Juifs. Maroc Mellahs-D. Corcos


The jewsof Morocco under the marinides -David Corcos

david-corcosTHE JEWS OF MOROCCO UNDER THE MARIN IDES

By David Corcos, Jerusalem (continued from JQR, LIV [1964] 271-287)

The reign of Abu-Yussef Yakub

The Emir Abu-Iyhya died in 1258. The Marinide 'Shiukh' named his brother Abu-Yussef, who was governor of Taza and of the fortresses of the Muluya, to take his place. All of Marocco, with the exception of Marrakesh and the region around it, recognised the authority of the new Emir. The last Almohad surrendered in 1269 and his capital, Marrakesh lost. The political union of Morocco was thus restored.

In order to make the activities against the Almohads ap­pear legitimate, the Marinides had asked that prayers be said in the name of the Hafgide Sultans of Tunis. But once Marrakesh was in his hands, Abu-Yussef maintained only superficial relations with the Hafcide court and styled himself 'Amir al-Muslimim' (Emir of the Moslems). He even granted asylum to a certain Al-Miliani, a dangerous enemy of the Hafgide Al-Mostancir, and gave him the town of Aghmat in fief.

After the death of Al-Mostancir, Abu-Yussef became the most powerful ruler in the Moslem West. His numerous military interventions in Spain made him feared and res­pected. The twenty-eight years of his reign represent a period of calm and prosperity for Morocco.

In the very first years of Abu-Yussef's rise to power, the

 Jews again figure in the accounts of the Arab chronicles, wherein they had not been mentioned for nearly a century. They appeared in the urban centres of Morocco and, as in the distant past when Idris II had made Fez his capital,they once more were attracted to this city. They appeared also in Marrakesh where Rabbi Yehuda Djian was the leader of the community. Although it is not possible to as- certain their number, they clearly belonged to three distinct groups

former Zenata nomads who were clients of the Marinides; foreigners, Spanish and oriental; and, finally, autochthonous groups converted to Islam under the Almohads and now returned to Judaism, encouraged by the new spirit of tolerance of their present masters. No specific documents exist confirming this return to Judaism. But this has long been accepted as a fact and is corroborated by events of a religious, social, political and economic nature which took place immediately after the Almohad era.

All indications lead us to suppose that the Marinides to some extent ignored the state of affairs which constituted a most serious crime according to malekite and sunnite law. Yet the Marinides championed this law, partly as a reaction against the rationalist ideas of the Almohads, partly because Malekite Islam, at one time imposed by the Almorávides, had indeed taken fertile roots in Morocco.

  • Fez was founded by Idris I before 790 . His son Idris II established his capital there and attracted al large number of Jews to the town, both autochthonous and Oriental. It is accepted that many of these Jews were Jerawa-Zenata, driven from Ores by the Arab armies. In any case there were no Spanish Jews in Fez, as has been suf- gested because they were expected to figure among the insurgents at Cordova who were driven from Spain in the year 198 of the Hegira (814) The majority of them in fact settled in Idris' capital. According to Qirtas, Beaumier, p. 55, this ruler allowed the Jews to settle in Fez on condition of an annual tribute (jezia) of 30,000 dinars. As the dinar was worth nine golden francs, the new community had to pay the equivalent of 279.000 golden francs per year, which gives an indication of its importance. Under Marinide rule, at various times, the Jewish community was comparable to what it had formerly been both in size and quality.
  • The Djian family still exists in Morocco and Algeria. Rabbi Yhouda (ben) Djian, as his name shows, was Spanish. Djian is the Arabic name of the town of Jaen in Spain. He is believed to have died in Marrakesh around 1310 He was chief Rabbi of that town, which proves that the community of Marrakesh was able to reorganize itself as soon as Abu-Yussef captured the town. Rabbi Yhouda Djian is quoted by Rav Hida (Azulai) שם הגדולים I, p. 45, also Toledano, op. cit. o. 41 and Youssef Benaim מלכי רבנן Jerusalem, 5690, p. 100.

These recently sedentary Jews suffered the same tribulations as the Marinides as we have stated (see p. II 2) They settled with them in Morocco. Another Zenata tribe, non-Marinide was not har- assed when the Jews were driven away by the persecutions of the Toowat Oasis see p. I, 2 n. II). The 'Kunta', a Moslem Zenata tribe, was to follow them on the Moroccan border of the Western Sahara (cf. F. de la Chapelle, Histoire du Sahara Occidental, Hesperis, .

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

REFLEXIONS SUR L’ONOMASTIQUE IUDEO-NORD-AFRICAINE

DAVID CORCOS

Un chercheur qui aborde la question des noms propres chez les Juifs de l’Afrique du Nord pressent immédiatement l’intérêt qu’un tel champ d’action offre à sa curiosité. Ses premières investigations lui révèlent déjà le parti qu’il peut tirer de cette étude. Il constate que dans le vaste domaine où il vient de pénétrer, les Juifs avaient éprouvé très tôt le besoin de fixer un nom pour leurs familles. C’étaient, comme toujours, des noms de plantes, de fleurs, d’épices, de particularités physiques, des noms de métiers, des ethniques de noms de lieux, des noms patronymiques, prénoms ou surnoms d’ancêtres lointains. Sur cette vieille terre chargée d’histoire, où plusieurs civilisations se sont superposées, on trouve encore des noms de famille qui plongent leurs racines jusque dans l’antiquité; et ce n’est pas là la seule surprise que l’onomastique judéo-nord-africaine nous réserve.

En Afrique du Nord, l’influence arabe n’a pas transformé le caractère fondamental des Berbères. Les moeurs et les coutumes ancestrales de ces derniers sont restées pour ainsi dire immuables. Il y a encore quelques décades, l’organisation tribale des Berbères était une réalité dont le maître du moment devait tenir compte. Les tribus berbères étaient fractionnées en un grand nombre de petites unités: c’étaient des familles et chacune d’elles avait un nom propre.

En dehors d’autres considérations qui. certes, ont leur importance, il semble bien que ce soit sous l’influence des Berbères que les Juifs Nord-Africains, dont une partie, d’ailleurs, sont de purs autochtones, avaient adopté des noms pour leurs familles. Cette pratique, les Juifs de la Berbérie l’ont prise avec eux en Espagne où elle se généralisa, en milieu juif, depuis les XIII-XIV siècles. Comme en milieu musulman, certaines familles juives reprirent alors une méthode qui existait au X et XIe siècle en Afrique. Cette méthode consistait à choisir dans leur liste généalogique un prénom plus remarquable que les autres et moins usité en y ajoutant l’indice de filiation arabe “ibn”. Dans le cas où il n’y avait que des prénoms d’un usage courant dans leur liste, ils choisissaient un de ceux qui était composé de trois consonnes en y ajoutant la syllabe ün (oun). L’orientaliste R. Dozy avait d’abord pensé que cette terminaison était l’augmentatif espagnol qui, par exemple, se trouve dans Hombron (-gros homme) etc. Plus tard, il convint qu’il s’agit d’un augmentatif non pas espagnol, mais arabe. Au XI" siècle, remarque S. D. Goitein, cette forme est particulière à la Tunisie. C’est de cette manière que se formèrent un grand nombre de noms propres chez les Juifs et chez les Musulmans, par exemple: Ibn Khaldün (de Khalid), Khalfün (de Khalifa), Farjün (de Faraj), Sa‘dün (de Sa‘d), etc.

Il y a d’autres formes beaucoup plus anciennes; celles-là sont d’origine libyque, berbère. Trois d’entre elles ont particulièrement frappé le savant Stéphane Gsell qui avait remarqué que dans la Johannide de Corippus, les noms propres ne sont pas latinisés. Le poète africain les a reproduit sous leur forme indigène. En citant plusieurs exemples, Gsell écrit:

Un grand nombre d’entre eux se terminent par la désinence an qui rappelle la formation du participe berbère des verbes qualificatifs, participe tenant lieu d’adjectif: par exemple, aberkan, étant noir, celui qui est noir. D’autres se terminent avec la désinence in, ou avec la désinence asen: ces formes se sont perpétuées dans le Maghrib . . ,

En effet, la liste est longue des noms chez les Musulmans de la Berbérie et de l’Espagne, de l’Occident Musulman comme on dit depuis peu, qui se terminent par an, asen et in. Chez les Juifs, ces catégories de noms propres sont également nombreuses: Issan, Meran, Ghozlan etc., sans parler des noms communs aux Juifs et aux Musulmans et qui ont une origine identique. Un prénom juif assez courant dans les communautés du Sud et de l'Atlas, était, il y a à peine vingt ans, Messen. Or, ce nom se compose de MS (Mes) qui veut dire “Maître” en berbère ancien et garde encore sa signification chez les Touaregs, et de SN (sen ou bien asen) qui signifie “ux”, d’eux”, c’est-à-dire leur maître, exactement comme Yaghmorasen, se composant de “Yaghmor” qui veut dire étalon et de “asen” (=d’eux). signifie leur étalon ou chef de sa tribu. Aussi, il n’est pas aventureux de dire que Messen était à une époque reculée peut-être un nom de plus pour désigner, chez les Berbères, le “Naguid”, le “Zaken”, l’“Amghar” juif, c’est-à-dire le “Sheikh al-Yahud” ou le “Mukkadem” dans les régions arabisées. Notez que chez les Juifs de la Berbérie il a existé, et il existe encore, aujourd’hui, des noms propres comme “Ben-Zaken”, “Ben-Amghar” et, à ce qu’on m’a rapporté, au moins deux familles “Ben-Messen”. Quant à la désinence in qui exprime une qualité et joue le rôle d’adjectif (généralement au pluriel), elle est la plus répandue. Pendant la période anté-islamique, nous connaissons déjà en Afrique des Autufadin, Cutin, Garafin, Marzin, Sanzin etc. Après la conquête arabe, on nous parle de Yahya ibn Telagaggïn, chef lemtounien au Sahara peu après l’an 1000, converti à l’Islam. Son ancêtre qui vécut au VIIIe siècle s’appelait aussi Telagaggïn. Son successeur, Tilütan (m. en 837), gouvernait sur toutes les tribus du Sahara dont quelques-unes, disent les chroniqueurs arabes, étaient “des Arabes (c’est-à-dire des nomades) et pratiquaient la religion juive”. Les légendes sur cette question ne manquent pas, ce n’est pas ce qui nous importe tellement ici, mais le fait qu’il a existé au Moyen Age et jusqu’à aujourd’hui, des familles Gaggin (moderne Gaguin) originaires de l’Afrique du Nord (le nom de R. Hayyim Gaggîn était célèbre au début du XVIe siècle à Fès) et qu’on ne sait pas quelle est l’origine de leur nom. Il y a eu aussi des Berbères qui s’appelaient Ü-Gagg et Wa-Gagg ou encore Ü-Agagg.; Les premiers maîtres berbères de Sijilmassa, Ibn Wanüdïn, sont bien connus de même que les vizirs hafsides Ibn Tafraggïn etc. On connaît également les grandes tribus berbères du Moyen Age, les Bâdïn, les Tüjin etc. Un nom qui me paraît significatif est celui de Ibn Isrâggïn, mais le plus intéressant de tous est certainement, pour nous, celui de Ibn ‘Aknïn. C’est un nom qui est, bien entendu, d’origine berbère, mais ce nom n’a été porté que par des Juifs. C’est ce qui frappe en premier lieu.

‘Aknïn (עקנין qu’on écrit aussi, mais par erreur עכנין), à qui l’indice de filiation berbère Ü semble avoir été ajouté à une époque assez récente, est formé de ‘Akn et de in. Or, ‘Akn est le même que ‘Akân, diminutif judéo-berbère de Ya'küb (Jacob). Dans le parler judéo-berbère ou judéo-arabe du Maroc, ‘Akân est encore fréquemment employé; mais depuis un certain nombre de générations, ce diminutif s’était localisé dans le Sud où il est resté uniquement comme un diminutif. Dans un acte officiel, rabbinique, on n’écrira jamais ‘Akân’ pour Jacob. Même un homme, montagnard, campagnard ou citadin, qui n’a jamais été connu que comme “ ‘Akân X” ne s’appellera pas autrement que “Jacob X” dans sa Ketuba par exemple. Dans le cas qui nous intéresse ‘Akân’ est devenu ‘Akn parce qu’avec la terminaison in, où se trouve déjà une voyelle, ce diminutif se prononce mieux ainsi dans la bouche d’un Africain du Nord et en particulier d’un Marocain. De ‘Akânïn on a fait ‘Aknïn comme de Dawîdi on a fait Daüdi. Chez les Musulmans de Fès, par exemple, un des saints les plus révérés dans cette ville, Mahammad ben al-Hassan, se prononce Mhamd ben l’Hssen.

[1]          Gaggîn est naturellement dérivé de Oggag ou bien Waggag. qui tous les deux signifient “fils de Gagg” ou bien “fils de Aggag”. Voyez “ ‘Aknïn’’, ci-dessous.

[1]          En général les noms se terminant par in sont purement berbères commes Bologgïn, Tashfïn Merïn, Ifuïn, Warrugïn Urtajïn etc., ou judéo-berbères comme ‘Aknïn, Assü-lïn, Gaggîn, Hassïn, Faggïn, Funïn, Ütmezggin etc. Les noms où la désinence in est précédée d'un d, ce qui forme le mot arabe din me paraissent difficiles à situer et cela d'autant plus qu’ils sont portés par des Berbères musulmans comme Wanüdïn (comparez Wad-Dïn = fleuve de religion — l'Islam — ). Cette difficulté ne peut exister quand il s’agit de Juifs.

[1]          Nous savons déjà qu’en berbère le Ü qui précède un nom veut dire “fils de”; N — An=En, Mez, Mis ou bien Ammis et enfin Ür ont été plus anciennement utilisés avec la même signification, par exemple: Mez-Zerwal (=fils de Zerwal. MeZrZerwal prend un autre sens dans le dialecte arabe du Maroc moderne). Mez-Üaret, (=fils de Üaret aussi “l'hérétier”). On trouve chez les chroniqueurs arabes des noms de la Berbérie qui commencent par Ü, O, Mez etc. précédés du ibn, ben qui dans ces cas fait double emploi. C’est une faute qu’Ibn Khaldün, comme d'autres, commet très souvent (voyez les remarques que fait à ce sujet son traducteur, de Slane, Histoire des Berbères, Paris 1927, t. II, p. 3, n. 2, p. 76, n. 2 et p. 174, n. 3). Les listes rabbiniques contiennent la même erreur, par exemple, Ben-Ohana, Ben-Wa‘knïn, Ben-Wahnün etc. Dans un autre ordre d’idée il faut indiquer que l’arabe Abu (vulg. Bou ou bien Bo = père de) est quelquefois employé dans un sens autre que celui qui est véritablement le sien, par exemple Abü Darba n’est pas le “père de Darba’’ (Darba n’est pas un nom), mais “le balafré”, c’est un surnom et Bohbot veut dire “le ventru”.

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David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

 ‘Aknïn se traduit textuellement par “le Jacobite” (=les descendants de Jacob); la forme arabe Ya'kübi explique parfaitement ‘Aknïn.

II n’y a que dans quelques Responsa de rabbins marocains que nous rencontrons quelquefois des ‘Akân. Aussi ce diminutif est-il inconnu même des Juifs du Nord du Maroc. C’est par une intuition admirable que D. S. Banett, “Le disciple Joseph ben Simon et Joseph ben Aknin” Tesoro de los Judios Sefardies VII (1964), p. 16, (héb.), a fortuitement entrevu la possibilité d’un lien entre le prénom Jacob, prénom que portait l’ancêtre d’un des Joseph ben Yehuda, et le nom Ibn ‘Aknïn qui était le sien. Il est évident que Banett ignore le diminutif de Jacob, ‘Akân.

On sait que l’erreur qui faisait confondre les deux philosophes, médecins etc. appelés l’un comme l’autre Joseph (ben Judah) ibn ‘Aknïn a été dissipée, cf. A. Halkin, “Ibn Aknin’s Commentary of the Song of Songs”, dans Alexander Marx Jubilee Volume, English section, pp. 402-405; D. S. Banett, art. cit., pp. 11-20:

  1. Hirschberg, The History of the Jews in North-Africa (Jérusalem 1965), t.1
  2. 267-270 (héb.); mais la question de savoir pourquoi ils portaient, tous les deux, le nom Ibn ‘Aknïn n’a pas été pour autant résolue. Dans le cadre de ce petit travail, il ne m’est pas possible de m’étendre sur ce problème autant qu’il l’eût mérité. Sans entrer dans tous les détails, j’en dirais seulement quelques mots. Nous avons à faire à dawx personnes différentes: (i) le commentateur du Cantique des Cantiques etc., Joseph ben Judah ben Joseph ben Jacob “Barceloni” qui vécut la grande partie de sa vie à Fès où il écrivit toutes ses oeuvres; (ii) Joseph ben Judah ben Simon ben Isaac “Maghrebi” (le dernier nom, Isaac, n’est connu que par une seule source, l’oriental al־Kifti), le disciple de Maimonide; il quitta Fès pour l’Orient longtemps après son maître. Si le nom Ibn ‘Aknïn est donné au premier Joseph c’est que son ancêtre, avons-nous dit, était le prénommé Jacob. Mais alors on peut s’interroger pour savoir comment un Espagnol (il serait né à Barcelone) pouvait porter un nom judéo-berbère. Son ancêtre, Jacob, est dit aussi “Barceloni”. Or, il n’est pas nécessaire pour cela qu’il fut né à Barcelone. Le fameux R. Isaac al-Fasi était né à la Kala‘a des Beni-Hammad. Son nom al-Fasi vient surtout de ce qu’il ait demeuré longtemps à Fès. Jacob “Barceloni” était dayyan à Barcelone et, sans y être né, y avait longtemps vécu. Jacob était probablement un africain comme tant d’autres dayyanim en Espagne à son époque, de même que son fils Joseph peut être le grand père de notre Joseph ben Judah. Joseph ben Jacob pouvait s’appeler déjà Ibn ‘Aknïn. Le disciple de Maimonide était, lui, un authentique maghrébin. Sa famille et lui même était de la ville de Ceuta. Il n’y a pas de Jacob parmi ses ancêtres. Pourtant, la tradition lui a donné le nom Ibn ‘Aknïn que, vraisemblablement, il porta dé son vivant. C’est, en ce qui le concerne, un nom qui apparemment, ne répond à rien. Cependant, en cherchant de plus près, on peut l’expliquer. Pour un esprit oriental ou arabisé dans une certaine mesure, le prénom Joseph évoque involontairement le prénom Jacob (comparez la règle de la künya arabe) : un Joseph est automatiquement “fils de Jacob”. D’autre part, le nom de famille de ce second Joseph ben Judah était, nous assure-t-on, Ben-Simon et là encore Simon est automatiquement “fils de Jacob”. Voyez, par exemple, le “prophète” des Barghwata, le Juif Tarif dont le père s’appelait réellement peut-être Simon; automatiquement, nous semble-t-il, l’informateur de El-Bekri (notre première source: cf. Description de l’Afrique Septentrionale, tr. de Slane, Alger 1913, p. 259) l’appelle: “Tarif ben Simon ben Jacob” et va plus loin en ajoutant “ben Isaac”. Jacob est lui aussi, automatiquement, “fils d'Isaac”; ces exemples ne manquent pas dans la littérature arabe. Aux yeux de ses contemporains, Joseph ben Judah ben Simon ne pouvait être qu'un “Jacobite”, un ‘Aknïn. Mais, dira-t-on peut-être, ‘Aknïn est judéo-berbère, pourquoi ce nom pour un homme né en Espagne et un autre né dans le grand port cosmopolite de Ceuta? Ici, il faut se rappeler l’importance que prit le berbère sous les premiers Almohades, époque pendant laquelle vécurent les deux Ibn ‘Aknïn: “Les Almohades”, nous dit Ibn Abi Zar’, “bouleversèrent tout à leur arrivée à Fès; autorités, khateb, imam furent remplacés sous prétexte que ne connaissant point la langue berbère leur ministère devenait inutile” (Rawd al-Kartas, tr. Beaumier.

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David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

Chez les Juifs d’Afrique du Nord, on rencontre des noms patronymiques basés sur un prénom de femme. Il semble qu’à une époque fort reculée, il avait existé chez les habitants du Sahara, des “Ethiopiens”, des Noirs, ce qu’on appelle la filiation utérine indiquée par le nom de la mère. A l’origine, cette forme était probablement nécessaire à cause de son caractère d’évidence. Par la suite, la coutume s’en était maintenue dans les oasis sahariennes. On la trouve encore chez les Touaregs. On la trouve aussi, avons-nous dit,chez quelques Juifs originaires de l’Afrique du Nord. Dans ce cas, il faut savoir que depuis leur arrivée dans le Sahara, arrivée qu’on fait remonter à tort ou à raison au Ve siècle, et jusqu’en 1492, année de fortes persécutions dans ces régions, les Juifs avaient été très nombreux dans les oasis. Aussi peut-on dire des familles Ben-‘Allo, Ben־‘Aziza, Ben-Esther, Ben-Ijo, Ben- Maknîn, Ben-Mahfüta, Ben-Moha, Ben-Nüna, Ben-Tata etc. qu’elles sont d’origine saharienne.

Des noms de famille comme Banün (=Banon), Foïnkinos, Hakün (Hakon), Hanün (=Hanon), Masnot, Pünïn (=Fünïn) etc. semblent être réelle­ment d’origine punique ou libyque. Ceux qui les ont portés ou qui les portent encore descendent forcément des premiers habitants juifs de la Berbérie. Mais peut-on sans preuves certaines remonter à des époques aussi lointaines? Il faut dire ici que dans l’état actuel de nos connaissances, nous en sommes réduits aux simples hypothèses. D’ailleurs, d’une manière générale et en exceptant quelques noms dont l’étymologie est évidente et l’origine bien établie, l’onomastique judéo-nord-africaine constitue encore un champ non- défriché et plein d’embûches.

Pour entreprendre l’étude des noms de famille en Afrique du Nord, nous avons un premier élément: les listes rabbiniques. Celles-ci ne sont pas nombreuses. Je n’en connais que quatre pour l’ensemble du Maroc. Ces listes sont d’ailleurs incomplètes.

Le travail vieilli du grand savant Moritz Steinschneider sur les noms de famille juifs dans les pays arabes rend malgré tout quelques services. Steinschneider avoue lui-même sa méconnaissance des “dialectes arabes”, il aurait mieux valu dire du berbère. Dans la très longue liste qu’il donne des noms judéo-arabes, il y en a un nombre fort important qui ont appartenu à des Nord-Africains. Pour la transcription espagnole moderne de beaucoup, on se rapportera à la liste des familles de la communauté de Tanger dans les années 1930, liste dressée par Isaac Larédo; pour leur transcription française, on consultera la liste d’Isaac Abbou. La plupart des noms propres des Juifs de la Tunisie ont été notés par David Cazès  et ceux de l’Afrique du Nord, dans son ensemble, par André Chouraqui. Les travaux sur l’onomastique juive de l’Afrique du Nord d’Ismael Hamet et du rabbin Maurice Eisenbeth  rendent également quelques services mais exigent de grandes précautions. Il ne faut les consulter qu’avec beaucoup de prudence. Enfin, on nous annonce la publication prochaine, à Madrid mais en français, d’un important ouvrage sur l’onomas­tique judéo-marocaine. L’auteur en est le regretté Abraham Larédo de Tanger, érudit bien connu. Espérons que ce travail d’un “homme du terroir” comblera l’importante lacune qui existe dans les études sur le Judaïsme de l'Afrique du Nord, ce Judaïsme que nous voyons disparaître sous nos yeux.

 

Ces listes se trouvent dans les ouvrages suivants: R. Abraham Coriat, Sefer Zekhul Avot; R. Raphaël Berdugo, Sefer Toro׳t Emet; R. Raphael-Moshé Elbaz. Sefer Keritot (Ms. David Ovadiah) et R. J. M. Tolédano, Ner ha-ma‘arav.

Cf. M. Steinschneider, “An Introduction to the Arabie Literature of the Jews". Jewish Quarterly Review IX (1896-1897), X (1897-1898), XI (1898-1899), XII (1900), XIII (1901).

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Abayob, Ab-Iyob (אבאיוב)

mentionné dans la liste Coriat est orthographié de différentes manières dans les documents espagnols du XIV״ siècle: Bueno Abayu qui obtient des privilèges de Charles 11 de Navarre en 1359; de 1306 à 1363, parmi les riches notables de Valence figurent Humer Abnajub, Salamo, Jaffuda, Juceff Abnajup et Açacli Abnayub (F. Baer, Die Juden im christlichen Spanien . .. Urkunden … Berlin 1929, t. I, pp. 283, 370-379, 921). Le nom Job a eu une heureuse fortune en Afrique du Nord: comparez Juba I, roi de Numidie et son fils Juba II, le fameux roi de la Mauritanie, mort en 24 de l’ère moderne.

 

‘Abbou, Benabou (בן עבו)

est le diminutif berbère de ‘Abd-Allah qui est l’équivalent de l’hébreu Obadiah. Le nom de famille Ben-Abdallah existe aussi chez les Juifs du Maroc. Je n’ai vu qu’une seule fois le patronyme Abbou dans les documents espagnols: “Cuçen Aben Abbo”, notable juif de Majorque vers 1320 (Baer, t. 1, p. 214). Abbou et Benabou sont communs ches les Juifs de toute l’Afrique du Nord et ceux qui portent actuellement ce nom patronymique ne semblent pas avoir jamais été ailleurs. Vers 1400, un Hakün ben ‘Abou était connu en Algérie (I. Epstein, The Responsu of Rahbi Simon h. Zemah Duran, London 1930, p. 23); ‘Akan ‘Abou était au début du XVI״ siècle l’homme le plus riche de la région de l’Oued Noun (Sud-Ouest marocain) et un Juif pieux (D. Corcos, Séfunot X [19661. p. 79).

 

Abittan, orthographe moderne de (A)bettan=Battan (בטאן),

localité ancienne dans le voisinage de Harran en Mésopotamie: Muhammad ibn Jabar ibn Sinan al-Battani (= de la ville de Battan), astronome du X״ siècle connu au Moyen Age en Europe sous le nom de Albategnius. Ce nom de famille n’a pas existé chez les Juifs d’Espagne, il n’était connu qu’au Maroc. On ne peut affirmer que ces Marocains aient été d’une origine orientale même lointaine car Bettan ou Battan est également un nom d’homme berbère: Iris ben Battan as-Sanhaji et son frère ‘Atiya ben Batían se révoltèrent contre ‘Abd al־Mumin l’Almohade, s’emparèrent du Tadla où ils résistèrent victorieusement (Lévi-Provençal, Documents Inédits d’Histoire Almohade, Paris 1928, p. 210). — Abittan = Battan = Abettan est différent de Bitton.

 

Abzardel, Abzardal, Abzradil, Abizradel (אבזארדיל-אבזראדיל)

\= Zardal etc. est un nom d’homme berbère, ex.: tribu des Banü Zerdal, branche des Badin Zenata (cf. Ibn Khaldün, Histoire des Berbères, Paris 1934, t. III, p. 308).

Illustre famille juive d’Espagne; elle est connue à Tolède depuis 1250. Parmi ses membres les plus célèbres: R. Moshé ben Yosef Abi-Zardiel, le savant secrétaire d’Alphonse XI entre 1330 et 1340; Abraham Abzardiel morador en Occanna” vers 1370; Samuel Abzaradiel (m. après 1488) et le médecin Isaac Abzardeil allié de la famille Almosnino. En 1492, les Almosnino s’installèrent à Fès où Isaac Abzardeil, sans doute le petit-fils du médecin, et Abraham Almosnino furent parmi les chefs des expulsés d’Espagne (cf. sevet Yehuda, éd Shohat, Jérusalem 1947, pp. 53-55, 181; Baer, t. I et II, passim; F. Cantera et J.M. Millas, Las Inscriptiones Hebraicas de España, pp. 54-58; Abraham Ancaoua, Kerem Hemed, Livorno 1869-1871)

 

Aflalo (אפלאלו).

C’est à tort qu'on a souvent fait dériver ce nom de celui de la province marocaine, le Tafilalet. Selon une vieille tradition, la famille Aflalo aurait été parmi les premières d’Ifran de l’Anti-Atlas, l’antique Oufran. Aflalo est le nom berbère, altéré, Afelilo dont le sens m’est inconnu. Dans la région de l’Oued Outat, aifluent de la Moulouya, région anciennement peuplée de nombreux groupements juifs, il a existé et il existe encore des rivières, des montagnes et des villages fortifiés dont il ne reste que des ruines qui portent le nom Afelilo. — Il n’y a pas eu, à ma connaissance, des Aflalo en dehors du Maroc jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

‘Aknin, voir Waknin.

Al-Fezouati, Fzuati, Faswati, Fijuati etc. (בן אל פזוואטי), ethnique de nom de lieu: Fezouata ou Fazwata, région de la haute vallée du Draa, au Nord de Mhammid dans le Qtawa. Au Moyen Age et jusqu’il y a environ deux siècles, ce fut une région prospère par où passait la “route de l’Or”, “la route juive” jalonnée de villages fortifiées où habitaient des Juifs. La capitale de Fazwata était Zegoura, grande ville disparue et dont on peut encore voir les ruines (voir le nom Zagouri). Dans ces dernières décades, quelques dizaines de familles juives ne vivaient plus que dans le village d’Amzrou.

Abraham et Maymo Fazuati, originaires de Fezouata établis à Majorque se rendaient pour leurs affaires dans le port algérien de Ténès en 1330 (cf. Ch.־E. Dufourcq, L’Espagne Catalane et le Maghrib aux XIII׳ et XIV‘ siècles, Paris 1965, p. 600).

 

Alocana, Cohen de (הכהן די אלוקאניא) = originaire de Al-Ocaña en Espagne. L’aljama de Al-Ocaña paya de fortes contributions à la veille de l’expulsion en 1492 (F. Cantera, Sinagogas Españolas, Madrid 1955, p. 253; L. Suarez Fernandez, Documentos acerca de la Expulsion de los Judíos, Valladolid 1964, p. 69). Juan de Ocaña, “Converso”, fut brûlé vif par l’Inquisition à la suite de l’affaire du “Saint-Enfant de la Guardia” (Baer, t. II, pp. 450 sqq.). Au début du XVIIP siècle, R. Joseph Ha-Cohen Alocaña fut dayyan dans le port marocain de Salé; dans cette dernière ville Abraham et ses fils Moise et Mayer de Alocaña eurent un procès contre le “Naguid” Shem-Tob Benatar (cf. R. Jacob Abensur, Mishpat U-Tsadaka lé-Yaacob, Alexandrie 1894, t. I, art. 17 et t. II, art. 151). La famille Alocaña a disparu du Maroc.

 

An-Bito (אינביטו), Enbito, ethnique de nom de lieu: “originaire de Bitou”. Bito=arabe pour Poitou en France. Ce nom de famille a existé au Maroc jusqu’à ces dernières décades. — Samuel Anbito ou Ambito reçut en 1370 des Lettres de Protection de l’Infant Juan d’Aragon; Symuel Abenbito fut un notable à Séville dans le années 1380 (Baer, t. I, pp. 235, 238).

 

Anfaoui (אנפוי),ethnique de nom de lieu: Anfa, ancien nom de l’actuelle Casablanca. — R. Moshé Anfaoui (1555) et R. Dinar Anfaoui (1599), notables à Fès y sont parmi les leaders des toshavim et signent des takanot en leur nom. Le nom de famille Anfaoui n’existe plus.

 

Arajel, ar-rajjel, Ab-Rajel (אראזיל), en arabe “l’homme” dans le sens de “l’homme fort, courageux, digne, qui tient sa parole”. En Espagne, la famille Arajel était bien connue surtout sous les formes Abrazil et Ab-Arragel: Samuel Arragel, notable à Talavera en 1432; Salomon Arraxel, riche propriétaire à Guadalajara avant 1492 (Baer, t. I, pp. 299, 434); Moses Arragel, fameux traducteur de la Bible en langue castillane: il vécut à Guadalajara dans la première moitié du XVe siècle; dans une lettre de Ferdinand et Isabelle datée de Barcelone 16 Mai 1492, on trouve la composition de la famille Arragel qui avait quitté l’Espagne et y avait laissé (région de Algete) d'immenses propriétés (Suarez Fernandez, pp. 514-516). R. David Arragel (vers 1625) fut dayyan à Sefrou; il est l’auteur d'un commentaire sur le Talmud. La famille Arajel était en Afrique du Nord il y a encore une vingtaine d’années.

 

Arroyo (אריוליו, ארוליו), souvent avec le ben dans le sens “originaire de”: plusieurs villages portent le nom Arroyo en Espagne; l’un d’eux, Arroyo del Puerco, était uniquement composé de Juifs. Il y avait également des Juifs à Arroyuelo (cf. Suarez Fernandez, pp. 66, 69). L’ethnique Ben-Arroyo a existé à Tolède dès la fin du XIIe siècle: Bou Ishak Ben-Arroyo et Simha fille de Moshé Ben-Arroyo; entre 1388 et 1420, don Zulema aben Arroyo était recabdador dans le royaume de Castille; don Samuel aben Arroyo était en 1467 recabdador de las alcavalos; en 1487, don Mayr aben Arroyo et sa femme semblent s’être convertis (Baer, t. I, pp. 259, 323, 384 et 518). Avant 1940, il n’y avait plus des Ben-Arroyo, originaires de Tetuan, qu’à Oran.

 

Ascori, as-Skouri. Haskouri. Scori, avec ou sans l’indice de filiation ben (בן אסכורי)  ne pas confondre avec Azagouri. Zagouri qui sont nettement differents et mentionnés l’un et l’autre dans la liste Coriat. Les Haskoura de la race berbère des Masmüda du Grand Atlas furent une puissante confédération de tribus qui jouèrent un grand rôle dans l’avènement des Almohades et le maintien de leur Empire (cf. entre autres Ibn Khaldün, Berbères, t. II, pp. 118 sqq.). Une des fractions des Haskoura, les Banou-Sakkour. sont parmi les rares tribus qui ont survécu à leur propre triomphe. Les Banou-Sakkour ont donné leur nom à la région de Sakkoura, prononcée Skoura, dans la haute vallée du Draa, au sud de la Kasba de Telwet. Les Juifs y avait été, du XIIIe au XVIII״ siècles, très nombreux, actifs et parfois puissants. Surtout en dehors de leur pays, ils portaient, comme les Musulmans, l’ethnique Haskouri et Skouri ou as- Skouri. Ils semblent avoir été en relations permanentes avec l’Espagne, surtout au XIIIe siècle: vers 1266 des Juifs Axucri vivent à Jeres de la Fronteira, parmi eux il y avait des hommes importants tels Abrahen Axucury, Yuna su fijo et Yçaf Axucury (Baer, t. II, pp. 58 et 59). La famille Ascori ou as-Skouri des “Expulsés de Castille” était connue à Fès et à Meknès (cf. Abensur, t. I, art. 7 et 49); R. Raphaël Moshé (אסקורי) était un talmudiste de grande réputation à Fès.

 

Atejar, at-Tejar (אטיזאר), en arabe “les marchands”, “ceux qui s’adonnent au commerce maritime” dans le sens “l’honorable”, titre réservé au Maroc aux non-Musulmans. En 1487, Sento Atejar de l’aljama de Doleitosa près de Trujillo eut un procès pour l’énorme somme de 300.000 maravedis (Baer, t. I, p. 427).

 

Azeroual, déformation de Ou-Zaroual (אוזרוואל). Dans le langage populaire du Maroc “Zaroual” signifie “de plusieurs couleurs”, un plumage chiné se dit mzerwül; dans certains dialectes berbères de l’Algérie “Zaroual” veut dire “l’homme aux yeux bleus”; mais c’est aussi un nom ancien en Orient: le grand poète arabe Abu Muleika Jerwel (=Djerouel), m. après 660 de l'ère moderne. Cependant, Uzurwal est un nom assez courant et ancien chez les Berbères: la tribu des Banu Uzarwal, Sanhaja du Jebel Srif dans la région Oran-Tlemcen (Ibn Khaldün, Berbères, t. II, p. 124); les Juifs ont porté ce nom et le portent encore; il a été, comme il arrive si souvent, déformé dans les documents espagnols: “Zareyal”. Vers 1271, le Juif africain Samuel Zareyal se fixa à Borriana et don Pedro l’affranchit pendant trois ans de tous les impôts (cf. Jean Régné, “Catalogue des Actes de Jaime 1er, Padro III et Alphonse III. Rois d’Aragon, concernant les Juifs”, Extrait de la RE J, Doc. No. 509). R. ‘Ayush ben Uzarwal était dayyan à Fès vers 1698; une famille de marchands juifs, les Azeroual, vivait à Taza aux XVIP et XVIII' siècles.

 

Azogui (בן־אזוגי), ethnique de nom de lieu: Azoggi ou Azokki qui fut au Moyen Age un centre commercial célèbre pour le trafic de l’or africain. Cette localité était située au Sud de Sijilmassa. En 1458, nous connaissons don Abraham Abenazogue et son fils Yucef qui vivaient à Tolède (Baer, t. I, p. 431); Abraham Azogui était en 1729 à Safi (Maroc) un marchand de poudre d’or; vers 1750, les notables Jacob Azogui et Judah Azogui vivaient à Agadir et à Salé; Yamin Azogui de Salé fut assassiné en 1790 chez les Dukkala de la région de Safi.

 

Bacri (בקרי), en arabe “l’aîné”, comparez le géographe Abu ‘Obeid al-Bacri. La famille juive Bacri est “Cohen” (Cohen-Bacri = Cohen l’aîné). Au début du XIV° siècle, Samuel, Hayoun et Mardochée fils de Haron Bacri résident tantôt à Fès tantôt à Majorque et ils ont des biens dans les deux villes (cf. Dufourcque, p. 465, n. 4); R. David ben Samuel ha-Cohen Bacri était au XVe siècle le dayyan de la communauté de Bougie en Algérie; au XVIII8 siècle, les Bacri vivent entre Livourne, Marseille et Alger.

 

Bahlul (בהלול), nom d’homme arabo-berbère dont le sens est en réalité inconnu: un Bahlül fut un chef maghrébin qui soutint puis abandonna Idris II près de Fès; Bahlül ben Marzük est le chef berbère qui s’empara de Saragosse en 797; les Bahlüla, tribu de Berbères judaïsés d’après Ibn khaldün; don Salomon Bahlul fut entre 1280 et 1330 un banquier dans quelques villes d’Espagne (Baer, t. I, p. 71). Les Bahlül au Maroc se considéraient comme “castillans”. Plusieurs membres de cette famille qui était établie surtout à Meknès étaient bien connus pour leur érudition et leur piété: R. Daniel (vers 1660), R. Samuel et R. Eliezer (vers 1730) etc.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

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Batash, Batas, Bataj (בטאש, באטג'), nom d’homme d’origine arabo-espagno- le(?) devenu patronyme avec parfois l'indice de filiation ben, aben, ibn et l'article al=le\ Benyamin et Jucef Abenbitals, fils de Salomon Abenbitals, notables à Hucsca en 1170(!); don Bittas Halleva fillo de Samuel, notable de la “Aljarna” de Saragosse; en 1382 Bitas de la riche famille Avengayos de Jaca; au XIV״ siècle la famille Abenbitas est une des plus importantes de Saragosse; don Mose Abaltax, financier et collecteur d’impôts, est un des Juifs les plus influents du royaume de Castille à partir de 1350. De nombreuses autres personnalités juives d’Espagne appartiennent à la famille Batash. Abenbitas etc. Quelques Juifs de langue arabe écrivaient ce nom (פטש), ex.:

  1. Isaac בן אלפטש de Tolède (m.le 16 Novembre 1332) dont le nom a été mal lu: “El-Fats”(!) (Millas et Cantera, pp. 94-95) est, selon mon opinion, incorrectement corrigé par “El- Fatesh”(!) (J. Schirmann, dans Tarbiz XXVII [1958], p. 565). Certains membres de la famille vivaient à Fès au XV״ siècle: le puissant vizir juif Harun ben Batash assassiné en 1465; au début du XVI״ siècle, Moshé aben Batash était un des leaders des Juifs hispano-portugais à Fès; dans cette dernière ville eut lieu en 1705 la mariage de la riche héritière ‘Azzuna bat David ben Ismaël ben Yosef aben Batash (Ms. 880/478, HTS New York). La famille Batash a vécu au Maroc jusqu’à ces dernières décades.

 

Ben-Chabbat (בן שבת), Bensabat, Benshebat, Benchebat etc.; en Algérie l’indice de filiation a été supprimé avec la francisation du pays; c’est un nom patronymique: Shebbat est un prénom arabe assez courant jusqu’au XVI״ siècle, plus rare après ce siècle. Rattacher Ben-Shebbat au Shabbat juif ne serait sans doute pas exact bien qu’alors ce patronyme prendrait le sens de “fils du Shabbat = observateur du Shabbat = l’homme de religion mosaïque”; mais peut-être est-ce avec cette idée qu’en Afrique du Nord quelques Juifs qui n’avaient pas de nom de famille l’avaient-ils adopté à une époque récente? Au Maroc, les authentiques Ben-Shebbat, mal prononcé et mal écrit Bensabat etc., étaient des Levyim (des Lévy): Ben- Shebbat ha-Lévy ou Levy-Ben-Shebbat (voir Liste Coriat). En Espagne, il y avait vers 1330 don Cag aben Xabat qui appartenait à une des premières familles de Cordoue (Baer, t. II. p. 54); le fameux financier Joseph de Ecija était un Abi-Shebbat; son nom complet est R. Joseph ha-Lévy ben Ephraïm ben Isaac ha-Lévy ben Abi-Shebbat (cf. Sevet Yehuda, pp. 52, 53); en 1492, la famille Abensabad laissa de nombreux biens en Espagne

 

Ben-Kassouma (בן קסומה),nom patronymique de Juifs vivant dans la région de l’Oued Draa au XVI et XVII" siècle, puis à Meknès et à Larache vers 1735 (cf. Abensur, fol. 42). Kassouma est le féminin du prénom arabe Kassem. A ma connaissance, seules les femmes juives portaient le prénom Kassouma par contraction K-ssouma et le nom de famille qui en dérive n’a pas existé en dehors du Maroc.

 

Ben-Lu’lu’, Benloulou, Benlolo, Belolo etc. (בן לולו), nom patronymique arabo-berbère, ex. Maala ben Lü’lü', gouverneur de Taroudant sous les Almorávides (Lévi-Provençal, Doc. p. 219) et l’historien Zarkashi ben Lü’lü’ dit al-Lü’lü’i, auteur de la Chronique des Almohades et des Hafsides. Lü’lü’ signifie “perle”, il est l’équivalent du mot “al-Jawhar” devenu synonyme de Lü’lü’ au Maghrib (cf. H. P. J. Renaud et G. S. Colin, Tuhfat al-Ahbab, p. 109). Jawhar prononcé Zohar et aussi Zohra sont des prénoms courants chez les femmes juives et musulmanes de l’Afrique du Nord; Ben- Lü’lü’ et Ben-Zohar comme noms patronymiques sont également répandus chez les Juifs.

 

Ben-Moha (אבן־מוחה), Moha est un prénom de femme chez les Juifs du Sud et du Sud-Est marocain. Une famille connue de rabbins, auteurs d’ouvrages sur divers sujets religieux, de la communauté de Marrakech, écrivaient leur nom: aben-Moha, se rattachant ainsi, suivant la tradition, aux anciens éxilés d’Espagne. Le prénom féminin Moha a peut-être existé en Espagne.

 

Ben-Mu‘iza (בן מעיזא) : Mü'iza est un prénom qui a été rarement porté et seulement par des femmes berbères de religion musulmane ou juive; c’est le féminin de Mü‘iz (qui est en fait un titre, devenu prénom) illustré par Mü‘iz ben Ziri ben ‘Attiya. Une famille Ben־Mü‘iza a vécu à Meknès au XVIL et XVIIL siècles .

 

Ben-Tejeda (בן תג׳ד־ה), ethnique de nom de lieu avec le ben dans le sens “originaire de”: Tejeda, ville espagnole située non loin de Salamanque. Il y avait une petite communauté juive (cf. Suarez Fernandez, p. 70). Les Ben-Tejeda, connus pour leur adresse dans le travail des métaux précieux, n’existent plus depuis la fin du XVIIIe siècle. A cette époque, cet ethnique n’était connu qu’au Maroc.

 

Ben-Zanou (בן זנו) : Zannü (Zanou=Zano) est un nom de femme berbère de la “race” des Zenata: une des filles du sultan mérénide Abu ‘Inàn (1329-1352) s’appelait Zannü (cf. Ibn Al-Ahmar, Radwat an-Nisrln, p. 81).

 

Ben-Zerri (בן זרי), ne pas confondre avec Ziri, nom d’homme chez les Berbères Sanhaja, qui est aussi comme Ben-Zerri un nom patronymique chez les Juifs du Nord de l’Afrique. La tribu des Aït-Zerri dans la haute vallée du Draa a été composée de Berbères musulmans et de nombreux Juifs. En 1930, ces derniers n’y étaient plus qu’au nombre de soixante- quinze personnes environ (Villes et Tribus du Maroc, Tribus Berbères, t. II, pp. 94 et 128) et il n’en reste plus aujourd’hui.

 

Ait Zerri (Aït Zerri) is a tribal area (class L – Area) in Region de Souss-Massa-Draa (Souss-Massa-Drâa), Morocco (Africa) with the region font code of Africa/Middle East. It is located at an elevation of 853 meters above sea level.
Aït Zerri is also known as Ait Zerri, Aït Zerri, Oulad Jerri.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

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Calahorano (קאלהוראנו), ethnique de nom de lieu: Calahorra où existe une des plus vieilles synagogues d’Espagne; il y avait à Calahorra une très riche communauté juive (cf. Calos Groizard y Coronado, “Los Judíos de Calahorra y Arnedo”, Boletín de la Réal Academia de la Historia XLIX [19061, pp. 237-240; F. Cantera Burgos, Sinagogas Españolas, pp. 185-188; Suarez Fernadez, p. 66). R. Hayyim קאלהוראנו était dayyan à Alcala de Henarès vers 1490; Yonah קאלהוראנו ne semble avoir quitté l’Espagne que vers 1550 (?); son descendant Ephraïm קאלהוראנו fut un des leaders de la communauté de Fès à la fin du XVIL siècle (cf. entre autres J. M. Tolédano, Ner ha-maarav, pp. 67, 107 et 124).

 

Cidicaro, ha-Lévy (סידי קארו הלוי), comme on le voit, ce nom de famille se compose d’un nom ou plutôt d’un titre arabe: Sidi (=Monseigneur, vulg. Monsieur), d’un mot espagnol; Caro (-Cher) et du nom Lévy; on peut le traduire par “le cher Seigneur ha-Levy”. Les Cidicaro étaient des financiers influents et des érudits; au XIV'-XV״ siècles ils vécurent à Villadiéogo en Aragon; les mieux connus étaient don Judah ben Shem-Tob Cidicaro (1348). don Shem-Tob (1365), probablement le petit-fils de ce dernier appelé ausi don Shem-Tob Cidicaro (1403) et don Salomon Cidicaro 1439) (Baer, t. I, pp. 192-195. 308). R. Moshé Cidicaro ha-Lévy était un des savants rabbins de Fès pendant la première moitié du XVI' siècle (Tolédano. p. 103).

 

Cota, Aben-Cota, de Cota (אבן קוטה), famille de conversos célèbre en Espagne au XIV' et XV״ siècles: Alonso de Cota de la ville de Tolède était un mercader muy rico é honrado; Rodrigo de Cota, poète de grand talent rédigea un poème contre les “chrétiens-nouveaux” bien qu’il en fut un lui-même. II vécut à la Cour de Henri IV d’Espagne puis à celle de la reine Isabelle (Kayserling, Sepharadim, pp. 92 sqq.; Baer, t. I, p. 383; Julio Caro Baroja, Los Judíos en la España, t. I, pp. 123-125). Une partie de cette famille revint au Judaïsme au Maroc où elle a vécu jusqu’au siècle dernier.

 

Crudo (קרודו) : en 1953. on a découvert près de Zamora un sceau en bronze de 16 mm. portant une feuille de lis à droite et à gauche, une étoile au milieu d’un croissant, en haut et en bas; au milieu, dans un carré, un château à six tours; autour de ce carré: אברהם בר משה קרודו־. Ce sceau peut être daté du milieu du XIV״ siècle. Parmi les nobles familles expulsées d'Espagne et réfugiées au Maroc dès après 1492, il y avait la famille Crudo. La synagogue “de Crudo” existait encore à Tétuan, il y a seulement une dizaine d’années (Millas et Cantera, pp. 369-370).

 

Dassa (דאסה), nom de famille d’origine portugaise: de Sa ou da Sa. Les Dassa, da Sa étaient au Maroc une famille d’anciens marranes. Vers 1725, Akiba da Sa a acheté à Fès une maison dans le Mellah à Joseph ben Abraham ben Judah Fiero, une famille également d'anciens marranes (cf. Abcnsur. t. 1. fol. 68). Remarquez que da Sa porte le prénom de ‘Akiba. ce qui indique ici. peut-être, son état de nouveau-venu au Judaïsme.

 

De Blanes (די בלאניש) : vers la fin du XIV׳ siècle Salomon de Blanès a été inhumé à Tarragonc (Millas et Cantera, pp. 354-356); R. Mose da Blanès était dayyan à Florence au XVII״ siècle et à la fin de ce même siècle, il y avait au Maroc, où vivait sa famille depuis longtemps, R. Judah de Blanès (cf. J. Benaïrn. Malhey Rabbanan, p. 51).

 

De Cuellar (די קואלייאר) : l’aljama de Cuellar dans l’Evêché de Ségovie était connue pour le savoir et le bien-être de ses membres. Elle fut durement éprouvée par l’Inquisition (Baer, t. I, pp. 522 sqq.; Cantera, Sinagogas, p. 202). Dans les années 1430, Jaco de Cuellar était procurador de toutes les aljamas des Juifs d'Espagne (Suarez Fernandez, pp. 126-127). Le regidor de Ségovie, Gonzalo de Cuellar, “chrétien-nouveau” se rendit à Rome avec une délégation pour protester contre les agissements du Grand- Inquisiteur Torquemada; à son retour en Espagne, il eut un procès retentissant (Barroja, Los Judíos, t. I, p. 144 et n. 35). Don Eliezer de Cuellar était un notable très respecté à Fès (cf. Ancaoua, Kerem Hemed, fol. 5a). Il est mort après 1563. Ses descendants étaient au Maroc jusqu’au milieu du XVIII״ siècle.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

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Escapa, transcription européenne la plus courante du nom de famille א־שקאפה. Dans les documents espagnols ce nom est le plus souvent écrit Escapa, mais  aussi quelquefois Scapa, Escapat et Scapat (cf. entre autres, Isidore Loeb, “Liste nominative des Juifs de Barcelone”, L’orthographe hébraïque du minutieux savant R. Jacob Aben-sur, reprise comme on sait dans la liste Coriat, est celle des intéressés eux-même: R. Joseph ben Saül Escapa, le premier dayyan de Salonique dans la première moitié du XVI” siècle écrivait son nom אישקאפה (voir son Rosh Yosef et ses Responsa). Pourtant, Rav Hida a écrit איסקאפה (Shem ha-gedolim, No. 107) et Conforte אישקפא (Qoré ha-dorot, éd. Cassel, fol. 46a). Pourquoi ces divergences? C’est que, me semble-t-il, les uns et les autres ont été trompés par l’allure hispanique de ce nom et chacun l’a transcrit à sa manière, ce qui est sans conséquence dans ce cas. Pour connaître l’orthographe hébraïque exacte du nom Escapa, il faut chercher plus haut dans le temps. R. Abraham ibn Daud nous parle d'une des personnalités de Grenade au XL siècle: ״ר׳ נחמיה הנקרא אישכפה״ (Sefer ha- Kabhala, éd. Amsterdam, cornp. Neubauer, Med. Jew. Chron., t. I, p. 72 et n. 8). Il me paraît que אישכפה est la bonne leçon. Dès lors, j’y vois un surnom à l’origine: איש = homme, l’homme et כפה = capuchon, c’est-à- dire “l’homme au capuchon”. C’est donc un surnom et un surnom qui ne conviendrait qu’à un originaire d’Afrique vivant à Grenade sous les Zirides. On sait que les habitants de la Péninsule ne portaient généralement pas de burnous (qui comporte toujours un capuchon dont on se couvre la tête à la mode africaine) alors que c’est un vêtement utilisé à toutes les époques par les Nord-Africains. Comparez la distinction que faisaient en Algérie au XV” siècle les réfugiées hispano-majorquins entre eux-mêmes et leurs coréligionnaires autochtones, à cause de leur coiffure.

 

Escudero (אשקודירו) : vers 1400, Jaco Escudéro appartenait à une importante famille de l’aljama de Briviesca (Baer, t. 1, p. 256); Lorenço Escudero (m. vers 1683) de Cordoue revint au Judaïsme à Amsterdam; c’était un poète distingué (M. Kayserling, Bihl. Esp.-Port.-Jud., p. 4). En 1716, Abraham Escudéro vivait en même temps que son associé Masleah Marinas entre Tetuan, Gibraltar, Lisbonne et Salé (cf. Abensur, t. I, fol. 144). Au Maroc, la famille Escudéro appartenait jusqu’aux environs de 1760 à la communauté de Safi.

 

Foinquinos (I. Larédo, p. 44), Foenkinos (Eisenbeth, p. 126) (פוינקינוס) : c’est un nom ethnique qui désigne simplement les “Poenkines” c’est-à-dire les Phéniciens et dans ce cas les “Puniques” ou Phéniciens de l’Afrique du Nord et tout ce qui se rapporte à ces derniers dans cette partie du monde jusqu’à la fin de l’Antiquité (comparez Pounin, No. 53). C’est sans doute un des plus anciens noms de famille de l’Afrique du Nord et de l’Espagne; on le trouve chez les Juifs de ce dernier pays sous la forme altérée de Follequinos et Filoquinos: Yuçaf Follequinos, à Avila en 1341: Mosen Follequinos à Trujillo en 1486 et Çag Follequinos dans la même ville dans les années 1489-1490 (Baer, t. II, pp. 104, 448, 510). Toujours à Trujillo, Barzilay Filoquinos était un des chefs du clan opposé à une famille Cohen (Suarez-Fernandez, p. 375). La forme altérée Follequinos et Filoquinos est rétablie, on vient de le voir, par l’orthographe hébraïque du nom tel qu’il figure dans la liste Coriat et correctement transcrit en lettres latines par les descendants modernes de la famille. Judah ben Judah (sic) oirpT’lB fut vers 1705 un des notabilités de Tétuan et Xaouen (cf. R. Eliezer de Avila, Be'er Mayim Hayim, fol. 27), deux des établissements des Juifs expulsés d’Espagne.

 

Garçon, Garzon (גארסון), n’est pas, comme on l’a écrit, la déformation de Guershom. mais c’est un nom de famille d’origine castillane: Don Cag Garçon fut dans la deuxième moitié du XIV* siècle un diplomate et un politicien et don Yuçaf Garçon fut aussi en Castille Receveur-Général dans les années 1440 (Baer, t. II, pp. 192, 310).

 

Hakon, Hakun (חקון) n'est pas l’augmentatif de (‘Abd al-) Hakk; Hakon est probablement un nom d’homme africain très ancien, d’origine punique. Hakon (=Hakün) n’existe pas chez les Musulmans, on ne le retrouve que chez les Juifs du Nord de l’Afrique: Hakün ben ‘Abu, Juif d’Alger au temps de R. Simon ben Zemah Duran qui mentionne son nom; R. Abraham ben Saadia Hakün était dayyan à Tlemcen vers 1425; ‘Ayüsh ben Hakün, opulent marchand de Meknès fut mêlé à un procès qui opposa les familles Tolédano et Maimran (cf. Abensur, fol. 155).

 

Hanon, Hanun, voir Wahnoun.

Harrar, Elharar (al-Harrar— אל-חראר) : c’est un nom patronymique qui existe encore aujourd’hui chez les Juifs au Maroc et chez d’autres originaires du Nord de l’Afrique. Je pense que ce n’est aucunement un nom de métier bien qu'il ressemble au mot Hrir (=soie). A ma connais­sance, dans aucun dialecte arabe ou berbère, Harrar ne désigne ni le marchand de soie, ni le fabricant de soie, ni le brodeur sur soie. Le commerce de la soie se dit au Maroc Taherrart et la préparer se dit Herrer; la ressemblance de ce mot avec Harrar, al-Harrar a trompé bien des étrangers en Afrique du Nord où, par contre, ce nom arabo-berbère signifie, paraît-il, “l’homme libre” exactement comme le nom espagnol Franco. C’est dans ce sens là que l’entendaient, en tous cas, les familles juives qui portaient ce nom. D’ailleurs, ceux des Elharrar conservant encore leurs habitudes, avaient une boucle d’or à l’oreille gauche, signe de leur liberté (on sait que c’est là une coutume fort ancienne chez certains Juifs autochtones de l’Afrique du Nord). Harrar est également le nom des membres du clan qui prédominait dans la grande confédération des tribus des Hanensha dans le Centre-Est de l’Algérie (comparez R. Brunschvig, La Berbérie Orientale sous les Hafsides, Paris 1940, t. I, p. 303). Les Hanensha et leurs Seigneurs les Harrar sont des Berbères arabisés qu’on disait être d’origine juive. En parlant d’eux on disait: “Hallash — ben Fennash — ben Fellash — ben Habbash — ben Saloum al-Yahoudi”, et ces noms, nous a-t-on assuré, n’ont pas été assemblés pour le seul agrément de l’euphonie… (cf. Revue Africaine [1874], pp. 30-31). On a également écrit des Harrar, Berbères musulmans de Ta’qilt (Aït-Zerri dans le Haut-Draa) qu’ils sont une tribu anciennement judaïsée (Villes et Tribus du Maroc, Tri- bus Berbères, t. II, p. 95). A en croire la tradition, c’est précisément de ces régions et de ces tribus que les Elharrar, Harrar juifs sont originaires en remontant dans un passé lointain. Au Moyen Age, en tous cas, parmi les Juifs qui la plupart du temps étaient des originaires des régions africaines par où passait la fameuse Route de l’Or, nous voyons dans le royaume d’Aragon un Elharar: en 1249, Jaime II avait assigné des bénéfices à des Juifs nouvellement arrivés dans ses Etats aux dépens de leurs autres coreligionnaires venus plus tôt. C’est ainsi qu’il déposséda Juceff Alharar au profit de ses compatriotes (cf. Jean Régné, Doc. No. 42).

 

Ifergan (יפארגן) est le nom d’une famille juive aux rameaux nombreux qui a pour origine un hameau, Tillin dans les Ida Oultit (Anti-Atlas), encore entièrement occupé par des Ifergan dans les années 1955. Avant 1920, ce nom se retrouve parmi les habitants des Mellahs de Mogador et de Marrakech, mais il est absent de toutes les listes rabbiniques ou autres antérieures à notre siècle. Fergan est peut-être un nom d’homme berbère: il y a une tribu Beni-Fergan. Par ailleurs, le berbère Afrag, pluriel Ifergan est très anciennement attesté dans le sens “enceinte du camp d’un souverain” (cf. Lévi-Provençal, Islam d’Occident, p. 38, n. 37). La famille juive des Ifergan paraît avoir vécu pendant des siècles dans un isolement relatif. La situation géographique de Tillin, véritable impasse, et d’un autre côté les particularités physiques communes à tous ceux qui portaient ce nom, en seraient des indications suffisantes.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

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David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976- Iflah Semana- Masnot- Pounin

Iflah (יפלח) est peut-être un vieux nom d’homme judéo-arabe berbérisé: Aflah=Iflah. D’après la tradition musulmane, les Juifs d’Arabie envoyèrent à Muhammad cinq délégués pour le questionner sur le Pentateuque et le mettre ainsi à l’épreuve. Parmi ces savants, il y avait Allah et son fils Küddüs (Tabari, Chroniques, t. 1, p. 19). “Tout le monde sait”, me disait le perspicace R. Abraham Benatar de Mogador, “que dans les temps anciens, les prénoms de Allah et lflah n’étaient portés que par des Juifs qui vivaient dans le Sahara. Beaucoup de Juifs de ces régions sont venus s’établir au Maroc et quelques-uns d’entre eux ont transformé en nom de famille le prénom d’un de leurs ancêtres qui était chez eux le mieux connu. C’est pourquoi ils s’appellent maintenant lflah.” On a souvent dit et quelques esprits sérieux ont même écrit en se basant sur une vieille légende que la plupart des premiers Juifs venus s’installer dans les oasis sahariennes avaient été chassés d’Arabie par Muhammad(! ).

 

Ikheluiyyn, N-lkhelüiyyin (יכלויין), avec l’indice de filiation berbère N {=An=En), ethnique berbère avec le sens “Ceux qui viennent du désert”.

Les lkhelüiyyin sont des Juifs d’origine saharienne. Pendant de nombreuses générations, ils ont été à la tête des Juifs du Todgha dans la vallée du Haut-Draa. Dans les années 1930 Maghaluf N-Ikhelüiyyin était le principal Juif du Ksar de Tinghir (cf. Villes et Tribus du Maroc, Tribus Berbères, t. II, pp. 181-182, 248). 11 s’était opposé à Braha ould al-Hazzan Lamal qui jouissait d’un grand prestige dans les Ksürs du Haut-Draa, disposait de biens réellement importants et soutenait les Français qui n’avaient pu encore occuper ces régions. Les noms des familles N-Ikhclüiyyin et Lamal n’existent sur aucune liste et sont inconnus en dehors du Draa.

 

Issan, Izan ou Assan (ייסאן), ethnique de nom de lieu(?): Gumiel de Izan dans l’Evêché d’Osma (cf. Suarez Fernandez, passim). C’est un nom de famille peu répandu et qui s’est localisé du XVI׳ au XIX״ siècle à Marrakech où les Issan, expulsés d’Espagne en 1492, s’étaient fixés. Vers 1820, les deux frères Eliyahu et Simon Issan, opulents marchands, s’étaient établis à Mogador. C’est dans cette seule ville que le nom Issan a existé jusqu’à 1912. Cette famille était bien connue pour la générosité de ses membres et leur érudition.

 

Lugassi לוגאשי)) et Al-Aunghasj, avec l’indice de filiation (בן לאונגאשי) sont deux noms différents et séparés dans les listes rabbiniques. Ils se sont confondus dans les temps modernes. Le premier, plus facile à prononcer et à retenir par des citadins, a prévalu: tous les Al-Aünghasi sont devenus des Lügassi. Ce sont des ethniques de noms de tribus:

  1. Parmi les Ganfisa de la haute vallée de l’Oued Nfis, les Aït-Waggâs (d’où al-Ügasi-Lugassi) restèrent d’abord en dehors du mouvement almohade puis se soumirent (Lévi-Provençal, Documents, pp. 65 et 223). Les Ganfisa comme les Aït-Waggâs ont disparu depuis longtemps. Ce dernier nom s’est perpétué chez les Juifs Lugassi.
  2. Au XII״ siècle, les Ünghasa (berbère ancien: Aüwanghasan) faisaient partie de la grande confédération des Gadmiwa qui jusqu’à aujourd’hui ne semble pas avoir changé d’habitat: le territoire situé sur le versant occidental du Grand-Atlas, entre l’Oued Nfis et la vallée de l’Assif al-Mal (Lévi-Provençal, Documents, pp. 62-64). Bien qu’ils soient toujours une fraction des Gadmiwa, les Ünghasa, c’est-à-dire les Aüwanghasan, se sont éparpillés en haute montagne; mais leur nom se prononce différemment, on les appelle Aït-Waggonsan: le Alt a remplacé le Au, le N a changé de place et le Gh, comme il arrive souvent, est devenu un G dur. C’est un processus normal et fréquent chez les Berbères musulmans. Les Juifs de ces régions comme tous leurs coreligionnaires africains étaient plus conservateurs. — C’est à une époque relativement récente que des Lugassi- Unghasi apparaissaient dans les centres urbains du Maroc. Ce nom était inconnu chez les Juifs d’Espagne.

 

Maimaran, Ma Ymaran, Maimran, Mimran (מאימראן), déformation du mot Màmïràn, plante médicinale (cf. Renaud, Colin, Tuhfat, 112). Rabi Maymaran vivait dans le royaume de Castille et en 1489 il se trouvait dans la petite ville de Marqueda (Baer, t. II, p. 439). La famille Maimaran qui donna au Judaïsme marocain de nombreux rabbins et surtout des leaders, ne commença à briller qu’à partir de la deuxième moitié du XVII' siècle. Joseph, Abraham et Samuel Maimaran furent des personnalités de première importance sous le règne de Moulay Ismaël.

 

Mairan, Mayran, Merran (מאיראן) : le sens de ce nom de famille est difficile à définir; j’hésite à y voir une déformation du mot “marrano” comme la phonétique le suggère; en Août 1491, Ferdinand et Isabelle adressaient des recommandations à Mosc Caballero, don Cag Aburbe, Yuça Levi et Samuel Mayren, chefs de la aljama de Guadalajara (Baer, t. II, p. 402; Suarez Fernandez, pp. 372, 380). Ce nom était et est encore porté exclusivement par une seule famille jouissant au Maroc d’une bonne réputation. Cette famille est établie à Safi. Suivant sa propre tradition, elle y était depuis le XVI״ siècle et serait d’origine portugaise.

 

Marache (מראשי) est peut-être différent de Maraji (מראג׳י). Marashi, espagnol Marashé, semble être un nom d’origine orientale, l’ethnique d’un nom de lieu: Marash, ancienne ville d’Arménie. Marashi est un nom qu’on rencontre chez des Musulmans, particulièrement en Egypte au Moyen Age. R. Samuel Marrax, connu à Funtès avant 1490, quitta l’Espagne pour se rendre au Portugal (Baer, t. II, p. 485, n. 2, p. 488). Les Maraché étaient bien connus au Maroc. Ils étaient groupés surtout à Rabat et à Salé. Plusieurs membres de cette famille avaient émigré vers 1735 en Amérique du Nord et y furent parmi les fondateurs de plusieurs com-munautés juives.

 

Marroqui : cet ethnique de nom de lieu (Marrakesh, Marruecos en espagnol qui a donné Maroc) n’existe dans aucune liste rabbinique; il apparaît pour la première fois en Espagne à la fin du XIVe siècle: Jucef Marroqui, Juif de Cervera (Baer, t. II, p. 428). Ce nom n’a jamais été porté par des Juifs établis au Maroc même. Au début du XVI׳ siècle, les Marroqui étaient des “Chrétiens-nouveaux” fixés aux îles Canaries (cf. Corcos, Sefunot X [1966], p. 58).

 

Masnot (מסנות) = Masnüt est très anciennement attesté en Afrique du Nord. Ce n’est pas un nom arabe comme le supposait Steinschneider, mais un nom libyque (cf. JQR XI [1899], p. 359; Goitein, Tunisie, p. 578 et n. 46). Le commentateur du livre de Job, R. Samuel ben Nissim Masnut, vivait à Tolède, mais il était originaire de la Sicile. Au moins jusqu’à la fin du Moyen Age, on sait que les Juifs de Sicile étaient généralement des Nord- Africains et particulièrement des Tunisiens. R. Shalom Masnut, originaire de Tunis, s’était fixé à Fès où il eut comme disciples deux des premiers chefs religieux des expulsés d’Espagne et du Portugal, R. Joshua Corcos et R. Nahman Sunbal. R. Shalom Masnut fut également un des correspondants de R. Simon ben Salomon Duran d’Alger.

 

Mguiyira, avec l’indice de filiation (מגירה, מגירא) dans la liste Coriat, francisé en Algérie: Meguira et Miguerra (Eisenbeth, p. 154). On m’avait informé qu’on prononçait toujours ce nom “ben al-Mguiyira” ce qui signifie “le fils de la convertie (au Judaïsme)”.

 

Pounin (Punin = פונין) ou Founin (Phounin) est, je crois, ce qu’il convient d’appeler un nom libyphénicien. Je ne saurais lui trouver d’autres origines. Il est formé de פון (Poun, Phoun = Poeni, Phénicien d’Afrique, Punique) et de ין (in, désinence libyque, berbère; in exprime une qualité et joue le rôle d’adjectif—voir ci-dessus, pp. 3 sqq. et ci-dessous, le nom Waknin). Le sens de ce nom est “celui qui est Poun ou Phoun” – “le Phénicien d’Afrique” (comparez Foenkinos).

Je ne sais rien d’une famille Pounin ou Phounin; mais ce nom de famille est mentionné par Abensur-Coriat et par Tolédano, ce qui atteste son existence au Maroc. J’ignore s’il a existé dans d’autres parties de l’Afrique du Nord. Il eut été normal de le rencontrer sur une vieille inscription en Tunisie, terre punique par excellence. Des recherches plus poussées révéleraient peut-être des indications sur ce nom si intéressant.

 

Semana, Shamana, avec ou sans l’indice de filiation indiquant l’origine (בן שמנה, סמנא) : ethnique de nom de lieu: Semana ou Shamana des auteurs arabes, la Zimena des Chroniqueurs chrétiens de l’Espagne, l’actuelle Jimena située à quelques dizaines de kilomètres au Nord de Gibraltar. C’est à tort que Steinschneider a indiqué ce nom dans son étude sur les noms judéo-arabes en lui attribuant une origine de nom de femme.

Après 1492 (?) Jeuda Zimana est accusé de judaïser et d’inciter la famille de marranes, Benveniste de la Caballeria, a observer des fêtes juives; le vice-chancelier du roi, Alonso de la Cavalleria et d’autres membres de sa famille sont poursuivis par l’Inquisition de Tolède en même temps que Jeuda Zimana (Baer, t. II, pp. 449, 452, 460). Judah Semana (ou, d’après un document arabe, Ben Shamana) était un des banquiers et des conseillers juifs des sultans du Maroc au dernier siècle. Jacob Semana était un des notables de la communauté juive de Mogador dans les années 1925. La famille Semana ou ben Shamana avait vécu uniquement à Marrakech, puis à Mogador; tard venue au Maroc (fin XVII״ siècle?), son nom n’existe sur aucune liste rabbinique.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976 Iflah Semana Masnot Pounin

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Sfedj, Sfaj, nom de famille en Tunisie; nom patronymique attesté au Maroc du XVIe au XIXe siècle avec la graphie hébraïque בן אספאג׳ =ben Asfaj, ou ben Isfaj (Ysfaj): (a) en arabe maghrébin “Sfenj” = beignets; marchand de beignets se dit Seffaj; l’art du faiseur de beignets = taseffajt; (b) Sfej, village du djebel Nefüsa (Tripolitaine); (c) Isfunj est un mot arabisé du grec qui signifie éponge (Renaud, Colin, Tuhfat, 21); (d) Yjfash est un nom d’homme berbère; les Banü Yjfash vivaient dans la région de l’actuelle Casablanca au XIe siècle; ils furent chassés de leur habitat à la fin de ce siècle et cette tribu se retrancha dans la montagne du Fazaz (G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, pp. 527-528, 533). Avant et après le XIIe siècle, il y avait de nombreux Juifs au Fazaz; la capitale de cette région montagneuse, Fazaz ou la Kalaa d’El-Mehdi ben Tawala Ijfeshi, était presqu’entièrement peuplée de Juifs. La ville fut détruite par les Almohades (cf. L’Afrique au XIIe siècle, tr. fr. Fagnan, p. 136).

 

Sicsu, Seksou, Sixo (סאקסו, סיקסו) n’apparaît pas sur nos listes rabbiniques; c’est pourtant le nom d’une famille bien connue au Maroc. Ce nom ne doit pas être confondu avec Sisso (בן סיסו), ni avec Chekchik, Zaksah et Sakseque de l’Algérie et de la Tunisie. Sicsu-Seksou-Sixo (Xixo des documents espagnols, voir ci-après) me paraît indiquer l’origine du nom de la tribu berbère de l’Atlas Occidental les Seksawa (Sixaoua, Saksawa, Sekçioua suivant l’orthographe des historiens et sociologues européens modernes): Seksü aurait-il été l'ancêtre éponyme des Seksawa? Les Berbères n’indiquent leur appartenance à cette tribu qu’en se faisant appeler Seksiwi, mais le nom d’homme (ainsi qu’il paraît l’être) Siksü- Seksü n’existe, à ma connaissance, que chez les Juifs. La tribu des Seksawa s’est toujours tenue à l’écart du mouvement almohade. Vivant dans une région de montagnes inaccessibles, elle a probablement donné refuge à tous les opposants de ce régime. Dès le milieu du XIIIe siècle et au XIV siècle, la puissance des Seksawa s'étendait à une bonne partie de l’Atlas et à tout le Sud du Maroc. Ils étaient devenus les champions de l’indépendance berbère contre les Mérénides. Ils avaient des relations suivies avec l’Espagne par le port d’Agous, sur l’embouchure du Oued Tensift, qui fut dans les siècles antérieurs le port d’Aghmat la juive (Agouz est la Couz de al-Bekri). Les Juifs avaient alors une influence considérable chez les Seksawa. Leur plus puissant aguellid (roi chez les Berbères) faillit même se convertir au Judaïsme: c’est ce que nous raconte Ibn Khaldûn qui fut presque le contemporain de cet aguellid (cf. D. Corcos, Séfunot X [1966] pp. 88-89 et notes 179, 180). Astruc Jacob Xixo de la ville de Tortose mourut en 1283 ou 1284; grâce à son influence, le haut rang qu’il avait occupé et son immense fortune, il avait été un des Juifs les plus puissants du royaume d’Aragon; les biens qu’il laissa à son fils Abraham Xixo furent placés sous séquestre par ordre de Pedro III (cf. Régné, passim). Depuis lors, on ne voit plus de Xixo en Espagne. La famille Sicsu ne prit de l’importance dans les temps modernes que lorsque Abraham Sicsu devint un des principaux hauts-fonctionnaires du Makhzen au début du siècle dernier. Ses descendants, fixés à Tanger, jouèrent un rôle dans la politique européenne au Maroc.

 

Sunbal, aben-Sunbal (אבן סונבל) Sunbol est le nom arabe d’une épice selon les uns, de trois sortes de plantes selon d’autres. Sunbal, aben-Sunbal est le nom d’une famille illustre établie seulement au Maroc depuis 1492 et éteinte vers 1850 par la mort de ses derniers membres à Hambourg.— Ihuda Abenxabal, almoxerife de Séville, avait dans cette ville la “Sinagoga de Alcoba” qui était au XIIIe siècle un magnifique monument; Isaac Xambell et sa femme furent convertis de force en 1391; les Sunbal- Abenxabal-Xambell se partagent entre Séville et Valence et appartiennent à l’élite juive dans ces deux villes (cf. Baer, t. I, pp. 379, 481 sqq., 494, 707-711; t. II, p. 50). En 1493, la famille se réfugia au Maroc où elle devait jouir d’un grand prestige; Nahman aben Sunbal fut un des leaders des expulsés au Maroc; parmi ses descendants, il y a de nombreux érudits, rabbins ou diplomates; à la fin du XVIIIe siècle Samuel Sunbal fut le secrétaire du sultan Muhammad ben Abdallah et son ambassadeur au Danemark.

 

Vilhalom (בילאלון, בילאלום), ethnique de nom de lieu; Vilhalom est l'espagnol Villalon; l’aljama de Villalon de Cainpos, dans la Province de Valladolid était riche; entre 1474 et 1491, elle fut frappée de lourdes contributions (Suarez Fernandez, p. 72). Après 1492, la famille ou les familles Villalon-Vilhalom vécurent longtemps au Portugal, peut-être comme “Juifs-cachés”. Après 1578, un Vilhalom fut un des principaux négociateurs juifs chargés du rachat des Portugais, prisonniers au Maroc après la bataille des Trois-Rois. Il rendit de grands services et quitta le Maroc pour l’Italie; mais sa famille était restée à Fès (cf. Jéronimo de Mendoça, Jornada de Africa, passim). D’autres membres de cette famille s’établirent en Algérie. Leur nom y fut déformé: de Belalloum d’abord, on avait fait Lalloum, un nom arabe(! ), mais phonétiquement français.

 

Villalobos (ביאלובוס), ethnique de nom de lieu: Villalobos dans la Province de Léon. Cette aljama dépendait de celle de Valderas. En 1689, à Fès, un important marchand de cette communauté, Joseph Villalobos, eut un procès difficile avec Joseph Ben-Chelouha, descendant d’Israël Ben- Chelouha, un des Envoyés de Moulay Zidan aux Pays-Bas en 1617.

 

Wahnish (ווחניש), Oihnich, Ouahnich, Guanish etc.: deux noms différents maintenant confondus; (a) ethnique de nom de lieu, Wahanis, localité arabe de la Province d’Alméria en Espagne, aujourd’hui Ohanès: Abu Merwan ‘Add al-Malik al-Wahanisi (=originaire de la ville de Wahanis), mystique du XIIP siècle qui a surtout vécu à Ceuta (cf. El-Maqsad, tr. G. S. Colin, pp. 88 sqq.). Les Juifs qui avaient pris le nom de leur ville d’origine, Wahanis, ne s’appelaient pas comme les Musulmans Wahanisi comme les Juifs Djian (=Jaen) ne s’appelaient pas Djiyani comme les Musulmans originaires de la même ville. Par contraction, Wahanis était devenu Wahnis; enfin, à cause de la ressemblance avec le nom Ou-Hanish, sûrement plus répandu en Afrique du Nord, le s final s’est transformé en sh; (b) Hanish et Hannash sont des noms d’hommes berbères. Chez des Juifs autochtones de la Berbérie, il y a aussi Bou-Hanish.

 

Wahnun, Wahnoun. Ou-Hanun, Uanun etc. (ואחנון) : c’est le nom d’homme Hanun (=Hanoun=lat. Hanon) avec l’indice de filiation berbère Ou. Les Hanun ou Hanon étaient nombreux à Carthage et quelques-uns sont fort célébrés. Il y en avait naturellement en Phénicie; mais la Bible ne connaît que deux Hanon: un roi d’Amon, ennemi de David et un Juif, habitant de Jérusalem qui n’était pas parti en captivité, cité par Néhémie. Dans le Talmud de Jérusalem, il n’y a qu’un “Rabi Hanon” qu’on ne cite qu’en tant que pere de R. Simon. Après ces exemples, je n’ai pas su trouver un seul Hanon en Orient. Par contre, il y en a, et assez nombreux, chez les Juifs comme chez les Musulmans de l’Afrique du Nord. Il y en avait egalement en Espagne: par exemple le poète sévillan Ibn Hanun al-Ishbili (Makkan, Analectes II, 139) et le juif Maestre Hanon que l’infante de Navarre favorisa d’une rente en 1413 (Baer, t. I, p. 1002). C’est là, à mon avis, une des suites de l’antique empreinte de Carthage en Afrique du Nord.

 

Wa nono (ואענונו), ou ‘Anounou etc. est l’équivalent de l’arabe Ben-Nono dont il est la forme berbère, originale. Le ע n’est placé au milieu de ce nom que pour une question de phonétique. Nono ou bien Nounou a été et est encore le diminutif du prénom Nissim chez beaucoup de Juifs de la Berbene; c’est pourquoi on ne trouve pas de Wa’nono, ni de Ben-Nono chez les Musulmans de ces pays. En Tunisie, l’ancienne Ifrikiya des Arabes qu ils ont orientalisée bien avant les autres parties de l’Afrique du Nord et la mieux arabisée, on trouve des Ben-Nono: l’interprète juif d’un ambas­sadeur du roi d’Aragon à Tunis en 1329 s’appelait Maymo ben Nono (Dufourcq, p. 506, n. 5). Le nom de famille Wa’nono, nom patronymique était localisé au Maroc, à l’Anti-Atlas et le Sous, terre berbère par excellence. Au début du XVIII׳ siècle, Isaac, son fils Abraham et son petit- fils Isaac Vanono, originaires du Sous et venant d’Agadir, s’établirent à Londres probablement comme marchands de pierres précieuses; Salomon ben Abraham Veanono, auteur et rabbin, originaire du Sous lui aussi, s’établit à Venise.

 

Wa'qnin, Waknin, Ou-‘Aknin (ואעקנין-וואעקנין) avec l’indice de filiation berbere Ou auquel Abensur-Coriat ont encore ajouté ben (בן וואעקנין = ben Ou ‘Aknin). Anciennement, il y avait Ibn ‘Aknin quelque peu arabisé, mais seulement à cause du ibn; dans la liste des noms de famille juifs à Tanger, il y a Bouacnin בו עקנין = Bou ‘Aknin). Comme Wa’nono, Wa 'knin est un nom patronymique uniquement judéo-berbère. Il n’a pas existé chez les Musulmans. Voir ci-dessus, pp. 3 sqq.

 

Zagury, Zagouri, Azaguri etc. (זגורי, אזאגורי) est encore un nom de famille qui a plusieurs origines. C’est, plus exactement, le nom de plusieurs familles differentes les unes des autres: anciennement, il y avait probablement les Seguri, originaires de Següra en Espagne musulmane, ville encore importante aujourd’hui; des Zagüri, originaires de Zegûra, ancienne capitale détruite de Fazuata (voir Al-Fazuati) et non de Zagora, localité moderne du Maroc Oriental; des Zaggouri. originaires d’une tribu disparue, les Ait Zeggour ou les Bem Zaggour dans le Haut-Atlas, chez les Haskura; une famille Azzagun qui avait peut-être pris le nom d’un ancêtre lointain Azzügür ou bien Azzagür (nom d’homme berbère au XIh siècle —cf. Lévi-Provençal. Documents, p. 52). A un certain moment, tous ces noms se sont confondus.

 

Zaoui, Zawi, Azaoui etc. (אזאוי, בן אזאוי): plusieurs familles juives de 1 Afrique du Nord portent ce nom qui est suivant les cas un nom d’homme arabo-berbère, un ethnique de nom de lieu ou le mot arabe qui désigne le benjoin.

En l'année 983, les enfants de Ziri ben Mennad, savoir Jelala, Mksen ou Maksan, et Zawi, frères de Bologgin, passèrent en Espagne. Zawi fut le premier souverain ziride de Grenade.

Zaoui-Zawi, Azzawi=l’homme de la Zawiya. Chez les Musulmans, une Zawiya est une sorte de couvent. — Le premier sultan alaouite, Moulay Rachid, après avoir détruit la Zawiya de Dila, fit transporter à Fès les nombreuses et riches familles juives de cette localité. Beaucoup de ces familles prirent alors le nom de Zawi-Zaoui (=originaires de la Zawiya-de Dila-).

al-Jawi qui est arabe, désigne le benjoin et signifie exactement “le javanais”. Le mot benjoin provient de (al- lu)ban Jawi. Le mot a pris, au Maroc, le sens général de “parfum à brûler” (cf. Renaud, Colin, Tuhfat, 13) et par extension, chez les Juifs de ce pays, “celui qui sent bon”.

 

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