Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

 

Trois périodes du travail de la Misguéret

Après la fermeture des bureaux de Kadima par les autorités marocaines, le travail de la Misguéret a connu trois périodes:

Les années 1956-1957

Ce furent les années de transition entre l'émigration légale et l'émigration clandestine. En 1956, il y avait encore des milliers d'émigrants bloqués dans le camp de l'Agence juive près de Casablanca (Appelé par les juifs du Maroc le Camp de Mazagan étant situé à 26 kms de Casablanca, sur la route de Mazagan), et des négociations se poursuivirent avec les autorités pour permettre leur sortie. A ces négociations participèrent diverses organisations, dont le Congrès Juif Mondial. Le gouvernement marocain céda aux pressions, et autorisa de temps à autre, le départ de groupes d'immigrants. Mais le camp se remplissait de nouveau, car d'autres y étaient introduits en secret par les hommes de Gonen. Mais en fin de compte le camp fut définitivement fermé au mois d'octobre 1956.

Les années 1957-1961

Ces années furent celles de l'Alyah Beth (Immigration illégale) – la deuxième étape de l'opération – durant lesquelles le flot d'émigrants diminua de beaucoup. La police surveillait de plus en plus les voies de sortie, et il fallait constamment en chercher de nouvelles.

La sortie se pratiquait par des voies illégales à travers les présides de Ceuta e: Mélilla, enclaves restées espagnoles après l'Indépendance, où ils arrivaient par voie de terre ou par mer. D'autres ont fait une route plus longue par mer, jusqu'.: Gibraltar. Des émigrants solitaires ou en longues caravanes furent arrêtés par le; garde-frontières, mis en prison et même quelquefois torturés. L'émigration ava:־ ralenti, mais elle ne cessa pas. Le naufrage de l'Egoz provoqua une très grand; émotion à tous ceux qui s'occupaient de l'Alyah, et au sort des Juifs. On peut dire que cette tragédie fut l'occasion d'un tournant, bien qu'il fallût attendre encore six mois pour voir la reprise de l'émigration et l'accord officieux des autorités marocaines.

Le naufrage de l'Egoz a servi d'indicateur dans les chemins tortueux de l'émigration du Maroc. Les faits qui étaient gardés sous silence jusque là devinrent publics. Il est évident que ce fut une terrible tragédie pour les Juifs marocains, dont beaucoup avaient des parents parmi les disparus, et ils se rendirent compte des dangers de !'émigration clandestine. Dans le monde aussi, la tragédie des Juifs de ce pays qui venait d'obtenir l'indépendance causa une forte impression. Les militants de la Misguéret furent très bouleversés, eux aussi, et il a fallu beaucoup de temps pour se remettre de ce coup terrible. Même les autorités marocaines comprirent la terrible signification du naufrage de l'Egoz.

Les cinq ou six années de travail clandestin qui avaient précédé le naufrage n'avaient pas été vaines. Le judaïsme marocain avait changé, et le prestige de l'Etat d'Israël et de ses émissaires s'était grandement accru. Les militants impliqués dans l'autodéfense et l'émigration étaient relativement peu nombreux mais l'écho de leur action avait été sans proportion et avait contribué à renforcer le sentiment de sécurité et de fierté des Juifs du Maroc. On voyait ça et là des personnalités juives réclamant la même liberté de circulation que pour les autres citoyens du pays.

Des tracts furent diffusés au cours de l'opération Bazak, naturellement organisée et supervisée par la Misguéret. Deux des diffuseurs furent arrêtés, et à leur suite. 18 autres militants de la Misguéret qui subirent dignement la détention et les interrogatoires de la police, il y avait donc une autre atmosphère au sein de la communauté juive. En fait, le naufrage non seulement n'avait pas dissuadé des Juifs qui voulaient fuir par mer, mais leur avait fait comprendre qu'il n'y avait aucun espoir de vie en diaspora. Beaucoup de Juifs simples et candides continuèrent à emprunter des voies difficiles vers l'inconnu, ils acceptèrent toutes les souffrances avec amour et allèrent vers la mer récitant des versets des Psaumes.

  1. Les années 1961-1964

Ce fut une période d'émigration légale avec l'accord des autorités marocaines, qui eut le nom d'opération Yakhine. Il aura fallu, bien entendu, un certain temps pour s'adapter à une situation qui n'était plus secrète – elle était admise sans être tout à fait officielle. L'opération Yakhine dura de novembre 1961 jusqu'à fin 1964, durant laquelle environ quatre-vingt dix mille Juifs quittèrent le Maroc. On peut dire que la majorité des Juifs du Maroc se sont installés en Israël. En un laps de temps relativement bref, le judaïsme marocain a donc cessé d'être une diaspora susceptible de préoccuper l'Etat d'Israël sur le plan de sécurité.

Pendant toutes les années de la Alyah clandestine, des négociations se sont poursuivies avec les autorités marocaines afin d'assurer le droit des Juifs de quitter librement le pays, ainsi que le stipule la constitution, et ainsi que l'affirme publiquement le gouvernement. Avec les milieux de l'opposition, les contacts n'ont jamais été interrompus. Les leaders du judaïsme marocain, eux aussi, ont compris que l'Alyah était devenue inévitable. Soit qu'ils affirmaient leur <volonté à haute voix, ou qu'ils la réservaient seulement à des cercles intérieurs, il n'y avait plus aucune raison de l'ignorer. Si certains milieux juifs avaient autrefois cherché l'intégration au peuple marocain, cette option ne correspondait absolument plus à la réalité. Le mouvement de rapprochement judéo-musulman le "Wifaq", affilié au parti de l"Istiqlal", avait cessé d'attirer les intellectuels juifs dans ses rangs.

Après le naufrage de l'Egoz et la visite de Abdul Nasser à Casablanca, la distribution de tracts de protestation au cours de "l'opération Bazak", et l'arrestation d'une vingtaine de militants de la Misguéret, il était devenu évident que l'Alyah était la seule issue possible, au point de devenir la principale, sinon l'unique revendication de la rue juive.

Lorsque les différentes branches de la Misguéret, Gonen, la Makéla et le service de renseignements ont pris de l'essor, ce débat n'est pas resté stérile car les faits ont décidé de son sort: la pression croissante sur les portes de sortie qui se faisait de plus en plus forte, l'infiltration d'émigrants cherchant à atteindre les frontières, les vieillards, les groupes de femmes et d'enfants qui affrontaient les difficultés des chemins, étaient arrêtés et déférés devant les tribunaux – tout cela était en quelque sorte une preuve qu'il n'y avait pas d'autre issue. Les négociations se déroulèrent aussi sur un autre plan.

Les représentants du Congrès juif mondial ont aussi tenté, à plusieurs reprises, d'y prendre part, d'avoir des contacts avec des membres du gouvernement, avec le roi et ses proches. Il y a eu des promesses, des tergiversations: "Le roi est en déplacement… Le gouvernement est en crise… Nous sommes à la veille des élections…" Toutes ces réponses sont connues d'autres régions, d'autres époques de l'histoire juive, et il n'était pas possible d'arriver à un accord sérieux. Et si les Juifs avaient attendu la fin des ces débats (qui étaient menés en accord avec l'Agence juive et le ministère des Affaires étrangères d'Israël) on en serait encore aujourd'hui à attendre. Ce qui vient d'être décrit correspond à la période qui a duré jusqu'à fin 1961. Année où a débuté l'opération Yakhine, appelée aussi Alyah Guimel. Au cours de l'été de cette même année, des négociations difficiles ont été menées avec des Hautes personnalités du Maroc afin d'obtenir l'autorisation rour les Juifs d'émigrer, et il était question d'un nombre important de candidats au départ. Il y a eu à cette époque des périodes d'espoir et d'autres où l'on doutait de la réussite. Ceux qui étaient de l'autre côté de la table des délibérations n'ont jamais éveillé chez nous à cette époque une confiance totale, et bien que la promesse ait été faite de permettre à des dizaines de milliers de Juifs d'émigrer en l'espace de quelques mois, le doute ne nous a jamais quittés. Les nombreux télégrammes envoyés du Maroc à Paris et en Israël et vice-versa témoignent d'une grande anxiété aussi bien que de l'enthousiasme à la suite d'un engagement obtenu. Telles ont été les voies sinueuses des négociations qui ont précédé l'époque de l'Alyah Guimel. Etant donné qu'on considérait que des dizaines de milliers de juifs quitteraient le territoire marocain en l'espace de quelques mois, fallait-il taire la grave question de la confiance qu'avaient les responsables des négociations, et ceux qui représentaient les intérêts juifs au Maroc quant à ce nombre de partants?

Ces milliers de juifs étaient vraiment désireux d'émigrer? N'allait-on pas découvrir au dernier moment qu'on avait travaillé en vain? Pendant toutes les années de l'émigration, les militants avaient l'impression de marcher sur une corde mince et raide, et la justification de leur action était la "volonté générale" de la population juive d'aller vivre en Israël.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel —page82-85 Knafo

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