Un denouement tragique : La conversion du Messie

Si la conversion devait en fin de compte ouvrir les yeux de la majorité et fournir l'argument le plus irréfutable aux opposants au mouvement, les " croyants " les plus fanatiques, le premier traumatisme passé, ne devaient pas tarder à lui trouver des excuses et des significations cachées. Toutefois au Maroc, contrairement à ce qui devait arriver en Turquie, même les plus fana­tiques des croyants ne devaient pousser leur logique jusqu'à l'extrême et aller jusqu'à imiter leur messie, comme il le leur demandait, par une conversion de masse à l'islam, comprenant que ce qui était permis au Messie ne l'était pas au commun des mortels. A aucun moment ce danger ne devait planer au Maghreb et dans ses diatribes rabbi Yaacob Sasportas ne fait jamais allusion à un tel danger si imminent et massif en Orient. Ceci dit, pour les plus fervents des adeptes, à bien y réfléchir ce tournant de la conversion n'avait rien d'inat­tendu – tant dans nombre d'épisodes de l'histoire juive le salut n'étant appa­ru qu'après une éclipse. Ainsi Moïse a grandi comme égyptien dans le palais du Pharaon avant de le conduire le combat pour sortie d'Egypte des enfants d'Israël. Esther, avait épousé le roi Assuérus et caché son identité avant de sauver les Juifs de l'Empire perse des mains de Haman. La conversion fut ainsi présentée par les kabbalistes comme une étape né­cessaire pour délivrer les étincelles de la lumière divine de leurs enveloppes d'impureté. Shabtaï Zvi a accepté de prendre sur lui de descendre dans le monde de l'impureté pour la vaincre sur son terrain, avant de revenir, puri­fié, sauver son peuple.

Des preuves, des allusions sont recherchées dans les textes sacrés pour prou­ver que la conversion loin d'être une déviation, était prévue, inévitable. Ainsi rabbi Yaacob Bensadoun, le plus farouche partisan du faux messie au Maroc, prétendit avoir trouvé dans les archives de rabbi Shaul Sérero de Fès (1566 -1655) un document sur la prophétie de Zéroubabel établissant la preuve absolue de la mission messianique de Shabtaï Zvi: " L'homme dont la réputation aura fait le tour de la terre et sera plus tard traité d'apostat et accusé des pires défauts haïs de Dieu, sera le vrai sauveur et par la faute des rabbins et érudits qui auront médit de lui, il restera empri­sonné pendant huit ans pour faire pardonner nos péchés …" Dans sa réplique, rabbi Yaacob Sasportas contesta l'authenticité d'un tel do­cument; un faux forgé de toutes pièces en se prévalant du nom d'un grand disparu. L'amour et l'estime qu'il portait aux communautés du Maroc et à leurs rabbins, lui firent interpréter la persistance de la croyance dans le faux messie même après la conversion, comme un échec personnel douloureux. Dans sa Lettre aux communautés du Maghreb, rabbi Yaacob s'insurgeait contre le " fait que Shabtaï Zvi soit encore vénéré au Maroc  : " Et comment mes oreilles ne seraient pas épouvantées, et comment pour­rais -je les protéger avec mes doigts pour ne point entendre la rumeur qui propage que dans les contrées du Maghreb d'où sort la Torah, on continue à croire dans la nouvelle foi et à suive les paroles du messie du mensonge ? Si le feu de l'erreur a pris dans les cèdres, que reste -t -il alors aux buissons ? Qui a plus vibré depuis les temps anciens aux doctrines de la Kabbale et donné son âme pour elle, surtout depuis l'arrivée de nos ancêtres et de nos illustres maîtres les Mégourachim de Castille et Aragon, si fidèles à la Torah écrite et si respectueux des commandements de la Loi Orale ? Et que dire s'il y a encore parmi eux certains qui ont abandonné cet héritage pour adopter de nouvelles lois que leurs ancêtres n'auraient jamais admises ? Mais même quand la majorité est dans l'erreur, Israël ne pourrait être orphelin et man­quer de maîtres attachés à la Torah de notre Dieu. Marrakech, grande ville de sages et de lettrés, manquerait -elle de maîtres de justice ? L'illustre ville de Fès, si pleine de savoir et de sagesse, se serait -elle entièrement vidée ? Tétouan, le refuge des lions, serait -elle devenue le repaire des loups qui y feraient la loi ? Et dans la ville de Salé, les plus hardis de ses érudits, parfaits dans la croyance, ne seraient -ils plus que des coquilles vides ? Leurs compa­gnons, les rabbins de Meknès auraient -ils oublié la jalousie de leurs pères et de leurs maîtres venus d'Espagne pour laisser pénétrer dans leurs cœurs des paroles qui mènent au péché ? Les communautés du Tadla n'auraient -elles plus de maîtres pour leur montrer le chemin de la vérité ? Les rescapés de laZaouia ont -ils mis de côté la Torah en raison de leur détresse en oubliant les mises en garde de leurs ancêtres ? "

Il le regrettait d'autant plus que les excès des adeptes de la nouvelle foi pro­voquaient parfois le courroux des autorités – quand cette agitation passait les bornes, allant jusqu'à la fermeture des synagogues et l'interdiction du culte. Dans l'imagerie populaire les temps messianiques devaient sonner la revanche du peuple juif sur ses persécuteurs. Plus précisément dans le folk­lore juif marocain en ce temps -là les Gentils deviendront des ânes et les Juifs leur monteront dessus. On peut imaginer que les plus frustes ne devaient pas s'abstenir de le rappeler ouvertement à leurs voisins, oubliant leur habituelle conduite de soumission.

Trois ans après la conversion de Shabtaï Zvi, le reflux général du mouvement messianique avait certes ramené le calme dans la majorité des communau­tés, mais n'avait pas encore atteint les communautés du Sud : Souss, Tadla et Marrakech toujours en attente bruyante du Messie et où les jeûneurs du 9 ab étaient proclamés mécréants et pourchassés.

A Fès, le jeûne de ticha Béab fut imposé à tous, même aux plus récalcitrants parmi les réfugiés de la Zaouia qui s'étaient toujours distingues par la ferveur de leur zèle messianique. De même à Meknès, El Ksar et Tétouan le jeûne et le deuil furent strictement observés. Par contre à Salé, ce fut pour la dernière année consécutive, la plus grande confusion, comme le rapporte dans sa mis­sive à rabbi Yaacob Sasportas son plus fidèle correspondant au Maroc, rabbi Aharon Siboni. La communauté éclatée s'était divisée pour la célébration de ticha Béab en quatre clans.

Le premier, autour de rabbi Aharon Siboni et de rabbi Daniel Tolédano de Meknès qui se trouvait dans la ville avec sa famille, commémora la destruc­tion du Temple comme l'a toujours prescrit la tradition par le jeûne, le deuil et les prières.

Le second, autour de rabbi Yaacob Bensadoun, renforcé par un autre trans­fuge de Meknès, le Naguid Mimoun Maimran, organisa par contre des ré­jouissances publiques et un grand banquet agrémenté par un orchestre de musiciens non -juifs, mettant en garde les jeûneurs qu'ils n'auront pas droit au salut.

Le troisième groupe, choisit de jeûner, mais clandestinement, pour ne pas s'attirer les foudres des croyants.

Dans le quatrième, certains avaient commencé par jeûner, mais au son de la musique avaient fini par se joindre aux festoyeurs. Alors que dans les années suivantes, le reflux était devenu total, le prochain retour " du Messie, annon­cé par Shabtaï Zvi lui -même sorti de sa retraite après dix ans de silence, allait trouver à Meknès où un écho inattendu; plus fort encore qu'à la première apparition à en croire les témoignages des contemporains.

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