Fêtes mogadoriennes- La vie juive a Mogador

brit-la-vie-juive-a-mogadorFêtes mogadoriennes

C'est dans ce Méchouar que les fêtes se passaient. Je parle des fêtes arabes populaires. Ainsi, la fête de l'Achoura prenait l'air d'une espèce de foire. Appuyés à la muraille de la Casba, s'alignait une rangée de manèges : les grandes roues qui tournaient comme une noria, les seaux d'eau remplacés par de petites cabines à une ou deux personnes. Les roues supportaient deux cabines par rayon, soit au total huit cabines. Elles étaient actionnées par des hommes qui faisaient tourner les roues en psalmodiant : "Naoura el meziana elli ka tedor" -La seule belle roue est celle qui tourne.

Bien entendu, les propriétaires de ces roues appartenaient à la corporation des grands menuisiers ou maîtres menuisiers. Il fallait être assez ingénieux pour construire un appareil solide, pratique et artistique. Ces cabines changeaient de forme et de couleur, suivant le goût de leurs créateurs. Il fallait avoir de bons ouvriers et du bon matériel, et à ma connaissance il n'y eut jamais d'accident. Ces roues étaient l'attraction principale de la fête.

Après les manèges il y avait une deuxième rangée, composée de grandes tables supportant d'innombrables gâteaux de toutes sortes et des boissons rafraîchissantes qui en réalité se réduisaient en une seule et unique boisson : la Charavat : de l'eau sucrée teintée de rouge aromatisée à la cannelle. Ce qui faisait la curiosité de cette boisson, ce n'est pas sa composition qui était des plus simples, même pas fraîche, (les glaçons n'étaient pas encore connus), mais plutôt les bouteilles et les fioles contenant cette boisson. Chaque marchand en possédait une collection de toutes les grandeurs et de toutes les formes. Il n'y avait pas de verres pour la boire. Chaque fiole avait son prix et il fallait payer d'avance et vider la bouteille sur place. A peine bue, elle était remplie de nouveau et reposée sur la table à la place qu'elle occupait, sans avoir été ni lavée ni essuyée. Le service d'hygiène n'existait pas. Et souvent on voyait des enfants qui s'associaient à deux ou trois pour acheter une seule fiole qui passait de bouche en bouche. Une autre distraction qui paraissait la plus extraordinaire était Sendok el Ajeb, la caisse au mystère. C'était une boîte cubique en bois de soixante centimètres. Sur la face présentée au public, il y avait un simple trou (un viseur) par lequel l'on regardait à l'intérieur de la boîte. Le dessus de la boîte contenait plusieurs autres trous desquels dépassaient des fils multicolores. Le propriétaire déclamait le boniment suivant :

"Ksendria, mriia ou thrabha zaâfran" Alexandrie miroir et sa terre de safran. Il ajoutait d'autres boniments concernant le Prophète Mahomet et l'histoire sainte de Jérusalem. C'était pour ainsi dire la télévision de l'époque.

De l'autre côté face à la muraille, se plaçaient d'autres attractions formées en Halkat : c'est-à-dire des groupes artistiques ambulants avec chacun sa spécialité. D'abord, il y avait les acrobates qui choisissaient les plus grands emplacements et se plaçaient au centre d'un grand cercle formé par les spectateurs. Comme il ne pouvait pas être question de vendre des billets d'entrée, ils exécutaient quelques petits numéros et une fois que le nombre de spectateurs était jugé suffisant, ils s'arrêtaient et commençaient à dire : "Maintenant, chers spectateurs, si vous voulez qu'on vous montre le grand jeu, vous devez payer, chacun selon son cœur".

Ils ramassaient les premières offrandes et disaient que ce n'était pas assez, qu'il en fallait encore, et les retardataires finissaient par mettre la main à la poche pour voir la suite des jeux. Ils terminaient leur spectacle par la pyramide humaine habituelle. Ensuite, venaient par ordre d'importance, les dresseurs de singes et les charmeurs de serpents, puis c'était le tour des chanteurs, des joueurs de flûtes, des danseuses, des conteurs d'histoires. Il y avait même les lecteurs de la loi, du Coran et de ses commentaires. Il y avait aussi des sorciers, des guérisseurs, (souvent le sorcier était aussi guérisseur), des cracheurs de flammes, des avaleurs de sabres et d'eau bouillante. Il y avait également des imitateurs et des comédiens. Et aussi des suborneurs : ils annonçaient qu'ils allaient faire telle chose ou telle autre, et à la fin, après  avoir encaissé une somme assez rondelette ils se retiraient sans avoir rien fait, sous un prétexte quelconque.

Souvent, il s'agissait de couper la tête de l'un des spectateurs et de la lui remettre en place. Comme il n'y avait personne qui voulut s'offrir cette fantaisie, le combat cessait "faute de combattants". A propos de combattants, il y avait des jeux d'escrime, mais avec de simples bâtons. Dans le groupe de sorciers, on distinguait plusieurs catégories : Ceux qui prétendaient prédire l'avenir, employant certains éléments comme des os d'animaux, ceux qui lisaient dans les lignes de la main, ceux qui lisaient dans le sable, ceux qui fabriquaient des amulettes, ceux qui lisaient dans les yeux de la personne.

Les prestidigitateurs, qu'on appelle Khalka Tira, que l'on peut traduire par "création qui s'escamote". J'en ai connu un, qui s'était fait une solide réputation. Il pouvait faire descendre sur terre le croissant de lune en plein jour. Parmi les numéros qu'il a exécutés devant moi, il y en avait un surtout qui épatait la galerie. Il prenait un grand plateau en cuivre sur lequel il n'y avait rien et qu'il couvrait d'une large serviette puis brusquement il découvrait le plateau qui se retrouvait plein d'oranges, de pommes, de limons qu'il donnait à manger aux spectateurs pour faire constater leur réalité. En fait, cela ne pouvait pas en être autrement, car moi, de mes propres yeux, j'ai aperçu ces fruits dégringoler de sa manche dans le plateau, après un petit mouvement impulsé à son épaule.

Ce qui était remarquable dans ces occasions, c'était le vendeur d'eau fraîche. Le vendeur d'eau avait un habit spécial, par-dessus ses habits quelque peu en haillons, il mettait un tablier en cuir. Une courroie également en cuir ou plutôt deux pendaient à son cou. Une, sur le côté droit, à laquelle étaient accrochée une quantité de tasses en cuivre brillantes et bien lavées soutenait une grande outre. Sur l'autre courroie pendait une gibecière. Par-dessus le tablier il avait une ceinture ornée de clous plats à tête de cuivre aussi brillants que les tasses. L'outre se terminait par un bec en cuivre, un simple tube en cuivre, qu'il bouchait avec son pouce. Le vendeur d'eau passait parmi la foule et faisait la tournée des magasins et boutiques en criant :

"Al Ma Lillah ! Ligharra Lillah, Oulli Aatha Si Lillah", l'eau est uniquement à Dieu.

Les tasses étaient de grandeurs différentes : depuis la petite tasse individuelle jusqu'à la tasse qui permettait d'abreuver un groupe de personnes.

L'eau claire et fraîche qui tombait dans le fond de la tasse avait un assez joli attrait et donnait envie de boire, même si l'on n'avait pas soif. Mais ce qui attirait le plus en lui, c'était la légende qui auréolait ce personnage. Cette légende dit que celui qui fait ce métier avait fait vœu d'accomplir un acte méritoire aussi bien aux yeux des mortels qu'aux yeux du bon Dieu.

Parce qu'il était un grand pécheur, peut être même un assassin, il s'affligeait lui-même, en choisissant ce pénible métier pour rendre service à ses semblables et pour se racheter et mériter le pardon de Dieu. Il tournait donc du matin au soir avec sa charge, allant d'une ville à l'autre à pied sans jamais s'enrichir et en se contentant du peu qu'il recevait pour vivre.

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