La symbiose judeo-ibadite -Pessah Shinar

Reste à considérer une différence de degré entre Ibàdites et Juifs du Mzab, ainsi que trois rites particuliers à ces derniers. La différence touche à leur attitude à l'égard des cimetières et des morts. L'atta­chement des Juifs à leurs ancêtres, considérés comme une sorte de corporation céleste d'êtres semi-mythiques, était, certes, empreint d'une profonde révérence mêlée de crainte superstitieuse; mais cela n'est en rien comparable à la place extraordinaire qu'occupent les morts chez les Mzabites. Dans leurs immenses nécropoles où tout Mzabite tient à être enterré, se réunissent périodiquement des clans en­tiers autour de leurs clercs pour commémorer leur ancêtre éponyme ou leurs cheikhs, prendre des repas communiels et distribuer des  aliments (marüf); là, se rencontrent les délégations des sept qsür pour délibérer sur les problèmes intéressant l’ensemble du Mzab; c’est à cet endroit aussi que se tiennent des assises judiciaires et que les propriétaires s’acquittent de leur contribution annuelle, la tnüba. Naguère, au marché de Ghardaïa, le conseil municipal laïque avait la coutume, lors de ses délibérations, de siéger sur des pierres pro­venant de tombeaux, pour associer à ces délibérations le conseil des Mânes invisibles.

Nous avons un témoignage authentique sur cet état d’esprit dans une lettre adressée probablement par le Conseil des Douze au Chef d’annexe de Ghardaïa, en réponse aux admonestations dudit fonc­tionnaire au caïd qui avait omis de prendre les mesures qui s’impo­saient lors d’une épidémie de typhus: “A Monsieur le Commandant Supérieur… Sachez que le médecin ne doit pas voir ni morts ni ma­lades mzabites; vous avez fait là une chose mauvaise. Et vous n’avez pas à prendre des Mzabites comme soldats. Vous n’avez pas à changer les lois de nos ancêtres… Vous dites ô Français, que vos aïeux sont morts, que vous ne communiquez plus avec eux. Nous, Musulmans, disons que, alors même que leur chair et os sont décomposés dans la terre, nos ancêtres vivent et veillent sur leurs enfants. (ils) sont comme un lion dans la forêt… il mange quiconque veut le faire périr … Nos ancêtres vous disent : le gouvernement qui prendra un seul Mzabite comme soldat périra”.

Paradoxalement, l’aspect désolant des cimetières mzabites, parse­més de poteries crevées ou écornées, semble suggérer une attitude peu respectueuse envers les morts. Cette impression d’abandon n’est qu’ap­parente: la pratique des inscriptions funéraires étant bannie par les Ibàdites, les vases mutilés de façons diverses servent de repères aux familles pour reconnaître l’emplacement des tombes. Mais pourquoi l’usage de vaisselles? Serait-il une survivance d’un mobilier funéraire, comme en présentent beaucoup de sépultures primitives — et d’une croyance en la continuation des besoins terrestres du défunt dans sa tombe? De toutes façons, sur ce point encore, les Mzabites diffèrent des Juifs dont les tombes portent des inscriptions hébraïques indiquant nom et âge du défunt, date de décès, mots d’éloge funèbre, et par­fois aussi, des graffiti représentant une bouteille et un verre. Seules les tombes dépourvues d’inscriptions sont garnies, à l’instar des tom­bes mzabites, de poteries mutilées — une bouteille (de vin) désignant un homme et un bol (de café) désignant une femme. Autre diffé­rence: les cimetières mzabites se distinguent de ceux des Juifs par nombre de constructions: qubba-s de forme carrée, conique et pyra­midale, autels, stèles et oratoires. Chez les Juifs il existe un rite qui leur est propre: lors des obsèques d’hommes on jette sur le par­cours du cortège funèbre un mélange de poudre d’or ou d’argent avec “du sol de la Palestine”.

On notera, enfin, trois autres rites pratiqués par les Juifs de Ghardaïa, auxquels les Ibàdites, paraît-il, sont également restés étrangers. L’un s’appelle Kittab et désigne les cérémonies marquant l’entrée de l’enfant juif à l’école religieuse à l’âge de cinq ans; un rite pré­liminaire s’appelant le “petit Kittab" a lieu à l’âge de quatre ans.

Selon Huguet (ibid.), cette cérémonie avait lieu à l’âge de 3 ans de l’enfant. Cette divergence pourrait peut-être s’expliquer par le fait qu’il y a un décalage de 60 ans entre les textes cités. Pour une description du kittàb v. Briggs, pp. 28-31

 Chez les Mzabites on célèbre la fin des études coraniques, khatmet al-Qur'an et cette fête ne dure qu’un jour. L’autre rite particulier aux Juifs consiste en l’aspersion mutuelle, lors du premier jour de la fête de Shavuot, la Pentecôte juive, pratiquée par des groupes de jeunes gens appartenant aux deux soff de la Communauté. Cette coutume se retrouve aussi au Maroc, où elle était pratiquée, vers la même époque et de la même façon, par les Musulmans adultes et enfants, de certaines villes (Fès, Meknès, Rabat-Salé, Mazagan) et par certains tribus berbères (Ait Sadden, Ait Yüsi, Ait Warâïn). Westermarck pense qu’il s’agit là d’un vieux rite purificatoire berbère qui fut plus tard interprété comme un charme de pluie. Le nom arabe de la Pentecôte, ‘ansara, étant souvent représenté aux Maroc comme le nom d’une femme juive, pourrait indiquer une origine juive de ce rite berbère qui est d’ailleurs condamné par les toiba du pays. Une telle hypothèse s’accorde avec l’explication fournie par le Dr. Huguet selon lequel cette coutume commémorerait le miracle de Moïse faisant jaillir l’eau du rocher.

 A noter la racine commune du mot ‘ansara avec l’héb­reu 'asàrâ, assemblée de fête. A l’époque de losephus Flavius et du Tal- mud, ce dernier mot désignait la pentecôte, Shavuot, Cf. M. Jastrow, A Dictionary of the Targumim etc. (1926), p. 1103.

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