Recherches sur cult juijs An


Itineraires Spirituel et intellectuel, activites litteraires du Judaisme Machrebien – Haïm Zafrani

Itineraires Spirituel et intellectuel, activites litteraires du Judaisme Machrebien

Haïm Zafrani

La création littéraire et ses finalités

Mes études et recherches, entreprises depuis plus de vingt-cinq ans pour sortir au jour le patri­moine culturel du judaïsme héritier de l'Age d'Or judéo-arabe et vivant en Terre d'Islam, mettent en lumière l'effervescence religieuse et intellectuelle, l'atmosphère de spiritualité optimiste qui ont régné au sein de communautés oubliées. Celles-ci ont cependant engendré une production littéraire qui constitue une contribution non négligeable à la formation du patrimoine culturel de leurs terres d'origine ou d'adoption d'une part, aux huma­nités et aux sciences juives, d'autre part.

Mes travaux sur la pensée juive en Occident musulman, ceux déjà réalisés et ceux en cours de réalisation ou en projet, témoignent et témoi­gneront précisément de la présence du judaïsme de ces contrées dans les domaines privilégiés de la science écrite (pensée juridique, poésie, littérature mystique, exégétique, homilétique) et de la transmission orale du savoir (créations littéraires d'expression dialectale et populaire judéo-arabe, judéo-berbère, outre celles en judéo-castillan étu­diées par d'autres spécialistes, notre collègue H. V. Sephiha, entre autres).

La finalité première de cette pensée a été d'as­surer la sauvegarde d'un patrimoine intellectuel et spirituel légué par les ancêtres castillans et auto­chtones. Les communautés maghrébines, durant les derniers quatre siècles obscurs de l'histoire du Maroc, ont su d'instinct, garder, comme on garde la braise sous la cendre, le trésor de culture qui leur fut confié, pour le ranimer, le réactiver et le féconder en période de conjoncture favorable. En dépit de conditions d'existence incertaines ou inégales, souvent préoccupés de la survie reli­gieuse ou même physique de leurs communautés assaillies par toutes sortes de dangers, y compris celui des divisions internes, des conversions for­cées ou volontaires, les guides spirituels clercs et laïcs, les hakhamim "sages et lettrés", ont fait l'effort constant d'étudier, de cultiver et d'en­seigner la Loi et la Tradition.

On notera qu'en ces siècles d'indigence de la production intellectuelle ( 16e/19e siècles), compa­rée à l'effervescence et à la prospérité de l'Age d'Or, les oeuvres de l'esprit sont le reflet d'une culture polarisée sur la foi et la religion.

La finalité seconde de cette activité intellec­tuelle est intimement liée à la finalité première. Interprète des valeurs universelles du judaïsme, elle est aussi le miroir où la communauté se regarde, le moyen d'exprimer un monde, très peu exploré jusqu'ici, un environnement socio- économique et religieux, une société juive origi­nale, qui témoigne d'une exemplaire solidarité avec les autres communautés juives du monde, en dépit de son isolement et de sa propre détresse.

J'ai été amené ainsi à interroger l'histoire, l'imaginaire social, à poser un regard sur les struc­tures socio-économiques, sur la vie culturelle, religieuse et mystique, suivant un itinéraire qui mène du plus simple au plux complexe, selon une pédagogie vieille de deux mille ans et inscrite déjà dans ce petit livre d'éthique juive fondamentale, le traité des Pères, le Pirqé Abot (V, 30): A cinq ans la lecture de la Bible, à dix, l'étude de la Mishnah…, à quinze, le Talmud…, à quarante, le dis­cernement c'est à dire du sens caché, de Sod: de la kabbale…

Cet itinéraire est celui de tout lettré juif, Talmid hakham qui consacre sa vie entière à l'étude.

Mon propre itinéraire d'enseignant chercheur et écrivain est passé par les mêmes voies.

Le livre le plus récent, celui que je dédie aux écrits kabbalistiques et à la vie mystique, s'inscrit dans cet itinéraire intellectuel et littéraire. C'est en quelque sorte l'itinéraire obligatoire qui mène de l'étude de la Bible, à l'étude de la kabbale, du sens obvie apparent, au sens caché, ésotérique des textes. Ce livre, intitulé Kabbale, vie mystique et magie, est l'aboutissement, le terme de ceux qui l'ont précédé, une tâche entreprise il y a plus d'un quart de siècle, consacrée à des études et recherches sur la vie intellectuelle juive des cinq derniers siècles, dans les domaines de la pensée et du paysage culturel où se développent la con­science et la mémoire d'une communauté établie au Maghreb depuis près de deux millénaires et la création littéraire de ses grands lettrés.

Recherches sur la culture des Juifs d'Afrique du Nord-Edite par Issachar Ben-Ami

La transmission du savoir

C'est à la formation du lettré, à son itinéraire intellectuel, à la transmission du savoir, l'écrit et l'oral, à l'acquisition d'une culture substantielle et à l'apprentissage de la science traditionnelle et des humanités juives en général, qu'ont été dédiés nos premiers travaux. Ces questions ont fait l'objet de notre enquête sur l'enseignement de l'hébreu et du judaïsme au Maroc.

Langues et littératures dialectales et populaires

Notre effort a porté, au même moment, sur l'étude des langues juives et des littératures orales en judéo-arabe et judéo-berbère, donnant naissance à un grand nombre de publications dans des revues spécialisées et à nos deux livres: Littéra­tures dialectales et populaires juives en Occident Musulman et une Version berbère de la Hag-gadah de Pesah, Texte de Tinrhir du Todrha (Maroc)?

Pensée juridique

Nos travaux se sont poursuivis par une vaste entreprise englobant l'ensemble de la vie intellectuelle et du paysage socio-culturel. Nous en avons dressé l'inventaire et abordé l'examen métho­dique des oeuvres.

La pensée juridique, plus particulièrement celle représentée par les Taqqanot et les Responsa, la poésie religieuse ou profane, les écrits exégétiques, homilétiques, mystiques et kabbalistiques, etc… tous ces champs de la production intellec­tuelle ont été, pour nous (il en existe d'autres), les bases fondamentales de toute approche globale de l'existence juive, à tous les niveaux d'analyse.

La priorité de traitement revient au domaine de la pensée juridique. Le primat qui lui est ainsi accordé s'explique par son contenu idéologique et par les réalités sociales, économiques et légalo-ritualistes qu'elle recouvre. Nos études et recherches en ce domaine nous ont permis de restituer, en quelque sorte, la vie de la diaspora marocaine pour la période qui nous sépare de l'exil espagnol de 1492. Elles ont été réunies dans notre livre intitulé Les Juifs du Maroc… Etudes de Taqqanot et Responsa.

L'étude que nous avons consacrée à la noésie d'expression hébraïque s'intitule Poésie juive en Occident Musulman. Elle fait apparaître l'exis­tence, au sein de la société lettrée, comme parmi les masses populaires, d'une conscience poétique qui se situe à divers niveaux dont le premier, fondamental à nos yeux, est la conscience d'une tradition poétique, le sentiment du devoir de sauvegarder un patrimoine, voire de le féconder et de l'actualiser, la nécessité de transmettre un message.

Histoire et culture, religion et magie

Tels sont les grands thèmes de notre livre inti­tulé Mille ans de vie juive au Maroc, développés en huit chapitres racontant le judaïsme marocain et son destin, déroulant le cours de l'existence des gens, la naissance, l'enfance et l'adolescence, le mariage et la mort, les rites d'initiation, les cou­tumes et les usages, décrivant la société, ses struc­tures communautaires, la vie économique, intel­lectuelle, culturelle et religieuse, épiloguant sur son éclatement après deux millénaires d'existence et la double fidélité de la mémoire judéo- maghrébine.

Kabbale, vie mystique et magie

Venons-en au propos de notre dernier ouvrage, à cet autre mode d'expression de la pensée qui constitue la littérature kabbalistique et son envi­ronnement mystique et magique, à l'irruption du divin, du sacré et de l'irrationnel dans la vie des gens.

Voilà, pour nous, l'ouvrage qui a été le plus long à concevoir, à méditer, à élaborer et à réaliser puisqu'il a fallu plus de quinze ans pour le sortir au jour; le plus difficile à écrire. Le sujet est immensément vaste, couvrant les grands espaces de la spiritualité et de la mystique. Il est extrême­ment délicat, glissant, dérapant, conduisant sur les chemins suspects de la kabbale pratique, sur les pistes dangereuses de la magie et les terrains périlleux de l'imaginaire. La tâche a été redouta­ble. Le lecteur nous jugera sur les pièces versées au dossier.

Dans ce livre, dédié par son sous-titre au judaïsme d'Occident musulman mais qui concer­ne le monde juif méditerranéen et dans une cer­taine mesure nos civilisations d'Orient et d'Occi­dent, j'ai voulu, tout d'abord, témoigner de la présence du judaïsme d'Occident musulman maghrébin et marocain, d'origine et d'adoption, sur la scène de la mystique juive et de la création littéraire kabbalistique, à une place privilégiée, voire de premier ordre.

Les grands moments de cet itinéraire mystique du judaïsme magrébin sont marqués du sceau de la création des kabbalistes du Drâa (Sud Maro­cain), de l'héritage espagnol des megorashim, les Kabbalistes "émigrés" de la péninsule ibérique, de la kabbale des toshabim, les auteurs autochtones de Fès, Marrakech et le Tafilalet (16e/ 19e siècles), celle des compagnons et disciples maghrébins d'isaac Luria, les émules et rivaux de Hayyim Vital, à Safed, Tibériade, Hébron et Jérusalem, en Terre Sainte.

On a retenu quelques écrits significatifs et quelques figures représentatives de la vie mys­tique et de la production kabbalistique, discer­nant les liens qui les rattachent à la conscience, à la chaîne et aux traditions mystiques juives, sou­lignant l'intimité des auteurs maghrébins avec le Zohar, les oeuvres des grands maîtres de l'ésotérisme médiéval pré et post-zoharique et la littéra­ture kabbalistique universelle, examinant la ques­tion des contacts de la mystique juive et de la mystique musulmane, une approche indispen­sable à la connaissance d'un mode de pensée et de vie que privilégie spirituellement le judaïsme d'Occident musulman, s'agissant ici d'un espace de convergence socio-culturel fécond en tant que phénomène spirituel et dans ses dérapages sur la kabbale pratique et la magie, reprenant les textes, les analysant à l'occasion pour témoigner de la contribution de cette littérature au patrimoine intellectuel du judaïsme universel d'une part, de sa participation du paysage culturel maghrébin et méditerranéen, d'autre part.

On a conduit cette analyse en fonction d'axes privilégiés, le plus éminent étant la cons­cience d'une tradition mystique millénaire, et la pratique de son insertion, de son intégration, dans l'existence, dans la vie culturelle et spirituelle des gens, participant à des fins pédagogiques, halak- hiques, liturgiques, poétiques et musicales, comme à celles qui relèvent de l'imaginaire (social) et de la magie. Ces axes croisent sans cesse, et c'est là l'essentiel, la. fonction dominante de ces activités, le grand axe de la foi, de la religion et de l'éthique, le sacré et le divin faisant con­stamment irruption dans la vie quotidienne.

Insérer la mystique, l'ésotérisme et ses avatars dans la vie quotidienne, donner une dimension symbolique, cosmologique, aux plus quotidiens des gestes, aux plus humbles objets, sont des préoccupations majeures dans les couches et les cercles les plus divers de la société.

Pour finir, il convient de noter l'importance de cette littérature spécifique et de l'ensemble de la création littéraire juive pour une meilleure con­naissance des communautés, de leur histoire, de la vie des gens et de leur imaginaire social.

Toute cette littérature, il importe de la sortir de l'ombre; la tâche est difficile, voire ingrate. Nous l'avons entreprise parce qu'il nous semble y avoir été préparé par notre formation, notre expérience et la pratique que nous avons des sociétés magrébines.

Notre plus vive satisfaction, disons notre fierté est d'avoir pu restituer sa dignité au judaïsme maghrébin, de "rendre la couronne de sa gloire" au patrimoine culturel qu'il a élaboré au cours des cinq derniers siècles, de témoigner de l'effer­vescence intellectuelle et mystique, de l'atmos­phère de spiritualité optimiste qui ont régné au coeur des élites lettrés, comme au sein de la masse de leurs fidèles, engendrant une culture originale qui est une part importante du patrimoine intel­lectuel de leurs pays d'origine ou d'adoption et du judaïsme universel tout entier.

LA TORAH ET SON ETUDE DANS LE HESED LE- ABRAHAM DE ABRAHAM AZULAI Roland Goetschel

LA TORAH ET SON ETUDE DANS LE HESED LE- ABRAHAM DE ABRAHAM AZULAI

Roland Goetschel

  1. Abraham Azulaï (1570-1643) né à Fès et qui vécut après 1613 en terre d'Israël figure parmi les personnalités les plus représentatives en ce qui concerne la transmission des idées et des doctrines qui se sont élaborées à Safed en particulier en ce qui concerne la kabbale de Moïse Cordovero mais aussi pour ce qui est de certains enseignements d'Isaac Luria. Parmi les thèmes abordés dans son Hesed le-Abraham, A. Azulaï consacre plus d'une vingtaine de pages à exposer ses vues con­cernant la nature de la Torah et la signification de son étude. Cela tant en ce qui concerne la destinée de l'individu que pour ce qui est de l'économie du peuple juif telle qu'elle apparait à son regard.

DE L'ESSENCE DE LA TORAH

Il aborde la question par deux considérations préliminaires. La première utilise le vocabulaire de l'ontologie pour mieux faire pièce à la philoso­phie de ses contemporains. Il déclare en effet que Dieu a créé la nature de l'existence conformément à sa volonté et non par nécessité et qu'il a fait accéder les essences à l'existence, on croirait entendre Leibniz, selon l'optimum de perfection possible. La diminution dans leur perfection provient d'elles-mêmes car c'est conformément à la disponibilité des étants que son épanchement et son essence se trouvent en elles. Si Dieu éloigne sa lumière et son épanchement d'elles, cela est dû à l'absence de leur disponibilité à son égard. La transcendance cherche elle toujours à conférer aux êtres le bien le plus achevé possible. A partir de là, Azulaï évoque la théurgie kabbalistique puisqu'il avance que les yihûdîm, les unifications, et la mise en liaison, qishûr, des mondes leur procurent ce souverain bien auquel ils aspirent et qu'inversement en leur absence l'épanchement divin s'écarte d'eux comme cela est attesté en maints endroits du Zohar. Puis il évoque la quad­ruple division des mondes. Le premier d'entre eux, celui de l'Atsilût, de l'émanation, reçoit la lumière de l'Eyn-Sôf sans écran, ni vêtement comme l'âme qui se répand dans tout le corps, les dix sefirôt sont le revêtement de cette lumière. Cela n'est pas le cas du restant des mondes auquels la lumière parvient à travers un écran et un vêtement. Le second monde dénommé monde du trône, 'ôlam ha-kissé, comprend également dix entités qui revêtent les dix précédentes et elles reçoivent la lumière de l'Eyn-Sôf par l'intermé­diaire des dix entités de 'atsilûî. Le troisième monde est celui des anges, 'ôlam ha-mal'akhîm, ceux-ci reçoivent la lumière de l 'Eyn-Sôf par l'in­termédiaire des deux écrans que constituent les deux mondes qui le précèdent. Le quatrième monde est celui des âmes 'ôlam ha-neshamôt, qui enveloppe le monde des anges et ces dernières reçoivent en bas l'influx de la lumière de l'Eyn-Sôf par la médiation du triple écran des mondes qui le précèdent.'

Dans son second préliminaire, Azulaï établit une correspondance entre les êtres du monde infé­rieur et ceux du monde de la création, de la forma­tion et de la fabrication. Deux genres englobent trois mondes, c'est le cas des végétaux et des ani­maux. Par le sacrifice et l'encens qui incluent ces deux genres, les trois mondes en question se trou­vent reliés l'un à l'autre et unifiés. Pour ce qui est du genre humain, il est le seul à englober les quatre mondes, celui de l'émanation compris. De là découle qu'il est le seul à unifier les sefïrôt de l'émanation à travers son intentionnalité, sa kawwanah. C'était là la nature du culte pratiqué par le prêtre en offrant adéquatement l'encens ou le sacrifice, sinon ces actes viennent à l'inverse nourrir les qelipôt, le côté du mal. L'homme est dans chacun de ses actes cultuels placé devant l'option: s'ouvrir à la sainteté ou au contraire laisser le champ libre au mal.

Si chacun des préceptes est à l'origine d'une hit'ôrerût, d'un effet théurgique, il y a cependant une supériorité de la Torah sur "l'éveil" suscité par les préceptes: car les puissances extérieures, autrement dit les forces du mal, peuvent avoir une prise sur l'effectivité des mitswôt, car si l'homme a commis une faute, celle-ci fera obstacle à l'effecti­vité du précepte conformément à la maxime des Sages: "Le péché éteint le précepte mais n'éteint pas la Torah". En langage kabbalistique, la flamme du précepte qui est comparé au lumignon peut être éteinte par la faute car les préceptes sont du niveau de Malkhût sur lequel le mal est capable d'étendre son emprise, ce qui n'est pas le cas pour la Torah qui se situe au niveau de Tif'eret. C'est tout à l'inverse le péché qui se trouve aboli par l'éveil que provoque l'étude de la Torah laquelle permet que le monde subsiste. Il rapporte égale­ment au nom de R. Isaac Luria que l'étude de la Torah est préférable au jeûne.

LA TORAH ET SON ETUDE DANS LE HESED LE- ABRAHAM DE ABRAHAM AZULAI Roland Goetschel

L'homme n'aura accès au monde des âmes qu'Azulaï identifie avec le monde à venir que par l'étude de la Torah. S'il ne s'attache pas à celle-ci, il sera condamné à l'exil ce qui sur le plan de l'individu signifie le gilgûl, la transmigration simultanée des trois modalités de son âme (nefesh rûah, neshamah) car l'âme serait remplie de honte dans l'au-delà si elle y parvenait entachée par ses fautes. 11 en va de même sur le plan de la collecti­vité. La cessation des trois exils ne s'obtient que par le mérite de l'étude de la Torah. S'attacher à la Torah c'est donc adhérer à l'arbre de vie qui est Tif'eret et du même coup à la Shekhinah qui dès qu'elle aperçoit quelqu'un s'attacher à la Torah, bondit sur lui pour le faire adhérer à Tif'eret. Cela à la condition que cette étude soit bien lishmah, désintéressée car une étude intéressée se retourne contre celui qui la pratique et va à l'encontre de la debeqût. Azulaï nuance cependant son propos en ce qui concerne celui qui étudie en vue de s'enri­chir en évoquant l'adage talmudique: "A travers l'intérêt, on parviendra au désintéressement"; l'écorce n'est pas ici trop dure, il est susceptible d'accéder à la sainteté.

La texture de la Torah est composée de ses lettres, otiot, qui procèdent de Binah, de ses voyelles, neqûdôt, à partir de la lumière de la Hôkhmah, de ses neumes, te'amîm, issues de la lumière de Keter qui sont les principes de tout le régime des sefirot. La Torah est donc en ses décrets l'expression de la volonté de Y'Eyn-Sôf qui déclare à Israël: agissez de telle ou telle manière et vous vous réjouirez, mishta'ashe'îm, devant moi et ne faites pas ceci ou cela de façon à ne pas être à l'origine de l'éloignement du délice et du plaisir, shaashua we-hahesheq. C'est cela le mystère de la Torah que réellement le vouloir de 1' 'Eyn-Sôf se dévoile à nous pour nous faire voir ce qui est plaisir; la quiddité de la Torah, c'est réellement son délice! On voit qu'Azulaï reprend ici à son compte le motif de la Sh'ashû'a si important chez Cordovero puisque ce motif s'applique chez l'au­teur du Shi'ûr Qomah et du 'Elimah Rabbati au premier mouvement dans Y'Eyn-Sôf qui conduira à l'émanation de même que dans le Pardes le même terme désigne déjà la dilection ressentie dans le divin à la suite de l'action des justes sur la terre lorsqu'ils s'attachent à la Torah.

Evidemment la Torah ne se présente pas en haut sous la forme où elle a été remise en bas à, Moïse. Là-haut elle se présente avec le caractère d'immédiateté et de globalité qui est celui de l'ab­solu. Azulaï utilise l'image du hôtam, du sceau par lequel tout est inscrit sur le champ. Les délices font un à ce niveau avec le sceau. Il n'en est pas de même pour les hommes en bas qui reçoivent la Torah sous forme de préceptes qui ne sont que les extrémités des fils issus de la flamme de la Torah d'en-haut. La parabole dont Azulaï use ici est celle de la Torah dont le chef est enfoncé au niveau du plus intime des principes lesquels illuminent à partir de V'Eyn-Sôf qui se diffusent dans les sefirot et qui parviennent dans la dernière entité qui est Malkhût, c'est à dire la Loi Orale qui nous a été offerte. C'est cependant la spécificité de la Torah que ce qui est à notre portée se trouve uni à ce qui atteint l'extrémité d'en-haut. C'est pourquoi nous avons la capacité par nos actions de remuer les sefirot, d'y provoquer des délices selon ce que nous provoquons au niveau des extrémités des fils qui sont entre nos mains dans l'accomplissement de la Torah et des préceptes. La Torah est donc définie par Azulaï comme ce médium, comme cette chaîne qui relie l'homme à Dieu, dont une des extrémités lui a été confiée pour qu'il en fasse bon usage pour agir au niveau de l'autre extré­mité, c'est à dire qu'il provoque la sha'ashua ou une ni'nu a dans le monde divin.

C'est pourquoi la Torah ne saurait être incluse dans l'ordre du créé. Car s'il en était ainsi nous n'aurions pas la capacité de provoquer une action au niveau des entités. Alors que le restant des créations procède d'en-haut par voie de hishtal- shelût, c'est à dire par un enchaînement causal qui rejoint graduellement notre bas monde, il en va autrement pour la Torah qui nous rejoint immé­diatement par la voie du dîlûg, par un saut ou un enjambement. La Torah a sauté directement vers nous à partir de Y'atsilût et c'est la raison pour laquelle les sages utilisent à son propos le terme de don, de matanah qui implique un rapport immé­diat et non pas une relation impersonnelle selon l'ordre de la nature. Par ce don, nous sommes en mesure de faire que l'objet de notre culte soit réellement le yihûd, l'unification; c'est à nous en bas qu'incombe le réveil qui entraînera l'union d'en haut.

La Torahet son etude dans le Hessed le Abraham de Abraham Azulai-Roland Goetschel

Azulaï reprend également, quasi mot à mot, les idées de M. Cordovero sur le langage. Le langage de la Torah n'est pas le résultat d'une convention. Les lettres de la langue sainte recèlent une spiritu­alité intrinsèque et elles se rapportent par leur configuration matérielle à l'intrinscité de leurs âmes. Chacune en sa particularité renvoie à telle ou telle modalité de la sefirah d'où elle procède. Pour chaque lettre, il existe une forme spirituelle, une lumière éminente émanée de la substance des sefirot laquelle descend de degré en degré le nexus sefirotique jusqu'à ce qu'elle revête la forme sen­sible. L'expression de ces lettres sur les lèvres réveille la spiritualité qui est en eux. Le souffle de la bouche fait donc que les formes saintes s'élèvent et se lient à leurs racines qui sont le principe de l'émanation. Cela est également valable pour l'éc­riture: la spiritualité repose sur les lettres même écrites comme le montre le caractère de sainteté accordé au rouleau de la Torah. Les lettres écrites sont aux lettres prononcées par la bouche dans le rapport du corps à l'âme mais les lettres articulées sont elles mêmes considérées comme matérielles en égard aux lettres qui sont l'objet de la pensée méditative du mystique d'Israël! A plus forte rai­son cela est-il davantage vrai encore lorsque s'opè­re la combinaison des lettres en mots et ainsi à l'infini, Azulaï évoque l'exemple d'un mélange d'aromates dont chacune respirée à part ne pro­duirait pas le même effet. C'est à partir de ces potentialités du langage que devient intelligible l'évocation des noms divins ou angéliques hazkarat shemôt et l'intentionnalité de la prière, kawwanat tefilah. C'est à ce mystère des hiddûshîm introduits par les permutations des lettres que fait allusion l'énoncé des sages d'après lequel Dieu renouvellera dans l'avenir la Torah pour Israël comme l'a fait R. Simon bar Yohay pour les per­mutations du mot Bereshit dans les Tiqqûney Zohar.

Alors que les permutations d'aujourd'hui sont relatives au monde corporel, celles du futur le seront relativement aux choses spirituelles. Ce qui permet à Azulaï de faire part de ses vues eschato- logiques: lorsque, après le sixième millénaire, l'homme retrouvera le corps qui était celui d'Adam avant la faute, la connaissance des mystè­res de la Torah dans son sens caché sera dévoilée à tous et chacun entendra les merveiîles de la Torah en ses permutations occultées. Tout le monde s'apercevra que la Torah était revêtue d'un vête­ment matériel réellement comme l'homme. De même que celui-ci se revêtira d'un vêtement subtil, de même la Torah s'élèvera à partir de son revêtement corporel et sera saisie en sa spiritualité à des niveaux toujours plus profonds et ils conser­veront ce vêtement là jusqu'au moment de la résurrection. Ils seront alors purifiés et ne feront plus retour à la poussière, on reconnaît ici l'écho des polémiques anti-maîmonidiennes des kabbalistes, et ils entendront dans ce vêtement intrin­sèque. Et ce vêtement servira de moyen de grande élévation pour l'année sabbatique, lors du sep­tième millénaire à ceux qui se relèveront de leur corps. Ainsi, ici l'école de Cordovero s'oppose nettement aux vues exprimées dans le Sefer Temûnah, la Torah demeure-t-elle immuable mais c'est la saisie qu'en prend l'homme qui varie selon sa nature propre.

Il découle de ce qui précède que même si l'homme ne comprend pas tout ce qu'il étudie ou s'il en oublie une partie ce qu'il aura fait ne sera cependant pas vain et il lui sera octroyé la récompense correspondant à son effort. Mais la récompense n'est évidement pas la même pour celui qui en est resté à la lettre du texte et pour celui qui aura atteint l'intelligence de son sens spirituel à partir de la permutation des lettres par lesquelles ont été créés les cieux et la terre dans le gilgûl ha-malbûsh qu'évoque le Sefer Yetsirah à partir duquel on peut créer des mondes. Dans le futur, les justes seront en mesure de se hisser à ce degré pour permuter les lettres du tétragramme et des autres noms divins.

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai Roland Goetschel

  1. Azulaï reproduit ensuite presque mot à mot la première des dix considérations sur la nature de la Torah que R. Moïse Cordovero avait introduit dans son commentaire sur le Ra'ya Mehemna sous le titre de Heleq Simhat ha-Qatsir et dont Berakha Sack a fourni une édition critique. Il y est avancé que la sainteté se revêt de dix vêtements qui sont les dix écorces extérieures lesquelles sont à la sainteté ce que le singe est à l'homme. De même que ces dix degrés sont récapitulés dans les quatre lettres du tétragramme qui expriment les quatre modalités du régime: Hesed, Dîn, Raha mim et le Klal, de même les forces extérieures, celles du mal, se subdivisent en quatre qui sont 'Awôn, Mashhît, 'Aph et Hîmah d'après Ps. 78, 38, lesquelles se trouvent placées en antagonistes de Mikhaël, Gabriel, 'Ouriel et Raphaël dont la place est pour Cordovero dans le monde de Yetsirah au niveau du Heykhal Raison. Ce rapport de type quartenaire entre la sainteté et l'impureté trouve son symbole dans la contemplation de la noix induite par le verset (Cant. 6, 11): "Je suis descendu au verger des noix" Les quatre parties de l'amande correspondent aux quatre principes de la sainteté qui se trouvent revêtus des quatre enveloppes. Chaque qelipah est différente: la première est tendre mais la seconde est dure comme la pierre; la troisième est aussi mince que subtile cependant que la quatrième correspond à l'éther subtil entre les trois écorces et l'amande, elle est ténébreuse et allongée et se trouve à l'ori­gine de notre exil amer et qui se rallonge. Même Moïse craignait la dernière des écorces. En consé­quence de quoi tous ceux qui sont advenus dans le monde inférieur se revêtent de matière, conformé­ment à la faute du premier homme car ils sont asservis et sont réellement recouverts par les qua­tre écorces mentionnées, par la peau du serpent, entendons l’emprise de la matière. Les trente-neuf malédictions les dominent, infligées à Adam et Eve, au serpent et à la terre eux aussi homologues des quatre écorces.

Le monde restera asservi à elles jusqu'aux temps bénis où elles seront abolies. C'est la raison pour laquelle la sagesse divine a décrété qu'elle se répanderait jusqu'aux êtres d'en-bas et que sa Torah se revêtirait également de ces quatre écor­ces. Car si la Torah ne s'était pas revêtue de ces vêtements, il n'eut pas été possible que l'homme descendit vers le monde inférieur car ce monde est plongé dans l'abîme des qelipôt. Comment une réalité spirituelle descenderait-elle en bas sans ces quatre vêtements là? C'est pourquoi la Torah des­cend revêtue de ces quatre vêtements. Et de même que l'homme se trouve plongé et revêtu d'elles et qu'il brise les écorces par la substance de son âme pour s'élever de la fange vers la lumière resplen­dissante qui était sienne avant sa faute et c'est là le but du service d'adhérer à la divinité et de se dévêtir de ces vêtements sales, de même l'homme a vocation de permettre à la Torah de se déba- rasser de ses vêtements et de briser ses qelipôt et de méditer sa profondeur et sa spiritualité cachée. C'est ainsi que s'opère le retrait de l'âme. La pre­mière écorce se conquiert et se brise aisément mais on ne le peut pas pour la seconde et à plus forte raison pour la troisième et la quatrième. Briser la seconde écorce, celle représentée par l'intelligibi­lité de la halakhah, se présente comme une tâche infinie qui ne pourra être consommée qu'avec l'achèvement de l'exil, comme l'indique Isaïe 29, 14: "C'est pourquoi je vais continuer à lui prodi­guer des prodiges si bien que la sagesse des sages s'y perdra et que l'intelligence des intelligents se dérobera", que les Sages entendent comme signifi­ant qu'il n'y aura plus un seul lieu où la halakhah se trouvera tranchée de manière claire. Ce ne sera que lorsque le monde sera sorti de son asservisse­ment que Dieu brisera et abolira entièrement les écorces. Alors on entendra la Torah sans aucun revêtement extérieur. C'est là le mystère de la Torah que Dieu va renouveller dans le futur, non pas que Dieu aille changer sa Torah contre une autre Torah, fût-ce-même à un fil de cheveu près. Comme pour écarter à l'avance toute ten­tation d'antinomisme, il est répété que la Torah ne sera pas changée, que ce ne seront que ses écorces qui seront brisées et que l'on goûtera la Torah en son amande, en un mode de compréhension d'une douceur et d'une suavité infinie.

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel

On ne peut ne pas être frappé de la structure finalement très gnostique de ces considérations, qu'il s'agisse du dilûg par lequel la Torah rejoint l'homme en court-circuitant la hiérarchie des mondes en jouant la fonction du messager dans les systèmes gnostiques, qu'il s'agisse du dualisme posé entre le domaine de la sainteté et celui des qelipôt. Cela vaut aussi pour le monde inférieur plongé dans l'abîme des écorces et dont l'homme ne peut se sauver qu'en faisant retour à Dieu. Il en va de même lorsqu'il est question de l'anéan­tissement de ces écorces. C'est pourquoi, on en arrive à énoncer une opposition entre la Torah du temps de l'exil et la Torah du temps de la rédemp­tion même et surtout si l'on cherche à neutraliser l'antinomisme latent que cette distinction recou­vre.

  1. Azulaï rapporte également la seconde de ces préfaces de M. Cordovero où celui-ci répète que la Torah est la substance de l'émanation spirituelle d'en-haut qui se répand vers les êtres inférieurs. Son mode de saisie étant divin, elle ne pouvait être appréhendée par les êtres inférieurs en dehors du truchement de la prophétie à l'opposé des sciences de la nature dont l'intellect situé dans un corps saisit les principes à partir des données de la sensibilité, c'est la raison pour laquelle la dénéga­tion de la prophétie signifie la dénégation de la religion. Ce qui explique qu'au moment du don de la Torah tous les israëlites se hissèrent au degré de la prophétie. L'émanation dont il a été question est celle de Tif'eret à sa source en Hôkhmah par le canal de L'implicite, le non appréhendé de la Torah s'origine précisément à ces niveaux-là. C'est en tant qu'expression de l'ensemble de l'é­manation d'en-haut qu'elle parvient ensuite en bas en se revêtant à chaque niveau. Les ramifications d'en-haut
  2. s'incorporent dans les préceptes qui ont une nature mixte à la fois spirituelle et corporelle. Cette réalité transcendante de la Torah n'est saisie que par les âmes de Y'Atsilût, comment ne pas songer ici encore aux "pneumatiques" des écrits gnostiques! Et lâ également il y a des degrés, puisque la neshamah provenant de Binah appré hende la Torah d'une manière subtile, rûah, issue de Tif'eret également mais moins que neshamah et que nefesh venant de Malkhût soit inférieure dans sa saisie du subtil à rûah. Ces trois niveaux se retrouvent également dans les trois mondes qui suivent celui d"Atsilût. Selon la personne ou le temps d'histoire, c'est telle ou telle permutation des lettres de la Torah qui se donne à être saisie. Ainsi le verset (Dt. 22.18): "Lô TiLBaSH SH'aT- NeZ" n'eut pas été écrit sous cette forme si Adam n'avait pas revêtu la peau du serpent, chair et poussière trouble. Car en quoi un vêtement fait d'un tissu mixte de lin et de laine conviendrait-il à une âme spirituelle revêtue d'un vêtement spiri­tuel? Mais il était écrit antérieurement à la faute les mots suivants: "Lô TîLBaSH SaTaN'oZ", c'est à dire un avertissement à Adam de ne pas échanger son habit de lumière contre l'habit fait de peau de serpent, autrement dit les qelipôt qui sont désignées comme la force de Satan. Et c'est de cette manière que nous ont été donnés les autres préceptes, au niveau d'êtres pourvus d'une enveloppe matérielle. De même qu'il n'était pas possible de saisir l'essence de la corporéïté avant la faute du premier homme, et ce qu'elle sera après la résurrection, de même il nous est impossible d'appréhender la réalité de la Torah d'avant le péché d'Adam ou celle d'après la résurrection sinon par une faible allusion comme celui qui voit une lumière comme à travers le chas d'une aiguille. Dans tous les cas en ce qui concerne les dînîm simples, les règles d'application, il n'existe pas de qelipah. Les prophètes et les sages sont venus à bout de cette écorce-là. Lorsque vien­dront Moïse et le prophète Elie ce ne sera pas pour changer la Loi mais pour répondre aux doutes et aux points qui demeuraient irrésolus dans le Tal- mud. Ce n'est que la seconde écorce qui n'a pu être entièrement brisée, d'où découle que nous ne sai­sissons sur le plan de la kabbale qu'une infime partie de l'ensemble. Quelquefois le sens ésoté­rique interfère avec le sens littéral comme dans le récit du rapt de Sarah par le Pharaon qui fait allusion au mystère de l'exil de la Shekhinah, le sens ésotérique fournit la clef de compréhension pour la descente d'Abraham en Egypte. 11 arrive que tout le passage relève de l'occulte comme dans le cas de mort des rois d'Edôm (Gn. 36, 31-39) dans Y'Idra et d'autres du même genre où les signifiants se dépouillent du revêtement du sens obvie en direction du spirituel. Dans ce cas, il y a recours à la parabole, car le contenu visé est si subtil qu'il serait autrement insaisissable pour notre faculté de connaître. Dans l'avenir, cette écorce et les autres seront totalement brisées et la réalité de la Torah en ses mystères nous sera éclaircie sans  médiation. L'intellect s'élevera à l'intelligibilité d'une réalité dont nous ne pouvons avoir idée aujourd'hui

Voir La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Aulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Amipage23-24

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel.

L'ETUDE DE LA TORAH AU NIVEAU DU VECU

En dehors de ces considérations théoriques, Abraham Azulaï entreprend une description qui est également une classification des différentes manières dont les gens se rattachent à la Torah .

Il en emprunte la trame métaphorique au Psaume 104, 25-26. Dans l'océan grand et vaste dç ceux qui s'attachent à la Torah , il existe quatre niveaux du moins élevé au plus élevé:

Il y a d'abord la grande masse du peuple de Dieu qui s'attache à l'étude de la Torah , tous les petits en Israël, chacun selon sa mesure qui sont comme les poissons dans la mer "qui remuent innombrables".

Le deuxième groupe est formé de ceux qui ont augmenté leur savoir en matière de Torah par rapport aux premiers, allusion étant faite à cette différenciation par "des animaux petits et grands". C'est là que se situent les élèves des Sages qui à travers le dialogue s'efforcent de creuser et d'élar­gir son sens. Leurs âmes sont dans le mystère du dévoilement de la sefirah qui est dénommée Léviathan.

Le troisième cercle correspond au mystère du Léviathan c'est à dire au mystère du plaisir, de la sha'ashû'a qui est procurée à Dieu lorsque l'on se préoccupe des enseignements ésotériques. A lui correspond l’énoncé des Sages: “Dans l’avenir Dieu exécutera une danse pour les justes et sera parmi eux dans le jardin d’Eden”. Le mystère de la danse doit être entendu comme signifiant que toutes les âmes seront rassemblées ensemble avec la visée de l’unité d’en-haut à propos du sujet sur lequel portera l’étude dans le mystère qui sera dévoilé dans l’avenir.

Les gens qui forment le quatrième groupe sont ceux qui ne sont pas versés dans l’étude. Ils sont comme “les bateaux qui vont et viennent sur la mer”: ils n’entendent que le sens manifeste, ne descendent pas dans les profondeurs. Ils mar­chent de manière assurée, sans crainte du peu d’intelligence qu’ils ont acquis de la Torah . Il y a là probablement une critique des tenants du seul sens littéral.

 Une dernière distinction a trait à l’intention des personnes dans leur rapport à la Torah . A ceux qui permettent aux autres d’étudier s’applique le verset de Prv. 3, 18: “Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’en saisissent”, et ils sont proches de ceux qui étudient dans l’intérêt du ciel… Puis viennent ceux qui s’y rattachent en vue d’une rétribution dans ce monde-ci et dans le monde qui vient, intérêts et capital! Ensuite, on a affaire à celui qui n’attend pas de salaire du monde à venir mais étudie pour un salaire, pour les honneurs en ce monde, pour qu’on l’appelle Hakham, Rabbi, pour que les gens le louent et l’honorent, ce qui le réconforte! La dernière catégorie est celle de ceux qui ne soutiennent les étudiants en matière de Torah mais qui sont préoccupés de fournir les moyens pour triompher de l’idolâtrie.

Abraham Azulaï nous fournit donc ici un tab­leau nuancé des motivations diverses de ceux qui étudient ou soutiennent l’étude, tableau qui com­porte également une critique discrète de l’estab­lishment rabbinique.

Notre kabbaliste se mesure également avec un des problèmes qui fait débat dans son envi­ronnement: quelle place accorder dans le cadre de l’étude de la Torah au pilpûl? La réponse est que de même que pour rendre le blé comestible, il faut prendre la peine de le battre, de le moudre, de le cribler pour séparer le froment de l’enveloppe, de même le pain de l’étude se trouve-t-il revêtu par les écorces. Aussi est-il nécessaire de le bluter et de le moudre pour que l’âme ait une jouissance de ce pain. Comme l’ont affirmé les Sages: “L’étude de la Mishnah est une vertu pour laquelle on a droit à une récompense, il n’est pas de rétribution plus grande que pour l’étude du Talmud”. Car un mets pour l’âme où le son demeure mélangé à la farine peut-être nocif à certains égards pour le corps, ainsi en est-il pour l’étude de la Mishnah sans en résoudre les difficultés. Le Talmud est un mets de farine pure où les difficultés ont été éluci­dées, après que l’on se soit donné la peine de se donner du mal.

Tous ne sont pas égaux dans ce domaine. Il y a d’abord ceux qui ne sont encore que des apprentis épisodiques en matière de pilpûl. Puis viennent ceux qui à des degrés divers s’adonnent au pilpûl et formulent des arrêts. Parmi eux, certains énon­cent des jugements à partir d’un verset mais il demeure des questions en suspens. D’autres s’in­terrogent et détruisent mais réparent ensuite et répondent aux questions. En posant des ques­tions, ils brisent les qelipôt et édifient une rési­dence pour le Roi et la Matrônîtâ.

Au troisième rang figurent ceux qui se servent de la Mishnah, ceux-là parachèvent le corps de la Matrônîtâ, ses habits et ses ornements en vue de l’unir à Tif’eret. Enfin, il y a ceux qui comme les maîtres de la Mishnah sont capables d’innover en matière de halakhah par l’explication, par le mid-rash de l’Ecriture, à partir de ce qui a été transmis en matière de middôt, de règles herméneutiques. Ces derniers s’attachent eux à la substance du corps de la Shekhinah. Mais ils ont besoin que Dieu acquiesce à leur décret pour que la halakhah soit fixée selon la majorité et d’après le motif: “Mes enfants m’ont vaincu” comme il en est fait allusion dans le Tiqqûnîm.n

Mais au-dessus de toute cette hiérarchie figu­rent des modalités d’attachement à la Torah et du service plus dignes de louanges que toutes les autres, ce sont celles qui repoussent loin d’elles la rétribution des préceptes dans ce monde-ci qui ne désirent que la pauvreté et les épreuves que procurent la Torah. Ce sont les vertus de ceux qui s’y attachent dans l’intérêt du ciel, le-shem sha-mayîm, au nom du Saint-Béni soit-Il et de sa Shekhinah exclusivement.

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Ami

 

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Ami-

Abraham Azulaï considère donc avec Cordo­vero. dont il reprend également la troisième pré­face du Sefer Simhat ha-Qatsîr, le pilpûl comme indispensable pour séparer le saint du profane et c’est pourquoi l’homme est à la limite passible de mort s’il est capable de se livrer à cette activité et s’en abstient. On est loin de la critique acerbe du pilpûl que l’on trouve dans certains passages des Tiqqûnîm et du Ra‘ya Mehemna. C’est après qu’il se sera livré à ce travail préalable qu’il accé­dera à l’intériorité de la Torah. Ainsi le pilpûl n’est pas considéré comme se suffisant à soi-même mais comme la condition préalable et indispensable à la debeqût.

“Saches que la Torah est l’essence de l’émana­tion qui s’étend. Elle est l’invention divine pour faire adhérer l’homme à ce qu’il y a de divin, pour purifier les âmes en vue de la lumière de la vie, de la vie authentique qui est l’adhésion à son Dieu dans ce monde-ci et à plus forte raison dans celui qui vient”.

Mais cette adhésion ne s’obtient qu’à la condi­tion qu’il n’y ait plus d’écran qui fasse séparation entre l’homme et la Torah. Les qelipôt sont comme une plaque de fer qu’il convient de briser si l’homme veut combler le désir d’amour fiché en son coeur en vue d’adhérer à Lui. S’il accomplit cette tâche, il parviendra à l’extrême adhésion, savoir le grand esseulement, ha-hitbôdedût ha- gedôllah, qui le rapproche sans que rien ne s’in­terpose entre lui et son créateur.

Un autre problème débattu parmi les lettrés de l’époque est celui du hiddûsh, de la nouveauté, notion qui pose évidemment le problème des rap­ports entre la tradition et l’innovation, entre le passé et le présent. Azulaï rappelle d’abord que la Torah est revêtue de vêtements en bas. Or il existe dans la Torah de grandes lumières, ses mystères parmi lesquelles certaines sont encore occultées jusqu’à ce jour. Lorsqu’il existe dans le monde des hommes susceptibles d’innover dans les mystères de la Torah c’est de là que cela procède. Le hiddûsh est donc au sens étymologique du terme une découverte par le juste d’en-bas d’une lumière d’en-haut.

Il distingue deux niveaux de Hiddûshîm. Le premier niveau concerne l’interprétation des versets et correspond à Malkhût, car la Torah écrite est dans le mystère de Tif’eret et son com­mentaire dans celui de Malkhût évoqué dans le Zohar par l’expression milley de-’orayyta. Le second niveau est celui qui n’est pas au niveau du sens littéral du verset mais dans le mystère des interprétations qui sont connotées dans le Zohar par milley de-hôkhmata. Ce qui lui permet de diviser le corpus zoharique en deux parties: d’une part le Zohar qui est interprétation des Ecritures, d’autre part les Tiqqûnîm qui ressortent des mil­ley de-hôkhmata.

Toujours à la suite de M. Cordovero, on nous dit que celui qui dans le monde adhère le plus à Dieu est celui qui en a la plus grande intelligibilité. Et puisque Moïse est celui là, il est celui qui saisit la Torah plus que tous les humains. C’est pour­quoi se sont trouvés inclus à l’avance dans sa pensée tous les hiddûshîm qui surgiraient par la suite d’après ce qui a été enseigné par les sages: “Tout ce qu’un élève avancé énoncera comme nouveauté a été enseigné à Moïse”. Mais la ques­tion se pose alors: si Moïse avait voulu dévoiler, mettons les mystères de la Merkabah, n’aurait-il pas été en mesure de le faire avec plus de profon­deur qu’Ezechiel? La réponse est oui mais Dieu a dévoilé à Moïse que tel prophète surgirait pour Israël avec telle prophétie et à telle époque; et qu’à partirde l’influx dispensé par Moïse il prophétise­rait ceci et cela. Il n’a pas été permis à Moïse de dévoiler ce mystère avant la venue d’Ezechiel et par son truchement. Il en va de même pour les autres livres de la Bible aussi bien que pour les stipula­tions des rabbins comme l'erub du Sabbat. Tout ce problème est lié à celui de la temporalité. Le temps est le mystère du mouvement des sefirôt, gilgûl sefirôt. Car l’ordre des temps originel est sans fin, ni limite. Une sefirah particulière est liée à chaque moment du temps dans une modalité chaque fois nouvelle. Ainsi en va-t-il pour la Torah: les justes de chaque génération depuis Adam rajoutent connaissance sur connaissance et saisissent de mieux en mieux. Et de même pour le mystère du mouvement des âmes qui est lui aussi sans fin. Elles jaillisent et se renouvellent et cha­cune a sa part dans la Torah qu’elle enseigne à l’autre dans une harmonie et une union qui se retrouve entre les sefirôt. Dans ce grand arbre qu’est la Torah, c’est à travers chaque rameau que s’exprime ce qui est dans la racine, tous les mys­tères présents en Tif’eret où se trouvent inclus à la fois les six cent mille âmes d’Israël et les six cent mille lettres de la Torah dans une correspondance parfaite.

De même l’âme de Moïse inclut toutes les âmes et réciproquement cette âme se trouve manifestée à travers chaque âme individuelle, à travers chaque livre biblique comme le rouleau d’Esther ou chaque précepte comme Y’erub. Et cela par le lien qui unit la modalité de la Torah avec la modalité du déroulement de la modalité c’est à dire le temps d’en-haut spirituel. Ainsi s’explique que le plus nouveau soit aussi le plus ancien!

Un autre problème qui passionnait l’opinion des contemporains d’A. Azulaï était celui du maggi- disme, phénomène largement répandu dans cette génération. Il suffit de penser au maggid de Joseph Karo ou à celui de J. Taytazak. Notre auteur va évoquer le problème en ne recourant cette fois non à Moïse Cordovero mais aux vues exprimées par Hayyim Vital au commencement de son Sha’ar Rûah ha-Qôdesh. Son point de départ est que l’homme qui s’adonne à l’étude de la Torah et des préceptes crée par là des anges à la mesure de son étude. Rien n’est jamais perdu des oeuvres pies de l’homme, même pas le souffle qui sort de sa bouche, comme le déclare le Zohar.  Cela dit, tout dépend de l’oeuvre de l’homme: l'ange engendré par l’étude de la Torah l’emporte sur c mi créé par un précepte.

C’est là le mystère des maggîdîm, des anges qui révèlent aux hommes l’avenir et des mystères ésotériques. Et selon la nature de l’étude pratiquée par l’homme, son message sera entièrement véri­dique ou bien mêlé de mensonges car l’ange lui aussi peut être mélange de bien et de mal. Certains procèdent du monde de Y’asiyyah car engendrés par les pratiques, d’autres du monde de yetsirah produits par l’étude, ceux issus du monde de beri’ah le sont par la kawwanah et la pensée pure.

Le mystère de la prophétie et de l’esprit de sainteté consiste en une voix envoyée d’en-haut pour s’entretenir avec le prophète ou l’inspiré. 11 est impossible à cette voix en tant que telle de s’incorporer et de retentir aux oreilles du prophète si ce n’est en se revêtant au préalable de cette voix corporelle qui sort de la bouche de l’homme lors­qu’il étudie la Torah ou qu’il prie. Alors l’une est revêtue par l’autre, se trouve jointe à elle et par­vient à l’oreille du prophète qui l’écoute. Il arrive aussi que la voix d’en-haut se revête de la voix de justes du passé ou du présent et qu’ainsi liés, ils viennent s’entretenir avec lui et cela parce que le juste en question est à la racine de l’âme de l’ins­piré! Il existe dans la prophétie et l’esprit de sain­teté nombre de degrés modulés selon la succession qôl voix, dibbûr parole, hebel souffle. La diffé­rence entre la prophétie et l’esprit de sainteté tient en ce que dans la prophétie s’opère par la voix ou la parole du passé qu’elle soit de lui ou d’en- dehors de lui cependant que pour l’esprit de sain­teté ce n’est pas ainsi: c’est à partir du souffle du passé précisément qu’elle soit de lui ou d’autrui. Le maître de tous les prophètes est Moïse notre maître parce que la modalité de sa première voix provient de lui-même et se trouve revêtue dans sa voix d’à présent. Au premier rang des inspirés se tient le roi David qui revêt également son propre souffle du passé dans son propre souffle du pré­sent. L’autre différence corrélative est que la pro­phétie est rivée à Tif’eret, l’esprit de sainteté à Malkhût.

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  1. AZULAI COMME PRECURSEUR DU HASSIDISME D EUROPE ORIENTALE

Si l’on compare la littérature des premières générations de la hassidût d’Europe Orientale et la thématique mise en oeuvre par A. Azulaï dans son Hesed le-Abraham on ne peut manquer d’être frappé par la proximité qui se révèle pour certains enseignements entre le kabbaliste de Hébron et certains élèves du Becht. On se limitera ici à deux exemples.

Le premier concerne le problème de la kawwanah dans l’étude et la prière. Comme on l’a déjà noté, la langue hébraïque n’a pour lui rien d’une langue conventionnelle mais il existe dans les let­tres de la langue sainte une spiritualité, une intrinscécité et une vitalité qui procède du monde des sefirôt que le souffle de l’homme est suscepti­ble d’éveiller au moment adéquat. Le souffle de la bouche amène à l’être les saintes formes lesquelles s’élèvent et se lient à leurs racines qui sont au principe de l’émanation. Lorsque l’homme évoque un mot, il meut la puissance des lettres qui sont susceptibles de permuter en lui. Et en raison du mouvement de ces puissances et de leur entre­choquement de par le truchement de l’âme, en dehors de l’éveil qu’elles provoquent au niveau de leurs principes d’en-haut pour y produire cette effectivité, elles suscitent encore une réalité nou­velle, de nature spirituelle comme celle de l’ange, qui s’élève et se lie à sa racine et qui fait diligence pour réaliser son opération.

A cela vient s’ajouter la correspondance entre le microcosme et le macrocosme. Ainsi que l’écrit A. Azulaï: Ha-’adam hu’ ha-‘ôlam we-ha-‘ôlam hu ha-’adam. Il s’agit, ajoute-t-il, de l’homme dont parle le Sefer Yeîsirah. Et l’on peut apprendre ce qui est caché de ce qui est manifeste. De la même manière que l’homme se maintient dans son existence par l’inspiration et l’expiration de son souffle, de même le monde. Il existe par le mystère du souffle spirituel subtil qui réside en lui, qui lui accorde sa vie et son maintien dans la vie, il s’agit du prolongement de la Shekhinah en bas, de la divinité telle qu’elle est présente parmi les êtres inférieurs. Ainsi retrouve-t-on dans le monde, dans le mystère de sa vitalité, celle de la spiritualité d’en-haut, le rythme de l’inspiration et de l’expiration présent chez l’homme. A cela, l’Ecclésiaste a fait allusion par son Habel habalîm ha-kôl habel. L’explication en est: un souffle de ces souffles d’en haut qui procurent la vitalité au monde qui se maintient dans le souffle des souf­fles, dans un souffle qui descend et procède de ces souffles d’en-haut. Par l’étincelle de l’âme qui par­court les quatre mondes de ‘ABa Y’A, l’existence s’unit à l’existence et illumine son modèle au milieu de l’émanation. Par le souffle de cette étin­celle là qui jaillit, la voix de la Torah s’élève et perce avec force les firmaments car il vient à l’être par le moyen des mots, lettres et voix. Alors les accusateurs n’ont plus de pouvoir pour saisir ou empêcher mais lorsqu’il y a des embarras dans la Torah alors les lettres demeurent en l’air car elles sont affaiblies.

La raison en est, et Azulaï reprend ici un pas­sage ’Or Yaqar de Cordovero sur les Heykhalôt de la péricope Peqûdey, que le monde a été créé par les vingt-deux lettres de l’alphabet. Et l’énergie de ces lettres s’affaiblit et s’amoindrit en raison de l’action des êtres d’en-bas et c’est pourquoi il con­vient de les fortifier et de les régénérer. Par là on entend ce que signifie l’énoncé talmudique: “le monde ne subsiste que par le souffle des écoliers” en effet le souffle de ces écoliers qui est gros des lettres de la Torah s’élève et engendre la spiritua­lité résultant de la combinaison des lettres, les anges la prennent et l’élèvent par quoi se réalise le mystère de l’union d’en-haut. Et même si les let­tres ne sont pas combinées comme lorsque les enfants lisent aleph, beyt, gimmel, dalet un élé­ment spirituel authentique est produit, une lettre réellement sort de la bouche et cet élément spirituell s’élève en-haut.

On aperçoit dans ce beau texte que le souffle des jeunes enfants est littéralement une re­création du monde, un rite de renouvellement pour parler le language de Mircea Eliade. Mais au-delà de cette remarque et pour en revenir à l’ensemble du passage précédent, on voit que le thème fondamental en est l’action théurgique exercée par la prière et l’étude de la Torah.

L’énonciation des lettres engendre un élément spi­rituel porteur de l’intention de celui qui prie ou étudie qui va permettre à ces lettres de s’élever à travers la hiérarchie des mondes pour y rejoindre leur principe par quoi le fidèle parviendra à l’adhé­sion au divin qui en retour le gratifiera d’un épan­chement qui répondra à l’intentionnalité de sa prière ou de son étude. On retrouve globalement ce même schéma dans la conception de l’étude et de la prière qui furent instaurées dans le mouve­ment hassidique. Or l’on sait que c’est une des caractéristiques du mouvement hassidique d’a­voir placé au centre de sa dévotion l’idéal de la debeqût entendue comme prière mystique et de la torah lishmah c’est à dire d’une étude ayant elle- même comme finalité la debeqût. Cette révolution spirituelle a conduit très tôt les maîtres de la has- sidût à écarter l’usage dans la prière des kawwanôt de la kabbale lourianique. Par là s’explique un retour à un type de kawwanôt fondé sur la médita­tion des lettres de l’alphabet qui signifie nolens volens en deçà de Luria à une téurgie des lettres théorisée par M. Cordovero et diffusée par le truchement de A. Azulaï et d’autres.

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Ami

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Un second élément annonciateur du hassidisme nous parait s’amorcer par la convergence d’un certain nombre de traits qui s’organisent autour de la figure du tsaddiq ou du talmid-hakham. Ainsi l’idée selon laquelle les endroits où l’on a étudié la Torah reçoivent indubitablement un caractère de sainteté, ainsi en va-t-il des maisons d’études et de prières et tout le restant des choses qui servent d’objets de culte. Lorsque le tsaddiq s’adonne à la Torah dans un lieu donné, la sain­teté est réellement émanée à partir de son âme et ce lieu se trouve sanctifié par lui. Cela s’applique aussi au contenu de la Torah à propos de laquelle il a produit un hiddûsh car ces réinterprétations produisent en haut plus de grandeur car elles créent, comme le dit le Zohar, de nouveaux deux et une nouvelle terre. C’est pourquoi, il est convenant que la réalité de la sainteté se retrouve là car la sainteté est attachée à l’existence de son âme. Et étant donné que le tsaddiq croît en sain­teté à des moments déterminés, son âme se sou­viendra dès lors de tous ces endroits qu’il a sanctifié. Car de toutes les manières l’existence d’une étincelle de son âme en ce lieu rend possible qu’il vienne renouveller sa lumière de temps en temps. Lorsque quelqu’un s’attache aux mystères de sa Torah, la sainteté rejoint la sainteté et l’une illu­mine l’autre et ne s’écarte pas de lui. En effet cette sainteté qui se trouve éveillée par celui qui étudie dans le présent éveille la sainteté antérieure et celle-ci éveille à son tour l’âme du Tsaddiq décédé. Alors cet esprit s’illumine et s’élève en haut. Et cette lumière et ces réinterprétations qui se pro­duisent là produisent effectivement un surplus de sainteté et l’âme du tsaddiq s’y précipite car ses lèvres chuchotent dans la tombe mais son âme s’éveille et court à l’endroit des réinterprétations et trouve là ces justes occupés avec son enseigne­ment qui l’ont éveillée comme l’enseigne le Zohar

La connaturalité des six cent mille âmes d’Israël et de la Torah en Tif’eret fait qu’il y a en chaque âme une modalité unique de la Torah qui ne saurait être dévoilée par nulle autre. Tant qu’elle ne l’a fait, Dieu ne révèle pas les mystères qui concernent cette modaltié à qui que ce soit en dehors de Moïse. Quelquefois, on s’interroge là- dessus dans le jardin d’Eden alors que tel juste n’a pas encore formulé son enseignement particulier et Dieu renvoie à celui qui en sera l’interprète car c’est le lot qui a été attribué à son âme. La chose est au bénéfice de Malkhût car lorsque les israë lites s’adonnent à l’étude de la Torah et dévoilent ses mystères en-bas, par la puissance de leurs âmes ce mystère est reçu par Malkhût qui s’en pare, Tif’eret s’épanche alors et s’unit à elle en ses orne­ments. Et si Tif’eret avait dévoilé ce mystère avant que le Tsaddiq n’ait produit son hiddûsh, nul doute que la Shekhinah eut été parée à partir d’en-haut sans l’intervention des êtres d’en-bas et la Shekhinah aurait pris l’influx la honte au visa­ge. Alors que lorsque le mystère est dévoilé par le juste en-bas, la Shekhinah se lie à lui et requiert l’influx sans aucune honte. Bien au contraire elle pourra dire devant Lui: Vois comment le fils que je t’ai enfanté et que je t’ai élevé a fourni cette réinterprétation de la Torah et m’a parée de ces ornements!

C’est alors que se produit la descente des âmes des justes de leur lieu de repos pour s’unir aux justes de ce monde. En effet, les lettres spirituelles provenant de l’étude terrestre s’élèvent jusqu’au jardin d’Eden. Les justes qui s’y trouvent se revê­tent dans le mystère des lettres de la Torah d’en- bas et lorsqu’il s’agit de sujets dont ils ont traité au cours de leur existence, leurs voix descendent le long des degrés de l’être et s’unissent aux vivants.

C’est là l’union pour Dieu en sa perfection par le moyen des âmes d’en-haut et de celles d’en-bas.

Ici, le motif du hiddûsh se trouve conjugué à celui du tsaddiq à travers la doctrine des six cent mille visages de la Torah. Le juste d’en-bas permet à la Shekhinah de s’unir à son Epoux et se trouve justifiée en ses enfants. Autrement dit, l’ac­tion des justes procure le mérite qui convient pour la création sans qu’elle ait besoin de faire appel à la grâce de Dieu. Les justes d’en-haut et ceux d’en-bas s’épaulent les uns les autres par le moyen de l’étude dans une collaboration qui est aussi unification du divin.

Une des caractéristiques les plus importantes du hassidisme est la relation qui s’établit dans le groupe hassidique entre chaque hasidet le tsaddiq qui est le centre et le pivot de la communauté. Là encore, on rencontre déjà chez Azulaï des indica­tions en ce sens. N’enseigne-t-il pas en effet qu’au- tant un homme se rapproche de ceux qui servent Dieu d’autant il se rapproche de la vie éternelle. Et dans le détail, s’il adhère aux maîtres de l’Ecriture, il adhère au second He du tétragramme qui est revêtu du monde des ’Ofanîm. Lorsqu’il adhère aux maîtres de la Mishnah, il adhère à la vitalité qui est en Yetsirah et qui correspond au Waw. En adhérant aux talmudistes, il adhère au premier He, qui est le plan de l’âme supérieure, qui corres­pond au monde du trône. S’il peut s’attacher aux maîtres de la kabbale, il pourra mériter les trois degrés de l’âme correspondant au monde de l’émanation et il adhérera au Yôd du nom divin.

L’idée est donc soulignée avec insistance que la deheqût avec Dieu passe pour l’homme du com­mun par la deheqût avec les maîtres de la Torah , chacun selon le niveau auquel eux mêmes sont parvenus.

Le talmid hakham est appellé fils car il sert Dieu sans attendre de récompense en ce monde. Et à l’image de l’émanation qui n’a rien de cor­porel, lui non plus ne porte nul intérêt au monde corporelle. Et que doit faire l’ignorant? Il doit se rendre étui et vêtement pour le lettré en lui procu­rant la nourriture et la boisson. La raison de ce que le lettré se trouve totalement démuni de res­sources c’est qu’il correspond à Yesôd qui ne pos­sède rien en propre comme le jour du sabbat qui est entièrement spiritualité. L’âme supplémen­taire accordée le sabbat au restant des hommes est celle qui anime le talmid-hakham tous les jours de la semaine. Car par l’étude qu’il pratique dans le quotidien le supplément d’âme du sabbat se joint à lui et le sabbat il obtient encore bien davantage. Et si l’ignorant le soutient par son argent pour sa nourriture et pour tous ses besoins ainsi que pour se conduire en tous les préceptes selon sa volonté, il se trouvera par ce mérite préservé de l’ange de la mort et de la géhenne.

On ne peut manquer d’être frappé en lisant cette description de la relation entre le talmid hakham et l’ignorant par ce qu’elle a d’analogue à la rela­tion qu’établira par exemple Rav Yaaqob Yoseph de Polnoy entre le tsaddiq considéré comme tsûrah et le vulgaire identifié avec le hômer dont on sait qu’il se réfère lui-même à l’enseignement de M. Alshikh.

Un dernier trait pré-hassidique est apporté sur l’insistance que Azulaï manifeste à la nécessité pour l’homme de rendre visite à son maître lors des fêtes de pèlerinage comme l’on faisait jadis le pèlerinage à Jérusalem; et cela dans le cadre d’une conception générale de la vision où voir un grand homme c’est se mirer dans un miroir, dans l’image de l’intellect de son maître de même que le pèlerin de jadis apercevait sa forme et ce qu’il était dans la Shekhinah du sanctuaire. Là aussi, le hassi­disme saura faire sien cet antique usage réactivé a Safed dans le cadre d’un climat spirituel nouveau

Nous avons pu constater comment dans sor. approche du problème de la Torah et de son étude, Abraham Azulaï dans son Hesed le- Abraham entreprend une véritable oeuvre de propagation des idées de Moïse Cordovero sur la question en rapprochant souvent des textes qu’il emprunte à différentes oeuvres de celui-ci.

Son propos est également plein d’intérêt pour comprendre les rapports entre halakhah et kabbalah ainsi qu’entre lettrés et simples fidèles dans l’esprit des gens de l’époque.

Nous avons pu discerner enfin, combien le pié­tisme que l’on respire dans ces pages amorce des motifs et des pratiques qui s’épanouiront dans le hassidisme du Becht et de ses disciples.

La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Ami

L’exil Marocain -Dans la poesie de David Ben Hassine-André E. Elbaz

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L’exil Marocain

Dans la poesie de David Ben Hassine

André E. Elbaz

Une lecture attentive de l’oeuvre de David Ben Hassine révèle une dualité remarquable dans ses rapports avec la réalité marocaine.

De nombreux poèmes lyriques montrent que ce paytan est très sensible à la beauté de son pays natal, qu’il aime à parcourir dans tous les sens, jusque dans les campagnes les plus reculées. Pendant une randonnée au Tafilalet, il s’émerveille devant la majesté des hautes cimes et remercie Dieu de lui avoir permis d’admirer la splendeur de la “ville des palmiers”, le “spectacle grandiose” des sources, des torrents et des fleuves du Ziz ((אספר פלאיך, ח.

“Comme cet arbre est admirable!” s’écrie-t-il enchanté, passant outre l’injonction talmudique qui interdit aux sages de tels emballements esthétiques. Dans son ravissement, il nous dévoile un secret de poète: “Les sages (comme lui) comprennent le murmure des palmiers, le gazouillis des oiseaux…”. Ailleurs, David Ben Hassine chante la gloire de la nature sauvage des montagnes et des vallées, la beauté des cascades qui grondent sur les pentes escarpées, la grâce du daim, dé la gazelle et de toutes les créatures de la forêt. Il ne reste pas non plus indifférent devant le “tumulte des vagues qui enflent dans la tempête”, devant “les étendues immenses de l’océan” et “ses merveilles dans les abîmes” [לכו חזו מפעלות]

Si David Ben Hassine est ému par les sites naturels du Maroc, il est également très attaché à la communauté dont il partage la vie et les vicissitudes, non seulement à Meknès, sa ville natale, mais dans toutes les villes où ses pas aventureux l’ont conduit, que ce soit à Marrakech, Tétouan, El-Ksar ou au Tafilalet. Mais les hommes dont il parle, ses commanditaires, ses protecteurs, les notables qu’il flatte, ses amis et ses maîtres, la collectivité dont il chante les joies et les peines, ce peuple dont il se sent le porte- parole, et qui se reconnaît en lui, à en juger par la popularité dont il jouit de son vivant, ce n’est pas l’ensemble du peuple marocain, mais, exclusivement, la communauté juive du Maroc.

Ce qu’il nomme, au retour de l’un de ses voyages, “ma demeure, ma destination, mon pays”, ce n’est pas le Maroc, ni même Meknès, où il habite, mais uniquement le Mellah, le quartier juif de cette ville. Le Maroc en tant qu’entité politique, le Maroc de ses compatriotes musulmans, les “goyim”, comme il les appelle anonymement dans son oeuvre, apparaît chez lui sous un éclairage nettement négatif.

Pour David Ben Hassine, le Maroc, c’est tout d’abord la Galout, son exil, la terre d’exil de son peuple “dispersé parmi les nations” étrangères  dans une “terre lointaine” (). C’est “un pays dur” () où règne une anarchie barbare, “un pays de chaos et de désordre” (,), une “terre ennemie” () où le poète et son peuple vivent dans “les ténèbres” (). C’est un “trou infect” (), une contrée impure, indigne de recevoir la dépouille sacrée du Tsaddik Rabbi Amram Diouane). L’image la plus frappante, celle qui revient le plus souvent dans les piyoutim de David Ben Hassine, c’est celle du Maroc en tant que prison, une prison cruelle où il se voit “enchaîné, mort, brisé, captif” (), où “les fils chéris de Sion sont soumis à des tyrans cruels, prisonniers entre leurs mains, les pieds enchaînés” (,). Trois piyoutim sont spécifiquement dédiés à “ceux qui sont enfermés dans une prison” sans raison, calomniés, dépouillés de leurs biens, ne pouvant compter que sur Dieu pour les sortir de leur geôle (;).

Cette vision carcérale de l’exil marocain symbolise de façon saisissante la condition des juifs du Maroc au XVIIIe siècle, taillables et corvéables à merci, livrés à l’exploitation fiscale et à l’arbitraire de leurs maîtres. Car David Ben Hassine (1727-1792) vit dans une période tragique de l’histoire des juifs du Maroc. L’année même de sa naissance, dans l’anarchie qui suit la mort de Moulay Ismaïl, la garde noire du sultan pille, viole et massacre la population juive de Meknès: on compte 180 tués. Coup sur coup, en 1737 et 1747, le Mellah de Meknès, où vit le poète, est de nouveau livré au pillage. A ces débordements de la populace, il faut ajouter les exactions fiscales des souverains et des gouverneurs locaux, qui complètent la ruine des communautés. Ces malheurs sont aggravés par les fléaux naturels qui s’abattent sur la population marocaine: tremblement de terre de 1755, qui détruit la ville de Meknès, épidémies meurtrières de 1742-43, 1749-55 et de 1759, famines de 1737 à 1738, de 1749 à 1755 et de 1779 à 1782, qui vident les grandes agglomérations juives. Enfin, les dernières années de la vie de David Ben Hassine sont endeuillées par le règne sanguinaire du sultan Moulay Elyazid (1790 à 1792), qui met le Maroc à feu et à sang, et déchaîne sa furie sur tous les juifs. Le Mellah de Meknès est durement frappé. Tous ces malheurs ont certainement contribué à assombrir la vision du poète, qui a dû élever sa famille nombreuse dans ces circonstances difficiles, ce qui pourrait expliquer en partie l’amertume et la virulence extrême de certaines de ses imprécations.

Ainsi, ses compatriotes marocains, “nos voisins”, comme il les nomme avec sarcasme dans l’une de ses élégies, ce sont “nos ennemis, nos tortionnaires, iniques et perfides” (,), qui “m’ont frappé, m’ont blessé et m’ont fait boire une coupe débordante d’amertume et de poison” (). Ces “ennemis pervers, maudits et cruels, nous ont accablés de tourments infinis, atroces, barbares, inhumains, ont versé le sang de nos malheureux jeunes gens, intègres et purs, qui n’avaient jamais fait de mal” (). Que peut faire “l’agneau assailli par soixante-dix loups” assoiffés de sang, gémit le poète. Comment les juifs marocains impuissants pourraient-ils réagir contre ces “pillards géants et impudents” (), ces “rejetons de la race d’Amalek” à jamais maudits par la Bible (), une Bible qui reste le point de référence constant de David Ben Hassine, même dans ses épanchements lyriques face aux événements contemporains.

L’exil Marocain Dans la poesie de David Ben Hassine-André E. Elbaz

L’exil Marocain -Dans la poesie de David Ben Hassine-André E. Elbaz

recherches-i.Ben-Ami

 

Ainsi, David Ben Hassine reprend-il les accents, et meme certains versets du prophete Jeremie se lamentant sur la destruction du Ternple, pour pleurer les souffrances des siens, livres a ces bourreaux qui ne reculent devant aucune profanation, qui se moquent de l'enseignement de Dieu et foulent aux pieds les rouleaux sacres de la Thora

(אל עוברי דרך אקראה; אתה ה׳ עד מתי (

Revue des Etudes Juives, 1898), ces monstres de lubricite qui donnent libre cours a leur instinct bestial et violent sans pitie des “vierges et des femmes vertueuses” ( קול מלחמה, צב, ב-צג; בכי תמרורים, צג

Jacob et Israel sont livres aux pillards…

Des ennemis cruels, vains et pervers…

La fille de Sion… foulee aux pieds par ses tortionnaires…

Est restee comme une veuve, une femme repudiee,

Toute de noir vetue, livree a la risee de ses voisins…

Elle n'a pas trouve de repos chez les peuples etrangers…

L'ennemi a tue ses justes et ses valeureux

Comme on egorge des boeufs et des moutons.

Il lui a impose un joug cruel.

Nul ne peut lui echapper.

Que peut faire l'agneau, la chevre sans defense?…

Ses ennemis l'ont haie, ils ont vu sa nudite

Ils ont detruit ses villes, abattu leurs fortifications…

Le jour ou des etrangers sont venus par vagues suecessives,

Ils ont vole et detruit, ils ont violente des vierges pures

(קול מלחמה, צב, ב-צג) 

Bien entendu, ces references et ces emprunts aux textes bibliques, ces images stereotypees, font partie des techniques traditionnelles de tous les poetes juifs nord-africains de son epoque.

Cependant, il ne s'agit pas, chez David Ben Hassine, de simples conventions litteraires destinees a mettre en valeur sa virtuosite poetique, mais de la volonte de temoigner d'une experience authentiquement vecue. Nombre de ses piyoutim ont ete composes a l'occasion d'evenements historiques precis, dont il a ete frequemment le temoin oculaire, et dont il donne souvent les details et meme la date exacte. Le tableau de l'oppression des juifs au Maroc qu'il nous presente est confirme par les recits concordants de ses contemporains, chroniqueurs, poetes et voyageurs etrangers de passage dans le pays.

Il n’est done guere surprenant que David Ben Hassine finit par voir dans ses persecuteurs la manifestation meme de “l’Ange de la Mort” (אתה ה׳ עד מתי, ז). Vision effrayante, totalement negative des musulmans marocains, qui ne peut s’expliquer que par les souffrances inhumaines endurees par les victimes juives terrorisees.

Comme tous les lettres juifs de son epoque, David Ben Hassine ressent dans sa chair l'humiliation imposee quotidiennement a tous les siens, aussi bien par la populace que par les maitres du pays, qui ne leur permettent pas de vivre “la tete haute” (לך אוחיל רב עליליה, יד). A de nombreuses reprises, il se lamente sur l'avilissement de son “peuple ecrase” (לתורה ואל מצותה, ל, ב), “asservi, martyrise” (לצור גואלנו, לה), “miserable, meprise, couvert d'opprobre et d'ignominie” (ה׳ דבקה לעפר נפשי, ד, ב). Dans un “chant compose sur l'exil d ,Israel parmi les nations”, le poete blesse epanche son amertume devant ces “oppresseurs qui bafouent impunement mes commandements et mes lois, et qui raillent mes prophetes” (אתה ה׳ עד מתי, ז).

  1. Au XVIIIe siecle, les juifs du Maroc etaient soumis a toutes sortes d’obligations et de restrictions degradantes, comme le note Louis Chenier: “asservis et toujours humilies” (Correspondance, op. cit., p. 88), “employes aux travaux les plus vils… meprises et accables par les vexations” (p. 490). Dans ses Recherches historiques sur les Maures, Louis Che- nier precise: “Les juifs ne possedent ni terres, ni jardins; ils ne pourraient jouir tranquillement de leurs fruits; ils ne peuvent porter que des habits noirs, et il ne leur est permis de passer, que nu-pieds, aupres des mosquees, ou dans les rues oil il y a des sanctuaires. Le moindre des Maures se croit en droit de maltraiter un juif; et celui-ci ne peut se defendre, parce que la loi et le juge sont toujours en faveur du Mahometan” (Recherches, Paris 1787, vol. Ill, pp. 131-132).

Le rabbin-juge Raphael Berdugo, beau-frere de David Ben Hassine, rappelle l'usage des officiels marocains qui frappaient les juifs sur la nuque pour souligner leur avilissement (רב פנינים, Casablanca 1969, p. 189). Samuel Romanelli (op. cit.) donne egalement des exemples de l'humiliation de ses coreligionnaires au Maroc.

L’exil Marocain Dans la poesie de David Ben Hassine-André E. Elbaz

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