Il etait une fois le Maroc-D. B.


Les événements antijuifs de Demnat furent-ils une exception?-David Bensoussan

Il etait une fois le Maroc

david bensoussanTemoignage du passe judeo-marocain

David Bensoussan

Accompagnés des représentants des puissances européennes, les Juifs de Safi envoyèrent une délégation au sultan une députation pour.se plaindre des assassinats multiples depuis quelque temps déjà.

En octobre 1872, le sultan exigea des bouchers juifs de Rabat de saler les têtes décapitées de quarante-huit rebelles le jour du Shabbat. Les Juifs refusèrent de se conformer à cet ordre. La soldatesque fut envoyée chercher les récalcitrants de leur maison. Ils furent fouettés et finirent par obéir à l'ordre royal.

En 1873, le jour du souk à Mazagan fut déplacé du lundi au samedi de façon à nuire aux marchands juifs.

Dans le bulletin de l'Alliance Israélite Universelle de 1877, le délégué de cette organisation en visite à Marrakech Joseph Halévy rapporta : « L'administrateur du ghetto ne se fait pas faute d'infliger à tout prétendu coupable une volée de coups de bâton qui le laissent inanimé sur le sol ou le rendent infirme pour la vie. J'ai vu de mes yeux un grand nombre de ces victimes, bouchers pour la plupart, se traînant misérablement par terre, ne pouvant se dresser debout, le dos horriblement haché, au point de ne former qu'une plaie béante. Des chairs noirâtres et pourries pendaient à leur cheville, leurs pieds tordus et gonflés par la violence des coups, se terminaient par une hideuse ampoule bleuâtre et purulente qui cachait les affreux débris d'orteils broyés par le bâton.»

En 1880, Jacob Dahan, un Juif de 65 ans d'Entifa près de Marrakech eut les mains clouées au sol avant d'être bastonné pour avoir recueilli chez lui une Mauresque affamée. Le Bulletin de l'Alliance Israélite Universelle rapporta une liste partielle de 249 assassinats de Juifs entre 1864 et 1880, dont les auteurs sont demeurés impunis.

La même année, un Juif naturalisé français tenta de demander justice car un Arabe maltraitait des enfants. Ce dernier appela la foule qui tenta de lapider le Juif. Un vieillard de 70 ans n'ayant pu prendre la fuite comme les autres, en mourut. Son corps fut brûlé et on retrouva le cadavre carbonisé dévoré par les chiens, un chat mort accroché autour du coup. La foule aurait chanté alors : « Donnez le pétrole, donnez le feu, voilà le Juif qui passe ! » Le sultan demanda à payer une indemnité de 1000 francs à la famille, somme qui devait être prélevée au sein de la communauté juive. La famille refusa l'argent et insista pour que les coupables soient punis. Les puissances étrangères firent une intervention à ce sujet, mais aucune suite ne fut donnée à cette affaire.

En 1884, les autorités musulmanes contraignirent les Juifs à se déchausser dans les quartiers arabes, et ce, en vertu d'un ancien édit. Un juif du Mellah de Meknès porta des babouches jaunes plutôt que des babouches noires, ce qui constituait une infraction à la tradition. En présence des autorités religieuses musulmanes, les chefs de la communauté juive durent convenir que c'était là « un signe de rébellion et de désobéissance.»

En 1885, le Mellah de Debdou fut razzié et une vingtaine de Juifs y furent assassinés lorsque les tribus de la région apprirent que les Juifs de Debdou avaient hébergé un chrétien qui n'était autre que le vicomte Charles de Foucauld. Deux ans plus tard, quatre voyageurs juifs dont l'un de nationalité française furent assassinés dans la région de Debdou.

En 1886, le Mellah de Fès fut attaqué suite à la rumeur à l'effet que  l'exportation de bétail et de céréales était désormais permise aux pays des Infidèles.

En 1887, la synagogue et le Mellah de Chéchouan près de Tétouan furent pillés. Malgré l'intervention de l'envoyé italien, les exactions continuèrent les années suivantes et le calme ne revint qu'après qu'un second édit énergique envoyé par le sultan au caïd de la région.

En 1891, 600 à 700 personnes furent expulsées de leurs villages dans le Sous et leurs habitations furent incendiées.

En 1892, le caïd de la Kasbah de Marrakech ordonna de donner 800 coups de fouet à un jeune Juif de 18 ans qui n'avait pas de quoi payer ses impôts. Pour faire cesser les exactions, le sultan Hassan Ie vint lui-même à Marrakech pour réconcilier le caïd et les Juifs.

En 1893, l'Alliance Israélite Universelle intervint pour libérer une femme et ses enfants saisis par les soldats du Makhzen car le mari et père s'était converti à l'islam.

En 1896, le Mellah de Demnat fut pillé. Des jeunes filles et des enfants furent enlevés et rendus après paiement de rançons par la communauté israélite.

En 1899, la bastonnade fut administrée à un colporteur juif de Mazagan qui réclamait aux autorités locales le paiement d'une paire de babouches livrées à un client arabe.

En 1900, un Juif naturalisé américain et portant le nom de Marcus Azzagui fut tué par la foule à Fès après qu'il ait tiré en l'air suite à une altercation due au fait que son cheval avait frôlé la mule que montait un Arabe. Il fut frappé, percé de coups de poignard, couvert de paille et brûlé vif.

?Les événements antijuifs de Demnat furent-ils une exception

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Le rabbin Yossef Messas raconte qu'en 1903, la ville de Meknès fut envahie par des cavaliers qui brûlèrent, tuèrent, abusèrent des jeunes filles, en enlevèrent des centaines et pillèrent les entrepôts. Des Juifs se défendirent par les armes alors que la majorité des autres luttèrent en lisant le livre des psaumes ou en répétant des versets appelant à l'intervention divine. La même scène se reproduisit en 1910 jusqu'à l'arrivée des Français. Il raconte également : « La tribu des Amhaous vouait aux Juifs une haine implacable… Nos méchants voisins encouragés par l'Alliance de Moulay Abdelhafid avec cette tribu, commencèrent à battre tout Juif qui s'aventurait sur leur chemin. Ils lui étaient la calotte, la jetaient par terre; sous ses yeux y déversaient leur urine et le forçaient ensuite à la remettre sur la tête, crachant sur lui et l'insultant. Et lui était tel un sourd qui n'entend pas, un muet qui ne parle pas… »

Au début du XXe siècle, le Pacha de Marrakech ordonna aux Juifs d'enlever leurs souliers une fois sortis de l'enceinte du Mellah. L'intervention de l'Alliance Israélite Universelle auprès du représentant du sultan à Tanger en 1904 permit d'abroger ce décret. Dans le courant de la même année, une émeute locale contre l'introduction de pièces de monnaie en cuir dégénéra par une attaque contre le Mellah de Marrakech aux cris de : « Nous mangerons le Mellah. » Un terme fut mis in extrémis à cette émeute car les portes du Mellah purent être fermées à temps. Le vice-roi Abdelhafid vint à la rescousse des habitants du Mellah avec ses troupes. Néanmoins, une cinquantaine de Juifs se trouvant à l'extérieur du Mellah subirent des blessures corporelles.

En 1903, des tribus rebelles s'attaquèrent à la ville de Settat. Les Juifs furent malmenés et plusieurs centaines d'entre eux s'enfuirent à Casablanca.

Lorsque l'armée du sultan Abdelaziz reconquit la cité de Taza occupée alors par le prétendant Bou Hmara, la communauté juive de Taza fut décimée : une quarantaine d'hommes furent tués, de nombreuses femmes furent violées et de nombreux enfants furent faits captifs. Les survivants se réfugièrent à Melilla et depuis, la communauté juive de Taza cessa d'exister.

Lors de l'abdication du roi Moulay Abdelaziz en 1907, les quartiers juifs de Demnat et d'Ouezzane furent saccagés.

En 1910, une vingtaine de maisons juives furent incendiées à Debdou et quatre juifs dont deux femmes périrent pour avoir accordé l'hospitalité à un Européen. C'est ce qui décida le général Lyautey à ordonner l'occupation de Debdou au printemps de 1911. L'une des chansons satiriques en vogue à Fès vouait les Chrétiens au pal et les Juifs à la broche; la dernière strophe réservait aux Musulmans le jasmin (du paradis). On rapporte que des Juifs en firent un dicton inversé : « Les Musulmans au cimetière, les Chrétiens au pal et les Juifs dans les fleurs.» La même année, un enfant fut enlevé et converti de force à l'islam dans la ville de Fès. Le représentant de l'Alliance Israélite Universelle Avraham Elmaleh alerta les consuls de France et d'Angleterre et grâce à son intervention, l'enfant fut rendu à sa famille.

En 1920, le rabbin d'Erfoud R. David Abehsera fut placé dans le fût d'un canon tirant sur l'armée française.

En 1920, une jeune fille d'Eksar reçut la bastonnade pour avoir marché sur la terrasse d'un voisin musulman.

En 1923, un jeune garçon de quinze ans fut accusé de vol. Pour le faire avouer, on lui administra la bastonnade. Il n'avoua rien et le cas fut reféré au Résident général français au Maroc par L'Alliance Israélite Universelle.

En 1936, les Juifs de Safi devant passer devant la justice chérifienne furent contraints de s'agenouiller. Certains préférèrent abandonner leurs intérêts plutôt que de comparaître devant le tribunal.

LES JUIFS DANS LES RÉGIONS NON URBAINES Qu'en était-il des Juifs de l'intérieur

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Temoignage du passe judeo-marocain

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Les incidents précités ne sont qu'un aperçu d'un nombre beaucoup plus important d'incidents – sans compter ceux qui n'ont pas été rapportés. Des compilations plus exhaustives figurent dans les Bulletins de Alliance Israélite Universelle ou dans la presse tangéroise de l'époque. L insécurité et l'injustice firent parti du lot quotidien des Juifs du Maroc. – Au XIXe siècle, les ordres donnés régulièrement par les sultans préscrivirent justice et équité envers les Juifs. Ils furent par trop souvent ignorés.

L’Alliance parvint à relever un défi gigantesque soit : relever le statut social et économique des communautés déshéritées par le biais de l'education. Elle y parvint alors même que les Juifs étaient soumis à l'arbitraire le plus total, à la cruauté, aux exactions et aux dénis de justice

de même qu'à des interdits séculaires humiliants. D'une part, elle contribua à faire prendre conscience au monde de la dure réalité vécue par les Juifs marocains. De l'autre, elle fit prendre conscience à ces derniers de la nécessaire affirmation de leurs droits civiques et contribua à faire cesser leur résignation séculaire face aux indignités vécues au quotidien de par leur statut de tolérés.

Dans les faits, certains observateurs tout comme Auguste Moulieras auteur de Fez publié en 1902 ou encore le capitaine Schneider qui vécut au Maroc de 1903 à 1907 notèrent des changements de la part des Musulmans envers les Juifs. Même si leurs témoignages n'ont pas toujours concordé, ils font néanmoins tous deux ressortir le fait que quelque chose avait effectivement changé au pays du soleil couchant.

Bien que décrivant le contexte des Juifs de Tunisie au temps du Protectorat français, les paroles d'Albert Memmi dans son ouvrage Juifs et Arabes, rendent bien l'état d'esprit de nombreux Juifs incapables de se délivrer du sentiment d'insécurité du passé : « La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c'est un mythe ! La vérité, puisqu'on m'oblige à y revenir, est que nous étions une minorité dans un milieu hostile; comme tels, nous avions toutes les peurs, les angoisses, le sentiment constant de fragilité des trop faibles. La cohabitation avec les Arabes n'était pas seulement malaisée, elle était pleine de menaces, périodiquement mises à exécution. J'ai vécu les alertes du ghetto, les portes et les fenêtres qui se fermaient, mon père arrivait en courant après avoir verrouillé son magasin en hâte parce que des rumeurs sur l'imminence d'un pogrom s'étaient répandues. Mes parents faisaient des provisions dans l'attente d'un siège, qui ne venait pas nécessairement d'ailleurs, mais cela donnait la mesure de notre angoisse, de notre insécurité permanente.» De façon quelque peu similaire, l'écrivain Hélène Cixous décrivit son expérience en Algérie à la même époque, dans son roman autobiographique Les rêveries de la femme sauvage : «l'hostilité (avec les « petizarabes ») vient des temps les plus anciens… c'est une haine préexistante. »

LES JUIFS DANS LES RÉGIONS NON URBAINES

Qu'en était-il des Juifs de l'intérieur?

Le voyageur Charles de Foucault qui visita le Maroc en 1883-1884, décrivit ainsi la condition de servage des Juifs de l'intérieur : « Tout Juif du Bled-es-Siba appartient corps et biens à son seigneur, son sid… Le musulman est-il sage, économe? Il ménage son Juif, il ne prend que le revenu du capital… Mais que le seigneur soit emporté, prodigue, il mange son Juif comme on gaspille un héritage; il lui demande des sommes excessives, le Juif dit ne pas les avoir; le sid prend sa femme en otage, la garde chez lui jusqu'à ce qu'il ait payé… le Juif mène la vie la plus pauvre et la plus misérable, il ne peut gagner un liard qui ne lui soit arraché, on lui enlève ses enfants. Finalement, on le conduit lui-même sur le marché, on le met aux enchères et on le vend… Rien au monde ne protège un Israélite contre son seigneur; il est à sa merci. » Le pacha d'Amizmiz disait à ses soldats qui administraient la bastonnade aux Juifs : « Frappez fort, et sans crainte s'il meurt, nous paierons au sultan le prix du sang.» Jusqu'à l'arrivée des Français en 1934, les Juifs de Tahala versaient au chef de la tribu un demi-douro par feu, pour louer le terrain qu'ils occupaient. À chaque noce, ils payaient 10 douros. Ils pouvaient éviter la corvée en versant 60 douros. Parfois la protection était mentionnée dans un sauf-conduit : ainsi, la protection accordée par la famille des Ziyania dans le Nord-est marocain se lit : « Sachez que nous sommes la caution d'El Hazan Brahim… Nous l'avons accepté; il est notre juif. Que Dieu se détourne de quiconque lui fera du mal…»

II y eut des Juifs armés dans les zones non citadines-David Bensoussan

david bensoussanII y eut des Juifs armés dans les zones non citadines

Si fait ! Dans son ouvrage De l'Afrique datant de 1556, Léon l'Africain rapporte à propos des Juifs du Sud marocain : « Il s'y trouve beaucoup de Juifs, qui sont volontaires pour exposer leur personne aux hasardeux combats, et prendre la querelle en faveur de leurs maîtres, qui sont les habitants de cette montagne.» L'existence de Juifs combattants à la lisière du Sahara est confirmée en 1527-1528 par une lettre du souverain saadien adressée à David Haréouvéni, lequel impressionna les grands de son temps, le pape y compris, en annonçant qu'il était délégué par le roi Joseph d'Éthiopie dont l'armée juive de 300 000 soldats du roi comptait restaurer la souveraineté juive en Terre promise. Le voyageur John Davidson écrivit à propos des Juifs berbères en 1839 : « À la différence des Juifs résidant parmi les Maures, qui sont soumis à la loi musulmane, ils ne vivent pas dans le même état d'avilissement ou de servitude; ils développent des relations de type patron/client (avec leurs voisins), tous ont les mêmes privilèges, et le Berbère est tenu de défendre la cause du juif en cas d'urgence. Ils disposent d'armes, et servent leurs patrons à tour de rôle.» Davidson témoigne avoir également vu une région du Sud de l'Atlas où « les Juifs vivent en toute liberté, et pratiquent tous les métiers; ils possèdent des mines et des carrières qu'ils exploitent, ont de grands jardins et d'immenses vignobles, et cultivent plus de maïs qu'ils ne peuvent consommer; ils disposent de leur propre forme de gouvernement, et possèdent leurs terres depuis l'époque du roi Salomon. » Par ailleurs, ces Juifs « possèdent toutes les caractéristiques des montagnards… ils portent le même costume qu'eux, et on ne peut pas les distinguer de leurs voisins musulmans.»

Dans l'ouvrage Voyage au Maroc publié en 1903, le marquis de Ségonzac rapporte : « Chez les Ait Izdeg, sous l'oued Outlat, les Juifs assez nombreux construisirent leur Mellah, un tirment (village fortifié). On les y a attaqués, ils ne se sont pas contentés de fermer leurs portes, ils ont riposté à coup de fusil et rendu coup sur coup, et depuis lors, ils traitent avec les Musulmans de puissance à puissance.» Le rabbin Maurice Eisenbeth rapporta dans son essai Les Juifs du Maroc daté de 1936, que les Juifs du Sous prenaient à l'occasion une part active aux guerres entre tribus, au même titre que leurs concitoyens musulmans.

Un témoignage fort intéressant fut rapporté par l'historien Zéev Hirshberg qui visita les villages juifs berbères du Sud marocain après l'indépendance d'Israël : « Je m'enquis de la sécurité des Juifs (berbères). Selon eux, il n'ya eu aucun méfait et ils n'ont entendu parler d'aucun méfait. Après une longue enquête dans la région, j'ai pu identifier un meurtre qui s'est produit dans leur temps.»

De ce qui précède, il est possible d'avancer que la situation des Juifs dépendait grandement des caïds locaux, allant de la soumission la plus totale à la permission de porter les armes. Il est possible que le témoignage de Zéev Hisrshberg puisse être expliqué du fait que la présence française avait ramené l'ordre public et que les crimes ne demeuraient plus impunis. Néanmoins, entre 1954 et 1956, le terrorisme s'amplifiant et la faiblesse des Français grandissant, les Juifs berbères insistèrent pour être évacués en Israël au plus tôt.

Dans son ouvrage The Aït Atta of Southern Morocco publié en 1984, David Hart rapporte que les Juifs donnaient à leurs protecteurs le nom de « Mon Seigneur.» Ces derniers les appelaient « leurs Juifs » et avaient coutume de se les vendre entre eux. Autre fait historique intéressant en regard du statut de protection accordé aux Juifs par les Berbères : Il arriva qu'un Berbère assassinât un pacha qui avait emprisonné « son » Juif dans la ville de Sefrou, l’empêchant d'assister à la circoncision de son fils.

Il y eut des régions juives autonomes?

Il y a eu d'autres développements surprenants en milieu berbère : au milieu du XVIIe siècle, il y eut un Juif très riche et très puissant, Aaron Ibn Mechâal, installé dans la kasbah d'Ibn Mechâal dans la région de Taza. Il était considéré comme souverain par les Berbères de la région. Profitant de son hospitalité, le sultan Moulay Rachid (1664-1671) l'aurait fait tuer dans un guet-apens un jour de shabbat pour le déposséder de ses richesses. Ceci ne rallia pas pour autant les Berbères au sultan. La place forte de Dar Mechâal fut détruite par le souverain Moulay Ismaïl qui succéda à Moulay Rachid et ses habitants juifs s'exilèrent à Debdou. Il existe plusieurs versions de cet épisode qui ont été étudiées par Pierre de Cenival dans l'article La légende du Juif lbn Mechal et la fête du sultan des tolbas de Fès paru dans la collection Hesperis en 1925. Bien d'autres chercheurs en ont conclu par la suite qu'il s'agissait d'un mythe. Instituée après la défaite d'Ibn Mechal, la fête des Tolbas est un carnaval annuel des étudiants qui mettent aux enchères la couronne, le gagnant prétendant être pendant une semaine un sultan entouré d'une cour fictive. Ceci n'est pas sans rappeler un ancien rite espagnol similaire d'enfants et d'étudiants se déguisant en évêques. Nahoum Slouchz rapporte dans son Voyage d'études en Afrique l'existence d'un autre fief juif pendant plusieurs générations dans la région de Dadès et de Tiliit dans le sud Marocain. Plus encore : Le chef berbère Bayreuk fut favorable au XIXe siècle à l'établissement d'un pays juif dans le Sud marocain. La France était alors complaisante à ce projet mais l'Angleterre s'y était opposée ! En 1894, L'Alliance française proposa aux Juifs de Mogador de coloniser le Sénégal, réunit à cette fin dix jeunes célibataires, mais le projet ne décolla pas. Ce fut l'Alliance Israélite Universelle qui considéra trois ans plus tard de créer une colonie de Juifs au Fouta Djalon en Guinée. Or, les trois premiers immigrants se heurtèrent à l'animosité des colons français – cela se passait à l'époque de l'Affaire Dreyfus – et durent abandonner leur projet.

Ce furent des exceptions surprenantes mais néanmoins corroborées par l'histoire. Ces exceptions n'infirment pas cependant l'indignité du lot de l'écrasante majorité de la population juive au Maroc.

? LES CONVERTIS Qu'en était-il des conversions

Des Juifs maniant les armes se trouvaient donc exclusivement dans les régions intérieures?il-etait-une-fois

Curieusement, la réponse est non. À la fin du XIXe siècle, les Juifs sentaient le besoin de relever la tête. Profitant de ce que certains Juifs faisaient le commerce des armes, des Juifs en acquirent. Il faut voir en cela un schisme avec le passé, car jusque-là les Juifs attribuaient leurs malheurs aux transgressions morales de leurs ancêtres. C'est ainsi que l'on avait l'habitude d'expliquer l'exil du peuple juif de la Terre Sainte et les malheurs qui s'ensuivirent. Suite aux persécutions des Musulmans, les autorités rabbiniques décrétaient des jeunes et des prières de contrition, incitant leurs fidèles à faire des bonnes actions et à agir avec droiture, et plus encore. Revenons aux détenteurs d'armes : ceux qui en avaient n'osaient les montrer en public et encore moins les utiliser. Mais dans certaines circonstances, lorsqu'il s'agit de se protéger contre les pillards qui saccageaient la cité, leur intervention armée fut tolérée. Ainsi, en 1903, les Juifs de Meknès résistèrent par les armes aux attaques menées par les troupes du prétendant Bou Hmara. En 1910, ils disposaient de 200 fusils et de quelques milliers de cartouches avec lesquels ils résistèrent aux assaillants berbères. Ces derniers avaient pillé la ville, mis en fuite son pacha et s'étaient attaqués aux murailles du Mellah à coups de hache et de maillet. Ils furent repoussés. Lorsque l'armée française entra à Fès en 1912, elle exigea que les Juifs remettent leurs armes car la sécurité était du ressort de l'armée française. Les rebelles contre le sultan Abdelhafid attaquèrent la ville, razzièrent le Mellah et l'armée française cantonnée à l'extérieur de la ville bombarda le Mellah pour faire fuir les envahisseurs. Ce funeste épisode est connu sous le nom de Tritel (saccage).

LES CONVERTIS

Qu'en était-il des conversions?

Elles ne pouvaient se produire que dans un seul sens, car la conversion d'un Musulman à une autre religion était considérée comme une apostasie passible de mort. Beaucoup de prisonniers de guerre et de personnes visant à échapper à la justice dans leur pays s'enrôlèrent au service du sultan après s'être convertis. Dans les témoignages historiques européens, ils étaient désignés comme des renégats. Les conversions sincères à l'islam furent extrêmement rares.

Il y eut dans l'histoire des razzias qui se traduisirent par des enlèvements de jeunes filles juives. Cela est difficile à croire mais pourtant vrai : le Ministère des Affaires islamiques annonçait à la une la grande victoire de l'islam en montrant la photo de mineures juives séquestrées, prétendument converties à l'islam, sans que les parents ne puissent jamais les revoir. Cela se passait entre 1960 et 1964 !

Les grandes conversions remontaient à l'époque Almohade?

Au XIIe siècle, à l'époque des Almohades, de nombreux massacres furent commis. Le fanatisme était grand et certains, tout comme le rabbin Yehouda Ibn Shoshane de Fès, préférèrent le bûcher à la conversion. Suite aux massacres perpétrés par les Almohades, des mesures vexatoires furent instituées. Laissons la parole à Yossef Ben Aknin, disciple de Maïmonide, qui, comme son maître, avait prétendu se convertir avant de prendre la fuite pour l'Egypte : « Des persécutions et des décrets anciens ont été dirigés contre ceux demeurés fidèles à la Loi d'Israël… De sorte qu'ils pourraient même mourir au nom de leur foi.. Des grands et des petits témoignent contre nous et des jugements son: prononcés, dont le moindre rend légal de verser notre sang, la confiscation de nos biens et le déshonneur de nos épouses… Puis ils  nous ont imposé des vêtements distincts… pour qu'ils puissent nous dénigrer et nous humilier… Cela permet de répandre notre sang dans l'impunité… Nous sommes secrètement assassinés la nuit ou tués en plein jour… Toute joie a cessé au Maghreb. La lumière d'Israël s'est éteinte au Maghreb.» Un chroniqueur contemporain des événements, Abraham Ibn Daoud écrivit : « Les Almohades ont traversé la mer jusqu'en Espagne, après avoir éliminé tous les rescapés juifs entre Tanger et Mahdia (en Tunisie). » Ajoutons que c'est depuis l'avènement des Almohades que la trace des Chrétiens se perd en Afrique du Nord.

Il est intéressant de noter que du temps des persécutions almohades, Jacques Ie d'Aragon avait donné des ordres pour faciliter l'émigration des réfugiés juifs de l'Afrique du Nord dans son royaume.

Joseph ben Judah ibn Aknin ( né à Barcelone (Espagne) en 1150 – mort en 1220) est un philosophe, poète et écrivain juif du 13e siècle, auteur de nombreux traités, essentiellement sur la Mishna et le Talmud. Il s'installe à Fès (Maroc) en tant que Crypto-judaïste.

? Comment la conversion était-elle vue par les coreligionnaires

Ce fut la seule fois dans l'histoire que des conversions furent forcées?il-etait-une-fois

On pourrait remonter à la conquête arabe et retracer des épisodes difficiles pour les Juifs. Mais concentrons-nous sur les événements subséquents : en 1276, il y eut des massacres de Juifs à Fès et beaucoup se convertirent pour échapper à la mort. Le souverain Yakoub Ben Youssouf accourut en personne pour rétablir la paix et calmer les émeutiers. Au XVe siècle, les Juifs furent interdits de séjour dans la Médina de Fès et durent déménager, mais certains marchands juifs préférèrent se convertir plutôt que d'abandonner leur quartier.

Pendant la crise famine de 1603-1606, il y eut près de 3000 victimes juives et 2000 autres renièrent leur religion. Le phénomène se reproduisit en 1723. Près de 1000 personnes renoncèrent à leur foi.

La conversion réglait-elle tous les problèmes?

Pas toujours. Après les persécutions des Almohades, les discriminations vestimentaires imposées aux Juifs furent étendues aux convertis, car selon Al-Marrakouchi, le sultan Yakoub Ben Youssouf avait coutume de dire : « Si j'étais sûr de leur foi je les laisserais se mêler aux Musulmans par les liens du mariage et pour toutes les autres affaires, et si j'étais certain de leur infidélité, je tuerais leurs hommes, je captiverais leurs enfants et je donnerais leurs biens en butin aux Musulmans, mais j'ai des doutes à leur sujet…» En 1725, le voyageur John Windus rapporte dans A Journey to Mequinez : « Les Juifs qui devenaient Musulmans avaient un caïd particulier et ils ne pouvaient ni servir dans l'armée ni exercer une charge officielle. Ils ne devaient épouser que des Juives converties ou descendantes de Juives converties.» Ainsi, les Bildiyyine ou Mouhajiroun qui étaient des Juifs de Fès convertis à l'islam constituèrent une caste séparée tout comme les familles chérifiennes ou les familles musulmanes exilées d'Andalousie. Leurconversion remonterait en 1276 lorsque, suite à des émeutes, le sultan Yakoub Ben Youssouf décida de déporter une partie de la population juive, ceux qui ne voulurent pas partir se faisant Musulmans. Certains métiers furent interdits aux Bildiyyine pour les évincer du quartier commercial, la Qayssariya de Fès. Ces interdits furent levés et réinstaurés tout au long de l'histoire. L'intégration des Bildiyyines ne fut jamais totale. Encore à ce jour, un certain nombre de Musulmans de Fès portent des noms typiquement juifs. Au XIXe siècle, une grande partie de la bourgeoisie marchande de Fès émana des Bildiyyine.

Dans l'ouvrage Recherches historiques sur les Maures et l'histoire du Maroc publié en 1787, Louis de Chénier, chargé des Affaires du Roi auprès de l'Empereur du Maroc dit à propos de ceux qui avaient renoncé leur religion pour embrasser le mahométisme : « Il en est tin très grand nombre qui étaient Juifs d'origine; les Maures n'ont pour eux aucune considération et les Juifs en auraient moins encore, s'ils pouvaient librement leur faire connaître leur aversion.» Dans son ouvrage Wit and Wisdom in Morocco publié en 1930, Edward Westermarck rapporte le dicton suivant : « Ne fais pas confiance au Juif qui s'est converti à l'islam, même au bout de 40 ans.»

Comment la conversion était-elle vue par les coreligionnaires?

Il ne serait pas inexact d'affirmer qu'à leur égard on éprouvait tant de la pitié que du mépris. La discrétion était de mise car les Juifs ne pouvaient s'exprimer en public sur un sujet aussi délicat que celui de la validité d'une conversion à l'islam. Rappelons que la conversion ne pouvait se faire que dans un seul sens. Du temps de Moulay Ismaïl, le rabbin Alkhalas fut exécuté par les autorités pour avoir écrit à un Juif converti qui souhaitait retourner à la foi de ses pères qu'il pouvait le faire s'il le souhaitait.

RABBIS OF MOROCCO ~15th Century to 20th Century

 http://www.sephardicstudies.org/pdf/rabbis-morroco1700.pdf

Chroniques Hebraiques de Fes et autres temoinages


il-etait-une-foisChroniques Hebraiques de Fes et autres temoinages 

Que pouvons-nous apprendre des manuscrits hébraïques sur la condition des Juifs de Fès?

Des chroniques de Fès traduites en Français par Georges S. Vajda dans Un Recueil de textes historiques judéo-marocains, de même que les ouvrages Yahas Fès (Les annales de Fès) de R. Abner Hassarfati, ou encore Kissé hamelakhim de R. Raphaël Elbaz donnent un aperçu du vécu des communautés juives dans la ville impériale de Fès. Le rabbin Yaakov Méïr Tolédano auteur de l'ouvrage historique Ner Hama'arav (Le flambeau du Maghreb) cite de nombreux témoignages écrits qu'il a  collectés de son vivant. Ces écrits sont par ailleurs corroborés par les témoignages des visiteurs européens et par certains chroniqueurs musulmans. Nous en mentionnerons quelques épisodes. Certains événements marquants furent délibérément déclenchés contre les Juifs en tant que tels. D'autres, dans des moments de troubles, affectèrent l'ensemble de la population, mais la communauté juive le fut plus encore en raison de sa vulnérabilité endémique. Le fait que durant les crises de famine les apostasies se multiplièrent, en dit long sur la condition encore plus désespérée des Juifs. Jane Gerber qui a étudié les sources juives traitant des événements majeurs dans la vie de la communauté de Fès dans l'ouvrage Jewish Society in Fez 1450-1700, est arrivée à la conclusion suivante : « Bien que les Juifs de Fès représentent la meilleure des conditions à laquelle pouvaient aspirer les Juifs du Maroc… l'étude approfondie des sources hébraïques nous révèle que les Juifs vivaient dans la peur constante, et qu'ils faisaient toujours l'objet d'attentats.»

Il y eut l'épisode de 1465…

En 1465, des révoltes contre le souverain se traduisirent par le massacre de plusieurs milliers de Juifs. Le fait que le vizir juif Aharon Ben Batash eut osé se promener au Mellah en cheval, noble monture réservée aux seuls Musulmans, aurait été à la source de la révolte qui fut cautionnée par une partie des Oulémas de la ville. Beaucoup de Juifs s'enfuirent ou se convertirent. D'autres villes joignirent le pas à l'appel à la guerre sainte de Fès. Les convertis firent l'objet d'une surveillance constante et le nouveau cadi de la ville leur permit de retourner au judaïsme pour autant qu'ils se soumettent au pacte d'Omar qui définit les rapports avec les non-Musulmans. Ce fut l'une des rares fois dans l'islam où l'on permit d'abandonner l'islam pour revenir au judaïsme, l'apostasie étant normalement punie de mort. Léon l'Africain et Luis de Marmol Carvajal qui visitèrent la ville de Fès à cette période rapportèrent que ses Juifs devaient porter des souliers de paille. À partir du XVIe siècle, ils durent payer une taxe spéciale pour avoir le droit de chausser des sandales à l'extérieur du Mellah et des souliers à l'intérieur du Mellah.

En 1553, lorsque les Turcs occupèrent brièvement la ville de Fès avant d'être repoussés, la communauté juive dut payer 20 000 dinars pour échapper au pillage.

Du XVe au XVIIe siècle, les dirigeants de la communauté interdirent la fabrication du vin de peur que les Juifs ne soient accusés de placer une bouteille de vin dans une mosquée, suite à une ancienne accusation non fondée et qui s'était soldée par des persécutions. Le rabbin Saul Serrero relata qu'en 1646, suite à l'incitation de Mohamed Al-Haj, les synagogues de la ville furent pillées et détruites et l'on ne put sauver les rouleaux de la loi qu'en échange d'importantes sommes d'argent. Pour échapper aux persécutions, les Juifs de Fès s'enfuirent pour trouver refuge à Meknès en 1549 et en 1701.

Il y eut également des taxes arbitraires

Cela se produisit sous la menace de façon répétée. Ainsi, à la mort d'Al Mansour en 1603, ses enfants Zidane et Abdallah se firent la guerre pour prendre le pouvoir. Moulay Zidane régnait à Fès. Le soir de Kippour de l'an 1610, il exigea des Juifs une taxe spéciale de 10 000 onces et menaça de doubler la somme si elle n'était pas remise dans les vingt-quatre heures. Le lendemain de Kippour, Abdallah vainqueur entra à Fès et exigea également un autre don d'un montant équivalent. Cet épisode est rapporté par le rabbin Saul Serrero : « À l'annonce du ministre Barihane, il y eut un grand cri et toute la ville s'émut le soir de Kippour et le jour de Kippour. Le Saint Jour fut profané et toute la nuit et le jour on collecta l'argent; les rabbins pleurèrent et gémirent… et perdirent toute joie et allégresse. Il faut ajouter à cela de nombreux fléaux… Moulay Zidane fut capturé, le tyran Barihane mourut et Moulay Abdallah s'approcha de la ville. Il refusa de recevoir la délégation juive conduite par Jacob Routi et lui dit : « Vous vous êtes réjoui à la venue de Moulay Zidane et en retour il vous a opprimé.» Le lendemain, il envoya un émissaire de mauvais augure qui exigea 20 000 onces comme cela avait été fait pour Moulay Zidane… Malheur aux yeux qui ont vu cela et combien de Juifs et de sages souffrirent, moi le petit Saul également. Nous suâmes sang et eau pour tenter de réunir la somme et le jour de fête de Soukot fut profané… Quelques Juifs furent attrapés et perdirent tous leurs biens. Des convois de fuyards furent attaqués… Nous perdîmes mille quatre cents âmes, des centaines de jeunes âmes innocentes.» L'année suivante, « les Arabes avaient pénétré dans la ville de Tadla, détruit les maisons et livré aux flammes 50 rouleaux de la Thora, 2000 exemplaires du Pentateuque et de nombreux autres livres…» Ajoutons que sous Moulay Abdallah, bien des habitants des villes s'exilèrent à la campagne afin de ne pas être soumis à l'impôt exorbitant (500 000 Mitqals) imposé sur les citadins.

Lorsque les représentants de la communauté se rendirent à Meknès pour informer le sultan des abus auxquels se livrait son fils Moulay Hafid à Fès, le sultan fit tirer sur la délégation, et la condamna au bûcher. La peine fut commutée pour les survivants auxquels fut imposée une amende de vingt qentars d'argent. Les mémoires de Samuel Ibn Danan rapportent cet épisode en ajoutant : « Qui peut relater les calamités et les malheurs qui ont passé sur nous durant la vie (de Moulay Hafid) et par suite de sa mort, je ne saurais relater dans cet écrit tous les lourds impôts que la communauté de Fès dut payer cette année.»

Une ordonnance rabbinique de 1691 rappelle « les malheurs et les calamités qui se sont abattus sur les communautés, la pression fiscale de plus en plus forte, les difficultés de la vie, la diminution des moyens de subsistance… Des gens jadis fortunés ne peuvent plus apporter aucun secours aux indigents de la ville dont le nombre croît sans cesse.»

Natif de Salé, le Rabbin Hayim Benattar auteur du commentaire biblique Or Hahayim qui abandonna le Maroc pour s'installer en Terre Sainte, fut l'une des plus grandes figures rabbiniques du judaïsme marocain durant la première moitié du XVIIIe siècle. Il écrivit : « Si vous deviez comparer notre exil, il est bien plus difficile que celui d'Égypte. Les Égyptiens ont fait travailler les esclaves mais les ont quand même nourris et vêtus; tandis que l'exil des Ismaélites – heureux celui qui n'en a pas connu l'amertume – non seulement ils (les Ismaélites) ne donnent pas de salaire, mais exigent des taxes; une personne est détroussée de tout et on exige de lui ce qu'il n'a pas, et on lui fait avaler ce calice jusqu'à ce qu'il en meure.»

Il est important de souligner que ce ne sont là que des échantillons d'une longue liste d'abus rapportés de façon émouvante.

Quel était le recours des Juifs?

Les prières, les suppliques et les lamentations sur un ton quasi désespéré fut le lot de plusieurs générations de façon intermittente. Ainsi, à la veille de l'invasion de Fès du temps de Moulay Abdallah, le témoignage suivant est rendu dans l'ouvrage Ner Hama'arav (le flambeau du Maroc) du rabbin Jacob Meir Tolédano : « Les gens de Fès… sont venus jusqu'aux portes de la ville et voulurent les défoncer. Nous avons fait des prières de supplication, nous avons réuni tous les enfants du Talmud Thora (école religieuse), petits et grands devant un Séfér Thora que nous sortîmes dans la rue; tous les sages entourèrent les enfants et pleurèrent à grande voix en disant : « Frères d'Israël : Sachez que nous n'avons pas de mérite à demander quoi que ce soit si ce n'est au nom des jeunes innocents ! ». Les enfants déclamèrent le passage des treize attributs divins de Vaya'avor (prière de Kippour); petits et grands versèrent des grands pleurs. Les anciens octogénaires qui y assistaient témoignèrent qu'ils ne virent pas de leur vie des pleurs tels que ceux- là. »

La riposte armée était exclue. Il ne restait que la prière. Encore et encore. La perception était que la main de Dieu était partout. Il arrivait que les rabbins appellent à faire des autocritiques ou même des confessions publiques. Ainsi, R. Vidal Hassarfati rapporta : « Beaucoup de personnes qui en avaient offensé d'autres leur firent des excuses publiques. Il y en a un qui avoua un méfait commis trente ans plus tôt. Beaucoup de personnes firent des restitutions d'argent et d'objets et ce fut là une journée de grand salut.

Il etait une fois le Maroc-David Bensoussan- La coexistence judéo-arabe n'était donc pas de tout repos

il-etait-une-foisLes crises de famine furent atroces

La crise de famine de 1604 à 1606 est contée par Saul Serrero : « En cinq mois de 1606, 800 personnes sont mortes de faim… près de 600 ont apostasié. Les précieux ressortissants de Fès sont gonflés comme des outres… Celui qui reste dans la ville meurt. Celui qui en sort est tué par l'épée… Nous avons vu des gens se jeter dans le puits, d'autres se suicidant, et nous avons vu des pères jeter leurs enfants et des mères assommant leurs enfants par pitié… Des malheureux vieillards et des jeunes étaient jetés dans les rues.» Une autre crise de famine qui débuta en 1641 est contée par le rabbin Saul Ibn Danan : « Mon cœur flanche à l'idée de conter la famine et les troubles… qui suivirent la sécheresse depuis trois ans. Que ma tête devienne eau pour pleurer jour et nuit les victimes de mon peuple, les victimes de Fès la délicate, cette noble ville pleine de centres d'études…. maintenant tous dispersés dans les collines et les montagnes dans les villes et les villages pour mendier de la nourriture… Les maisons des riches étaient désertées… les voleurs vinrent et ôtèrent jusqu'aux portes, aux poteaux et aux pierres de construction… Ceux qui le purent vendirent leurs boiseries et leurs avoirs à la ville nouvelle de Fès qui ne fut construite qu'à partir des ruines du Mellah; le visage des personnes changea… Les nobles habitants de Fès s'en prirent aux détritus, les picorant tels des coqs… Deux milles moururent cette année-là; un millier de personnes apostasièrent…»

Précisons que les effets des crises de famine et des épidémies sur la population marocaine durant les derniers siècles ont été relatés par plusieurs chroniqueurs et voyageurs. Les crises de famine étaient perçues comme des punitions divines et les autorités exhortèrent l'ensemble de la population à un plus grand respect de la pratique religieuse. On demanda aux Juifs de ne pas négliger leurs prières. Durant la crise de famine qui se déclencha en 1777 et qui dura sept ans, le chroniqueur Ezziâni rapporta que les gens furent réduits à manger «des animaux morts, du sanglier et de la chair humaine…» Les épidémies de peste décimèrent une grande partie de la population en 1799 et selon James Grey Jackson, les vivants n'avaient même plus le temps d'enterrer les morts. Suite à l'épidémie de peste en 1818 attribuée aux pèlerins revenant de La Mecque et qui décima une partie importante de la population de Tanger, les pèlerinages à La Mecque furent abolis avant de pouvoir débarquer dans les ports marocains. Une épidémie de choléra de variole et de typhus se développa en 1878, suite à une des plus graves crises de famine survenue en 1877, résultant en une véritable hécatombe.

La coexistence judéo-arabe n'était donc pas de tout repos

En 1903, Méïr Barchichat de Safi prit connaissance du mouvement sioniste en Europe. Dans la missive qu'il écrivit à l'Organisation sioniste mondiale, il décrivit ainsi la communauté juive du Maroc : « Nos frères qui résident dans cette diaspora sont persécutés jusqu'à l'extrême par des oppresseurs odieux, souffrent peine et misère …, sont la proie des brigandages et des pillages, des assassinats et des pertes des leurs, autant de crimes qui restent impunis. Ils sont tels des vers rampants aux yeux de la populace sauvage.»

Dans son ouvrage La communauté de Sefrou au Maroc, le rabbin David Obadia a compilé 691 documents portant sur de nombreux aspects de la vie juive. L'un de ces témoignages du père de l'auteur parle de la situation à Sefrou :« Dans la ville de Sefrou gouverne un seigneur… particulièrement cruel envers les Juifs et les Musulmans, il met qui il veut en prison, inflige des amendes injustes et frappe les Juifs ce qui est contraire à la loi et bien que les Français dominent maintenant la ville, cela ne sert à rien, car le gouverneur français ne reçoit personne et ce ministre entre et sort chez lui à sa guise, lui ment et le gouverneur le croit.»

Les Juifs d'Ouezzane écrivirent à l'Alliance Israélite Universelle pour se plaindre des abus contre eux peu avant le Protectorat français : « Permettez-nous de vous faire savoir quel est notre sort, comme nous sommes opprimés et torturés par les fils d'Ismaël dans nos corps et nos biens. Et personne ne vient nous sauver de leurs mains et présentement, leur haine envers nous augmente et ils commettent chaque jour de nouveaux forfaits en enlevant les serrures, en détruisant la synagogue, en bouchant les fenêtres des maisons de la cour; l'élite du pays a été emprisonnée, leurs pieds engagés dans les chaînes, leur cou pris dans un carcan jusqu'à ce qu'ils renoncent à leurs maisons et qu'ils soient plongés dans le désespoir…»

Il va sans dire que la méfiance était grande entre les communautés juive et musulmane. Dans la ville de Sefrou, voisine de Fès, le dicton suivant illustrait la tension sous-jacente entre les communautés juives et musulmanes du Maroc : « Ne fais pas confiance à un Musulman, même après qu'il ait passé 40 ans au tombeau. » A Mogador, un dicton similaire stipulait que, « Rendre service à un Arabe, c'est arroser du sable.» Des dictons crus et osés relatifs aux Juifs, aux Musulmans et aux Chrétiens ont été recensés dans l'ouvrage Diaspora en terre d'islam de Pierre Flamand. Soulignons que les adages de ce type sont plutôt rares dans les recueils de proverbes judéo-marocains tel celui d'Issachar Ben Ami : Mille et un proverbes juifs du Maroc.

Par ailleurs, une étude des stéréotypes prévalant entre Juifs et Musulmans a été faite par Norman A. Stillman dans l'ouvrage The ]ews in Sharifan Morocco édité par Shalom Ben Asher. Il faut dire que des dictons arabes rendaient la pareille, tout comme : « Quand un Juif roule un Musulman, cela fait le bonheur de sa journée » ou encore « Si un Juif rit avec un Musulman, sache qu'il trame quelque roublardise.» Notons que dans le chapitre dédié à l'instruction dans Les Prolégomènes, Ibn Khaldoun semble accepter le stéréotype de tromperie des Juifs mais attribue aux générations de servitude à la tyrannie le besoin de cacher ce qu'ils pensent vraiment. Par ailleurs, plusieurs voyageurs ont fait état du sens des affaires des Juifs et certains ont imputé le recours à l'usure au pouvoir de survie des Juifs fréquemment soumis à des impositions arbitraires et accablantes; l'usure étant permise à eux seuls et non pas aux Musulmans. Enfin, l'on ne pourrait clore ce sujet des dictons populaires sans souligner ceux, non moins nombreux, qui marquent la méfiance entre Berbères et Arabes : « Salue un Bédouin, et tu as perdu ton pain » ou « Ne montre pas le seuil de ta maison à un Filali (habitant du Tafilalet) ou à une souris (sous-entendu : il ne quittera pas de sitôt) » ou encore : « Le Berbère, s'il vient habiter la ville devient comme un tambourin à qui on a mis une peau (sous-entendu : il devient bruyant).» Malgré les inégalités de statut, les positions respectives étaient bien campées. Pourtant, la vie menait son train et ces attitudes n'ont pas empêché les échanges de se tenir quotidiennement : dans l'ouvrage Israël au Maroc daté de 1906, Jean Hess écrivit : « Aussi y a-t-il deux faits que les historiens dotés de sens critique doivent avoir peine à concilier : d'un côté l'excessif mépris où le Musulman tenait le Juif et d'un autre côté l'excessive confiance qu'il avait en lui.»

Bien plus ! Celui qui aurait été témoin des débordements d'affection lors de la fête de la Mimouna à la fin de la Pâque juive lorsque les voisins musulmans et les montagnards berbères inondaient les maisons juives de fleurs, d'épis de blé, de beurre et de miel, ne pourrait sciemment pas comprendre la tenue d'atrocités durant les périodes de troubles. Bien des Musulmans ont vu dans les Juifs des gens d'honneur. Dans son enfance, l'auteur de ces lignes a pu voir des Musulmans traitant leur âne de Juif ou attaquant à coups de pierre des écoliers juifs sur le chemin de l'école. Mais il a été bien plus souvent témoin de la profonde déférence que les Musulmans avaient envers les Juifs, qu'ils saluaient avec la main sur le cœur.

La coexistence judéo-arabe n'était donc pas de tout repos- Il etait une fois le Maroc-D. B

En introduction, il a été souligné que l'histoire basée exclusivement sur le narratif des voyageurs ne pouvait être que superficielle et souvent même biaisée. Derrière la servilité apparente des Juifs se tissait un ensemble de relations plus complexes avec les voisins musulmans qui partageaient avec eux une certaine empathie et un certain nombre de croyances tel le culte des saints. Mais les témoignages des voyageurs en ce sens sont rares et l'histoire, pour autant qu'elle se limitât aux descriptions des voyageurs, est certainement des plus incomplètes. La nature réelle des rapports judéo-musulmans du Maroc n'a pas encore été étudiée comme il se doit par la communauté des chercheurs. Il s'agit d'un travail qui reste à faire et qui déborde le cadre du présent ouvrage.

Les chercheurs en sont venus à se poser la question suivante : est-ce que le traitement des Juifs du Maroc différait de celui du petit peuple musulman? Tous deux étaient soumis à l'arbitraire, tous deux enduraient des conditions économiques difficiles, particulièrement durant les crises de sécheresse et de disette et durant les guerres de succession. Qu'en fut-il réellement? Il semblerait que, compte tenu de leur statut de non-Musulmans, les Juifs étaient une proie toute désignée et facile et, durant les périodes de troubles, ils furent les premiers à pâtir avant même que les violences ne se propageassent à leurs voisins musulmans. Par ailleurs, des personnes révoltées contre l'autorité ou avides de pouvoir arbitraire instrumentalisaient les citations dites « terribles » du Coran pour se faire un capital politique sur le dos des Juifs. Ce sujet devrait également faire l'objet de recherches plus approfondies.

N'eut-été la protection des Juifs par la plupart des souverains – pour autant qu'ils pouvaient effectivement exercer leur autorité – le sort des Juifs aurait été encore plus insoutenable. Notons que cette protection des autorités contrastait souvent avec le vécu du petit peuple comme le décrivit si bien le journaliste Jacob Ohayon (décédé en 1945) dans un document titré Les origines des Juifs de Mogador : « Les rapports officiels entre les communautés et le Maghzen étaient toujours empreints de cordialité de la part des premières, et de bienveillance de la part du second. Il n'en a point toujours été de même entre les populations musulmanes et juives. Au demeurant, c'était moins par malveillance systématique que par mépris du Juif, les Musulmans se livraient à des actes isolés, vexants évidemment pour les passants juifs, mais qui n'avaient pas de portée politique bien grande. Il était évidemment dur pour les Juifs ayant voyagé et vécu en Europe libérale de voir la foule molester de paisibles habitants du Mellah, mais ces sévices provenaient surtout d'un sentiment d'étrangeté provoqué par ces gens dont les dehors n'étaient pas toujours dépourvus de sordidité, et dont l'attitude humble prêtait souvent le flanc aux quolibets et aux coups des foules ignorantes.»

En résumé, on pourrait faire l'analogie suivante, fut-elle maladroite : les Juifs eurent le rôle d'épouses utiles dont on ne pouvait se passer, mais ces épouses étaient des femmes régulièrement battues.

Et c'est ainsi que Juifs, Berbères et Arabes ont traversé des siècles de coexistence entrecoupée de moments tragiques.

LE VOYAGE DE SIR MOSES MONTEFIORE AU MAROC

Qui était Moses Montefiore?

Né en Italie dans une famille juive sépharade, Moses Montefiore fut un financier qui décida de quitter les affaires en 1824 pour se consacrer à l'amélioration de la condition des Juifs de son temps. Pour cela, il voyagea dans l'Empire ottoman (1840), en Italie (1858), en Russie (1846 et 1872), en Terre sainte (1827 et cinq autres fois) au Maroc (1863-1864) et en Roumanie (1867). Il devint particulièrement observant sur le plan religieux après sa première visite en Terre sainte. Il rencontra les grands de son temps et mit une énergie considérable à améliorer la condition des Juifs. Sa philanthropie fut légendaire en Angleterre et à l'étranger et ne se limita pas aux besoins de ses seuls coreligionnaires. Avec Rothshild, il fit un prêt considérable au gouvernement britannique afin de pouvoir compenser les propriétaires de plantations et abolir ainsi l'esclavage. Il devint shérif de Londres et fut nommé baronnet de l'île de Thanet dans le Kent. Son centième anniversaire fut un événement national en Grande-Bretagne.

Pourquoi vint-il au Maroc?

La situation pénible des Juifs du Maroc était déjà connue en Angleterre car le Conseil des Députés juifs britanniques était en contact permanent avec les Juifs de Tanger et de Mogador. L'état de dénuement total des milliers de Juifs de Tétouan réfugiés à Tanger, à Gibraltar, à Oran et en Espagne avait alerté l'opinion publique mondiale et Sir Moses Montefiore qui présidait le London Board of Deputies of Brittish Jews organisa une collecte de 40 000 livres pour ces réfugiés. Un comité de soutien, le Morocco Relief Committee et caisse de secours, The Morocco Relief Fund furent établis peu après une pour venir en aide aux Juifs de Tétouan qui souffrirent particulièrement de la guerre maroco-espagnole de 1860 et des nombreux réfugiés de cette ville. En 1861, le Conseil des Députés juifs britanniques dépêcha Moses H. Picciotto au Maroc pour y faire voyage d'études à Tanger, Tétouan, Rabat, Mogador et Gibraltar.

Le voyage de Sir Moses Montefiore au Maroc

LE VOYAGE DE SIR MOSES MONTEFIORE AU MAROC

Consterné par le contenu de ce rapport, Moses Montefiore le soumit au Ministre des Affaires étrangères britannique Lord Russel. Celui-ci promit de faire ce qui serait en son pouvoir pour protéger les Juifs du Maroc.

L'affaire de Safi alarma les Juifs et le gouvernement de Grande- Bretagne. Un percepteur espagnol mourut après une maladie qui dura trois à cinq jours. On accusa son serviteur Jacob Benyuda (alias Akkan) d'avoir empoisonné son maître. Akkan reçut la bastonnade jusqu'à ce qu'il avouât la complicité d'Éliyahou Lalouche (alias Lallas). Ce dernier fut torturé par les autorités marocaines jusqu'à ce qu'il confessât l'implication de deux Juifs, Makhlouf Aflalo et un certain Saïdo. Lallouche réussit à prendre la fuite et sa famille fut emprisonnée et fouettée. Il fut rattrapé et décapité à Tanger. Dans sa cellule, Akkan avoua à Lalouche l'avoir dénoncé pour échapper à d'autres bastonnades, ce qu'un vice-consul entendit. Néanmoins, le ministre espagnol exigea une punition exemplaire immédiate. Akkan fut également exécuté. Le Ministre des Affaires étrangères marocain Si Mohamed Bargash précisa que « les autorités marocaines avaient agi sous la contrainte et la menace des Espagnols.» Par ailleurs, deux Juifs de Tétouan Abraham Axuelos et Jacob Benattar furent arrêtés pour des raisons futiles (cordonnier de son état, le premier n'avait pas réussi à identifier la chaussure laissée par un cambrioleur) et reçurent la bastonnade. De nombreuses autres irrégularités furent découvertes par la suite dans l'affaire de Safi et le gouvernement britannique décida de cautionner le voyage de Moses Montefiore en 1863. Il était alors âgé de 80 ans.

Comment se déroula le voyage?

La réputation de Montefiore et de ses talents de diplomate lui fit ouvrir toutes les portes. Montefiore s'arrêta en Espagne ou il rencontra le Premier ministre et les membres du gouvernement. La reine Donna Isabella lui assura « le respect de toutes les religions.» Montefiore fut reçu en grande pompe à Tanger, obtint la libération immédiate de deux prisonniers juifs et l'assurance de la libération de deux prisonniers juifs à Safi. Il réussit à rétablir la confiance entre les représentants anglais et espagnol dans la ville. Les représentants espagnols au Maroc reçurent des directives les invitant à la prudence et l'Espagne exprima des regrets au sujet de l'impétuosité de son représentant, et qui avait mené aux exécutions des Juifs de Safi. Montefiore négocia également les assises d'une nouvelle école anglo-française administrée conjointement par le Board ofDeputies et l'Alliance Israélite Universelle.

Le mauvais temps les empêchant de débarquer à Safi, ils reçurent néanmoins la confirmation de la libération des deux Juifs de Safi. Ils furent reçus à Mogador par Abraham Corcos, vice-consul des Etats-Unis et la caravane d'une centaine de personnes se mit en route pour Marrakech, escortée pendant une heure par le gouverneur de la ville. Le sultan accueillit Moses Montefiore en lui prodiguant la meilleure des hospitalités et la plus grande des considérations. 6000 soldats firent une haie d'honneur. Monté sur son cheval de parade blanc, le sultan salua Montefiore qui portait son uniforme de Lord-Lieutenant de la ville de Londres, avant de le recevoir dans l'intimité. Montefiore défendit alors la cause des siens au nom des Juifs et des Chrétiens de l'Empire et demanda un traitement égal à celui des Musulmans.

Le dahir ou édit qui fut promulgué à la suite du passage de Sir Moses Montefiore déclarait en essence : «Nous ordonnons à ceux qui liront le présent écrit… à tous nos serviteurs, gouverneurs, cadis et autres fonctionnaires de traiter avec la plus grande bienveillance les Israélites de notre empire, Dieu Nous ayant inspiré pour agir ainsi. Nous voulons voir pratiquer envers eux la justice et l'équité et les considérer comme des sujets égaux devant la loi. Aucun d'entre eux ne doit faire l'objet d'un acte arbitraire quel qu'il soit, ni subir de dommage d'aucune sorte. On ne doit s'attaquer ni à leurs personnes ni à leurs biens. Les services d'ordre professionnel qui peuvent être exigés pour le compte de l'État ne doivent pas leur être demandés avec violence et, en tout cas, être équitablement rétribués, car Nous devons rendre compte à Dieu dans la vie future de toute injustice commise ici-bas et Nous ne consentirons jamais à ce que des actes illégaux soient perpétrés, ni envers les Israélites, ni envers qui que ce soit. Nous considérerons tous nos sujets sur un même pied d'égalité et si une iniquité venait à être commise envers l'un d'eux, Nous, avec l'aide du Tout-Puissant, appliquerons à son auteur la sanction pénale qu'elle mérite. Ce décret, avec toutes les prescriptions qu'il contient, est confirmé par nous de la manière la plus stricte et la plus persistante et doit constituer pour Nos sujets israélites une garantie contre tout arbitraire dont ils pourraient être l'objet de la part de ceux qui auraient l'idée de les molester.»

Montefiore visita alors le Mellah de Marrakech ou il fut accueilli par une foule de plusieurs milliers de personnes en liesse. Avant de prendre la route pour Mazagan avant d’embarquer pour Gibraltar. Il fut à nouveau reçu par la reine en Espagne puis par Napoléon III en France. Des milliers de messages de félicitations l'attendaient en Angleterre. Le Parlement anglais vota une motion de félicitations au sultan remerciements pour sa noble conduite.

Quelles furent les conséquences réelles de la visite de Moses Montefiore?

La présence de Moses Montefiore au Maroc et sa réception en grande pompe à la cour du sultan redonnèrent confiance aux Juifs du Maroc. Ils ne se sentaient plus isolés. L'impact psychologique fut immense, d'autant plus que Montefiore avait obtenu du sultan un dahir qui condamnait le mauvais traitement des Juifs dans le royaume. De fait, le paragraphe final du dahir précisait qu'il n'y avait rien de nouveau en ce sens « qu'il était déjà bien établi, bien su et bien documenté, etc.» En d'autres mots, la condition de dhimmis demeurait telle quelle. Cette euphorie s’empara également des communautés juives marocaines qui pensaient avoir enfin recouvré leur dignité. Le chroniqueur musulman Al-Naçiri écrivit alors : « Les Juifs devinrent arrogants et frivoles et pas seulement dans les villes portuaires… Cette liberté qu'ont établie les Européens au cours de ces dernières années est l'œuvre absolue de l'irréligion, car elle comporte la destruction complète des droits de Dieu, des droits des parents et des droits de l'humanité.» Il loua le souverain d'avoir clarifié dans une lettre explicative que les recommandations antérieures ne ciblaient que les Juifs respectables… Dans les faits, rien ne changea et les injustices continuèrent. Le premier juin de la même année, Montefiore envoya une lettre de remerciements tout en regrettant le fait que certains gouverneurs et officiels ignoraient l'édit du sultan. Il reçut de nouvelles réassurances de la part du vizir Yamani.

Certains pensèrent que le voyage de Montefiore eut l'effet inverse. En 1880, un Juif de Gibraltar alla même jusqu'à déplorer la naïveté de l'initiative de Montefiore. Car les oulémas voulaient maintenir la prédominance de l'islam et l'humiliation des dhimmis. Les travaux du théologien Al-Maghili responsable du massacre des Juifs du Touat en 1492 eurent un regain d'intérêt. Ce dernier avait accusé les Musulmans riches et influents d'être coupables d’employer les pires ennemis du prophète plutôt que de les maintenir dans leur état naturel d'humiliation.

Commentant la mission de Montefiore vingt-sept ans plus tard, l'auteur britannique Budgett Meakin écrivit : « Il reste beaucoup à faire. Le gouvernement est pourri. La position du Maure est mauvaise et celle de son voisin israélite est bien plus pire.» Mais il n'en demeura pas moins que la conscience d'une émancipation possible fit rêver les Juifs du Maroc trop longtemps résignés à la malédiction de leur condition précaire.

Il etait une fois le Maroc-David- Bensoussan-La protection consulaire ou Hamia

LA PROTECTION CONSULAIRE OU HAMIA

La protection consulaire était très recherchée par les autochtones

La protection consulaire ou hamia valait son pesant d'or. La protection consulaire signifiait non seulement une protection contre l'autorité despotique des autorités locales mais aussi une exemption d'impôts locaux. Quant aux consuls, ils avaient droit à des égards particuliers et devaient se présenter en audience avec de magnifiques cadeaux. Lors de sa première descente à terre, un consul était accueilli par 21 coups de canon. On raconte qu'au milieu du XIXe siècle, un officier indigène força le passage dans la demeure du consul le sabre à la main et il en résulta que la sentinelle en eut le doigt coupé. Le gouverneur emprisonna le délinquant qui eut droit à 64 coups de bâton octroyés en public avant de rejoindre sa cellule.

Parmi les protégés consulaires, citons Abraham Corcos qui fut très proche du sultan et était vice-consul des États-Unis; le rabbin Joseph Elmaleh était négociant, chef des anciens de la communauté juive – le ma'amad – et représentait la dynastie des Habsbourg; son fils Réuben Elmaleh lui succéda dans sa fonction consulaire. En 1864, il y avait 165 sujets britanniques à Mogador, dont la moitié avait des noms juifs marocains; 35 étaient nés dans la ville et 65 à Gibraltar. Indépendamment de leur statut de protégé consulaire, une trentaine de familles juives de Mogador obtinrent la nationalité française au XIXe siècle.

Comment la protection consulaire était-elle perçue par les souverains marocains?

Les souverains marocains bénéficiaient grandement des frais de douane engendrés par le commerce extérieur géré par de nombreux marchands juifs bénéficiant de la protection consulaire. D'un autre côté, ils tenaient à leur communauté juive. Au XIXe siècle, tout Juif qui quittait le Maroc devait payer 4 dollars. Ce montant passait à 166 dollars dans le cas d'une juive. Ces mesures visaient à retenir et à ne pas perdre des membres de la communauté juive considérés comme extrêmement utiles au royaume. Pour les puissances étrangères, la protection consulaire permettait de pénétrer des marchés traditionnellement fermés, de consolider leur influence, voire même d'intervenir militairement au besoin.

Quant aux nationaux étrangers, les traités de 1767 entre la France et le Maroc ou celui de 1836 entre les États-Unis et le Maroc leur offraient une certaine protection juridique dans le cas d'un différent les opposant à des Maures. En 1856, l'Angleterre obtint l'exonération d'impôts aux consuls et la création d'un tribunal international des consuls étrangers pour juger des litiges entre Anglais et autres ressortissants étrangers. Ces privilèges furent étendus à l'ensemble des puissances signataires du traité de Madrid en 1880.

Comment la protection consulaire pouvait-elle cohabiter avec le statut de dhimmis des Juifs et des Chrétiens?

La législation islamique prévoyait des limitations spéciales aux juifs et aux chrétiens ainsi que des interdits religieux contre les musulmans. Les consuls ne bénéficiaient pas toujours d'immunité. La législation islamique fut appliquée tant que le Maroc fut puissant et redouté et devint plus lâche lorsque les puissances européennes s'affirmèrent au cours du XIXe siècle. Certains incidents méritent d'être rapportés pour brosser un tableau du statut des consuls au Maroc.

En 1767, le consul de France Louis Chénier força le passage de la porte de la ville de Salé l'épée à la main lorsque les gardes s'opposèrent à ce qu'il entre dans la ville monté à cheval, cette monture du prophète étant l'apanage des seuls musulmans.

Le juif anglais Phillips qui fut commandant du port de Mogador insistait pour avoir le droit de monter à cheval et de ne pas avoir à se présenter déchaussé devant le sultan.

Le Gouverneur de Mogador pensait avoir tous les droits en regard d'un attaché consulaire de nationalité française d'origine algéro- musulmane ne respectait pas ces interdits. Bien que la France suggéra de démettre et l'attaché et le Gouverneur, l'attaché fut rappelé mais le Gouverneur fut maintenu en fonction.

Originaire de Tunisie, le juif français Hayim Victor Darmon représenta à Mogador des maisons de commerce juives de Marseille. Il était agent consulaire d'Espagne à Mazagan. Il fut arrêté et condamné à mort en 1843, pour s'être battu contre un musulman qui l'accusait d'avoir eu des relations sexuelles avec une musulmane car, à ce titre, il était passible de la peine de mort. Il s'enfuit, fut repris et exécuté. Son corps fut exposé en public et l'Espagne menaça de déclarer la guerre. L'on prétendit par la suite qu'il fut tué après avoir tenté de s'échapper des mains de ceux qui étaient venus l'arrêter. Le Gouvernement français exigea et obtint une compensation pour la famille et le limogeage du Gouverneur de Mazagan. Dans ce cas particulier, il faut préciser que le sultan cherchait une excuse pour démettre ce Gouverneur du nom de Haj Mousa qui avait commis bien des impairs et dont la conduite abusive semblait reposer sur le fait qu'il avait sauvé le sultan dans sa jeunesse… Il n'en demeure pas moins que cette humiliation de l'Espagne aura été un des facteurs à l'origine de la guerre hispano-marocaine de 1859.

En 1899, le notable israélite Lumbroso, sujet italien, voulut passer la journée dans l'île du port de Mogador. Le caïd de la ville s'y opposa en soutenant que « les autres Européens ne sont pas des Juifs, et que M. Lumbroso est juif. » Une plainte fut déposée par un ministre italien au sultan qui ordonna au caïd de présenter des excuses.

Le Gouverneur de Mogador tenta d'interdire aux Européens de fumer durant le Ramadan car les Musulmans risquaient de sentir le tabac. Aussi, bien qu'officiellement les étrangers étaient soumis à la législation religieuse du pays, dans les faits, il fallait avant tout s'accommoder d'un certain laisser-faire et ne pas faire de vagues… mais surtout éviter d'avoir à confronter les officiels sur des sujets délicats.

Soulignons que dans le cas particulier de Mogador, le consul de France à Mogador M. Lebey assistait à toutes les réunions du comité de la communauté et y prenait une part active.

Il est intéressant de noter que les souverains marocains défendirent leurs sujets juifs à l'étranger. Ainsi, un certain Sofate prit part à une rébellion au Portugal en 1828. Il fut condamné à mort. Suite à l'intervention du sultan, sa peine fut commuée aux travaux forcés, mais le sultan ne fut pas satisfait. Sofate fut libéré après deux ans et demi de prison.

Il etait une fois le Maroc-David Bensoussan-La conférence de Madrid en 1880

LA CONFÉRENCE DE MADRID

La conférence de Madrid en 1880 visa à statuer la question des « protégés» consulaires.

Onze pays européens, les États-Unis et le Maroc participèrent à cette conférence. La France y défendit le droit de conserver tel quel le statut de la protection consulaire. Il y avait alors 7 à 800 protégés consulaires dont 75% étaient juifs. De fait, la protection s'étendait à la famille des protégés, leurs employés et leurs associés, ce qui portait en fait leur nombre à plusieurs milliers.

Au terme de cette conférence, il fut statué que le nombre de protégés consulaires serait limité à douze par pays. Les consuls avaient le droit d'engager des sujets marocains : un interprète, un soldat et deux serviteurs lesquels seraient exemptés d'impôt. La protection consulaire s'appliquait à la famille vivant sous leur toit. Leur charge n'était pas héréditaire à l'exception de celle de la famille Benchimol de Tanger. Les étrangers et les protégés consulaires pouvaient acquérir des propriétés, mais la taxe agricole et la taxe sur le cheptel étaient maintenues. Tout sujet marocain naturalisé à l'étranger, devait à son retour au Maroc décider de renoncer sa nouvelle citoyenneté ou émigrer au terme d'un séjour équivalent à celui qui aura été nécessaire pour obtenir sa naturalisation. La conférence approuva également un texte relatif au libre exercice de tous les cultes au Maroc, bien que le délégué marocain Barguash affirmât tout haut l'inutilité d'un tel décret.

Pour les Juifs, la protection consulaire était une garantie contre les abus de la population ou des autorités locales. Ceux qui bénéficiaient de la protection consulaire ou ceux qui y aspiraient craignaient de retomber sous le statut institutionnalisé d'humilié. Il n'y avait eu que l'intervention des puissances étrangères pour freiner les abus dont ils faisaient l'objet, les doléances aux autorités musulmanes ayant peu de chances d'être suivies d'actions correctives. Les commerçants juifs soutenaient que dans les régions de l'intérieur, le recouvrement des dettes n'était possible que par l'intervention des puissances étrangères.

Le Maroc n'était plus en position de force

Les Européens et les États-Unis s'octroyaient le droit de commercer librement. Bien que l'on préservât en principe l'intégrité du gouvernement marocain (cet aspect sera confirmé à nouveau à la Conférence de Berlin en 1885 où l'on traita de la « Question marocaine»), le Maroc qui participait à cette conférence internationale était un Maroc affaibli par les défaites militaires infligées par la France à Isly en 1844 et par l'Espagne à Tétouan en 1860. L'état marocain n'était pas en mesure de faire concurrence à l'expansion industrielle en Europe, d'autant plus que les lourdes indemnités qu'il payait après la guerre d'Espagne de 1860 le privaient d'une source de revenus douaniers importants : L'indemnité de guerre espagnole équivalait aux dépenses de l'état marocain entre deux ans et trois ans; elle fut acquittée au bout de vingt ans.

Comment les décisions de la Conférence de Madrid furent-elles appliquées?

Dans la pratique, les choses changèrent peu. Un grand nombre de Juifs et de Musulmans cherchèrent à obtenir le statut de protégé consulaire et les Consuls n'appliquèrent pas toujours à la lettre les décisions de la Conférence de Madrid. Un grand nombre de plaintes de spoliation fut émis par ces protégés qui demandaient des redressements et des compensations. Qui plus est, certains Juifs allèrent demeurer quelques semaines en Algérie et revinrent au Maroc avec la citoyenneté française pour échapper à la justice marocaine et les Consulats durent parfois annuler le statut de citoyenneté de certains protégés lorsqu'il avait été obtenu par des moyens détournés. Une trentaine de ces nouveaux protégés s'associèrent parfois à des caïds peu scrupuleux pour se faire usuriers – le prêt à intérêt est interdit dans la religion musulmane – ce qui se traduisit parfois par des mesures draconiennes envers les endettés. Il est possible que la misère de ceux qui avaient tout perdu des suites de prêts usuraires se soit traduite par une animosité accrue à l'égard de l'ensemble des Juifs de la part du petit peuple, ces derniers servant traditionnellement de bouc émissaire de service.

Précisons enfin qu'au terme d'une autre conférence internationale tenue à Berlin deux ans avant la Conférence de Madrid, les puissances européennes reconnurent le droit des états de disposer de zones d'influence pour autant que d'autres états n'en contestassent pas l'appartenance totale ou partielle.

LES DEBUTS DE LA PRESSE AU MAROC : LA PRESSE ÉMANCIPÉE DE TANGER

Quel fut le rôle de la presse tangéroise?

Les premiers journaux au Maroc apparurent au XIXe siècle. Ils furent publiés en langue espagnole, anglaise ou française et eurent un grand impact sur Tanger essentiellement, mais aussi dans le monde. La liberté de presse fut totale et les premiers journaux en profitèrent pour demander une solution aux problèmes de l'eau et à ceux de la voirie dans la ville. Ces mêmes journaux dénoncèrent l'esclavage et les ventes publiques d'esclaves. Ils exigèrent l'amélioration des conditions des prisonniers dans les geôles marocaines. Ils lancèrent des campagnes de levées de fonds pour venir en aide aux victimes du choléra au Maroc ou d'un tremblement de terre en Espagne. Ils n'hésitèrent pas à condamner le despotisme du Makhzen ou même l'inaction des légations consulaires devant les injustices. De façon générale, les légations étrangères importantes avaient leur journal. Nombreux furent les Israélites naturalisés britanniques qui œuvrèrent dans le journalisme tangérois. Ils se firent les ardents défenseurs de la modernisation du Maroc et de sa communauté israélite.

Le Liberal Africano parut à Ceuta en 1820, mais cessa d'être édité après six numéros. El Eco de Tetuan parut en 1860, puis fut remplacé la même année par El Noticerio qui tint pendant un an et compta quatre-vingt-neuf numéros. Ces journaux hispanophones se préoccupèrent essentiellement des nouvelles militaires ou défendirent les politiques de l'Espagne. D'autres feuillets parurent, mais eurent une existence brève : El Berberisco en 1881, Eco de Ceuta et La Africana en 1885. Il y eut également les revues El Eco Mauritano, La Duda del Progresso, La Lintema, El Dario de Tanger, El Emperio de Marruecos et La Cronica de Tanger. En 1870, il fut fait mention d'un journal tangérois publié sous l'égide de l'Alliance Israélite Universelle, critiquant le gouvernement local et les consuls d'Espagne et de France. Toutefois, sa parution semble avoir été éphémère.

Les debuts de la presse au Maroc : La presse emancipee de Tanger-David Bensoussan

LES DEBUTS DE LA PRESSE AU MAROC : LA PRESSE ÉMANCIPÉE DE TANGER

Quel fut le rôle de la presse tangéroise?

Les premiers journaux au Maroc apparurent au XIXe siècle. Ils furent publiés en langue espagnole, anglaise ou française et eurent un grand impact sur Tanger essentiellement, mais aussi dans le monde. La liberté de presse fut totale et les premiers journaux en profitèrent pour demander une solution aux problèmes de l'eau et à ceux de la voirie dans la ville. Ces mêmes journaux dénoncèrent l'esclavage et les ventes publiques d'esclaves. Ils exigèrent l'amélioration des conditions des prisonniers dans les geôles marocaines. Ils lancèrent des campagnes de levées de fonds pour venir en aide aux victimes du choléra au Maroc ou d'un tremblement de terre en Espagne. Ils n'hésitèrent pas à condamner le despotisme du Makhzen ou même l'inaction des légations consulaires devant les injustices. De façon générale, les légations étrangères importantes avaient leur journal. Nombreux furent les Israélites naturalisés britanniques qui œuvrèrent dans le journalisme tangérois. Ils se firent les ardents défenseurs de la modernisation du Maroc et de sa communauté israélite.

Le Liberal Africano parut à Ceuta en 1820, mais cessa d'être édité après six numéros. El Eco de Tetuan parut en 1860, puis fut remplacé la même année par El Noticerio qui tint pendant un an et compta quatre-vingt-neuf numéros. Ces journaux hispanophones se préoccupèrent essentiellement des nouvelles militaires ou défendirent les politiques de l'Espagne. D'autres feuillets parurent, mais eurent une existence brève : El Berberisco en 1881, Eco de Ceuta et La Africana en 1885. Il y eut également les revues El Eco Mauritano, La Duda del Progresso, La Lintema, El Dario de Tanger, El Emperio de Marruecos et La Cronica de Tanger. En 1870, il fut fait mention d'un journal tangérois publié sous l'égide de l'Alliance Israélite Universelle, critiquant le gouvernement local et les consuls d'Espagne et de France. Toutefois, sa parution semble avoir été éphémère.

Y eut-il une presse engagée?

Fondé en 1883, l'hebdomadaire espagnol Al Moghreb al Aksa fusionna en 1893 avec the Times of Morocco et fut publié en anglais. Le Réveil du Maroc parut en français en 1883. Son propriétaire en fut Lévy Cohen, originaire de Mogador, représentant de l'Anglo Jewish Association à Tanger, membre du Comité régional de Y Alliance Israélite Universelle et agent accrédité du Board of Delegates des Israélites de New York. Ce journal francophile adopta comme politique éditoriale la mission visant à contribuer au développement de la civilisation au Maroc et fit sienne la devise de Liberté, égalité, fraternité. A. Pamienta, ancien diplômé de l'Alliance Israélite Universelle en fut le rédacteur principal. En 1888, le journal passa aux mains du banquier Haïm Benchimol et Vial de Kerdec Cheny en devint le rédacteur en chef. Ce dernier fut également l'auteur du Guide du voyageur au Maroc et du Guide du Touriste.

Tant Le Réveil du Maroc qu'Al Moghreb al Aksa critiquèrent l'inaction du Makhzen en ce qui concerne les conditions urbaines et demandèrent à ce que des Européens prennent en charge les réformes qui s'imposent de façon à régénérer le Maroc. En 1885, le Réveil du Maroc écrivait : « Il est bien temps que l'Europe civilisée abandonne ces hypocrites considérations de respect international en vertu desquelles elle tolère les méfaits inhérents à l'administration marocaine… Les cabinets européens devraient imposer au Maroc des réformes administratives et économiques plus en harmonie avec la justice et la prospérité des indigènes et des étrangers.» Ce n'était ni plus ni moins qu'un appel au Protectorat…

Comment réagirent les autorités marocaines?

Lorsque le représentant du sultan Si Hadj Mohamed Torrès demanda la suppression de la presse tangéroise en 1885, les directeurs et les rédacteurs alertèrent l'opinion internationale. Les légations consulaires demandèrent aux journaux de s'exprimer avec modération. Mais de fait, la presse se montra encore plus enragée par la suite. Le Réveil du Maroc exigea que l'on s'en prenne aux exactions des caïds, ces enfants gâtés de la société philanthro-politique protectrice des aborigènes. Le Times of Morocco s'en prit quant à lui aux abus des Européens au point que la presse britannique s'en émut. À la longue, les attaques de la presse se firent plus nuancées. Tout en conservant un grand respect pour le souverain Moulay Hassan, le Moghreb al Aksa parla de « the so called Sherifian govemment » et Le Réveil du Maroc évoqua « le paternalisme du gouvernement. » À nouveau le gouvernement demanda la suppression de la Presse en 1887, mais il dut se résigner à vivre avec une presse libre. Même le sultan Abdelaziz, pourtant ouvert aux idées européennes, refusa de créer une presse arabe. En 1901, il offrit 2 500 pesetas à un Turc pour qu'il renonçât au projet de fonder un journal en langue arabe à Marrakech.

Qu'en fut-il de la presse en langue arabe?

Il faudra attendre 1907 pour voir paraître un premier journal en langue arabe Lisan Al-Maghrib qui fit la promotion de réformes sociales et politiques. Ses promoteurs étaient deux frères, Faraj Allah et Arthur Nemour originaires de Syrie. Ils proposèrent des réformes et même un projet de constitution et de création d'une Chambre des Représentants, tout en préservant « les libertés d'action et de pensée indispensables à la réalisation des réformes.» Peu avant l'entrée d'Abdelhafid à Fès, le journal demanda à « Sa Majesté de ne pas refuser plus longtemps à son peuple les bienfaits d'une Constitution et d'un Parlement. Elle doit lui garantir la liberté de penser et d'agir qui le rend apte à réformer sa patrie à l'instar de tous les pays civilisés qu'ils soient islamiques ou chrétiens.» Ils se firent également les avocats de l'instauration d'un enseignement primaire obligatoire et gratuit et préconisèrent également « le renvoi des mouchards et des espions ainsi que la nomination d'hommes compétents, méritoires et dignes assumant des postes à haute responsabilité.» Ce journal cessa de paraître en 1908 suite à un différend avec le Makhzen. Le journal Al-Saada parut à Tanger de 1903 à 1913 puis à Rabat de 1913 à 1956 et fut remplacé à Tanger par Al-Tarakki (Le Progrès). Ce dernier journal fit compétition au journal El-Hakk (Le Droit) subventionné par le Gouvernement espagnol. Suite au Protectorat espagnol, ces deux journaux disparurent pour être remplacés par Al-Islah (La Réforme) puis par Al-Ittihad (L'Union). Il y eut également un journal Al Moustaquil distribué par les Italiens, mais son audience fut très limitée.

Revenons à Al Saada. Le rédacteur d'Al Saada Moulay-Idris Ben- Mohamed Al-Khabzaoui Al-Jazairi était Algérien. La mission de ce journal de propagande était résolument pro-coloniale, vantant l'action civilisatrice de la France et la fraternité franco-marocaine. Tout comme le fit Lisan Al-Maghrib, Al-Saada mit ses lecteurs au courant des tendances idéologiques prévalant en Orient. Le bimensuel Al Sabah (Le Matin) fut une revue scientifique, économique, politique et littéraire, publiée à Tanger en 1908. Il y eut aussi un journal tangérois Fedjer (l'aube) dirigé par le Syrien Ni'met Allah Daddah, qui fut suspendu par le Makhzen mais qui reparut à Fès avec l'avènement du sultan Abdelhafid. Bien que ce journal fût progouvememental, des pressions furent exercées par les oulémas de la ville qui craignaient que ce précédent n'autorisât les Chrétiens à publier des journaux. Aussi, ce journal cessa de paraître en 1908.

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