Sidney S. CORCOS – L’ÉCOLE ANGLAISE POUR FILLES DE MOGADOR

 

stella-corcosSidney S. CORCOS

L’ÉCOLE ANGLAISE POUR FILLES DE MOGADOR

À la lumière de documents inédits et récemment découverts

   La découverte de documents concernant l’Ecole Anglaise pour Filles juives de Mogador au Maroc (Ecole “Honneur et Courage”)  jette une lumière nouvelle, intéressante et passionnante sur la gestion de cet etablissement, et sur la personnalité particulière de Stella Corcos qui le fonda et le dirigea. Elle nous renseigne également sur les visiteurs de la ville et de l’étranger qui s’y rendirent de marque à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème.

   La découverte de ces documents avait commencé par le dépouillement de lettres anciennes et d’autres papiers datant des années 1950. Dans l’une de ces lettres, il était signalé que Miss Florence (la fille de Stella) avait transmis deux “Livres d’Or”, propriétés de Stella et de l’École, à la “Anglo-Jewish Association” de Londres.


Note de l'auteur ; 

  • L’Anglo-Jewish Association a été créée en 1871 à Londres dans le but d’œuvrer à la défense des droits des juifs par des moyens diplomatiques. Ses objectifs et ses actions étaient identiques à ceux de l’Alliance Israëlite Universelle. L’Association s’activa dans le domaine de l’éducation  dans les pays “non développés”. En plus de Mogador, elle gérait des écoles à Bagdad, Aden, Jérusalem (école Evelina de Roshchild) et ailleurs.L’un des premiers dirigeants de l’Association fut Claude Montefiore , qui était le cousin de Stella Corcos, elle-même issue de cette famille par sa mère, Rebeka Montefiore. (Voir "BRIT" 20 à propos de l’arbre généalogique des Corcos). Cette alliance familiale eut une grande importance sur la fondation de l’Ecole de Mogador et sur l’aide financière qu’elle reçut. En 1900, l’Association comptait 36 agences.

    Cette information avait piqué ma curiosité, et je commençai à tenter de suivre les traces de ces “Livres d’Or” tout d’abord à l’occasion d’un de mes voyages en Angleterre, puis par des conversations téléphoniques et des courriers éléctroniques, mais en vain. Le seul détail important que j’avais réussi à éclaircir fut que les archives de l’Anglo-Jewish Association avaient été transférées à l’Université de Southhampton, et qu’il était probable que ceux de l’Ecole de Mogador s’y trouvaient aussi.

   A ce stade, je décidai qu’il serait plus efficace de faire agir une personne qui se trouvait sur place en Angleterre et qui pourrait plus facilement entrer en contact avec les responsables concernés. Je m’adressai donc à l’une de mes parentes, elle aussi arrière-petite fille de Stella, et, après que je lui fis dûment comprendre l’importance de ces documents pour l’histoire de la famille et celle de Mogador, elle voulut bien s’atteler à la tâche.

   Les résultats ne tardèrent pas à être obtenus: les Livres d’Or furent localisés à l’Université de Southampton, qui accepta de les photographier en micro-films et de nous les adresser.(4)

   C’est ainsi que nous prîmes connaissance de deux “Livres de Visiteurs” de l’école depuis l’année de sa fondation en 1885, jusqu’à 1915, date proche de sa fermeture.

   Le document comprend 69 pages qui contiennent des remarques des visiteurs, leurs commentaires sur la façon dont l’Ecole était dirigée, leurs impressions à propos des élèves, de l’équipe enseignante, et de la directrice Stella Corcos.

  Il semble que seuls les visiteurs importants aient été invités à noter leurs commentaires lors de leurs visites officielles et à signer le Livre d’Or. Du moins est-ce mon impression basée sur les dates des visites, les noms des signataires et leurs titres (voir table des visiteurs en Annexe 14).

   En tout, 79 visites sont détaillées dans les deux Livres (mais plus de 79 visiteurs, puisque souvent c’étaient des délégations entières qui arrivaient, dont seul le chef était invité à signer). Parmi elles, des visites réitétées de personnalités occupant des postes officiels, comme par exemple le Consul de France qui  était revenu quatre fois, le Consul d'Italie trois fois, les Consuls d'Espage et des Etats Uni deux fois.. Cependant, à la lecture des textes, on s’aperçoit que plusieurs d’entre eux signalaient qu’ils étaient revenus plusieurs fois sans que leur passage ait été marqué par une signature sur les Livres d’Or (voir par exemple les remarques du directeur administratif du Consulat de France (Annexe 3) . On peut en conclure que toutes les visites officielles n’étaient pas systématiquement recensées sur les Livres.

   De même, le Consul britannique Broome indique (Annexe 10) que des fonctionnaires du consulat avaient visité l’Ecole cinq fois entre les années 1888 et 1910.

   La plupart des textes sont écrits en anglais, quelques uns en français, et une minorité en italien, en allemand, et en espagnol. Ceci ne fait que confirmer la nature internationale de la ville de Mogador, qui avait été un centre de commerce et un port de négoce avec l’Europe depuis le 18ème siècle jusqu’au début du 20ème.(5)

   Une partie des visiteurs de l’Ecole étaient les consuls des Grandes Puissances accrédités à Mogador (en tout, 25 consuls et vice-consuls; certains parmi eux étaient des visiteurs qui revenaient pour la seconde fois en provenance du reste du Maroc, tels un journaliste de Tanger, ou un consul de France à Casablanca en vacance). Par ailleurs, des personnalités importantes qui visitaient l’Ecole travaillaient dans la ville, présidents de la Communauté Israélite, directeurs d’écoles et maîtres. Même de l’étranger arrivaient des éducateurs et des directeurs d’établissements, dont les remarques sont particulièrement intéressantes.On trouve enfin  des missionnaires anglicans qui exerçaient dans la ville (voir ci-dessous et Annexes).

    Une partie des noms de visiteurs et des textes est indéchiffrable, à cause de l'écriture illisible et des signatures compliquées.

   En annexe 14 est détaillée la liste des visiteurs dont les noms et les fonctions ont pu être déchiffrés de façon complète ou partielle.

   Il faut souligner qu’aucune personnalité rabbinique n’a signé le Livre d’Or (mais il se pourrait que certains rabbins aient visité l’Ecole). On peut supposer que l’Institution rabbinique de la ville était opposée à l’idée même d’une école pour filles juives. Cette même Institution avait émis des réserves lors de la fondation des écoles de l’Alliance en général, et des écoles pour filles en particulier, à cause de leur orientation “laïque”. Cependant, lorsque les écoles pour filles ont commencé à fonctionner, les parents et les rabbins se résignèrent, car ils constatèrent que les filles recevaient une formation professionnelle, (et surtout qu’elles n’allaient pas dans les écoles de missionnaires). En effet, le but initial de la fondation de l’Ecole Anglaise était de détourner les filles juives (généralement issues de milieux pauvres) de la tentation de s’inscrire dans les établissements de la Mission anglicane qui avait elle-même ouvert ses portes à Mogador.

   En 1876, 30 juifs étudiaient dans l’école de la Mission (6). D’après les informations du professeur Bashan(7) l’Ecole anglaise réussit à en retirer 32 filles en 1885.

   Les notations du Livre d’Or nous offrent des renseignements precieux sur l’Ecole, et nous permettent de suivre ses activités, d’observer son évolution, la façon dont elle a été dirigée, les matières qui y étaient enseignées, l’ambiance générale qui y règnait…On y apprend la façon dont les élèves étaient habillées, les noms des maîtresses, et même l’apparence des classes, et enfin la personnalité particulière de Stella Corcos.

   L’un des premiers à avoir visité l’Ecole, “cinq mois après son ouverture” fut Meyer Corcos (8) qui était Consul général des Etats-Unis d’Amérique à Mogador (voir Annexe 11). C’est ainsi que nous apprenons que l’ouverture de l’Ecole eut lieu au mois de juillet 1885. Dès ce premier témoignage, nous sommes impressionnés par son bon fonctionnement aussitôt après son inauguration.

   Les remarques des visiteurs montrent qu’il régnait à l’Ecole une athmosphère d’ordre et de propreté, et que les élèves étaient vêtues avec soin. On y souligne que les classes avaient un aspect “conforme à leur destination” (il faut noter qu’au début l’Ecole occupait un des étages du domicile privé de Stella).

   Les visiteurs rendent compte de la bonne ambiance qu’on y sentait, de l’évidente satisfaction manifestée par les élèves qui y apprenaient avec intérêt et dans la joie, tout en étant sérieuses et appliquées. Les élèves semblaient sûres d’elles-mêmes, intelligentes, bien éduquées. Bref, une réussite pédagogique.

   D’après ces témoignages, on apprend que les matières enseignées étaient: l’histoire, la géographie, la grammaire, la littérature, la culture générale, l’arithmétique, la lecture et l’écriture, l’anglais, le français, la traduction, le chant, la couture, le piano et le théâtre (9) (voir annexe 6: le témoignage de Mayden, le vice-consul britannique qui decrit la représentation théâtrale à laquelle il a assisté à l’Ecole).(10)

   La majorité des cours étaient dispensée en langue anglaise, qui n’était pas la langue maternelle des élèves. Une partie des visiteurs s’en émerveillait, tout en soulignant la difficulté que devaient éprouver les petites filles à se confronter à quatre langues: Anglais, Français, Judéo-arabe et Arabe. (Annexe 2)

   Stella Corcos s’obstinait à ne parler qu’anglais et avait l’habitude de dire à son entourage – même aux arabes – qu’ils se devaient d’apprendre cette langue.

   Presque tous le visiteurs expriment leur admiration pour l’Ecole et ses classes. Un directeur d’école d’Angleterre écrit: “Ce n’est pas seulement des Iles Britanniques que viennent les bonnes choses; il y a encore un espoir pour Mogador” .(Annexe 7)

   Nous apprenons qu’une méthode d’enseignement “excellente et avancée” est appliquée, qui encourage les élèves à penser par elles-mêmes. Ce sont les remarques des visiteurs qui viennent pour la seconde ou la troisième fois qui sont les plus éloquentes, car elles mettent en évidence les progrès des élèves, et le perfectionnement de l’Ecole d’année en année.

   Le directeur de l’Alliance Israelite écrit que l’Etablissement peut avantageusement se comparer aux meilleures écoles de l’Alliance du Maroc. Les visiteurs en provenance d’Angleterre, et parmi eux des éducateurs, constatent que l’Ecole de Mogador est d’une qualité supérieure à ses équivalents anglais, et que le niveau des filles égalait, et parfois dépassait celui de leurs condisciples d’Angleterre (voir les témoignages des délégués des Iles Britanniques en Annexes 8, 9, et 12). Le représentant de l’Anglo-Jewish Fondation écrit qu’il rendra compte à ses supérieurs et aux autorités britanniques de l’excellence de l’Ecole.

   Le ministre de France au Maroc (ambassadeur) va même jusqu’à écrire que l’établissement est “un trésor pour tous les amoureux de la Civilisation”. Un autre déclare que l’Ecole est “un grand pas vers le Progrès”. Le consul italien Saroussi conclut ses propos en disant que les élèves ont obtenu des résultats remarquables dans trois domaines: la discipline, la présentation, et le savoir.

  Mais par dessus tout, il faut souligner l’importance des témoignages des visiteurs qui mettent en avant le rôle de l’Ecole dans la vie de Mogador. Certains y voient un gain pour la ville entière; d’autres y apprécient l’apprentissage des filles pour leur futur fonctions de “mères et d’épouses fidèles et aimantes”, des femmes possédant une bonne instruction qui leur permettra de s’insérer dans la société et de gagner leur vie honorablement.

C’est ainsi que d’après un rapport de 1907, deux élèves furent employées comme secrétaires par les vice-consuls d’Angleterre et d’Autriche (11).

   L’ensemble des visiteurs de l’Ecole, présidents de la Communauté juive, diplomates, éducateurs, missionnaires, journalistes ou simples passants, tous rendent hommage à la personnalité de la directrice, à son rôle essentiel dans la réussite de l’établissement qu’elle avait créé. Ils ne ménagent pas leurs louanges pour souligner l’étonnante réussite du projet éducatif de Stella Corcos.

   Cela nous permet de mieux connaître la personnalité et l’action de cette femme si active.

   On voit se dessiner le personnage d’une femme charismatique, énergique, au comportement affable, éducatrice émérite et brillante, “une professionnelle étonnante de l’enseignement”, qui faisait preuve d’une grande patience et d’une persévérance hors pair pour consacrer sa vie à cette Ecole. Elle était adorée par ses élèves qui lui exprimaient leurs sentiments de respect, d’affection et de fidélité.

   En 1904, l’époux de Stella, Moses Corcos mourut à l’âge de 59 ans. Il était lui-même une personnalité éminente, l’un des grands commerçants de la ville. Stella demeura seule avec ses six enfants qu’elle éleva, tout en continuant à diriger l’Ecole et à gérer avec succès les affaires de son défunt mari.                           

   Mais Stella n’était pas la seule à faire l’objet des éloges des visiteurs. Le reste de son équipe est également félicité dans le Livre d’Or: les filles de Stella, Miss Winnie et Miss Florence (non citée), qui enseignaient à l’Ecole, ainsi qu’une autre maitresse du nom de Miss Duran font l’objet d’éloges nombreux, de même que Miss Beck, une anglaise qui s’était installée à Mogador en tant que nurse, dont on souligne les indéniables qualités pédagogiques.

     Il est intéressant de citer la visite de Baldwin le 23 mai 1888 (voir Annexe 2) qui était arrivé à Mogador la même année en tant que missionnaire chargé de fonder une antenne de l’”Association du Sud” dans le but de convertir les juifs au christianisme (12). Après sa visite, il manifeste son admiration pour l’Ecole, bien que l’une des raisons de sa fondation était d’empêcher les filles de fréquenter les écoles de la Mission. Il termine son témoignage en écrivant (à l’intention de Stella): “que le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob vous bénisse”

   De même le missionnaire Zerbib (voir Annexe 13) visita l’Ecole. Il était citoyen français originaire d’Algérie et s’était installé à Mogador en 1875 afin d’y mener ses activités de conversion et de diriger l’école des missionnaires de la ville (13). Plus tard, il deviendra le chef de la délégation des Missions au Maroc. (Il convient de rappeler que la Mission obtint à Mogador des résultats quasi insignifiants par rapport aux efforts déployés par les missionnaires).

   En conclusion: Ce Livre d’Or éclaire d’une lumière nouvelle le fonctionnement et le rôle de l’Ecole de filles “Honneur et Courage”  qui a exercé ses activités pendant 30 ans à Mogador à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème.

    L’Ecole fait l’objet des plus grands éloges de la part des représentants des Grandes Nations, anglais, français, italiens, espagnols, autrichiens et américains. La Communauté juive et ses institutions éducatives se joint à ces compliments. Mais les instances rabbiniques officielles s’abstiennent de noter leurs impressions dans le Livre d’Or.

    L’Ecole a survécu aux périodes de marasme économique qu’a connues la ville de Mogador, au début de son déclin en tant que port prospère et proéminent du Maroc, et à la fin de l’ère des “Marchands du Roi”(13). Même pendant les années de famine et d’épidémies (14) l’Ecole a réussi à se maintenir. L’entrée des Français et le Traité du Protectorat de 1912 ne parvinrent pas à l’ébranler.

   C’est ainsi que cette Ecole a continué à prospérer jusqu’en 1915. Elle a laissé son empreinte sur des générations de filles juives et a contribué à élevé le niveau éducatif de la ville en général et de sa communauté juive en particulier.

AUX LECTEURS: Je lance un appel à tous les originaires de Mogador qui pourraient donner un témoignage personnel (oral ou par écrit) sur les écoles anglaises de la ville, ou sur les écoles en général. Toute personne désireuse de transmettre des documents ou des photographies est invitée à prendre contact avec moi par l’entremise de la revue “BRIT”.  

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