire ressortir et exalter le patrimoine arabe commun. Il était donc tout naturel que les diplomates marocains se joignent à la condamnation de l'attaque israélo-franco-britannique contre l'Egypte et adoptent une position militante en faveur des réfugiés palestiniens. A cela, il faut ajouter la propagande des Palestiniens et de l'ambassade d'Egypte à Rabat qui devait contribuer à attiser les sentiments d'hostilité envers Israël et parfois aussi envers les juifs en général.

Au cours des deux premières années de l'indépendance, la politique étrangère du Maroc devait rester prudente, s'attachant à conserver de bonnes relations avec les Etats-Unis et la France. Ce n'est qu'au cours de l'été 1958 que le Maroc devait adhérer à la ligue des états arabes. Nombreuses étaient les raisons de cette adhésion: volonté de prestige, mobilisation de soutien aux revendications territoriales et à l'exigence d'évacuation des troupes françaises et espagnoles; volonté d'interférence dans la politique arabe et d'établissement d'une plus grande harmonie entre les pays du Maghreb. La politique intérieure n'était pas non plus étrangère à la compétition sur les proclamations les plus pro-arabes. Le gouvernement de gauche d'Abdallah Ibrahim avait été formé en décembre 1958. Les ministres du nouveau gouvernement voulaient prouver que la politique étrangère n'était pas moins importante pour eux que pour leurs adversaires au Palais royal, d'où le renforcement des liens avec les pays arabes.

En avril 1959, quelques mois après son arrivée au pouvoir, le chef du gouvernement se rendait en visite au Caire. De son côté, le roi qui voulait renforcer ses liens avec la Ligue Arabe devait proposer que la prochaine réunion des ministres des Affaires Etrangères de la Ligue se tienne à Casablanca – ce qui devait effectivement se produire en septembre 1959. A cette occasion les Marocains offrirent comme contribution à la Ligue Arabe l'arrêt des relations postales avec Israël en adhérant a l'Union Postale Arabe.

Malgré la déception devant la maigreur des résultats de cette conférence, le Maroc devait continuer à rêver d'unification du monde arabe et d'établissement de la paix entre Etats rivaux. Le roi Mohamed V cristallisa une proposition de sommet arabe et effectua en Janvier 1960 une tournée au Moyen-Orient en compagnie du chef du gouvernement, Abdallah Ibrahim. L'année 1961 devait certes marquer un recul des tendances panarabes, nais les conséquences de la politique suivie entre 1958 et 1961 avaient déjà porté une grave atteinte a la situation politique des juifs du Maroc.

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