Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton


Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton

Epouvantés par les atrocités déjà commises, traqués et poursuivis, ils se mirent à fuir, les uns en direction du cimetière, comme le rabbin Joseph Ben Naïm et son maître le rabbin Juda Serero, complètement dévêtus, pour implorer les morts, les autres en direction du quartier excentré de Nowâwel, d'autres en direction de la Kachla de Jebala, tandis que d'autres encore trouvèrent refuge dans des maisons musulmanes avoisinantes. «Par bonheur, rappelle Hubert-Jacques, une porte nouvelle avait été récemment ouverte dans le mur d'enceinte, permettant de communiquer directement avec la route de Dâr Debibagh. C'est par cette issue que presque tous réussirent à fuir pendant que les envahisseurs s'attardaient à piller» . En fin de compte la présence de cet accès ouvert par les Français se révéla providentielle, mais selon le récit du rabbin Aben Danan, les Juifs crurent un moment qu'ils allaient être pris au piège par l'invasion du mellâh par les Arabes à travers cette ouverture restée sans porte .

Quelle course affolée! En l'espace de quelques heures toute la ville juive, naguère grouillante de vie, fut vidée de ses 12 000 âmes, fuyant la destruction et la dévastation. La mise en fuite dans de telles conditions d'une population juive aussi nombreuse nous semble par son ampleur, un cas unique dans toute l'histoire des Juifs en terre d'Islam.

Les rescapés s'enfuirent par la voie Bû 1-Khusaysât qui longeait le mur du jardin royal, pour se heurter vainement contre les portes du palais chérifien.

Bû l-khusaysât «Rue des petits bassins», en référence aux bassins qui se trouvaient dans la ménagerie du palais. Cf. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, I, Paris, 1927, p. 370.

 Massés pendant des heures dans une cohue indescriptible, les Juifs parlementaient avec les portiers, implorant la protection du sultan. Selon un Arabe proche du sultan, celui-ci, observant d'une terrasse du méchonar de son palais le spectacle de la mise à sac du mellâh aurait été ému aux larmes.

Le rabbin Salomon fils de Saul Aben Danan jadis juge rabbinique à Rabat, me confia que selon la tradition familiale il s'agissait de «larmes de crocodile»!

 Cependant, ce n'est que tardivement, vers le soir, qu'il donna l'ordre d'ouvrir l'une des portes de Dâr al-Makhzan et envoya un crieur public pour offrir aux fugitifs l'asile dans l'enceinte du palais. Selon le rabbin Aben Danan et des témoignages oraux c'est contre une grosse somme d'argent versée au portier arabe que les Juifs avaient obtenu l'ouverture d'une étroite cour .

Le palais du sultan, couvrant un espace de 200 hectares, comprenait à l'époque plusieurs bâtiments et meshwâr-s (cours), une madrasa marinide construite en 1320, surmontée d'un minaret, une cour de réception (dâr 'ayâd al-kabfra) dotée d'une qubba élégante soutenue par des colonnes, des larges places d'armes, des prisons, un bassin rectangulaire, une ménagerie, et des spacieux jardins.

Dès lors, les rescapés, dispersés dans diverses parties du mellâh, se dirigèrent vers le palais. Plusieurs milliers de Juifs se réfugièrent ce soir-là dans cette cour étroite. Pour ajouter à leur infortune, un orage éclata et une forte pluie se mit à tomber. Trempés, blessés et affamés, ils n'avaient rien mangé depuis le mercredi matin.

Le vendredi matin 19 avril, l'armée française stationnée à Dâr Debibagh, commença à canonner la ville, semant la terreur parmi la population arabe de Fès al-Bali et Fès al-Jadîd, et faisant parmi elle de nombreuses victimes.

Quelques maisons furent atteintes et le minaret de la mosquée Hamra à Fès al-Jadîd, ainsi que la tour de Bâb Jiaf où s'étaient installés des francs-tireurs maures, s'écroulèrent. Sur les toits se hérissèrent de petits drapeaux tricolores naïfs afin de détourner les tirs des canons français

«Porte des charognes», où l'on déposait des immondices. Située au Sud de la ville, elle ouvre sur un couloir qui mène à la porte du mellâh. Cf. LeTourneau, Fès, p. 101.

Dans l'après-midi du vendredi 19 un bataillon de renforts arriva de Meknès à marche forcée, ayant couvert 65 kilomètres en une étape. Ce contingent de tirailleurs de la Légion étrangère maîtrisa la situation en ville au prix d'une guérilla de ruelles acharnée. Mais au mellâh le pillage continuait.

Peut-être pour faire fuir les révoltés, certains des obus lancés du Dâr Debibagh tombèrent également sur le mellâh entraînant la destruction d'une partie de ce dernier. D'autres tombèrent aussi sur le cimetière juif faisant des victimes, dit-on, parmi les gens qui s'y étaient réfugiés. Des personnalités musulmanes de la cité demandèrent à M. Regnault, ministre délégué, d'arrêter la canonnade. Celui-ci répondit que c'était en représailles à l'assassinat des soldats français. Suite aux pourparlers la canonnade cessa. Le pillage du mellâh cessa également.

Les rescapés continuèrent à arriver au palais et le sultan fit chercher le reste des Juifs éparpillés dans le cimetière et les champs pour les recueillir au palais. Entassés le premier jour dans un parvis étroit, ils furent autorisés à occuper des vastes cours intérieures du palais et la ménagerie où les cages vides servirent d'abri aux plus fortunés. C'est du palais qu'Elmaleh put envoyer une première dépêche:

Mellah pillé durant trois jours. Ruine complète irréparable. Nombreux morts blessés. Population Juive recueillie par sultan au Palais. Remerciez télégraphiquement Sultan. Envoyez secours d'urgence — Elmaleh.

Le vendredi vers le soir, le sultan Mawlây al-Hâfid fit parvenir aux Juifs qui n'avaient pas mangé depuis l'avant-veille, du pain et des olives noires, ordonnant d'ouvrir et de distribuer les caisses de vivres qu'il comptait utiliser pour son prochain voyage. Seuls les hommes valides eurent la force d'aller prendre les rations d'un quart de pain et les donnèrent aux enfants. La faim des 12 000 malheureux put être ainsi apaisée une soirée; mais la grosse question de la nourriture d'un nombre aussi considérable de personnes restait entière pour les jours suivants.

Le samedi 20 avril, M. Regnault accompagné de ses conseillers fit une visite aux rescapés réfugiés dans la ménagerie du sultan et leur adressa des paroles de réconfort. Certains tombaient d'inanition sans qu'il fut possible de leur venir en aide; toute distribution d'argent était inutile, toutes les réserves de la ville étant épuisées. L'autorité militaire française prit en hâte les premières mesures propres à améliorer la situation pitoyable en faisant distribuer mille petits pains arabes, tandis que le consul d'Angleterre en distribua douze cents. Regnault sollicita une audience auprès du sultan dont il obtint un dâhir (décret) impérial nommant une Commission de Secours et d'Hygiène au mellâh de Fès, présidée par Sidi Muhammad Tâzi, ministre des travaux publics.

La commission prit des mesures urgentes afin de parer au plus vite aux besoins impérieux de la population réfugiée au palais. Les grands blessés furent évacués vers l'hôpital civil du Docteur Murât, tandis que d'autres furent recueillis par le consul britannique Macleod, le Docteur Verdon et des dames de la mission protestante qui les soignèrent dans une ambulance qu'elles avaient organisée. Le Dr Verdon décrit les blessures atroces subies par les victimes, dont une s'est suicidée . L'état d'épuisement psychique et physique des sinistrés ainsi que le manque de salubrité faisaient craindre l'éclosion d'épidémies. Un service d'hygiène fut créé pour procéder au nettoyage quotidien des lieux et veiller à sa propreté. Il comprenait treize membres, dont des fonctionnaires marocains, — le tâlebMuhammad Al- Mahdi al-Bannânî — et français — le vice-consul Mercier, le capitaine de génie Normand, des médecins, Weisgerber, Clunet, Raulet-Lapointe, Farhat, Broïdo et Many — ainsi que des ingénieurs français, l'architecte Tranchant de Lunel. Du côté juif, il y avait le grand rabbin Vidal Ha-Sarfati, le rabbin Salomon Aben Danan, le cheikh al-yahûd (responsable administratif de la communauté juive) et Amram Elmaleh. Un peu plus tard, la commission fut remaniée et Macleod, consul d'Angleterre ainsi que les docteurs Murât et Verdón, les pharmaciens Soudan et Meynadier, en firent partie.

Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton

Elmaleh adressa un deuxième télégramme à Paris:tritel

Mellah aux trois quarts détruit par l'incendie. Population encore au Palais. Morts 50, blessés 84. Ambassade de France distribue vivres et donne assistance médicale. Population musulmane ouvre souscription en faveur des victimes israélites. Sans réponse à mon premier télégramme, me dispose en votre nom cinq mille premier secours.

La population juive resta encore au palais le samedi, entretenue par les distributions de vivres effectuées à l'initiative de Monsieur Elmaleh. Ils grouillaient par centaines, entassés les uns sur les autres, dans de grandes cours, dans des couloirs, dans de vieux magasins, dans des écuries, sous des voûtes, derrière des portes, partout enfin où il y avait le moindre emplacement. La plupart étaient sans abri, sans vêtements, couchés sur la terre nue ou enfermés dans les cages aux lions qui leur servaient de refuge, grelottant de fièvre, pris de dysenterie et tenaillés par la faim.

124 Le télégramme original est conservé à l'AlU [MAROC XVI E 248c],

Le sultan, accompagné de ses ministres et de médecins rendit visite aux Juifs. Il s'enquit de leur état physique et mental et leur adressa de bonnes paroles en précisant que le soulèvement s'était produit à l'improviste, que les coupables seraient punis et les victimes indemnisées. Il convoqua les blessés, et en voyant leurs plaies atroces, il fut profondément ému. Il les questionna sur le nombre de morts. On en dénombra 51, dont dix-huit femmes et dix enfants, parfois assassinés avec leurs mères, ainsi que 72 blessés.

Le dimanche 21 avril, dès l'aube, une poignée de sinistrés retourna au mellâh, pour y chercher les leurs ou pour fouiller les détritus à la recherche de bribes de nourriture pour les enfants, quatre étant morts d'inanition.

Les morts furent enterrés. Le consul d'Angleterre envoya 1300 pains. Le même jour, le général Dalbiez écrivit au grand rabbin Vidal Ha-Sarfati pour présenter ses condoléances à la communauté et lui faire savoir qu'une livraison quotidienne de deux mille pains était prévue.

125 Le général Denis Jacques Victor Dalbiez (1870-1929), fut commandant d'une brigade d'infanterie d'Algérie avant de passer au Maroc en 1911 où il se signala dans les nombreux combats dans les environs de Fès et de Marrakech.

Les notables musulmans de la médina formèrent un comité de secours pour venir en aide aux sinistrés. Ils recueillirent en quelques heures 10 000 pesetas hassani, 300 sacs de blé, 50 sacs de farine et diverses denrées alimentaires. Ce geste fut qualifié par Regnault d'«un grand élan d'humanité». Certaines familles musulmanes envoyèrent des aliments à leurs amis juifs.

Le palais n'offrait qu'un refuge précaire et la commission décida de remettre le mellâh en état afin de faire rentrer les Juifs, au plus vite, dans leur quartier. M. Elmaleh s'y rendit avec M. Regnault, un architecte, des médecins, des officiers pour faire un état des lieux. Pendant plusieurs heures ils errèrent au milieu d'une ville déserte, silencieuse, pillée de fond en comble, réduite en ruines. Leurs regards rencontrèrent un effrayant spectacle de destruction et de désolation causées par le saccage, l'incendie et le bombardement. Il y eut des maisons dont toute la façade était tombée laissant apercevoir les murailles opposées et toutes les cloisons éventrées des appartements, ainsi que les séparations des étages, comme dans la coupe verticale d'un plan d'architecte. Quelques saillies marquaient seules les emplacements naguère occupés par les chambres et les étages. Toutes les portes, les fenêtres, les boiseries des maisons du mellâh avaient été brûlées ou brisées. Une fumée acre, mêlée de vapeurs chaudes, montait de cet amas de débris. Le plus violent des tremblements de terre n'eût pas composé un tableau d'horreur plus effrayant et plus lugubre (cf. A2). Naguère éclatant de couleur et de lumière, grouillant d'une activité intense, le mellâh était à présent morne et désolé, vidé de ses habitants et de ses biens. Dans la grande rue centrale qui traversait tout le quartier de la porte du mellâh jusqu'à la porte du cimetière, magasins et maisons avaient été incendiés. Des tas de débris, des poutres calcinées, et des cadavres traînant dans la boue rendaient impossible tout passage.

[1] Voir la lettre de Regnault envoyée au Quai d'Orsay: «en outre, le sultan s'est inscrit pour 10.000 PH. et ma mission pour 5.000». [Paris, AAE, CPC 221, Fès 23.4.1912], On sait que nombre de ces familles, comme les frèresTazi, étaient des descendants de convertis d'origine juive. Leurs voisins musulmans n'ont jamais cessé de le leur rappeler. Les liens de sang y furent-ils pour quelque chose dans ce geste ou s'étaient-ils émus devant le genre de souffrances qui avaient contraint leurs ancêtres à l'apostasie?

Au total, 25 immeubles abritant plus d'une centaine de familles avaient été entièrement détruits et environ un millier d'âmes étaient désormais sans toit.

Mais les pertes ne se mesuraient pas uniquement en vies humaines et en dégâts matériels. Un immense patrimoine spirituel et religieux était parti en fumée. Les synagogues avec leurs objets rituels avaient été profanées et incendiées, les bancs saccagés, les lampes à huile fracassées. Les rouleaux de la Tora qui n'avaient pas été brûlés avaient été déchirés en lambeaux, jetés dans les rues et piétinés. On déplora particulièrement la destruction totale de la bibliothèque ancestrale de la famille Serero, l'une des plus anciennes et des plus riches d'Afrique du Nord qui contenaient des milliers de livres et de manuscrits anciens (B19).

Elmaleh s'installa dans le quartier européen pour vaquer aux blessés qu'il fit transporter à l'hôpital civil de Fès al-Bâli. Deux médecins français furent mis à la disposition des victimes par M. Regnault. Le ministre se souciait du ravitaillement, des soins des blessés, de la prévention des épidémies, de l'assainissement des puits, du déblaiement des décombres et de l'hébergement des familles sans foyers.

Pendant une quinzaine de jours, jusqu'au 28 avril, tous les habitants du mellâh restèrent dans les cours du palais. M. Regnault acheta de la toile pour fabriquer des abris de fortune et l'on procéda à la distribution de nattes à joncs en guise de literie.

Paul B. Fenton-Le progrome de Fes ou Tritel -1912

התרית בפאס - 1912

התרית בפאס – 1912

Le difficile retour

Le mardi 23 avril, Sidi Muhammad Tazi, ministre des travaux publics, se rendit à la ménagerie de Bû 1-Khusaysât et réunit les rabbins et les responsables. Il leur demanda que l'on mette à sa disposition cent Juifs, qui auraient pour mission contre salaire de déblayer les ruines du mellâh. Ces hommes furent répartis par groupes de dix, chaque équipe ayant à sa tête un responsable. De plus, l'armée française mit à leur disposition une escorte militaire.

Ils commencèrent à déblayer les décombres et démolirent les structures qui menaçaient de s'écrouler. On sonda les puits pour récupérer les biens qui y avaient été dissimulés lesquels furent enregistrés en vue de leur restitution à leurs propriétaires. Pendant ces travaux l'entrée du mellâh fut interdite car il y eut des cas de pillages dans les maisons exposées. L'autorité française annonça en ville que la peine capitale sera appliquée à toute personne ayant en sa possession des biens juifs. Selon le rabbin Aben Danan, des objets avariés furent déposés dans les rues et le lendemain ils furent ramassés et transportés par des soldats à la porte du mellâh. On n'y trouva pas d'objets de valeur, cuivres ou tapis précieux. Dans leurs reportages, le Dr Weisgerber et André Meynot, envoyé spécial de l'agence Havas qui se trouvait à Fès au moment des massacres, relatèrent que l'Oued Fas charriait d'innombrables objets spoliés chez les Juifs:

La répression est difficile car les pillards jettent maintenant les pièces à conviction. L'oued Fez charrie des boîtes, des quantités considérables de tabac, et de toile. On y jette du linge, et des chaussures. Ces objets avaient été pillés dans le mellah.

Le général Moinier arriva à Fès accompagné d'un important renfort de troupes, composées de six bataillons d'infanterie et de trois escadrons de cavalerie prélevés sur la ligne d'étapes. Ils occupèrent la ville entière, divisée en secteurs, et permirent de rétablir l'ordre. Des soldats et des policiers français pénétrèrent dans la médina pour assurer la sécurité et ils commencèrent à arrêter les rebelles arabes.

Le 26 avril une prêche (khutba) fut prononcée au nom de Mawlây al-Hâfid, entre autres, aux mosquées des Qarawiyîn et de Mawlây Idrîs à l'intention des troupes chérifiennes dans laquelle le sultan réprouva la révolte contre la France:

Vous savez de quels meurtres et de quels actes de pillage ont été victimes les Européens alors qu'ils étaient nos hôtes […]. C'est contre Allah que se sont insurgés les meurtriers.

Les Juifs ne réagirent point à l'omission par le sultan de toute référence aux violences subies par eux-mêmes ou aux obligations des croyants envers les dhimmi-s.

Les travaux de déblayage durèrent une semaine jusqu'au dimanche 28 avril. Les Juifs purent alors quitter les cours du palais et, pour ceux dont les maisons étaient habitables, rentrer chez eux, bien que le déblaiement se prolongeât jusqu'au mercredi 1er mai. Ceux dont les domiciles avaient été démolis, logèrent chez leurs proches ou chez des amis.

Grâce aux secours qui affluaient de l'extérieur, les habitants du mellâh purent petit à petit, regagner leurs demeures, hâtivement remises en état provisoire, et reprendre leur vie de misère après avoir été complètement ruinés.

Cependant on lit dans la copie d'un dâhir chérifien (7 jumâdâ I 1330/25.4.1912): «Ils ont assassiné des instructeurs et d'autres personnes partout où ils les rencontraient dans les rues et jusque dans leurs maisons allant jusqu'à mutiler les cadavres et piller les effets des victimes. Puis leur acharnement s'est tourné vers les Juifs du Mellah […]. lis ont donné une preuve de barbarie et de félonie qui couvre de honte les visages» [Nantes,AAE, Direction des Affaires Indigènes, 32D] et dans une lettre du sultan en date du 24 avril: «Peu après nous apprenions que les rebelles avaient porté les mains sur le Mellah, habité par les juifs et d'autres personnes. Ces événements nous plongèrent dans la consternation et nous nous réfugions auprès de Dieu, le priant de porter remède à nos maux en sa bonté secrète» [Nantes, AAE, Légation de France à Tanger série B, 279],

Le pogrom de Fes ou Tritel 1912-Paul B.Fenton

Le retour ne fut pas facile après le cauchemar qu'ils venaient de vivre. La nature des atrocités qu'ils avaient subies donna lieu à des problèmes d'ordre social et à des drames déchirants. Les femmes mariées à des kôhanim qui avaient été violées, furent obligées selon la loi juive de se séparer de leurs époux, même si elles étaient mères de famille. Nombre de femmes et de jeunes filles qui avaient été violées se trouvèrent enceintes. De nombreuses familles émigrèrent aussitôt vers d'autres villes où elles commencèrent une nouvelle vie avec toutes les difficultés d'adaptation que cela impliquait.

Les Israélites rentreront au mellah, [comme] un troupeau de victimes innocentes qui ont payé de leurs vies et de leurs biens la rançon des existences d'Européens sauvés du massacre, car c'est le pillage du mellah, qu'on n'a rien fait pour empêcher et où s'est exercée pendant trois jours la fureur des soldats révoltés et de tous les malandrins de la ville, qui a sauvé de la catastrophe finale le quartier européen.

Le mercredi 8 mai, une journée de deuil fut décrétée. Toute la communauté se rassembla afin de procéder à l'inhumation des rouleaux de la Tora qui avaient été profanés par les pillards arabes. Pendant que l'immense cortège avançait sur le chemin du cimetière, les hommes revêtus de châles de prières pleuraient à chaudes larmes leurs disparus en récitant des lamentations.

Les chroniqueurs Salomon Cohen et le rabbin Ben Naïm ont préservé avec précision le souvenir du déroulement de cette cérémonie. Avant de réciter des psaumes et la confession des péchés, on entonna les lamentations suivantes: aqûm be-mar nqfshi, qôlyelâlelâh, haragta be-yôm appêkha, 'eykha sô 'n ha-harêgâh. Il s'agit d'élégies tirées du rituel du 9 ab, jour anniversaire de la destruction du temple de Jérusalem. Le choix ne fut point arbitraire car certainement celle qui s'intitule 'eykha sô 'n ha-harêgâh, «Comment le troupeau voué au massacre», du poète andalou médiéval Juda ha-Levi, devait incarner sinistrement pour les Juifs de Fès la tragédie qu'ils venaient de vivre. Curieusement, son titre coïncide à celui de la fameuse élégie composée par H. N. Bialik pour commémorer l'effroyable pogrome de Kichinev. En voici sa traduction:

Comment le troupeau voué au massacre est-il dispersé hors de son pacage?

Le visage pâle et souillé de boue,

Ils sont méconnaissables dans les rues aux yeux de tous les spectateurs.

Leurs figures sont noircies de suie, on ne les reconnaît plus dans les rues.

Suite à la dispersion des Juifs [litt. «colombes»],

Il me sied de pratiquer le deuil, d'être le compagnon des autruches,

D'entonner des élégies et des lamentations,

Au lieu de jouer de la flûte, ou du luth.

Les habitués aux vêtements raffinés, jeûnent à présent, affamés.

Ceux qui se nourrissaient de délices, dépérissent dans les rues.

Le glaive touche ce jour jusqu'aux prêtres, le feu dévore et brûle.

Ils crient, mais nul ne répond.

Les uns tombent dans le feu, d'autres sous le glaive ennemi.

Ils savent que telle est la décision de Celui qui habite le buisson.

Comme les pierres sacrées se répandent aux coins des rues!

On trouve les enfants nus, affamés, pieds nus,

Réclamant en vain du pain, ils s'évanouissent de soif.

Ils implorent leurs ravisseurs; face aux tyrans, ils se font flatteurs.

Sans obtenir de pain, ils aspirent à la compassion de leur Créateur,

Les nourrissons défaillent de faim aux coins des rues.

Dieu a bandé son arc et a produit tout cela.

Nul n'exauce la voix qui implore de l'aube au crépuscule.

Les enfants tendent le cou à leurs poursuivants, comme des agneaux.

Les rues de la ville sainte sont emplies du sang de ses saints,

Les cours envahies par les cadavres d'enfants et de vieillards.

O Dieu reviens! jusqu'à quand lâcheras-tu ta colère contre eux?

Jusqu'à quand, ne serais-tu pas, pour leur faute, celui qui pardonne?

Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton-La campagne de secours

La commission s'occupa de l'hygiène et de la propreté du quartier, installant dans une synagogue un dispensaire dirigé par la doctoresse Broïdo. On y coucha les malades qui ne pouvaient être soignés à domicile. Vers la mi­-mai, Elmaleh rouvrit les portes de l'école de l'AIU qui servait également de dépôt de vivres. Un recensement de la population fut dressé afin de distribuer équitablement les rations quotidiennes, qui devinrent, plus tard, hebdomadaires. On manqua également de la literie, car tous les matelas et toutes les couvertures avaient été volés pendant le pillage. En raison des frais énormes, on dût se contenter de distribuer aux nécessiteux des nattes.

Le 2 mai une caisse de prêt sans intérêt fut établie en faveur des artisans et des petits commerçants, pour leur permettre de racheter l'outillage et les marchandises perdus dans le pillage. Les autres communautés juives du Maroc vinrent rapidement à la rescousse de leurs coreligionnaires. Les Juifs de Tanger et la communauté voisine de Meknès s'illustrèrent par leur générosité.

Dans ses rapports, Elmaleh souligne particulièrement les efforts déployés par Isaac Abensur; président de la communauté juive de Tanger.

Aux initiatives locales, s'ajoutèrent bientôt des dons généreux, provenant de souscriptions ouvertes en Europe par les soins de l'Alliance et le Hilfsverein der deutsche Juden. Un compte fut ouvert à la Banque d'Etat du Maroc pour centraliser les fonds de secours. A Londres l'Anglo-Jewish Association ouvrit un Fez Fund et le philanthrope anglais Sir Ernest Cassel  (1852-1921) fit un don de £500. Jacob H. Schiff (1847-1920) de New York, qui s'était intéressé activement au destin des Juifs du Maroc lors de la conférence d'Algesiras, s'engagea à donner une somme équivalente à celle réunie par l'ensemble de la communauté britannique.

De Bagdad à New York, en passant par les petits hameaux d'Alsace et d'Algérie, les communautés juives se portèrent généreusement au secours de leurs coreligionnaires. A titre d'exemple, la ville de Tunis donna 7 500 frs, tandis que Budapest réunit presque 11 000 frs. A peine un mois après le pogrome le Hilfsverein avait contribué à hauteur de 60 000 francs, transmis en partie directement à Fès par les soins du consul allemand.

Cette manifestation extraordinaire de solidarité juive internationale redonna espoir aux sinistrés, mais la reprise d'une vie normale était ralentie par la recrudescence des hostilités locales. Les drames de cette année fatidique n'avaient pas connu encore leur dernier rebondissement et le spectre d'un massacre continuait à hanter le mellâh encore pendant de longues semaines .

Malgré les efforts énergiques déployés par le général Brulard afin de récupérer le contrôle de la ville et de rétablir le calme, la situation demeurait tendue. Au moment du déblaiement du mellâh, une répression violente s'abattit sur les musulmans, accompagnée de nombreuses exécutions sommaires, dont l'ampleur s'intensifia avec l'arrivée du général Moinier. Des cours martiales furent établies afin de punir les meneurs de la mutinerie qui avaient participé au pillage et aux meurtres. Certains coupables furent exécutés et d'autres furent réduits aux travaux forcés. Les autorités françaises imposèrent à la population de Fès une amende d'un million de francs.

Le ministre Regnault, pressenti jusque-là comme candidat principal au poste de résident général de Rabat, fut accablé par la presse parisienne pour n'avoir point subodoré l'insurrection et avec Moinier, il fut rappelé en France. Inquiétés par la perspective d'un soulèvement général au Maroc, Raymond Poincaré, président du Conseil, décida avec Alexandre Millerand, son ministre de la Guerre, d'affecter à ce poste un militaire plutôt qu'un diplomate. Le 27 avril, ils nommèrent comme premier Résident Général au Maroc Louis-Hubert Lyautey, l'homme providentiel qui réglerait la situation militaire et administrative.

Débarquant du croiseur Jules Ferry à Casablanca le 13 mai, Lyautey arriva à Fès le 24 mai, accompagné du colonel Henri Gouraud. Ils trouvèrent une ville encerclée par dix mille Berbères du Rif et du Moyen Atlas, ralliés sous la bannière de la guerre sainte et plus ou moins encadrés par un millier de tabors déserteurs.

De violents combats se déroulèrent les 25 et 26 mai et les assaillants arrivèrent même à envahir une partie de la ville par une brèche ouverte dans les murailles. Au mellâh, menacé de nouveau d'extermination, l'inquiétude atteignit son paroxysme, malgré la présence dans le quartier d'un détachement de 60 tirailleurs. Elmaleh demanda à l'autorité militaire des armes pour sa défense personnelle, mais en vain. Avec l'état de siège qui paralysa toute activité économique, la situation de la population juive, coupée de la médina et privée de vivres, devint critique.

139 Après s'être Illustré au Soudan et en Mauritanie, Henri Joseph Eugène Gouraud (1867- 1946) arriva au Maroc en 1911 où il fut chargé du commandement de la région de Fès. Plus tard, il sera le commandant en chef de l'Armée du Levant en Syrie. Dans ses mémoires, Au Maroc 1911-1914, Paris, 1949, p. 155-161, il ne dit rien sur le sort des Juifs pendant la révolte du 17 avril 1912.

Mais malgré la violence de leurs attaques, les rebelles ne purent s’emparer de la ville. Pour dégager Fès, le colonel Gouraud sortit à l'encontre des assiégeants. Après les avoir battus le 1er juin, il les poursuivit jusque dans leur camp d'al-Hajra al-Kahla et ramena en trophée les étendards de leur chef, al-Hajami, partisan de Bû Himâra. L'arrivée de renforts permit de poursuivre les opérations durant tout l'été en dispersant et en soumettant les tribus.

Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton-L'indemnisation du pillage

Lyautey sécurisa le Maroc central et transféra la capitale de Fès à Rabat. Il obtint l'abdication de Mawlây al-Hâfid le 25 août en faveur de son frère Mawlây Yûsuf, choisi pour sa réserve, sa piété et – son manque de personnalité. Son élection fut avalisée par les oulémas. Le dernier sultan du vieux Maroc, escorté par Gouraud, devenu général, quitta Fès le 6 juin, en compagnie de M. Regnault, et partit en exil.

Le retour de la sécurité dans les environs de la ville permit aux colporteurs juifs de visiter les campagnes où ils gagnaient des moyens d'existence. En ville, les commerçants retournèrent à leurs magasins et les artisans à leurs ateliers et progressivement l'activité commerciale du mellâh renaquit. Mais les ressources restaient encore trop modestes pour racheter des meubles ou même des objets de première nécessité et longtemps durant, les maisons demeurèrent dégarnies.

Dans les mois qui suivirent, on procéda à la reconstruction du mellâh mais avec d'importantes modifications et améliorations. L'occasion fut saisie d'élargir le quartier juif pour permettre la circulation automobile dans les artères principales. Les maisons aussi se firent plus larges et dotées de balcons. Pour la première fois dans son histoire, le mellâh put installer un bain public, établissement que les autorités musulmanes avaient toujours interdit pour des raisons «religieuses». Cependant pour arriver à restaurer réellement la vie sociale et économique du quartier, les Juifs attendaient le paiement des indemnités qu'ils avaient sollicitées auprès du gouvernement du protectorat.

L'indemnisation du pillage

A la demande d'Elmaleh, les membres parisiens du comité central de l'AIU sollicitèrent une audience auprès du président de la République Raymond Poincaré (1860-1934) afin d'attirer l'attention sur le triste état des victimes juives du tritel de Fès et de lui demander d'ouvrir une investigation sur les responsabilités. Le 29 avril 1912, ils obtinrent la promesse qu'une aide sera promptement apportée à l'instar de celle qu'avaient reçue leurs coreligionnaires de Casablanca après les émeutes de 1907. Surplace à Fès, le général Lyautey, peu après avoir assumé ses fonctions de résident général, se rendit au mellâh pour constater les dommages causés par le pillage. Il assura le comité central de sa volonté de protéger les Juifs de la capitale et de leur faire justice.

A cette occasion A. Elmaleh souleva le problème de l'indemnisation des victimes de l'insurrection. Au mois de juin, Louis Mercier, le nouveau consul de France à Fès, invita la communauté à dresser la liste détaillée des pertes subies et à soumettre dans un délai de huit jours les demandes de réparations. Comme ces dernières devaient être adressées en français, Elmaleh fut pleinement impliqué dans la traduction et l'instruction des dossiers. Par ailleurs, le directeur d'école remporta une grande victoire civique. Au même titre que les habitants arabes de Fès, les Juifs, qui constituaient 10% de la population totale, payaient des impôts à la ville sur leur activité commerciale. Mais, par une de ces injustices coutumières propres au régime musulman, les recettes ne profitaient, de temps immémorial, qu'à la ville arabe. Or, grâce à ses démarches faites auprès des autorités françaises, Elmaleh obtint pour la première fois dans l'histoire que 10% du produit soit versé à la population juive.

Toutefois le processus de la réhabilitation du mellâh commença à se compliquer. Pour gérer les affaires du quartier juif une «commission municipale Israélite» ou mejlis fut constituée en septembre 1912 à la demande du Bureau Arabe pour succéder à la commission de secours. En 1913, M. Amram Elmaleh imprima à Tanger un rapport d’activité de cette commission avec une postface du consul britannique J. M. Macleod. Peut-être en raison d’un certain chauvinisme local, les habitants du mellâh se montrèrent insatisfaits du rôle de plus en plus prépondérant que s’était attribué A. Elmaleh, un non fassi, et de la façon dont avaient été élus les membres de cette instance, dont les juges rabbiniques, dirigeants communautaires traditionnels, avaient été exclus. En outre, on reprocha à M. Elmaleh, qui s’était rendu impopulaire par la rigueur dont il fit preuve lors de la distribution des vivres, de ne pas faire assez cas des revendications d’indemnisation. Malheureusement, les rapports entre le directeur de l’école et les membres de la commission se dégradèrent progressivement. Ces derniers allèrent jusqu’à protester auprès du général Lyautey et des consuls étrangers. Les Fassis décidèrent de s’organiser par­leurs propres moyens. Ils formèrent un nouveau comité de dix-huit membres ayant comme président justement le Rabbin Vidal Ha-Sarfati.

Commença alors un conflit de personnes, sinon de partis. Dans un échange de lettres, le Rabbin Ha-Sarfati exigea et obtint de l’AIU, le renvoi de M. Elmaleh qui ne fut remplacé qu’en octobre 1916. Dans l’intervalle, les revendications, les demandes d’indemnisation ne progressèrent guère. Quatre membres du nouveau comité, les rabbins Ha-Sarfati et Aben Danan, assistés de MM. Raphaël Azuelos et Juda Bensimhon se rendirent à Rabat pour rencontrer le général Lyautey puis, firent le voyage jusqu’à Paris pour faire entendre les revendications de la communauté. Ils résidèrent près de trois mois dans la capitale et grâce au concours de PA1U, furent reçus par différentes personnalités, entre autres, M. Stephen Pichon (1857-1933), ministre des Affaires étrangères.

En février 1914, une commission française présidée par le consul de France présenta ses conclusions en annonçant qu’une somme de 5 000 000 de francs sera allouée aux victimes. Cette somme fut contestée par la communauté juive et ce fut seulement en septembre 1916 que les victimes touchèrent enfin des indemnités prélevées sur l’emprunt d’Etat accordé au Maroc, en 1813 !

Quelle volonté, quelle foi a-t-il fallu aux Juifs de Fès, en majorité des gens simples, pour se relever, pour continuer et recréer une vie de communauté après l’effroyable catastrophe! Mais ils furent assistés en cela par l’amélioration profonde apportée à leur condition par l’instauration du protectorat français. Libérés théoriquement du statut de la dhimma, leur destin était désormais dépendant des autorités françaises.

Juda Bensimhon (1888-1979), décoré du Wissam alaouite, était instruit en hébreu, en français, en anglais et en arabe classique. Il était membre des instances communautaires, notamment de la société de bienfaisance de Fès, dont il était un des fondateurs, et de la branche fassie de l'Anglo-Jewish Association, dont il était le secrétaire. Sa maison avait été détruite pendant le tritel et il fit partie de la délégation venue à Paris pour négocier l’indemnisation de la communauté juive. Sollicité pour ses précieux conseils juridiques, il connaissait par coeur nombre de dâhir-s au point où il fut surnommé Y'huda Dâhir! Il avait également des notions de médecine et même d'astrologie. Bibliophile, il avait aussi une collection de livres et de manuscrits hébreux dont certains furent vendus à la bibliothèque universitaire de Cambridge. Nous tenons certains de ces renseignements de première main, car nous avons fait sa connaissance à Fès en 1974, et d'autres nous devons à l’amabilité de notre collègue, le professeur Joseph Tedgui qui l'a bien connu.

التريتل-Pogrom de Fes-tritel-P.B.Fenton

 Temoignage dune femme juive du mellah

עדות של אישה יהודייה

עדות מאת יהודייה מהמלאח המתארת בערבית מדוברת את מעשי ההרג והשוד

التريتل

التريتل جاءنا صباح ييساح في الرحولات ما بين حنا كانرفدوا المضيرة ذالعيد؛ ليلة يياح ما بين ليهود ذالسوق كايسدوا حوانتهم وهانا الملآح كته ترع وبداوا شي كايجري على شي من حيث السلمين كانوا يعليوا القرطاص على الحوانت ذاليهود؛ حنا كتا كانسدوا بيبان الديار علينا وقلينا كان كايردح بالخلعة، نيك الساعة الحوانتية مشاوا يزاوقوا في الكبار ذالبلاد ومشاوا رغبوا الحكامودحاوا نوك المسلمين؛

بيساح كله داز علينا غير بالصارة لعلم الله علينا كيف دوزناه على قبالت كان واحد الخوف كبير؛ الجمعة ذي دواز ييساح اليهود كانوا كايتجمعوا جميعالير جميعات في السوق، دازت نيك الجمعة، احنا جالسين نهار اكنين في ديورنا والملاح كله تعتر بالمسلمين راكبين فوق الخيل محزمين بالقرطاص وبالمكاحل؛ حنا ريناهم حنا جلسنا شي كايجري على شي، العدو كان كايدخل لنا حتى لقلب الدار يحوسنا ويبتد فينا مكحلته ويقول لنا: جيبوا الزطاطة آولاد الحرام ، حنا بالخوفة كئا كانعطيوا له كز شي نبقاوا نرغبوه باش يختينا غير العمر، وذي ما كان شي كايحب يعطي له كان يفع فيه البارود وينزل له ذاك الشي ذي عليه، بزاف ذي كان كايدفن ماله في الارض اويعليه في البير باش يمبع له؛

في وسط السوق كانوا كايدونوا المسلمات بالزغاريت كيقولوا: قذاش علينا هاذ النهار هنيا علينا ساعتنا جات . حنا من اين كئا كانسمعوهم كايرغرتوا كئا كانخرجوا من حيث كان كايبان لنا باين السوق بدا يتهدن واليهوديات هما ذي كايزغرتوا؛ ثلاثة ايام يالوا المسلمين في الملآح وهما كايحؤسرا الديار ويقيموا فيهم العافية، الطعة ذا الحوانت كلها كانت مسيبة في السوق والحوانت كلهم كانوا محروقين؛ حنا جالسين في ديورنا وحنا رينا واحد الشعلة نالنار طالعة حتى لهواين السما، حنا طلعنا للسطاح وحنا كانراوا باين النار قابضة في الملآح حتى كان كايبان لنا باين السوق كته كان شعلة واحدة، واش ن هي الغبينة الكبيرة ذي كانت تحرقنا في جوفنا؟ هي ذي كانوا كايخطقوا لنا وليداتنا من حجرنا ويعتيهم تحت الخيل يرفسوا عليهم؛

موالين الغرارن والطرارحة كانوا كايتسفاوا فينا ويدخلوا لنا حتى لقلب بيوتنا ويحوسوا ويقولوا

لنا: ”اش ظهرلكم يا اولاد ابرام تعقلوا ذي كنتواكاتاذيوابنا؟ "

نهار الاربعا اليهود ذالملاح كله طلعوا للنواول حفيانين رافدين اولادهم فوق كنافهم وكانوا

كايزاوقوا في يهود النواول باش يخليوهم ينزلوا عندهم من حيث الملاح كله كان محروق، والطليبة الكبيرة ذي كتا نطلبوا هي القيمة ذالخبز نعتقوا بها ترابينا؛ من الاول العدوما كان شي يعرف النواول ، نهار الخميس حنا جالسين والعدو خلط علينا وكان كايقول لنا: اخرجواآ١ولاد الحرام جيتوا تتخياوا هنا ؛

حنا رايناه وحنا كلنا طلقناها بسبقة واحدة للميعارة في حال الدولة ذالغنم واولادنا معنا كايتباكوا وكايعةطو١ : اعطيني ناكل ماشي نموت بالجع ، وحنا ما كتا نصيبوا ما نععليوا لهم وكانوا

يموتوا لنا بالجع؛

والعدو كان تبعنا طريق النواول كلها، جينا حنا دخلنا للميعارة وتدرقنا بين القبورات وبدينا كانزاوقوا في الصديقيم، دخل لنا العدو حتى الميعارة وبداوا يهدموا القبورات ، والحبلات ذي كانوا موبعات كانوا كايقبضوا في الربع ويعصروا ويولدوا ؛ ذي زاد كتل لنا على التريتل هو الشتا والرعد ذي حتى كثا كانقولوا بين الدنيا ما شى تخلا؛ نهار الخميس حئنا براسنا باين ماشي نموتوا كلنا من حيث العدو عتى الرحيل ذي كان كله في

الملآح ورجع باش يقتلنا؛

مشينا باش كانزاوقوا في المخزن جا ن هو باش يهرب المسلمين، بدا كايضرب الكور ذالمدبع برج التور ، نوك الكور طيحوا النصف في الملاح ، نيك الساعة كانوا فوق السور اكثر من مياة ذالعزارة ذاليهود ذي ما كانت لهم لا عدة لا والو ، بدوا كايضربوا العدو غير بالحجر ، نيك الساعة زادوا زاغوا السلمين وجا الغرنسيس وضرب الكورة الكبيرة ذي قاست نوك العزارة وما

بقي فيهم لا كبير ولا ص؛

ونهار الجمعة حنا جالسين في الساحل وبراح مسلم بعلم السلطان جاز كايعيط ا اليهود على امر السلطان تمشيوا لدار المخزن بكباركم وصغاركم حنا سمعناها وحنا بدينا غير نرفدوا اولادنا فوق كتافنا ومشينا ميعادنا ميعاد دار المخزن؛

حنا ذي كيف دخلنا وهما دلحلونا لواحد البنيقات قدام القفوزة ذالسبوعة والنمورة ، بداوا

كايعتروا ينيهم بالخبز والكرموس ويعتيوا لنا، حتا كتا في حال الدجاج ذي كايطيروا على النقب ، وكنا كانراوا غير ما نعطيوا لاولادنا ذي ما كانوا ما كايصيبوا باش يعتقوا روحهم واحا بجفمة ذي الما؛

وكل نهار كانوا كايصيغطوا لنا المونة وما كتا نبيتوا غير في الروا ذالبفال ذالسلطان؛ الكبار ذاليهود كانوا كايكتبوا الصارة نيالنا ويصيغطوها للبلادات، حنا جالسين في ديورنا واحد النهار وهاذوا اليهرب ذالبلادات صافطوا لنا ندابات، والكبار ذاليهرد كانوا كايشريوا لنا الحوايج باش ننكساوا ونعتقوا روحنا؛

طالت هكناك شي شهرين وحن فينا الله وردنا الخير فاش كتا قبل من هاذ الصارة ذي جازت

علينا وذي نطلبوا من رفي ما يونيها لنا ثي اكثر واخا في المنام.

TRADUCTION תרגום

Le pillage survint tout de suite après la Pâque, à l’époque des déménagements, au moment où nous étions en train de réparer le désordre laissé par la fête.

Déjà, peu avant la Pâque, tandis que les Juifs de la grande rue fermaient leurs boutiques, une panique tout à coup avait eu lieu au mellâh. Les gens (affolés) couraient les uns après les autres car les Musulmans tiraient des cartouches sur les boutiques.

Nous (les femmes), nous fermions sur nous les portes des maisons, le cœur battant de peur. A ce moment, les commerçant allèrent implorer les notables israélites de la ville et ceux-ci à leur tour, supplièrent les autorités qui éloignèrent ces (malfaiteurs) Musulmans. La fête de Pâque tout entière se passa pour nous dans l’angoisse, et Dieu sait comment, car une grande peur régnait (au mellâh).

Pendant la semaine qui suivait la Pâque, les hommes, par petits groupes, se réunissaient dans la rue. Cette semaine s’écoula puis, alors que nous étions chez nous, le lundi, voici que tout le mellâh fut envahi par des Musulmans à cheval, armés de cartouches et de fusils. En les voyant nous nous mîmes à courir les uns après les autres. L’ennemi entrait jusqu’à l’intérieur de nos maisons et nous pillait. Il nous mettait en joue en disant «La bourse ou la vie bâtard!» Terrorisés, nous lui donnions tout, le suppliant seulement de nous laisser la vie sauve. Quiconque refusait de donner était fusillé et on lui enlevait les vêtements qu’il portait. Beaucoup enterrèrent leurs biens ou les jetèrent dans les puits pour les conserver.

Au milieu de la grande rue passaient des Musulmans en poussant des you-yous. «Combien, disaient-elles, ce jour est beau pour nous! Quel bonheur pour nous, notre heure est arrivée!» En les entendant pousser leurs cris d’allégresse nous sortions, croyant que la rue commençait à se calmer et que c’étaient des Juives qui manifestaient leur joie.

Trois jours durant les Musulmans demeurèrent dans le mellâh à piller les maisons et à y mettre le feu. Toutes les marchandises étaient dispersées dans la rue et toutes les boutiques étaient incendiées.

Alors que nous étions dans nos maisons, nous vîmes une grande flamme s’élever jusqu’au fond du ciel. Nous montâmes à la terrasse et vîmes que l’incendie dévorait le mellâh, à tel point qu’il nous semblait que la rue toute entière n’était qu’un seul brasier. Quel immense chagrin encore nous brûlait le cœur! C’était (de voir) les Arabes s’emparer de nos jeunes enfants, qui se trouvaient sur nos girons, et les jeter sur le chemin afin que les chevaux les piétinent.

Les patrons de fours et les mitrons se réjouissaient de notre malheur. Ils entraient jusque dans nos chambres et nous pillaient en disant: «Que vous en semble! bâtards! Vous souvenez-vous de ce que vous nous faisiez endurer?»

Le mercredi, les Juifs de tout le mellâh se rendirent aux Nowâwel, pieds nus, portant leurs enfants sur leurs épaules; ils supplièrent leurs coreligionnaires de ce quartier de les laisser s’installer chez eux, car tout le mellâh avait été incendié. Ce que nous désirions par-dessus tout c’était un petit bout de pain pour apaiser la faim de nos jeunes enfants.

Au début de l’affaire, l’ennemi ne connaissait pas les Nawâwel279. Mais le jeudi, pendant que nous étions là il nous surprit et s’écria: «Sortez! Batârds! Vous êtes donc venus vous réfugier ici?» A sa vue, nous détalâmes d’un seul élan vers le cimetière comme un troupeau de moutons. Nos enfants pleuraient à qui mieux mieux et criaient: «Donne-moi à manger, je vais mourir de faim!» Nous ne trouvions rien à leur donner et ils mourraient de faim en effet.

L’ennemi nous poursuivit tout le long du chemin des Nawâwel. Nous entrâmes alors dans le cimetière et nous cachâmes entre les tombes en implorant la protection des saints. Les pillards nous poursuivirent jusque dans le cimetière et se mirent à démolir les tombes. Les femmes enceintes qui ressentaient les douleurs de l’enfantement se cramponnaient aux touffes d’herbe en faisant des efforts et accouchaient.

Ce qui mit le comble à l’affaire, ce fut la pluie et le tonnerre qui étaient tels que nous disions que le monde allait finir.

Ce jeudi nous crûmes bien que nous allions tous mourir car les émeutiers, après avoir pris tous nos biens au mellâh, revinrent pour nous tuer.

Nous allâmes implorer le Makhzan. Celui-ci se mit en devoir de chasser les Musulmans et tira le canon du haut du mellâh. A ce moment, sur les remparts, se trouvaient plus de cent jeunes hommes israélites, sans armes ni autre moyen de défense. Ils se mirent à attaquer l’ennemi avec des pierres seulement. Les Musulmans s’en irritèrent alors davantage. Les Français arrivèrent, ils tirèrent (sur le mellâh) de gros obus qui atteignirent les jeunes gens juifs: il ne resta parmi ceux-ci ni grand ni petit.

Le vendredi, alors que nous étions réfugiés au Sahel- Le sâhil est la partie la plus éloignée du cimetière. On y enterrait autrefois les réprouvés et les pécheurs- (au fond du cimetière), un crieur public musulman passa envoyé par le Sultan «O Israélites, disait- il, par ordre du Sultan, rendez-vous à Dâr al-Makhzan grands et petits». En entendant cette annonce, nous plaçâmes nos enfants sur nos épaules et nous nous dirigeâmes directement vers Dâr al-Makhzan.

A peine arrivés, on nous fit entrer dans de petites pièces qui se trouvaient à côté des cages à lions et à panthères. On se mit à nous lancer du pain et des figues à pleines mains. Nous étions comme des poulets qui sautent sur le grain. Nous ne cherchions que de quoi donner à nos enfants qui ne trouvaient pour se sustenter même pas une goutte d’eau. Chaque jour, on nous envoyait des subsistances. Nous ne dormions que dans les écuries des mulets du Sultan.

Les notables israélites décrivaient notre détresse dans des lettres qu’ils envoyaient (à nos coreligionnaires) dans les villes. Un jour, pendant que nous étions chez nous, nous reçûmes les secours (envoyés par les Juifs des autres villes). Les notables nous achetèrent alors de quoi nous vêtir et apaiser notre faim.

Deux mois environ s’écoulèrent (après ces événements). Dieu eut pitié de nous. Il nous rendit ma situation favorable dans laquelle nous étions avant le malheur. Veuille Dieu ne plus nous le montrer même en rêve.

  1. Brunot et E. Malka, Textes judéo-arabes de Fès, publications de l’Institut des Hautes Etudes marocaines, Rabat, tome XXXIII, 1939,
  2. 207-209.

Le Pogrome de Fes ou Le Tritel 1912-Paul B. Fenton

Répercussions dans la presse

.La presse Internationale

Pendant les premiers jours qui suivirent l’insurrection, une chape de plomb fut imposée à la presse par la censure militaire, incertaine elle-même de l’étendue du désastre. Seules les «nouvelles officielles» furent transmises selon lesquelles la situation avait été rapidement maîtrisée avec un minimum de dégâts. En dépit de la fermeture des lignes télégraphiques par les autorités françaises, des informations relatives au soulèvement et au massacre de la population européenne et juive filtrèrent vers Tanger d’une part, grâce aux radiogrammes envoyés par le consulat britannique et d’autre part, grâce aux rekkâs employés par des journalistes et des correspondants privés.

De l'arabe raqqâs, «courrier», «messager».

 Ces courriers mirent entre deux et trois jours à parcourir à pied les 340 kilomètres séparant Fès de Tanger. Ces informations furent ensuite répercutées essentiellement par l’Agence Havas mais aussi par des responsables consulaires tangérois qui saisirent les instances communautaires juives locales. Ici, il sera essentiellement question de ce qu’on y dit sur le sort des Juifs.

Au début, la confusion régnait donnant lieu à des conjectures des plus alarmistes quant au bilan des victimes — il y aurait eu un millier de morts juifs! Au Maroc même, ce fut l’hebdomadaire anglophone Al-Moghrib al-Aksa, doyen des journaux privés et indépendants, qui publia à Tanger le jeudi 18 avril, dès le lendemain de la révolte, les premières nouvelles transmises par radiogramme et confirmées ensuite par des lettres privées . Le lundi suivant, la feuille tangéroise évoqua pour la première fois le pillage du mellâh mais, retardée par la censure, ce ne fut que onze jours plus tard qu’elle fut à même d’en donner une description circonstanciée avec force détails sur le supplice des Juifs. Elle censura sévèrement la politique erronée de l’Entente cordiale qu’elle accusa d’avoir mené à la catastrophe.

Bien évidemment les Français furent les premiers concernés par l’insurrection au Maroc. Cependant de Paris à Londres, mais aussi de New York à Saint- Pétersbourg en passant par Varsovie, les événements de Fès défrayèrent la chronique dans la presse internationale — surtout juive, vu l’intérêt que portèrent les puissances européennes à la politique colonialiste de l’Elysée. Les quotidiens parisiens comme Le Figaro, furent tributaires d’André Meynot, correspondant de l’Agence Havas à Tanger qui, ayant accompagné Régnault à Fès, se trouvait dans la ville au moment des massacres. Mais Le Matin et Le Temps possédaient des correspondants sur place, à Fès même, le premier en la personne d’Hubert Jacques et le second en la personne du Dr F. Weisgerber. Ceux-ci fournirent des reportages de première main – mais souvent retardés – répercutés ensuite à travers le globe.

Comme on peut s’en douter, dès le vendredi 19 avril, deux jours après le début de la révolte à Fès, la presse française était, faute de renseignements, réduite à des hypothèses. La une du Figaro, tout en se plaignant de nouvelles contradictoires, déplora des victimes françaises mais ne souffla encore mot sur le sort des Juifs. Le surlendemain, dupé par les sources officielles, ce  même journal annonça désormais en deuxième page, comme s’il s’agissait déjà d’une affaire classée, que les troubles avaient été matés avec des pertes minimes — huit victimes côté français. Toutefois, la même page reproduisit un radiogramme provenant de Fès reçu par la légation d’Angleterre à Tanger selon lequel «les quartiers juifs et indigènes ont été pillés. Les Juifs ont particulièrement souffert; les mutins ont mutilé les corps des morts, qu’ils ont tramés dans les rues». Le journal annonça en effet le lendemain: «Il semble qu’une centaine de Juifs ont été tués lors du pillage du mellâh; les blessés sont nombreux et leur misère est extrême».

            Al-Moghreb al-Aksa (22.4.1912), p. 2: «The Jewish quarter which was pillaged on the 18th was occupied on the 20th by French troops.The Sultan gave shelter at his palace to more than 3000 Jews, and as they had had no meals fortwo days and were starving, M. Régnault sent them several thousand loaves of bread.»

La censure fonctionna si bien que même Hubert Jacques, correspondant sur place du Matin, qui auparavant s’était pourtant débrouillé d’une manière très habile pour obtenir des informations «classées», ne put rien envoyer à son journal. Ce dernier dut puiser dans une source anglaise, transmise par l’agence Havas, les informations suivantes reproduites le 18 avril en troisième page au conditionnel: «La situation à Fez. Bruits alarmants – La garnison indigène se serait soulevée.»

Aggravées par la censure, les difficultés de communication réduisirent le journal aux hypothèses fragmentaires. Le vendredi 19 avril, le Matin proposa un reportage inspiré des dépêches officielles qui spécula sur l’origine des troubles. Déplorant la mort de trois employés de la T.S.F., il dressa la liste des Français réfugiés à l’ambassade ou au consulat d’Angleterre. Le lendemain, samedi 20 avril, le journal titra: «Les troupes françaises commencent à mater la révolte à Fez», en attendant d’annoncer dimanche que «Fez est soumis». Faute de nouvelles de son envoyé spécial à Fès, le journal se contenta de faire état des informations contradictoires sur la situation et s’étonna que le bilan de huit militaires tués et quatre civils ne fût pas plus lourd. L’article critiqua vivement l’interdiction faite aux journalistes d’utiliser la radiotélégraphie et accusa le gouvernement de vouloir cacher la vérité.

Quant au confrère de Hubert Jacques, le Dr F. Weisgerber, envoyé spécial du Temps, il ne réussit à contourner la censure militaire que le lundi 22 avril, faisant parvenir les premiers détails sur la mutinerie dans un article qui évoqua l’assaut du mellâh et la fuite de ses habitants vers le palais impérial . Ce ne fut qu’après le rétablissement des communications radiotélégraphiques que ce correspondant put préciser deux jours plus tard le chiffre de 53 victimes et 33 blessés parmi la population juive. Par la suite, le Temps ne fit plus mention des Juifs hormis l’annonce de l’ouverture par l’Alliance d’une souscription de secours .

Enfin, la vérité concernant l’ampleur de la révolte éclata au grand jour le mardi 23 avril grâce à un article câblé de Tanger où Hubert Jacques réussit à le faire parvenir par messager (rekkâs). L’article décrivit heure par heure toute l’horreur de l’insurrection, mais passa sous silence le drame qui s’est déroulé dans le mellâh.

Ce ne fiit que le lendemain, mercredi le 24 avril, que les lecteurs du Matin apprirent le massacre des militaires et des civils français dans un article polémique du Lieutenant-colonel Debon publié en première page. Celui-ci annonça, entre autres, que: «Le quartier israélite est mis à sac, brûlé: les femmes y sont violées et des centaines de malheureux sans défense sont égorgés».

Mais, il faudra attendre le vendredi 26 avril, pour que le Matin révélât, dans toute son horreur, la vérité sur la dévastation du mellâh. Hubert Jacques s’y était promené pendant plusieurs heures parmi «les décombres fumants d’où émergent des poutres calcinées et des débris humains». La vision de destruction lui rappela douloureusement le bombardement de Casablanca dont il avait été également le témoin. Puis, il se rendit à la ménagerie, quelques heures à peine après la fin des combats, pour cueillir des renseignements de première main et, dans une dépêche datée du 22 avril, il décrivit dans un récit particulièrement émouvant, ce qu’il y entendit. Il évoqua les milliers de malheureux qui, livrés sans défense à la sauvagerie des pillards, implorèrent ces derniers de leur laisser la vie sauve. Il dépeignit leur course affolée vers le palais où, entassés et menacés de famine, ils s’étaient abrités de manière fort précaire.

Voir:Le Pogrome de Fes ou Le Tritel 1912-Paul B. Fenton-institut Ben Zvi 2012 –page 79-82

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Paul B.Fenton

Le samedi 27 avril, l’événement se résuma en un simple entrefilet en première page du Matin annonçant que: «Fez est calme» et qu’une «commission formée de notables arabes, européens et israélites va se charger de l’assainissement de la capitale. Des sommes importantes ont été réunies pour secourir les israélites affamés. Le sultan a donné 10 000 francs, Mr Régnault 5 000 francs et diverses personnalités marocaines 10 000 francs.»

Enfin un reportage anonyme sur le sort des Juifs, paru dans l’hebdomadaire L’Illustration en date du 11 mai, fit le tour du monde grâce aux photographies fort impressionnantes, prises par le Dr Weisgerber, qui l’accompagnaient

La presse britannique exploita essentiellement les informations transmises par Macleod, consul de la Grande Bretagne à Fès, et par son voisin le Dr Egbert S. Verdón, médecin de la mission protestante de Fès.

Informé par des dépêches en provenance de son correspondant à Tanger, le Times londonien mentionna le 23 avril le massacre des Juifs et précisa le lendemain qu’en plus de centaines de blessés et de milliers de Juifs menacés d’inanition, le nombre des morts s’éleva à 55. Le 26 avril, le Times ajouta un détail ostensiblement absent des tous les reportages français – les Juifs marocains ne purent se défendre comme ils le firent à des occasions précédentes car ils avaient été désarmés par les autorités françaises .

La presse juive

Comme on pouvait s’y attendre les événements de Fès eurent un retentissement considérable dans la presse juive dans toutes les langues. Les activités sociales et scolaires au Maroc de l’Alliance, de l’Anglo-Jewish Association et du Hilfsverein ainsi que les efforts déployés par le représentant américain à la conférence d’Algesiras en faveur des Juifs marocains avaient contribué dans une large mesure, à placer sur l’échiquier international l’actualité juive dans l’Empire chérifien. Par la suite, les communiqués de presse qui suivirent la catastrophe contribuèrent à sensibiliser l’opinion juive internationale et à susciter une formidable campagne de secours en faveur de leurs frères sinistrés.

Depuis la célèbre mission au Maroc de Sir Moses Montefiore (1784-1885) en 1864, les pages du Jewish Chronicle londonien manifestèrent un intérêt constant pour les Juifs de l’Empire chérifien. S’agissant d’un hebdomadaire, ce ne fut seulement le 26 avril que le journal rendit compte des événements du Maroc avec une synthèse à la fois de la presse britannique et des informations transmises par voie consulaire. Le président de la communauté tangéroise, Isaac Abraham Abensur, alerté par le ministre britannique de sa ville, Sir Reginald Lister, avait contacté directement le journal, surtout pour demander du secours à la communauté juive anglaise . Il fut question du massacre de «centaines de victimes» parmi les Juifs dans son numéro du 3 mai, qui transmit également les premiers détails de l’aide prodiguée aux sinistrés par la communauté juive britannique. Le 10 mai le Jewish Chronicle communiqua les récits choquants de témoins oculaires, notamment celui d’une Anglaise de Fès ainsi que celui du Dr Verdon, le médecin de la mission protestante qui avaient soigné les blessés juifs .

            Isaac Abensur (m. 1937) fut interprète puis vice-consul de l'Angleterre. Il fut élu à la présidence de la communauté et, plus tard, à celle de l'Assemblée législative de Tanger.

Désormais le Jewish Chronicle fit état régulièrement dans ses pages des donations au Fez Fund ouvert à Londres. En revanche, son homologue philadelphien Y American Exponent, fondé en 1887, offrit l’une des analyses les plus longues et les plus averties de la situation au Maroc sous la plume de David Werner Amram .

N’oublions pas que Berlin avait également des intérêts coloniaux en Afrique du Nord et que le Hilfsverein proposait son secours aux Juifs du Maroc depuis le début du siècle. Aussi le judaïsme marocain avait-il conquis depuis longtemps une place conséquente dans la presse juive allemande, qui suivait de près les événements de Fès, même si en général elle était largement tributaire des journaux français . Une exception notable fut l’éditorial du 26 avril que consacra à la question Die Welt, l’organe central du mouvement sioniste. On y trouve, sous la plume de Raphaël Landau (1870־ 1943), l’une des meilleures analyses de l’imbroglio marocain replacé dans son contexte historique . Dès les premières nouvelles du tritel, Die Welt s’inquiéta du sort des Juifs marocains livrés aux affres de l’anarchie dans laquelle le journal vit la conséquence même de la «jüdische Heimatlosigkeit» (le statut juif d’apatride). Les numéros suivants traduisirent le reportage de Hubert Jacques paru dans Le Matin, ainsi que toutes les lettres d’Amram Elmaleh.

La presse hébraïque d’Europe Centrale suivait les événements avec une certaine distance. Le quotidien Zefirah, édité à Varsovie par Nahum Sokolow, qui puisa ses informations dans l’agence Havas et dans les journaux allemands, se plaignit également de la censure française . Au fil des jours, il relaya les reportages de Weisgerber parus dans Le Matin et les informations provenant du Hilfsverein der dentsche Juden  avant que l’épisode de Fès ne cédât la place dans ses pages à la catastrophe du «Titanic» et surtout, au procès Beilis, géographiquement plus proche encore.

La presse yiddish en Europe Centrale, en particulier Der Fraind, quotidien yiddish de Varsovie, paraissait bien informée du contexte marocain. Ce dernier journal s’intéressa en premier lieu, comme toute la presse juive, au sort de ses coreligionnaires fassis et dénonça la tentative française de calmer les esprits et de masquer l’ampleur du massacre dont il estima, dans un premier temps, à 1 000 le nombre des victimes juives. 11 se livra ensuite à des réflexions critiques sur la politique coloniale de la France et son ingérence au Maroc, l’accusant d’être la cause indirecte de ce bain de sang . «Alors qu’elle devra rendre compte aux nations des victimes européennes, nul ne lui demandera des comptes pour le sang juif versé, car les Juifs sont des orphelins pour lesquels on n’a que de la pitié», déclara-t-il avant d’émettre ce jugement percutant: «Kichinev fut un jeu d’enfant par rapport au bain de sang survenu dans le quartier juif de Fès!».

Son homologue new-yorkais, le Forwerts, se contenta quant à lui, de transmettre les informations diffusées par les agences de presse qui ont grossi exagérément le nombre des morts avant de se désintéresser rapidement des événements marocains, au profit de la catastrophe du «Titanic». Il est tout de même digne d’intérêt que ce journal surnomme les émeutiers arabes de Fès

des pogromshchiks, associant du coup la tourmente de leurs coreligionnaires marocains au martyre du judaïsme achkénaze .

En définitive, alimentée par les journalistes de Paris et de Berlin, la presse juive en hébreu et en yiddish n’apporta rien de substantiellement neuf dans ses colonnes, si ce n’est le reflet d’un extraordinaire élan de solidarité juive.

                Enfin, en Italie les événements de Fès ne semblent pas avoir trouvé un écho important. La seule évocation que nous en ayons trouvée est un entrefilet de quelques lignes paru dans II Vessillo Israelítico 40 ( 1912), fase. IX (mal, 1912), p. 308.

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Le Pogrome des Fes ou Tritel–1912-Paul B.Fenton-Conclusion

CONCLUSION

Cent ans après ces événements bouleversants que peut être notre analyse de ce chapitre tragique de l’histoire des Juifs du Maroc? En rétrospective, les avis des acteurs principaux de l’époque du côté européen étonnent par leur naïveté apparente et, du coup, renvoient une note de fausseté. Diplomates et militaires s’accusèrent mutuellement de cécité à l’endroit des signes précurseurs d’un mouvement insurrectionnel. Comment l’autorité militaire française avait-elle choisi de les ignorer, faute «d’allégation précise à l’appui»? Ensuite, pourquoi avait-elle laissé partir de la ville la plupart de troupes françaises alors que les services des renseignements étaient parfaitement au courant que la nouvelle de leur départ imminent avait été transmise aux tribus hostiles environnantes? Le ministre plénipotentiaire de France à Tanger, E. Régnault affirma avec insistance que ces troubles n’avaient été ni provoqués ni encouragés par les autorités marocaines; l’émeute était un incident fortuit, dû à des causes militaires internes. Ce fut également l’opinion de James Maclver Macleod, vice-consul d’Angleterre à Fès, correspondant de Claude Montefiore de l’AJA, mais aussi ami sincère de la France. Cela ne l’empêcha point de se montrer critique vis-à-vis de l’inertie de l’armée française devant le massacre au mellâh .

Le général Moinier, commandant en chef des forces françaises à Fès, était d’un avis différent. Exprimant le point de vue militaire, il crut aux machinations traîtresses du Makhzan qu’il accusa d’avoir fomenté la révolte. Certains incriminèrent Ould Ba Muhammad Chergui, pacha de Fès al-Jadîd, pour avoir laissé faire le pillage du mellâh et Hâjj Ahmad al-Mokri, pacha de Fès al-Bâli, pour n’avoir point fermé les portes de la médina afin de cantonner l'meute et de la circonscrire à Fès al-Jadîd. Enfin, les habitants du mellâh s 'interrogèrent sur les mobiles des militaires français qui, au lieu de les recourir, contournèrent leur quartier qui était pourtant situé sur leur chemin vers la ville. Pourquoi bombardèrent-ils le mellâh seulement au troisième jour de l’émeute au lieu de confronter les pillards manu militari?

En vérité, toutes ces interrogations ne sont qu’un leurre hypocrite, car en les joignant bout à bout il émerge clairement que rien de tout cela n’était le résultat du hasard mais bien celui d’un plan prémédité. Aussi, soutenons-nous que dès le départ les Juifs furent désignés par le Makhzan et la France pour servir d’exutoire à la frustration de la population arabe afin de détourner du sultan et des Français la colère qu’allait susciter inexorablement la nouvelle du traité du protectorat, «ébruitée contre la volonté du sultan»!

Le premier de plusieurs éléments qui laisseraient entrevoir une entente secrète entre la France, le sultan et le Makhzan est bien le désarmement prioritaire des Juifs par les Français. Cette mesure prend une autre tournure lorsque l’on se souvient qu’un scénario identique à celui du soulèvement, faillit se produire à Fès un an auparavant. A cette occasion et à la surprise générale, les Juifs avaient courageusement défendu leur quartier lors de l’attaque des tribus révoltées. Cette fois-ci il fallait que les Arabes puissent pénétrer sans encombres dans le mellâh.

C’est dans le même sens qu’il conviendrait peut-être d’envisager la brèche mystérieuse ouverte dans la muraille du mellâh, en mars 1912, par les Français et qui fut laissée sans porte. Ce n’était point là un geste de bonne volonté, visant à faciliter aux commerçants juifs l’accès au camp de Dâr Debibagh. Le rabbin Saül Aben Danan  a vu juste en relatant que les Juifs étaient terrorisés à l’idée que la porte béante, sans tour de défense, allait servir de voie d’accès pour les émeutiers arabes!

En l’occurrence, les conséquences désastreuses qui pouvaient en découler furent évitées en raison de la mauvaise connaissance qu’avaient les Arabes de la topographie du mellâh. Alternativement, cette ouverture, située précisément en amont du palais impérial, put constituer d’emblée dans le complot diabolique du Makhzan et des Français une porte de salut laissée quand même aux Juifs pour «limiter les dégâts». Prévu par avance, ce refuge accordé aux rescapés par le sultan, écarterait de celui-ci tout soupçon de connivence avec les Français. Pour apprécier la magnanimité protectrice du sultan Mawlây al-Hâfid envers les sujets juifs, on se souviendra qu’au début de son règne, il leur avait imposé des travaux forcés dans ses manufactures les jours les plus sacrés du calendrier juif.

Il ressort des nombreux documents et des témoignages que le déclenchement de la mutinerie fut synchronisé avec minutie. Le cumul des faits est accablant. Le départ de la plupart des troupes françaises qui laissait la ville sans défense était une tactique favorisant l’éclatement de la révolte. La signature du traité du protectorat tomba vers l’époque du carnaval «anti-juif» de la fête des tolbas. L’annonce faite aux tabors des mesures impopulaires ainsi que la date du départ du sultan furent fixées pour un jour d’éclipse solaire, jour néfaste. La révolte éclata quinze jours après; l’intervalle avait laissé le temps nécessaire pour répandre la nouvelle de «l’acte de vente» et du départ du sultan parmi les habitants des douars qui se joignirent aux pillards du mellâh dès le lendemain de la mutinerie. Souvenons-nous ici que le sultan, tout en ayant appelé la France à son secours, avait fait circuler le bruit, selon certaines indications, qu’il était prisonnier des Français et que ces derniers voulaient le contraindre à «vendre ses meubles» et à signer le traité d’un protectorat et que, devant son refus, ils l’emmenaient prisonnier.

Une fois la révolte déclenchée, les portes de la médina avaient été laissées ouvertes intentionnellement par les pachas des différentes sections de la ville afin de ne pas gêner l’élan des émeutiers dont le parcours, sans doute tracé d’avance par des instigateurs, passait par les quartiers des mécontents et laissés pour compte. Une fois à Fès al-Jadîd, ils ouvrirent les portes des prisons —sans doute avec l’aide des autorités — et se dirigèrent directement vers le quartier juif.

Plus les émeutiers s’attarderaient au mellâh, plus les troupes françaises disposeraient de temps pour assurer la sécurité des Européens. Du reste, l’œuvre de destruction du quartier juif ne pouvait que servir le dessein des Français. C’est pourquoi les autorités militaires invitèrent des photographes professionnels locaux à couvrir les événements dont les conséquences dévastatrices furent illustrées par de nombreux clichés. Ceux-ci, transformés en carnets de cartes postales, connurent au moins trois éditions et diffusèrent à l’échelle internationale les images d’une anarchie de laquelle seul le protectorat français pouvait extraire le Maroc…..A suivre

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Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Paul B.Fenton-Conclusion

A cette époque la carte postale était un moyen puissant de propagande. En présentant les Juifs comme les victimes des Arabes, l’entreprise humanitaire de la France pouvait prétendre à garantir leur sécurité et à instaurer leur émancipation. Enfin, la concentration des insurgés au mellâh justifia son bombardement, et la destruction qui en résulta permit la modernisation de la ville, à l’exemple de la leçon tirée par la démolition du quartier juif de Casablanca, cinq ans auparavant.

  • En réponse à un télégramme rappelant les bienfaits apportés à l’urbanisme par le bombardement de Casablanca, un rapport militaire de Fès déclare: «Dans aucun quartier de la ville, sauf dans le mellâh, les constructions particulières n’ont souffert des tirs de nos canons ou du pillage. Au mellâh, on profitera de la démolition d’une partie de la rue principale et de certaines ruelles, pour procéder à des élargissements de la voie publique», Nantes, AAE, Légation de France à Tanger; série B280,71 (24.4.1912).

En revanche, déclarer que le mellâh fut détruit essentiellement par le bombardement des Français, comme le veut l’historien Mohammed Kenbib, est une déformation de la vérité visant à faire reporter la culpabilité principale sur les Français et à masquer la part destructrice indéniable des musulmans marocains. Kenbib prétend même que ce sont les obus français à la mélinite qui provoquèrent les incendies qui détruisirent «des rangées entières de maisons». Or, étant donné la proximité du palais chérifien et l’imprécision des tirs à l’époque, il ne put être question d’un bombardement systématique. Il s’agissait plutôt de tirs ciblés ou d’obus égarés, comme celui qui tomba sur le cimetière juif (Al, A7), sinon comment expliquer qu’à part le témoignage d’une Juive anonyme, aucun des récits des autres témoins oculaires ne mentionne le bombardement français?

En conclusion, selon toutes probabilités, on savait fort bien qu’une révolte était inévitable. Il importait seulement de détourner la colère de la populace tout en l’assouvissant. Aussi, le pouvoir du Makhzan de mèche avec les autorités françaises aurait soigneusement préparé un plan visant à la dévier en direction des boucs émissaires traditionnels des désordres au Maghreb — les Juifs qui furent offerts en pâture aux insurgés. Toutefois, pour limiter l’ampleur du drame et pour sauver les apparences morales, le plan prévoyait des mesures «humanitaires», telles que la porte de secours et le refuge au palais royal.

Une communication personnelle de Monsieur Abraham Bengio (m. 2010), neveu d’Abraham Bengio qui périt au cours du soulèvement, vient confirmer ces hypothèses. En effet, en 1951, M. Bengio rencontra à Fès le commandant Rosario Pisani (1880-1951), peu avant sa mort. Ayant accompli le plus clair de son service militaire en Afrique du Nord, Pisani, alors adjudant, fut chargé en vertu de sa grande familiarité avec la mentalité arabe de l’encadrement des tabors au moment du soulèvement dont il émergea indemne. Il confia catégoriquement à M. Bengio que «La France avait désarmé les Juifs et avait laissé faire les émeutiers».

Les victimes juives ne furent pas dupes; leur amertume fut doublement intense. Vis à vis des Français, ils eurent le sentiment, comme l’écrit Elmaleh, d’avoir servi:

"de victimes expiatoires et innocentes du mouvement anti-français qui a éclaté à Fez; bien des Français ont été tués et mutilés; des officiers, des négociants ont perdu la vie dans la journée du mercredi [le 17 avril 1912]; c’est un deuil cruel pour la France et pour nous.

Je perds de chers amis que je pleurerai longtemps; le malheur qui a frappé une collectivité tout entière comme notre Mellah est encore plus atroce; de toute la ville de Fez nous avons été les seuls atteints; tant il est cruellement vrai qu’à toute explosion de la colère populaire au Maroc, c’est sur les Mellahs que s’exercent les vengeances et que s’assouvissent les haines (B10)."

Tandis qu’Elmaleh eut la magnanimité d’associer au deuil juif le souvenir des victimes européennes de l’émeute, Georges Leven dans une lettre adressée au président Poincaré le 29. 4. 1912, éluda totalement la part de responsabilité de la France:

Les Israélites marocains ont été considérés de tout temps par la France comme les pionniers de [sa] civilisation […]. Ils ont été des auxiliaires actifs de [ses] consuls […] [dans la propagation] dans le pays de l’influence et du prestige français. L’accueil qu’ils ont fait aux soldats français et la satisfaction qu’ils ont témoignée de l’établissement du Protectorat les ont naturellement désignés aux haines et aux vengeances des adversaires de l’action française. C’est ce qui fait comprendre l’explosion de fanatisme et de fureur sauvage qui vient de réduire en ruines le quartier israélite de Fez et qui a fait des veuves et des oiphelins si nombreux.

Si l’espérance en un lendemain meilleur sous le pavillon tricolore étouffa la rancœur des Juifs marocains envers la France, vis-à-vis du Maroc les plaies ouvertes par cette agression collective de la part de la populace musulmane ne furent jamais vraiment cicatrisées. La rupture d’avec leurs concitoyens musulmans fut d’autant plus amère que la tragédie survint à peine quelques jours après la fête de la mimouna. Lors de celle-ci les Juifs adoptent une mise vestimentaire semblable à celle de leurs voisins musulmans et échangent avec eux des cadeaux, exprimant une certaine symbiose sociale qui comble le fossé ethno-religeux séparant les deux communautés. Livrés par leur souverain, censé être l’autorité protectrice des dhimmis, ils perdirent définitivement toute illusion d’une coexistence judéo-arabe citoyenne. C’est pourquoi le tritel de Fès, profondément enraciné dans la mémoire collective du judaïsme marocain, constitua l’un des facteurs déclencheurs de l’exode massif des Juifs marocains au lendemain de l’indépendance en 1956 du pays où leurs ancêtres s’étaient installés bien avant l’arrivée des Arabes. En définitive, ce chapitre malheureux illustre lugubrement la démarche machiavélique du pouvoir musulman qui, agissant de complicité avec l’Occident de tradition chrétienne, n’a pas hésité à se compromettre en sacrifiant les plus faibles de ses sujets – la minorité juive – afin de servir ses propres intérêts tout en se faisant passer pour une victime.

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Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton

 

חלק שני עדויות

DEUXIEME PARTIE Témoignages oculaires

I Témoignages en français עדויות בצרפתית

Al- Les événements de Fès vu par un diplomate

אירועי הטבח בפאס מנקודת מבטו של דיפלומט

הד״ר פרדריך וייסגרבר, רופא וחוקר מאלזס, היה גם כתב בעיתון ״לה טם״ הפריזאי. בהיותו מומחה לענייני מרוקו, הוא נתמנה ליועץ במשטר החסות. בשעת המרד הוא שהה בפאס, והיה הראשון לתאר אותו בכתבותיו לעיתון ומאוחר יותר בספרו על מרוקו. כאן, בפרק הלקוח מהספר, הוא מספר את האירועים רגע אחר רגע כפי שחווה אותם, ומתאר גם את הטבח ברובע היהודי. בסוף הקטע המצוטט הוא מחווה את דעתו בעניין הסיבות למרד.

Le 17 avril 1912, à Fez, la situation militaire était la suivante. Le général Brulard, commandant d’armes, disposait au total de deux bataillons de tirailleurs à effectifs réduits (Philipot et Fellert), une batterie d’artillerie, une section de mitrailleuses, une section du génie, un escadron de spahis (capitaine Devanlay) et un demi-escadron de chasseurs d’Afrique, soit au maximum 1500 hommes campés à Dar Dbibagh, à quatre kilomètres de la ville, sous les ordres du colonel Taupin. De ces troupes, un bataillon et un escadron devaient servir d’escorte au sultan et à l’ambassadeur.

La garnison chérifienne se composait de trois tabors d’infanterie, une compagnie d’instruction, deux escadrons, deux batteries et un tabor de génie, soit au total, avec la garde du sultan, environ 5000 hommes. L’infanterie, la cavalerie et l’artillerie étaient réparties entre la kasba des Cherarda, près de Bab Sagma, et les fortins nord et sud; le génie était casemé à Tamdert, près de Bab Ftouh. Les officiers et sous-officiers de la mission militaire logeaient en ville.

Dans la matinée, j’avais fait une sortie en ville et je n’y avais rien remarqué d'insolite. Seulement, du fond d’une ruelle obscure, une voix chevrotante de vieille sorcière m’avait crié une malédiction:

En-nçara f’es-sennara

 El-yhoud f’es -sefoud

(Les chrétiens aux crocs et les juifs à la broche)

Revenu au dar El-Glaoui où je devais déjeuner, je me promenais dans le patio lorsque je vis arriver en grande hâte le commandant Brémond, second de la mission militaire, qui demanda à voir le ministre. Quelques mois auparavant, à Sefrou, alors que les Aït Youssi attaquaient son camp, je l’avais vu sous une grêle de balles, calme et souriant, son étemelle cigarette au coin des lèvres. Je vis à sa figure et à son attitude qu’il se passait quelque chose d’anormal et, l’ayant attendu à la sortie, je l’abordai:

Que se passe-t-il?

Deux de nos tabors se sont révoltés et sont en train de massacrer leurs instructeurs. Ils peuvent être ici en moins d’un quart d’heure: vous n’avez que tout juste le temps de vous armer et d’organiser la défense de la maison.

Sachant qu’il y avait au consulat des armes et des munitions, j’y courus avec quelques hommes de garde et en rapportai six mousquetons et une caisse de cartouches que, pour ne pas effrayer les dames, j’allai déposer dans le bureau de M. Régnault, à l’entrée du patio. J’y trouvai M. B., le ministre plénipotentiaire in partibus, qui attendait l’heure du déjeuner.

Qu’est-ce que tout cela? Me demanda-t-il en me voyant entrer avec mon arsenal. Je le mis rapidement au courant de la situation. Mais voyons, dit-il:

vous n’avez qu’une chose à faire…. Ah? – Evidemment! Et l’exterritorialité, qu’en faites-vous? Vous n’avez qu’à hisser le pavillon!… Et j’eus toutes les difficultés du monde à lui faire perdre ses illusions.

A ce moment on entendit des coups de feu dans le lointain. On se mit à table, et c’est là, tandis que la fusillade se rapprochait de plus en plus, que nous apprîmes les noms des premières victimes de l’émeute.

Voici, d’après mes notes, complétées par des renseignements recueillis ultérieurement, ce qui s’était passé et ce qui arriva par la suite:

17 avril

Ce matin à 11 heures, à l’occasion de la paye, deux tabors d’infanterie et un de cavalerie, casernés à la kasba des Cherarda, se sont mutinés et ont invectivé leurs instructeurs en tirant des coups de fusil, Puis ils se sont rendus au dar el-makhzen pour exposer leurs griefs au sultan; celui-ci les a renvoyés; effrayés sans doute par la gravité de leur faute mais se sentant en nombre et pensant échapper au châtiment en supprimant les justiciers, ils se sont mis à faire la chasse aux chrétiens.

Tabor, rattachement de goumiers dans la hiérarchie militaire des troupes coloniales françaises.

Les goumiers marocains étaient des soldats appartenant à des goums, unités d’infanterie légères de l'armée d'Afrique composées de troupes autochtones marocaines sous encadrement essentiellement français. Ces unités ont existé de 1908 à 1956.

D'abord supplétifs, puis réguliers, les goumiers se sont surtout illustrés lors de la Seconde Guerre mondiale, entre 1942 et 1945, période au cours de laquelle les quatre groupements de tabors marocains (GTM) regroupant chacun trois tabors (bataillons) lesquels rassemblent trois ou quatre goums (compagnies) chacun, principalement sous les ordres du général Guillaume, ont obtenu, entre 1942 et 1945, dix-sept citations collectives à l'ordre de l'armée et neuf à l'ordre du corps d'armée1, puis en Indochine de 1946 à 1954.

Dès le début de l’émeute, le général Brulard et le colonel Mangin en avaient été avisés par M. Reynier, officier interprète, et le lieutenant Metzinger de la compagnie d’instruction. Le commandant Brémond et M. Reynier avaient reçu l’ordre de se rendre à la kasba des Cherarda pour tenter de calmer les émeutiers. Mais il était déjà trop tard: les tabors révoltés s’étaient répandus en ville et massacraient leurs officiers.

C’est à ce moment que le commandant Brémond est venu faire son rapport à M. Régnault.

On s’attend d’un moment à l’autre à l’invasion du quartier du Douh («les Frondaisons») où habitent la plupart des Européens et où se trouvent l’ambassade, les consulats de France, de Grande-Bretagne et d’Espagne et l’hôpital militaire.

C’est dans ce dernier que le général Brulard établit son poste de commandement. Il ne dispose pour l’instant que des musiciens du 1er tirailleurs qui se trouvent en ville par un heureux hasard, des infirmiers, de quelques soldats convalescents, des cavaliers d’escorte de l’ambassade et d’une poignée de civils: en tout, une centaine de fusils à opposer à plusieurs milliers d’énergumènes bien armés et à une populace grisée par l’odeur de la poudre, avide de sang. A une heure et demie j’expédie au «Temps» mon dernier télégramme, peut-être l’ultime.

Provisoirement, tout ce que l’on peut tenter, en attendant le secours des tirailleurs de Dar Dbibagh prévenus par téléphone, est de défendre notre quartier. Des postes et des barricades sont installés à l’entrée de chacune des ruelles qui y donnent accès. L’hôpital est organisé en centre de résistance par son médecin-chef, le docteur Foumial, qui fait preuve, en l’occurrence, des plus belles qualités militaires.

Tout autour, l’émeute fait rage. Les égorgeurs poursuivent leur sinistre besogne, stimulés par les cris stridents, vrillants, obsédants des femmes frénétiques se bousculant sur les terrasses. Tous les militaires et civils français dont ils peuvent s’emparer sont assassinés, les uns dans la rue, les autres dans leurs maisons. L’Hôtel de France est envahi, la propriétaire et l’un de ses hôtes sont massacrés; les autres réussissent à se barricader dans une chambre ou à s’évader par les terrasses. A quelques centaines de mètres de nous, à l’entrée du Douh, les télégraphistes résistent dans leur maison à l’attaque des émeutiers. On tente à plusieurs reprises de les dégager, mais on est obligé de reculer devant la violence du feu.

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Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 106

Le colonel Taupin rend compte que le bataillon Philipot et deux pelotons de cavalerie sont partis à notre secours à une heure et demie, et qu’il a envoyé deux compagnies du bataillon Fellert, deux pelotons et une section d’artillerie à Dhar Mahrez –  Colline située à proximité de Dar Dbibagh au Sud de Fès, sur laquelle il y avait d'ailleurs un cimetière juif –  pour couvrir leur flanc droit. Il ne lui reste à Dar Dbibagh, pour garder le camp, les approvisionnements, les munitions, les vivres, les bêtes de transport, que deux compagnies, une section de génie, une section d’artillerie et une section de mitrailleuses.

Cependant aucun assaut sérieux n’est tenté contre notre quartier. Les émeutiers, incapables de résister à leurs instincts de rapine s’attardent au pillage des établissements européens et surtout du mellah qui subit un pogrom en règle avec toutes ses atrocités. Dix mille juifs affolés de terreur se précipitent vers le dar el-makhzen qui leur ouvre ses portes.

Cependant, autour de nous, la fusillade et les glapissements des femmes redoublent d’intensité, et les secours de Dar Dbibagh se font attendre. Enfin,

 la voix du canon se mêle au crépitement de la fusillade. La section d’artillerie du commandant Fellert, installée sur les hauteurs de Dhar Mahrez se met à bombarder les quartiers occupés par les émeutiers et, vers cinq heures, trois compagnies du bataillon Philipot, fortes de 370 hommes, pénètrent en ville et dans notre quartier par Bab el-Hadid – «Porte de fer», située au Sud-ouest sur la rive des Kairouanais. Cf. Le Tourneau, Fès, p. 123.

Parti de Dar Dbibagh depuis plus de trois heures, le bataillon était arrivé sans encombre jusqu’à la muraille de l’Aguedal, mais de là, assailli par derrière et sur sa droite par les tabors de cavalerie révoltés et les cavaliers des tribus, fusillés de gauche par les émeutiers installés sur les remparts du mellah, il n’avait pu avancer que pied à pied, dans le lit de l’Oued El- Ahdem – Oued al-a'zâm «la rivière des os», située au Sud de Fès – et de l’Oued Ez-Zitoun – La rivière de l’olivier», située au Sud de Fès  , faisant face de tous les côtés et subissant de grosses pertes. Une compagnie et deux pelotons de cavalerie, laissés en arrière pour couvrir sa marche, en avaient été coupés et avaient fini par se replier sur Dar Dbibagh.

Il s’agit maintenant, non plus seulement de défendre notre quartier mais de porter secours aux Européens domiciliés en dehors qui peuvent encore être sauvés. Des reconnaissances partent en tous sens; elles ont à soutenir des combats de rues meurtriers mais réussissent à ramener plusieurs compatriotes vivants, dont trois correspondants de journaux assiégés depuis midi dans une maison des Talâa, et plusieurs cadavres horriblement mutilés. Les quatre télégraphistes, après s’être défendus héroïquement jusqu’au soir, ont fini par succomber. Un seul d’entre eux est ramené par une patrouille, vivant mais grièvement blessé et brûlé,

  • Le 18 avril

Dès le lever du jour les tirailleurs complètent et renforcent la ligne de défense autour du quartier protégé. Les patrouilles qui la franchissent sont fusillées du haut des terrasses et subissent des pertes sensibles. Elles ramènent encore une vingtaine de rescapés, tous ceux de l’Hôtel de France, et un certain nombre de corps dont quelques-uns décapités. La plupart de nos compatriotes ont été sauvés par des Fassis souvent au risque de leur propre vie. Quelques-uns ont été recueillis par le pacha de Fez Jdid et conduits au dar el-makhzen, puis, de là, pendant la nuit, à Dar Debibagh.

Nos barrages tiennent bon, mais tout autour la lutte continue. Un grand nombre de bédouins des tribus voisines et surtout du Lemta – Tribu berbère dont le territoire est situé au Sud de Fès – se sont joints aux émeutiers pour piller le mellah abandonné par ses habitants. Ils commencent maintenant à s’en prendre aux boutiques de leurs coreligionnaires. Les bourgeois de Fez, terrorisés, se sont barricadés dans leurs maisons.

Le capitaine Normand, qui tient toujours à Tamdert avec le tabor du génie resté fidèle, assailli de tous côtés, demande des renforts qu’il est impossible de lui envoyer.

Le 19 avril

Après une nuit relativement calme, vers six heures du matin, la fusillade recommence. Un combat violent se livre autour de Bab Fetouh. Le tabor Normand, qui a fait une sortie, réussit à opérer sa jonction avec les troupes envoyées au-devant de lui par le commandant Fellert et se retire avec elles au camp de Dhar Mahrez.

Le caïd Si Aïssa Ben Omar nous amène encore deux lieutenants et deux vétérinaires qui s’étaient réfugiés dans les égouts où ils ont passé trente-six heures aux prises avec les rats: ils ont l’air de sortir d’un cauchemar. On ramène également la veuve et la fillette d’un capitaine tué hier, au cours d’une sortie, sans savoir ce qu’elles étaient devenues.

Dans la soirée arrivent de Meknès un bataillon mixte et une compagnie montée de la légion étrangère avec une section de mitrailleuses et un peloton de spahis, sous les ordres du commandant Doudoux. Nous commençons à respirer plus à l’aise.

Depuis hier soir je suis privé de tabac, et le thé ne vaut rien comme succédané. Voyant mon ennui, mon domestique me demande un laisser- passer pour nos postes. Il revient au bout de deux heures avec une demi- douzaine de paquets provenant du pillage de l’entrepôt. Jamais je n’ai fumé de meilleur tabac.

Le 20 avril

Après soixante heures de tumulte, il y a aujourd’hui une sérieuse accalmie. La plupart des maisons ont hissé sur leurs terrasses de petits drapeaux blancs ou tricolores pour éviter d’être bombardées, et l’Oued Fez charrie des quantités d’objets provenant du pillage dont les gens se débarrassent de crainte de représailles. Les askris mutinés se sont en grande partie dispersés. Ceux qui restent et la populace qui fait cause commune avec eux tiennent encore quelques quartiers de Fez Jdid et le mellah. D’autres viennent faire leur soumission et sont utilisés pour la garde de certains points que la faiblesse de nos effectifs ne nous permet pas d’occuper.

Quelques chorfa, oulama et notables, en majeure partie amis personnels de notre consul, se sont réunis chez M, Régnault et s’emploient maintenant à rétablir le calme. Le pacha et son khalifa tentent d’établir un service d’ordre et d’organiser la défense des quartiers. Grâce aux troupes amenées par le commandant Doudoux, secondées par celles de Dhar Mahrez, on arrive à dégager les environs immédiats et à réoccuper les fortins au nord et au sud de la ville.

Le 21 avril

Ce matin, avec MM. Biamay et Castells, je suis allé au Palais et au mellah. La ville étant toujours interdite, nous n’avons pu y arriver qu’en escaladant les murs de Batha – Dâr Batha, résidence d’été du sultan – .  et en traversant les jardins de Bou Jeloud. A Bab Dkaken – Bâb Dakakin, “la porte des boutiques“, située au Nord de Fès-Jadîd –  nous avons demandé à des mokhaznis du Palais de nous conduire auprès du sultan. Nous avons trouvé Moulay Hafid dans un de ses magasins, affalé sur un amas de ballots, inquiet, le regard fuyant, renfermé dans un mutisme farouche.

Toute la population du mellah, une dizaine de mille âmes, est entassée dans les cours du dar el-makhzen où elle commence à mourir de faim malgré les distributions de pain que lui fait faire Moulay Hafid. Pour les mettre à l’abri de la pluie, on a logé les femmes et les enfants dans les cages inoccupées de la ménagerie où ils voisinent avec les singes et les fauves affamés. C’est un spectacle à la fois grotesque et pitoyable.

La grande rue du mellah n’est plus qu’un monceau de ruines, de meubles éventrés, d’ustensiles de ménage brisés parmi lesquels gisent des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants hideusement tuméfiés et mutilés entourés de bandes de rats. Le long des murs effondrés, quelques chiens, trop repus pour bouger, se contentent de nous montrer leurs crocs. Un rouleau de la Loi, déchiré et souillé, traîne dans une flaque noire de sang coagulé qui répand une odeur épouvantable.

Quelques juifs se sont enhardis à nous suivre et commencent à ramasser leurs morts. Au moment où nous débouchons sur le cimetière, nous sommes salués par un obus de 65 tiré du Dhar Mahrez, trop court heureusement; un mouchoir agité à bout de bras met fin à ce bombardement.

A notre retour en ville nous apprenons que le général Moinier vient d’arriver à marches forcées de Tiflet, amenant avec lui 9 compagnies, une batterie, une section de mitrailleuses et deux pelotons de cavalerie. Nous disposons maintenant de cinq bataillons et demi, deux batteries dont une de 75 et une de 65, trois sections de mitrailleuses, une section du génie et deux escadrons, sans compter les soldats chérifiens que les caïds reha [chefs de camp] restés fidèles rassemblent à la kasbah des Cherarda.

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 106

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