Jean-Louis Miège La Bourgeoisie Juive du Maroc au XIXE siecle Rupture ou continuité

La célèbre — peut être trop célèbre car elle n'est pas point de départ mais aboutissement — judaisme-dafrique-du-nordmission de Sir Moses Montefiore et le dahir de 1280 (février 1864) marquent le sommet de cet affranchissement. Plus sans doute qu'elle ne l'instaure.

Juifs protégés et naturalisés mais aussi juifs urbanisés. La protection plus ferme dans les ports attire la population de même que la grande poussée commerciale des deux décennies 1855/1875. Ces années sont bien les années décisives du judaïsme marocain contemporain. Le bourgeois c'est en effet non seulement celui qui possède et qui transmet mais le citadin. La force et l'ampleur de cette urbanisation est remarquable. Si, dans les années 1870 peut être 55% de la population juive résident dans les ports, dans les années 1900 ce sont 65%. Trois villes essentiellement ont recueilli les émigrés de l'intérieur: Tanger, Mogador et Casablanca. A elles trois, elles contiennent 25% de la population juive du Maroc alors qu'elles ne représentent que de 7 à 8% de la population musulmane. Ce sont les hauts lieux du nouveau judaïsme. Elles marqueront chacune de leur trait particulier leur communauté faisant du juif de Tanger, du juif de Mogador ou du juif de Casablanca un personnage remarquable parmi ses coreligionnaires.

2) Ces transformations entraînent deux conséquences apparement contradictoires. C'est la distance accrue entre le littoral et l'intérieur; c'est également l'écart dans les ports entre la plèbe urbaine et la classe des riches commerçants.

L'opposition avait toujours été très grande entre juifs autochtones et judéo-andalous jusqu'à faire du passage de l'un à l'autre groupe comme une véritable conversion. L'opposition s'affirme au début de l'occidentalisation. Les archives retentissent des discordes, notam­ment à Mogador, entre juifs de la Casba et juifs du Mellah. Dans les années 1890 encore, l'Anglo Jewish Association y est scindée en deux branches rivales avec deux comités, celui de la Casba que préside Rubin Elmaleh, celui du Mellah ayant à sa tête Lugasy. Narcisse Leven constatait 'qu'entre les émancipés à l'aise et les malheureux Chleuhs insuffisamment pliés à la vie urbaine, les différences s'accusent jusqu'à obscurcir la notion de solidarité; on dirait deux races différentes'. Le fait nouveau justement, dans ces années, c'est la promotion à la première catégorie—celle des émancipés à l'aise —des juifs d'origine marocaine. Les Ohayon, les Siboni, les Afriat, juifs d'Ifran de l'Anti-Atlas participent à l'ascension. Cette ascension de familles juives de l'intérieur, parfois d'origine berbère, leur intégration à la minorité judéo-andalouse est un des faits les plus importants que signalent d'ailleurs et non sans arrière pensée politique, les rapports des écoles de l'Alliance Israélite Universelle. L'occidentalisation les unit comme les unit le réseau multiplié et étendu des affaires.

Corollaire, en effet, de cette sécurité nouvelle c'est l'enrichissement. Et celui qui est le plus stable, concrétisé par la propriété immobilière ou foncière.

Les inventaires d'hoiries conservés dans les Consulats comme les réquisitions pour l'immatriculation foncière — fondées sur des Moulkya ou des actes consulaires—en apportent cent preuves.

Ne parlons pas ici des très grandes fortunes que révèle par exemple l'héritage d'Abraham Corcos, liquidé en 1884/1885. Outre l'argent et les actions conservées dans les banques de Londres, le consulat d'Espagne à Mogador enregistre des dizaines d'immeubles et des maisons dans la ville mais aussi à Safi, Mazagan et Marrakech, des terrains extra-muros à Mogador, des propriétés dans les Chiadma et les Haha, un immense domaine à Agbalou (Cap Sim), des actions de compagnies anglaises, italiennes et françaises, des bijoux, des créances récupérables pour plus de 200,000 F or. Attachons nous, de préférence à la fortune bourgeoise et d'essence purement marocaine. Voici l'exemple de l'inventaire, incomplet, des biens de Nahon à Mazagan: 5 maisons, 12 boutiques, 2 fondouks, des terrains, une propriété rurale; ou l'exemple de Joseph Youli avec 10 propriétés recensées à Mazagan, à Casablanca et à Kenitra.

Trois faits m'apparaissent d'importance majeure dans l'analyse de ces fortunes.

— leur généralisation et leur fixation: ce ne sont plus en effet cas isolés mais révélés par centaines; ce ne sont plus positions hasardeuses mais enregistrées en consulat, défendues et maintenues.

Leur complexité croissante; parmi ces inventaires se révèlent argent liquide, pierres précieuses, titres et actions, maisons, troupeaux et terres.

L'importance croissante de la propriété terrienne immobilière et foncière qui marque bien l'enracinement de cette bourgeoisie. Sans doute la propriété terrienne n'était-elle pas inconnue jadis, quoi qu'on en ait dit. Hirschberg, Corcos, entre autres la signalent et Monsieur Zafrani cite plusieurs documents juridiques attestant cette possession. Cependant avant la deuxième moitié du XIXe siècle le fait demeure assez rare et localisé. Sa généralisation, son étendue, font tâche d'huile à partir des ports vers l'intérieur. Là aussi nous pourrions citer plusieurs d'exemples. Le Consul d'Espagne à Larache, de Cuevas, indique en 1884 que les Juifs possèdent dans le Gharb, 3000 ha. Un rapport de la même date signale aux environs de Mazagan de nombreux silos à grains possédés par les Juifs. L'addition de quelques unes de ces propriétés, pour la seule Chaouia donne 1794 ha. Benchimol possède à lui seul 300 ha. Un rapport de 1888 indique, non sans exagération, que les 3/4 des maisons de Tanger appartiennent à des Juifs. Il faut souligner que toutes ces propriétés sont emportées dans la haussen du prix des terrains particulièrement vive dans les environs des villes. Ainsi, entre 1860 et 1868, la valeur de la terre triple dans les environs de Casablanca.

Cet enrichissement, cette sécurité sont d'autant plus facteurs d'ascension sociale que les Juifs, incarnent de plus en plus les valeurs nouvelles, celles promises à l'avenir, celles qui s'imposent aux Musulmans encore réticents: les valeurs de l'occidentalisation. Cette occidentalisation se fait par le contact avec les européens, avec les écoles multipliées — et il faudrait longuement parler des écoles de l'Alliance après 1862—par les voyages à l'étranger, par la presse tangéroise, enfin, toute entière, à une exception près, aux mains des juifs.

L'effet s'en marque partout dans les moeurs. Le changement des costumes en est la première manifestation depuis longtemps notée. Même dans les petits centres l'évolution est rapide dans les habitudes journalières. Michaux Bellaire l'a noté excellement à El Ksar dans le Gharb au tout début du siècle.

Le juif sera—et cela ne contribue pas peu à son enrichissement — le diffuseur des novations notamment des novations alimentaires qui prennent, une part croissante dans le volume d'un commerce pratiquement décuplé entre les années 1830 et les années 1890 (de 8 à 80 millions). Le thé, le sucre qui l'accompagne, certains tissus de cotonnades sont les produits nouveaux les plus remarquables. Selon la tradition les Afriat, originaires d'Ifran firent répandre, au XIXe siècle, dans le sud marocain et le Sahara l'usage du Khourt et du Kalamoun qu'ils fabriquaient ou faisaient fabriquer à Manchester mais aussi à Madras et Pondichéry.

Parmi bien d'autres traits il conviendrait de relever la poussée démographique de la minorité juive. Tous les indices prouvent que par l'évolution de son revenu, par l'urbanisation, par l'usage croissant de la vaccine, une évolution différentielle s'établit dans le dernier quart du XIXe siècle entre la population juive et la population musulmane.

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