Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?

 

Qu'en fut-il du sionisme chez les non-Juifs?

En toile de fond, un certain sentiment de commisération prévalut envers la situation des Juifs en général pointait en Europe. Cela se traduisait par des sentiments de compassion envers leurs souffrances, notamment dans des contrées où l'Europe avait des intérêts. Sous Napoléon, les Juifs devinrent citoyens et l’empereur envisagea le rétablissement des Juifs dans leur terre ancestrale. Rappelons enfin qu'un certain libéralisme émergea en Angleterre où l'on reconnut aux Juifs leur passé glorieux. Par ailleurs, les Protestants ont toujours eu une plus grande affinité avec la Bible hébraïque et de nombreux Protestants des deux côtés de l'Atlantique envisagèrent favorablement le retour des Juifs à Sion. Ainsi, en 1839, Lord Palmerston, alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères, instruisit le premier vice-consul de Jérusalem afin qu'il accorde sa protection aux Juifs en général. Il cita alors à la jeune reine Victoria le verset 23-6 de Jérémie : « En son temps, Judah sera sauvé et Israël vivra en sécurité dans sa demeure.» Lorsque Moses Montefiore revint du Maroc avec un édit de sultan proclamant la justice pour ses sujets juifs, le journal Daily Telegraph imprima un article sur le thème : « Qu'est donc le christianisme si ce n'est des actions telles que celle-ci ! »

Dans l'Amérique du XIXe siècle, certaines écoles de pensée protestantes virent dans le sionisme l'accomplissement des prophéties bibliques. L'Amérique elle-même était considérée comme une nouvelle terre de Canaan où coulent le lait et le miel, mariant ainsi le rêve du pionnier américain à celui du pionnier sioniste. Ainsi, pour l'écrivain Herman Melville, les idéaux démocratiques de l'Amérique étaient analogues aux idéaux bibliques dans un monde idolâtre : « Nous, Américains, sommes l'Israël de notre temps. Nous supportons les arches de la liberté du monde.» D'autres virent dans le foyer juif un besoin humanitaire visant à redonner la liberté à un peuple vivant dans de terribles conditions tant en Europe que dans l'Empire ottoman.

Les Musulmans ont généralement bien compris le besoin que les Juifs avaient de vénérer leurs lieux de pèlerinage. En fait, le verset 5-21 du Coran stipule en parlant des Juifs : « Ô mon peuple, occupez cette terre sainte qu'Allah vous a assignée.» De même, dans le verset 17-14 : « Nous avons ordonné aux Enfants d'Israël : Peuplez cette terre en attendant l'avènement de l'Heure où nous vous rassemblerons tous, vous et eux ! » Souvent, ces versets sont ignorés ou réinterprétés avec de nombreuses contorsions. Par ailleurs, un certain courant radical refuse qu'une terre conquise par les Musulmans ne puisse être réclamée par des non Musulmans. Ceci signifierait que l'Espagne, la France au sud de Poitiers et l'Europe des Balkans à l'Est de Vienne ne seraient rien de plus que des terres musulmanes. Il est fort intéressant que cette interprétation ne soit retenue quasi exclusivement que pour refuser aux Juifs le droit d'avoir un pays en Terre d'Israël.

DE L'ENSEIGNEMENT TRADITIONNEL JUIF AUX DÉBUTS DE L'ENSEIGNEMENT DE L'ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

Qu'en était-il de l'enseignement traditionnel juif?

À l'école juive ou Talmud Torah, ou tout simplement dans le logis du rabbin, l'enfant apprenait l'alphabet sur une planchette de bois. Puis l'on passait à l'étude des Écritures : Le Pentateuque, les Juges, les Rois, les Prophètes et les Hagiographes. L'instruction était prodiguée en espagnol ou en arabe, langues retranscrites en caractères hébraïques. La Bible était chantée et traduite en judéo-arabe ou en judéo-espagnol. La mémorisation des textes et de leur traduction était obligatoire et les punitions sévères. La grande majorité des filles juives n'étaient pas instruites.

Durant la phase secondaire, les discussions, commentaires et interprétations de la loi orale, Mishna et Talmud, étaient potassés et les textes hébraïques ou araméens étaient traduits en judéo-arabe ou en judéo- espagnol. Les commentaires bibliques classiques ou locaux étaient fouillés. La casuistique talmudique affûtait les esprits, quand bien même les questions débattues n'avaient que peu d'application dans la vie courante. Certains des finissants s'orientaient vers le rabbinat, le notariat ou l'abattage rituel. Ceux qui poursuivaient leurs études dans les villes de Fès, de Marrakech et de Tanger avaient un énorme compendium judaïque à leur disposition, incluant l'étude de la philosophie, de la cabbale, des contes historiques et des commentaires rabbiniques touchant aux Écritures, au droit, au calendrier, à la grammaire ou à la poésie. On étudiait également la pensée juive, tel l'ouvrage Les devoirs des cœurs d'Ibn Paqouda, le Kouzari de Yehouda Halévi et le préambule du Traité des Pères de Maimonide. En mission au Maroc, l'orientaliste Joseph Halevy notait : « Les Israélites de ce pays n'ont jamais atteint le degré de bigoterie fanatique qui repousse les sciences profanes comme contraires à la religion… L'obscurantisme absolu est inconnu au Maroc.»

L'éducation traditionnelle permettait la formation de juges rabbiniques, d'éducateurs, de chantres, de notaires, de copistes des rouleaux sacrés et de toute une panoplie de spécialistes rattachés à des fonctions ou des services religieux : Abattage rituel, circonciseurs, confréries du dernier devoir (Hévra), homélistes etc. En 1930, la taxe sur les produits dits casher gravitait autour d'un franc le kilogramme de viande et d'un quart de franc par kilogramme de pain azyme. Cette taxe spéciale était prélevée pour venir en aide aux nécessiteux.

Quant aux écoles de l'Alliance, elles suivaient le curriculum français : arithmétique, histoire, géographie, physique, chimie et des notions de littérature, l'instruction de l'hébreu étant donnée par des rabbins. Les enfants juifs récitaient : « Jadis la France s'appelait la Gaule et nos ancêtres les Gaulois…» Plus de 80% des enfants juifs étaient scolarisés.

Qu'en était-il des écoles européennes?

Dans la majorité des villes côtières, les écoles espagnoles étaient pour la plupart gérées par des Franciscains. L'anglais fut enseigné dans des écoles anglaises à Mogador et à Mazagan. Quant aux écoles françaises instituées après le Protectorat, elles suivaient le même enseignement qu'en France métropolitaine. On y chantait l'amitié avec tout un chacun « même s'il n'est pas né en France.»

Quelle était la mission de l'Alliance?

L'extrait du texte fondateur de l'Alliance Israélite Universelle, définit sa mission : « Rassembler tous les cœurs généreux pour lutter contre la haine et les préjugés. Créer une société de jeunes Israélites idéalistes et militants qui se sentiraient solidaires de tous ceux qui souffrent par leur conviction de juifs ou tous ceux qui sont victimes de préjugés quelle que soit leur religion. Faire enfin que la culture supplante l'ignorance de quelques fanatiques, pour le bien de tous… Si vous croyez que ce serait un honneur pour votre religion, une leçon pour les peuples, un progrès pour l'humanité, un triomphe pour la vérité et pour la raison universelle de voir se concentrer toutes les forces vives du judaïsme, petit par le nombre, grand par l'amour et la volonté du bien, venez à nous, nous fondons l'Alliance Israélite Universelle.» L'Alliance Israélite Universelle dont le siège social est toujours à Paris, s'engagea à ouvrir de nombreuses écoles juives d'expression française dans le monde, essentiellement dans les pays du bassin méditerranéen et jusqu'en Iran. 14 écoles furent fondées entre 1860 et 1870. Fondée en 1868, l'École normale israélite orientale fut en charge de la formation d'enseignants pour les écoles de l'Alliance. En 1900, l'Alliance scolarisait 26 000 élèves dans 100 écoles. Ce nombre passa à 48 000 élèves dans 188 écoles à la veille de la Première Guerre mondiale et à 51 000 élèves dans 135 écoles en 1948.

Au Maroc en 1867, il y avait 310 garçons et 1077 enregistrés à Tétouan, soit 5 ans après l'ouverture de l'école de l'Alliance. Trois ans après sa fondation, l'école de Tanger comptait 436 élèves et celle de Mogador 100 garçons et 40 filles. Une école fut ouverte à Safi et l'expansion de l'Alliance fut depuis lors, fulgurante.

Comment l'Alliance fut acceptée au départ?

Dans certaines villes comme à Salé et à Meknès, il y eut opposition à l'Alliance car les parents craignaient que l'enseignement des valeurs religieuses se relâche. Il y eut quelques hésitations parfois, mais lorsque les parents comprirent les bienfaits d'une éducation moderne qui ne soit pas exclusivement centrée sur la religion, il y eut des ruées quasi incontrôlables pour inscrire des jeunes élèves dans le réseau scolaire de l'Alliance Israélite Universelle. L'enthousiasme suscité par les écoles de l'Alliance dans les couches populaires fut indescriptible. Déjà en 1906, soit cinq ans après l'ouverture de la première école de l'alliance à Marrakech, Louis Gentil auteur de l'ouvrage Explorations du Maroc, notait : « J'ai vu très fréquemment les élèves de l'école (de l'Alliance), je les ai interrogés à maintes reprises, j'ai causé avec eux bien souvent. Ce qui m'a le plus surpris, c'est de voir aux cours d'adultes des hommes de 30, 40 ans et plus, qui après une journée de labeurs fatigants venaient apprendre à lire, écrire et parler notre langue. J'ai été réellement étonné de l'attention avec laquelle ils écoutaient leur professeur et des résultats auxquels arrivaient la plupart d'entre eux. J'en ai vu qui, au bout d'un mois de ce travail, parvenaient à écrire une lettre de clarté et de précision suffisantes.» Dans l'ouvrage Au Maroc avec le général d'Amade paru en 1908, le journaliste Reginald Rankin rapporta : « Il n'y a pas de mots pour exprimer le désir brûlant du parent juif de donner à son fils une éducation. À Mogador, il est notoire qu'un père a hypothéqué sa propre djellaba pour pouvoir payer les frais de scolarité de son fils.»

Le réseau scolaire de l'Alliance engloba rapidement l'ensemble de la communauté juive et cette mutation à la francisation s'accompagna d'une occidentalisation qui allait changer le visage du judaïsme marocain et lui faire espérer de meilleurs jours.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?page 133-136

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