Cliché des années 1950 avec au premier plan le cimetière et au fond à gauche le Palais royal

Le Mellah de Fès

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Georges MICHEL

Les juifs à Fès

À l’arrivée de Moulay Idriss, plusieurs familles juives se trouvaient déjà, dit-on, installées à Zouagha, à l’emplacement où devait naître la ville de Fès. Fès et sa création

Après la construction de la ville, les Juifs s’y installent en même temps que les Musulmans. Ils occupent divers quartiers dont Ezensfor où se trouvait le cimetière israélite intra-muros à côté de Bab el-Guissa, le quartier de Blida où existe encore la rue Sefer (en hébreu : rouleau de loi), Dribet Zniara, Zniquet Hzama, Fondouk el Youdi (quartier où se trouve actuellement l’hôtel Palais Jamaï), Kssibet Es Schems, à Boujeloud, Talaâ, Fondouk Delora.

Le Mellah

Le quartier appelé Mellah était à l’origine de la fondation de Fès-Jdid en 1276, le quartier destiné à la garde des archers syriens. Il était appelé Himç. Autour du nom « Mellah »

Tout le monde est d’accord pour dire que c’est le Himç, après la dissolution de la garde (1325 J.-C.) qui servit d’asile aux Juifs chassés de leur quartier du Fondouk el-Youdi, en médina de Fès ; on remarque que cet asile est proche du palais du sultan à Fès-Jdid. Ce sera le cas de la plupart des mellah, mais la protection espérée du fait de cette proximité sera le plus souvent illusoire : les juifs de Fès récemment installés furent massacrés, dans le mellah, en 1465, lors d’émeutes déclenchées pour des motifs incertains. Plus près de nous, en 1912, la proximité du palais n’empêcha point le pillage du mellah par les askris révoltés.

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Au premier plan le Palais du Sultan, au fond en demi-lune, le mellah. En haut, à droite, la place du Commerce.

Quelle est la date d’installation de la population juive au mellah ? Il existe différentes hypothèses selon les auteurs.

Un repère stable : le premier titre de propriété ne date que de 1438, mais on admet généralement que l’installation est plus ancienne, tout en étant postérieure à 1325.

Robert Assaraf pense que les Juifs de Fès ont pu continuer à mener une existence paisible tout au long du XIVème siècle. La petite communauté juive a été renforcée, à partir de 1391, par l’arrivée de réfugiés juifs espagnols fuyant le déclenchement de violentes émeutes anti-juives en Espagne chrétienne.

Par contre la situation des juifs fassis se dégrade considérablement sous le règne du dernier souverain mérinide, Abdel Haqq (1421-1465) : en 1439, la rumeur court que l’on a trouvé, dans plusieurs mosquées et médersas, des outres de vin qui ont été intentionnellement déposées par des juifs dans ces lieux de culte afin de les profaner. Une émeute anti-juive aurait alors éclaté. Pour assurer, à l’avenir, la sécurité de la communauté juive, Abdel Haqq aurait décidé de transférer celle-ci à Fès-Jdid, « dans un quartier édifié sur un emplacement appelé Malah dans la topographie locale » (Roger Le Tourneau) … et déserté par ses anciens habitants, les archers syriens, depuis plus de cent ans … sans avoir été squatté ?

Bressolette pense que l’installation à Fès-Jdid s’est faite progressivement à partir de 1325, quand le Himç fut disponible.

Gaudefroy-Desmombynes a du mal à donner une date précise : la milice chrétienne était encore à Fès-Jdid jusque vers 1350/1360. « Plus tard, les sultans affaiblis renoncent à protéger leurs Juifs dans la vieille ville de Fès et les installent à « el-melah »; mais je suis incapable de fixer, même vaguement, la date de cet événement, dont la réalité ne m’est attestée que par un texte de la seconde moitié du XVème siècle. En 1464-1465, un Juif ayant maltraité une femme musulmane à Fès l’ancienne, les habitants conduits par le khatib de la mosquée d’el-Qarawiyin marchent sur Fas el-Jdid, se ruent sur le quartier des Juifs, les tuent, les pillent, prennent leurs biens et se les partagent, le sultan étant absent de la ville ».

Les écrits des anciens auteurs donnent des repères peu précis. Maimonide au début du XIVème siècle aurait séjourné à Dar el-Magana  (dans le Talâa Kbira) preuve qu’à cette époque les Juifs vivaient en Médina, plus ou moins mêlés aux Musulmans.

Léon l’Africain et Marmol attestent de la présence de Juifs dans le mellah de Fès-Jdid au début du XVIème siècle. Léon l’Africain (vers 1516) connaît bien le quartier juif de la ville neuve de Fès et indique nettement qu’il n’a pas été installé à l’époque de la fondation de la ville par Abou Ya’qoub Youssef, renseignement qui concorde avec celui d’El-‘Omari. Mais Léon l’Africain semble ignorer le mot « mellah ».

Léon l’Africain donne une description de Fès-Jdid, à une époque où les traditions concernant sa fondation étaient encore vivantes. Il parle de trois parties : le palais, la cité proprement dite avec des grandes étables pour les chevaux et des boutiques de toutes sortes de marchands et d’artisans, et la troisième partie pour « le logis des gardes du corps de sa majesté ». Il dira plus loin que cette partie abritant anciennement les archers est habitée par les juifs « pour raison que les rois de notre temps ont cassé cette garde. Car ils -les juifs- demeuroient premièrement à l’ancienne cité mais la mort d’un roy n’était pas plus tôt divulguée, qu’ils étaient par les Mores incontinent saccagés. Or pour remédier il falut que les roys les fissent déloger de Fez l’ancienne pour venir résider en la neuve ..

On peut donc conclure que la population juive de Fès el-Bali s’installe ou est installée à Fès-Jdid entre 1350 et 1450. Cette transplantation a probablement été progressive et certainement dans des conditions souvent peu favorables puisqu’un certain nombre de Juifs préférèrent se convertir à l’Islam que de quitter leur quartier en médina. C’est ce qui explique d’ailleurs que des familles de Musulmans fasi portent des patronymes spécifiquement hébraïques.

Le professeur Hirschberg, cité par Omar Lakhdar, a fait remarquer, dans une lettre en judéo-arabe datée de 1541 que pour la première fois le quartier juif de Fès est appelé Mellah. (lire + haut, en 1516 Léon l’Africain n’utilise pas le mot de mellah pour parler du quartier juif)

Ensuite, on retrouve ce terme dans un texte hébraïque daté de 1552. Dans les actes rabbiniques, les Takanot de Fès, le nom n’apparaît que rarement et seulement à partir de 1590. Il semble ainsi que des Juifs de langue arabe se soient, les premiers, servis du nom Mellah pour désigner les autres quartiers juifs du Maroc. Plus tard, les Musulmans, à leur tour, utilisèrent ce mot et dans le même sens, mais après les Juifs. Enfin les Européens semblent avoir ignoré cette appellation jusqu’au début du XIXème siècle selon Lakhdar. Les Espagnols utilisaient « Juderia », les Français « Juderie » ou « Juiverie » pour évoquer les mellahs du Maroc ou les quartiers juifs d’autres villes.

Robert Assaraf écrit que ce quartier juif spécifique de Fès-Jdid, connu sous le nom de « mellah », fut le premier à être institué au Maroc, dont toutes les villes, à l’exception de Tanger et de Safi, se dotèrent progressivement par la suite d’un espace territorial réservé aux seuls juifs.

« Il s’agissait là d’une initiative lourde de conséquences qui érigeait au rang de pratique normative, ce qui avait été jusque-là un simple usage. Le statut de la dhimma ne stipulait pas une ségrégation géographique entre musulmans et dhimmis. Toutefois au Maghreb comme au Machrek, les dhimmis avaient eu tendance à se regrouper dans des quartiers spécifiques édifiés autour de leurs bâtiments cultuels. Il s’agissait, en aucun cas , d’une obligation. À Fès , au début du XVème siècle, les juifs continuaient à vivre majoritairement en médina.

« Dans le cas de Fès, on peut penser que la ferveur engendrée par la redécouverte, en 1438, des restes d’Idriss Il, le fondateur de la cité, avaient eu pour conséquence de favoriser le retour à un Islam intransigeant. Un climat favorable à la ségrégation entre musulmans et non-musulmans aurait été ainsi créé, qui trouva son aboutissement dans l’institution, en 1439, du mellah.

La décision du sultan mérinide Abd el-Haqq était au départ liée à des considérations sécuritaires pour protéger les juifs des accès de colère de la population fassie  qui focalisait souvent son mécontentement contre les juifs.

Mais il est possible d’estimer que plus qu’une volonté de protéger les juifs, il s’agissait d’une réforme en profondeur de la société musulmane, conviée à rejeter de son sein tous les éléments non musulmans. Pour les juifs fassis, l’obligation qui leur était faite de résider désormais à Fès-Jdid constituait indéniablement un châtiment auquel nombre d’entre eux s’efforcèrent d’échapper en se convertissant, en hâte, à l’Islam. C’était le seul moyen pour eux de ne pas perdre les immeubles et boutiques dont ils étaient propriétaires en médina et qu’ils se voyaient contraints de liquider à perte, s’ils demeuraient fidèles au judaïsme. De plus, de nombreux négociants et artisans redoutaient de perdre leur clientèle habituelle. Celle-ci hésiterait à se rendre dans le mellah, jugé trop loin de Fès el-Bali ».

Le mellah de Fès fut le premier du Maroc ; les Juifs de Marrakech furent déplacés, à partir de 1557, dans un quartier entouré de murailles qui devait porter plus tard le nom de mellah, et où vivaient d’ailleurs quelques chrétiens ainsi que les émissaires européens de passage dans la ville. Peu à peu toutes les villes du Maroc eurent leur mellah, sauf Tanger et Safi, et selon le contexte socio-politique et religieux, les murailles protectrices ressemblaient davantage aux murs d’une prison.

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Vue du mellah depuis la colline de Dar Mahrès, vers 1920

La vie au Mellah

La vie des Juifs du Mellah de Fès, de 1450 environ jusqu’au début des années 1900, fut marquée par de malheureux événements (famines, épidémies, massacres, pillages, expulsions, impôts accablants), suivis et répétés qui provoquaient des conversions forcées. Ces conversions de nature économique prévalente ne furent pas sans poser des problèmes au sein de l’Islam fasi et furent suivies parfois de mesures discriminatoires frappant les récents convertis.

Tout changement de régime pouvait être pour eux un malheur certain : la mort d’un Sultan entraînait souvent des désordres suivis d’hostilité dont les Juifs devaient être les premières victimes.

Une première période de famine en 1558, une deuxième en 1614 et une troisième en 1737-1738, décimèrent une grande partie de la population juive de Fès. Le rabbin Samuel Aben Danan rapporte qu’au cours de l’année 1738, la famine suivie d’une épidémie de peste ravagea le Mellah dont un quartier appelé « El Aarosa » (qui devait se situer en dehors de la muraille) fut entièrement anéanti.

En 1790, sous le règne de Moulay el Yazid, les Juifs du Mellah furent transférés à la Kasba des Cherarda pour que puissent être installées à leur place les tribus des Aït Yomor et des Oudaïas venues de Meknès. Les nouveaux venus construisirent une mosquée à l’emplacement de l’ancienne synagogue. À la suite d’un incendie qui ravagea leur nouveau campement, les Juifs implorèrent le Sultan pour le décider à les autoriser à retourner au Mellah. En 1792, le Sultan Moulay Slimane qui avait succédé à Moulay el Yazid ordonna le retour des Juifs dans le Mellah et le transfert de la mosquée à l’emplacement de laquelle les Juifs construisent une maison qui porte le nom de Dar el Jama.

Sous le règne de Moulay Hassan, la situation des Juifs du Maroc s’est beaucoup améliorée. Des relations très amicales, commerciales et sociales, se nouèrent entre Musulmans et Israélites. Ces derniers qui occupaient des positions importantes dans le commerce et l’artisanat, donnèrent un nouvel essor à l’économie du Maroc.

Jusqu’en 1912 le Mellah est enserré dans une enceinte inextensible et dans un espace très réduit qui expliquent l’architecture particulière du quartier avec des maisons élevées à deux étages, des rues très étroites et une densité de population extrêmement élevée (près du double de celle du quartier voisin de Moulay Abdallah à Fès-Jdid). Au début du XX ème siècle la population du Mellah est d’environ 8 000 personnes ( chiffre donné par l’Alliance Israélite Universelle et cité par Eugène Aubin dans son livre « Le Maroc d’aujourd’hui ») avec une densité d’une vingtaine de personnes par maison.

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Bien que d’origines différentes : juifs établis à Fès depuis sa fondation, berbères judaïsés, juifs venus d’Espagne au moment de la Reconquista, juifs du Sous ou du Tadla arrivés à Fès sous Moulay Ismaïl ou Moulay Rechid, la communauté juive au début 1900 formait un groupe homogène, lié par une longue et étroite cohabitation imposée, des événements malheureux traversés ensemble et des intérêts communs.

Le Mellah sous l’autorité du Gouverneur de Fès-Jdid, fonctionnaire musulman, bénéficiait d’une large autonomie et avait une organisation propre.
Le conseil de communauté, composé de trois rabbins et quatre laïques avait en charge tous les intérêts matériels et moraux de la communauté : travaux d’édilité, répartition des taxes, questions religieuses pour leur aspect temporel. La communauté avait et gérait ses ressources provenant des offrandes, des produits des fondations pieuses, des revenus des quartiers ; ces fonds servaient à des oeuvres de bienfaisance, maison d’accueil. L’ordre public était assuré par un fonctionnaire juif « Cheikh-el-Ihoud » ou « Cheikh des Juifs » dont la nomination était soumise à l’approbation du Maghzen. La police était constituée de 4 à 5 agents du Pacha qui étaient en même temps gardiens de l’unique porte d’entrée du Mellah, fermée à clé à la tombée de la nuit. La clé était confiée à un Juif qui devait ouvrir la porte à l’aube à l’arrivée des policiers musulmans.
Enfin le tribunal rabbinique réglait tous les conflits entre israélites, le tribunal du Pacha n’intervenait que si les rabbins ne parvenaient pas à trouver un accord entre les plaignants. Par contre les contestations entre Juifs et Musulmans étaient réglées par les tribunaux musulmans. En matière pénale les Juifs relevaient du Pacha.

La communauté juive bénéficiait d’une grande indépendance … à l’intérieur du Mellah, son autonomie était beaucoup plus restreinte quand ses ressortissants en sortaient et qu’ils participaient à la vie générale de la ville de Fès !

La place du Juif dans la cité a rapidement évolué après la signature du traité de protectorat en mars 1912.

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Cliché de 1915 environ

Quelques livres (déjà mentionnés dans l’article autour du nom Mellah) :

Abitbol Michel : Le passé d’une discorde, juifs et arabes depuis le VII siècle
Assaraf Robert : Une certaine histoire des juifs du Maroc
Assaraf Robert : Eléments de l’histoire des juifs de Fès
Bénech José : Essai d’explication d’un mellah
Henri Bressolette, Jean Delarozière « Fès-Jdid , de sa fondation en 1276 au milieu du XX ème siècle » Hespéris Tamuda
Gaillard Henri : Une ville de l’Islam: Fès
Gaudefroy-Demombynes : Marocain mellah
Goulven J. : Les mellahs de Rabat-Salé
Kenbib Mohammed : Juifs et musulmans au Maroc
Lévy Armand : Il était une fois les juifs marocains.
Le Tourneau Roger : Fès avant le protectorat
Saisset Pascale : Heures juives du Maroc
Toledano Joseph : Le temps du Mellah
Zafrani Haïm : Deux mille ans de vie juive au Maroc
Zafrani Haïm : Juifs d’Andalousie et du maghreb
Zafrani Haïm : Le judaïsme maghrébin
Zafrani Haïm : Les juifs du Maroc, vie sociale, économique et religieuse.