Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017- LE TRAITE DE PAIX AVEC LA France

LE TRAITE DE PAIX AVEC LA FRANCE

Même s'il fut largement également impliqué dans les relations avec les autres pays européens – Espagne, Portugal, Angleterre – Abraham fut avant tout l'homme des relations avec la France, partisan de la ligne francophile contre son rival Benattar favorable à l'Angleterre comme nous le verrons dans la suite. Il y était intéressé au premier chef, ayant le monopole des échanges commerciaux avec la France, prélevant un droit de 1 % sur toutes les transac­tions, qui finit par être réduit de moitié en 1690 sur l'intervention du jeune consul de France à Salé, Jean Baptiste Estelle :

" Le Roy de Maroc voulant favoriser un Juif nommé Maymoran, qui fait ses affaires en son palais de Mequines, lui fit don du droit d'un pour cent pour courtage de toutes les marchandises entrant ou sortant de ses ports. Ledit Es­telle, voyant le préjudice que cela causerait à la nation française, agit auprès de l'arcaïd Amet Adou pour faire révoquer ledit établissement…Les négo­ciants français, n'ayant plus de chef pour soutenir leurs intérêts, s'avisèrent de s'assembler tous et d'aller le voir en corps à Mequines : auquel ils por­tèrent un présent, qu'il prit sans regarder, leur disant que s'ils voulaient qu'il les reçoive d'un bon œil, qu'il fallait qu'ils commenssent à payer le dit droit au dit Maymoran…

Un premier traité de paix avait été signé au port de la Mamora -Mehdiya le 13 juillet 1681 après sa reprise sur les Espagnols, mais Louis XIV le trouvant défavorable à la France, avait refusé de le ratifier. Moulay Ismaël en­voya alors à Versailles l'ambassadeur, Hadj Mohammed Temim sonder les véritables intentions du souverain français. Ebloui par les charmes déployés en son honneur par la Cour, il contresigna en janvier 1682 à Saint Germain en Laye l682 le traité d'amitié entre les deux pays, un traité si peu équilibré, qu'à son retour à Meknès il n'osa pas le présenter à la ratification de Moulay Ismaël. A son tour, Louis XIV dépêcha au Maroc le baron de Saint -Amans, qui obtint malgré tout la ratification du traité avec pour seule réserve – cardi­nale – l'échange réciproque des prisonniers, tête pour tête et non leur rachat comme le réclamait la France, une concession qui n'était pas du goût du sou­verain français…

D'où la multiplication des "malentendus" sur l'application du traité, pour ne pas parler de ses multiples violations réciproques, les corsaires de Salé conti­nuant à sévir contre les navires français et la marine française d'arraisonner des navires marocains. Cela aboutit en 1687 à la rupture des négociations et à la suspension par la France de toutes les relations commerciales avec le Ma­roc. Une aubaine pour les Anglais qui s’empressèrent de prendre la place des Français défaillants. Ce que voyant, Louis XIV leva en 1688 l'interdiction de commerce, mais les relations politiques restèrent gelées.

En 1693, Moulay Ismaël accepta la reprise des négociations et Louis XIV dé­pêcha l'ambassadeur François Pidou, seigneur de Saint Olon pour essayer de conclure un nouveau traité de paix sur les mêmes bases que celui de Saint -Gemain de 1682.

Il arriva à Meknès début juin. Malgré les efforts du conseiller diplomatique du sultan, Abraham Maimran, ce devait être de nouveau un échec retentis­sant, l'obstination de deux souverains aussi absolus l'un que l'autre, ne per­mettant pas de compromis.

" Cependant vers deux heures après midi; ce seigneur vint voir Monsieur l'ambassadeur accompagné de Maimoran, Juif favori du Roy du Maroc et d'un écrivain, et après les premières civilités, ils commencèrent à examiner les articles de paix …"

Les deux principaux points d'achoppement restaient toujours les articles 5 et 7 du projet de traité présenté par les Français. Le premier, stipulait le de­voir de protection réciproque des navires de chaque pays contre des attaques étrangères, que les Marocains trouvaient inacceptable car contraire à la so­lidarité islamique, impliquant en effet l'engagement d'avoir à défendre les bâtiments français contre des pirates frères algériens, tunisiens et tripolitains. Pour le second, Moulay Ismaël s'en tenait toujours au principe de l'échange réciproque des prisonniers, tête pour tête. Mais Louis XIV n'était pas disposé à un tel échange qui aurait eu pour conséquence de dégarnir les galères de Toulon où, pour leur malheur, les galériens marocains avaient la meilleure réputation d'endurance. Les Français, disposant de plus de fonds pourraient racheter les leurs, escomptant que les Marocains, disposant de moins de moyens, auraient des difficultés à le faire.

Mais en plus de ces questions de fond, il semble que des considérations plus terre à terre étaient à l'origine du peu d'enthousiasme à conclure favorable­ment, si l'on se fie au rapport de l'intrigant consul de France, Estelle, qui ac­compagnait l'ambassadeur :

" Le soir, Maimoran vint à notre logis, et après s'être promenés un long temps Monsieur l'ambassadeur, lui et moi, il me tira à part, me disant de prendre la peine demain matin de me trouver chez lui, qu'il avait à me parler, ce que je lui promis, après quoi il se retira. Le lundi 15 juin, je fus trouver ce Juif à sa maison où il me fit honnêteté; et après avoir parlé de plusieurs affaires, il me tira à part pour me dire que l'alcaïd Ahmed Adou Atard lui avait dit de me dire à quoi nous pensions, et si je ne savais pas la coutume, et que si nous voulions réussir dans notre affaire, il fallait commencer à le contenter en lui donnant une somme d'argent. Ce qui m'étonna et donné à connaître à ce Juif que j'étais surpris qu'un premier ministre d'un aussi grand Roy qu'était l'Empereur du Maroc traitasse de cette manière, mais que pourtant il pouvait l'assurer que notre affaire finie, Monsieur l'Ambassadeur en aura de la recon­naissance…

Ce Juif me répondit qu'il me plaignait, à cause me dit -il que je n'aurais rien ni en argent ni en reconnaissance, ayant affaire à un méchant homme sans hon­neur et scélérat au dernier point, mais que pourtant il lui dirait ma réponse… Le lendemain, le Juif vint me trouver pour me dire qu'il avait dit à cet alcaïd mon sentiment sur les prétentions qu'il avait et il lui avait dit qu'il ne ferait rien si auparavant l'ambassadeur ne lui donnait un présent."

Un compromis finit par être trouvé sur ce point – Abraham Maimran se portait personnellement garant du présent qui sera offert une fois le traité conclu – mais sur le fond, c'était toujours l'impasse. Les Marocains ne vou­lant pas transiger sur l'article 5, les Français dirent que dans ces conditions la poursuite des négociations n'avait plus de sens et qu'ils allaient repartir.

" Sur quoi, Maymoran dit qu'il fallait accommoder cette affaire et commen­çâmes de nouveau à entrer en matière. Cet alcaïd dit à ce Juif ses raisons et moi les miennes qu'il trouva bonnes, et il dit ensuite à ce seigneur qu'il ne de­vait faire aucune difficulté à me passer cet article. (Les Turcs et les Algériens ayant signé pareilles clauses)

Les négociations n'avançant pas, le grand vizir se dérobant à toute nouvelle rencontre, le consul Esetlle se tourna de nouveau vers Maimran,

" .. .Je m'en allais à la Juiverie voir Maimoran et le priai de venir avec moi au palais chercher cet alcaïd. Sur quoi ce Juif se voulut défendre, mais le lui ayant demandé en grâce, il vint avec moi. En chemin faisant, il me dit en secret pour dépêcher ce jourd'hui Monsieur l'ambassadeur de voir le Roy, à cause que ce prince partira dans deux jours sans faute pour aller commander ses armées qui l'attendaient à Taza…"

A la demande d'Abraham Maimran, le consul lui remit quatre bouteilles de vin français destinées à l'un des fils favoris du sultan, resté à commander le pays, Moulay Zidan "qui est son ami à l'extrême. Il est fort débauché et s'enivre souvent et fort terrible quand il a la tête chaude."

Le Juif du roi profita d'une entrevue avec Moulay Ismaël sur les préparatifs du départ, venu lui apporter "le lit de campagne et deux matelas faits avec de la laine cardée et des coussins recouverts de drap écarlate", pour glisser quelques mots sur l'urgence de conclure le traité de paix avec la France.

" Le soir vers sept heures, Maimoran m'envoya dire qu'il avait parlé à son Roy pour donner audience à Monsieur l'Ambassadeur, que ce prince l'avait prié pour l'amour de Dieu; d'attendre jusqu'à demain vendredi après qu'il eut fait sa prière. Ce prince ne parle d'aucune affaire ce jour -là qu'il ne soit sorti de la mosquée…"

L'audience eut lieu effectivement vendredi dans la soirée, mais cette fois, le souverain de fort méchante humeur, "oublia" d'y convier son Juif. Et pour cause. L'audience devait se terminer en catastrophe, le sultan, refusant non seulement l'article 5, mais revint également sur son accord antérieur en ma­tière de libération des prisonniers, exigeant quatre de ses sujets pour chaque Français comme il venait de le conclure avec l'Espagne.

C'était officiellement la rupture. Estelle confia sa déception à Maimran qui lui dit comprendre maintenant pourquoi le sultan ne l'avait pas convié à l'au­dience, redoutant qu'il ne donne raison aux Français – preuve à la fois de l'estime dont il bénéficiait auprès du souverain et ses limites de son influence. En réalité, la signature du traité avec la France avait pour Moulay Ismaël per­du de son intérêt, maintenant qu'il était clair que Paris n'était pas disposée à une alliance militaire contre l'ennemi commun espagnol qui aurait permis au Maroc de reconquérir le -présidés de Ceuta assiégé vainement depuis des mois. Cet état de ni guerre ni paix se prolongea jusqu'en 1710, Moulay Ismaël déses­pérant définitivement de mettre de son côté Louis XIV, devenu au contraire le protecteur du nouveau roi d'Espagne, son propre petit -fils Philippe V, ce fut la rupture des relations diplomatiques, sans pour autant mettre fin aux relations commerciales, également profitables aux deux pays. Moulay Ismaëî donnait même des instructions strictes pour assurer leur bonne conduite. Il écrivait ainsi en 1709 au gouverneur de Rabat

" S'il nous parvient que quelqu'un a causé du tort à l'un des commerçant chrétiens, je jure de te trancher la tête. Fais annoncer partout dans toute la ville ce que Nous t'écrivons.. .Sache que les commerçants juifs et musulman et les négociants chrétiens en relations de commerce avec eux ont souver des sujets de désaccord, de disputes. Fais donc annoncer aux Marocains, juifs et musulmans; que l'on ne tiendra compte que ce qui sera reconnu par les chrétiens dans les témoignages des adouls les plus sûrs, les plus dignes : confiance..

Au printemps 1716, une rixe mit aux prises un soldat de la garde noire de Rabat, le marchand français Adrien Pain, l'israélite Moshé Ben Attar, Etienne Pillet et, dit -on, le consul de France Magdeleine. Adrien Pain "ayant été souf­fleté" par Benattar, le consul en compagnie des marchands français se rendit à Meknès "exposer à Moulay Ismaël les violences dont il avait été l'objet de la part des Juifs et demander réparation des outrages reçus". Les choses de­vinrent alors plus confuses encore. Selon la version de Magdeleine, Moulay Ismaël, "sans même entendre les plaignants, condamna les marchands fran­çais à payer solidairement et sans retard" les dettes de Pillet.

Aussitôt, Abraham Meimoran fit saisir et vendre à l'encan toutes les mar­chandises de provenance européenne entreposées dans les magasins des né­gociants français… "

Deux ans plus tard, en 1718; les consulats français au Maroc étaient fermés, laissant la place au développement de la prépondérance anglaise dont le champion devait être dans la scène juive Moshé Benattar. Mais avant d'en faire le récit, évoquons la fin tragique de la famille Maimran.

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