Langue et folklore des Juifs marocains Pinhas Cohen

AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est le fruit de souvenirs personnels et familiaux, de témoignages vivants, de nombreuses enquêtes de terrain, de consultations bibliothéquaires et de fonds d'archives. Il a nécessité, comme vous pouvez l'imaginer, une recherche considérable de documentation et de nombreuses heures d'écoute auprès des Anciens qui ont gardé au fond de leur mémoire tout un pan d'un riche patrimoine culturel. Il se propose de jeter un regard rétrospectif sur le parler arabe des juifs marocains, appelé improprement "judéo-arabe", tel qu'il se pratiquait autrefois "au temps du mellah" dans les actes du discours populaire. Il s'inscrit dans le cadre du devoir de mémoire. Il est destiné à tous les locuteurs de l'arabe dialectal marocain en général.

D'abord un peu d'histoire : vers la fin du 15ème siècle, l'arabe classique ou littéraire n'est pratiquement plus usité ni compris de l'immense majorité de la population marocaine, juifs et musulmans confondus, en particulier depuis le confinement des communautés juives dans les mellahs, même si un certain nombre de lettrés et d'autodidactes juifs en ont conservé une connaissance résiduelle.

Désormais, c'est l'arabe dialectal, langue vernaculaire, qui prend le relais. Chez les juifs marocains, il prend la forme d'un parler plus conforme aux besoins spécifiques de la culture juive. Enrichi par de nombreux emprunts à l'hébreu, à l'espagnol et plus tard au français, le "judéo-arabe" s'impose dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle de la communauté juive.

Après l'exode des juifs du Maroc vers d'autres horizons (Israël, France, Canada..), nombreux sont ceux qui, animés par la nostalgie d'une époque qu'ils ont plus ou moins connue, aiment encore aujourd'hui retrouver l'ambiance de ce parler, sa saveur, sa malice, son humour, la structure de ses tournures et ses ressources d'invention. Beaucoup d'entre eux, rencontrés au hasard de nos voyages dans ces pays, ayant eu vent de nos travaux sur la langue arabe et le "judéo-arabe" en particulier, nous ont demandé avec insistance d'en faire le sujet d'un ouvrage qui ferait ressortir les aspects les plus naturels et les plus variés de ce parler populaire dans le discours quotidien et la chanson qui ont bercé leur enfance et dont ils ont gardé des souvenirs marquants. C'est donc l'occasion de revisiter ici avec nos lecteurs notamment ceux qui pratiquent ou qui comprennent peu ou prou l'arabe dialectal marocain, tout un pan du folklore juif marocain, particulirèrement dans son aspect linguistique.

Pour ce faire, nous examinerons différents champs d'usage de ce parler, à commencer par le cas de nombreuses expressions idiomatiques courantes. A titre d'exemple, nous en avons rapporté un certain nombre parmi les plus usitées.

Nous nous intéresserons ensuite à d'autres actes du discours qui meublaient la vie quotidienne du mellah tels que les poèmes populaires (qsedat) avec un chapitre spécial sur la mahia, les proverbes (el mtayel, el m'ani), les disputes de voisinage (el-mdarbat, el-rn 'airat) les souhaits et les bénédictions (t-tlebat) avec leur revers d'imprécations et de malédictions (d-d'awi) ainsi qu'un florilège de chansons de mariage (la 'rosa), de chansons en vogue des années 40-60, de chansons de la mère pour son enfant (ghnawi), de comptines et de contes pour enfants (khriyfat), sans oublier l'art épistolaire de l'époque (brawat), les cris de la rue, les annonces communautaires, les réclames publicitaires et des anecdotes diverses.

Dans la societé juive marocaine traditionnelle la religion occupe un vaste domaine et règle une part considérable de la vie spirituelle et temporelle du groupe communautaire. Ainsi l'hebreu fournit le vocabulaire nécessaire non seulement au culte et aux cérémonies religieuses qui s'y rattachent mais aussi à la vie sociale et culturelle. Comme nous le remarquerons dans cette étude, les locuteurs juifs emaillent souvent leur parler arabe de termes et d'expressions hebraïques qui ont trait à la vie culturelle juive, (voir glossaire) passés tels quels ou parfois déformés par l'usage, de termes empruntés à l'espagnol, suite à l'expulsion des juifs de la péninsule ibérique en 1492, et au français depuis l'instauration du protectorat au Maroc. L'ensemble constitue le parler des juifs marocains.

Afin de rendre accessible aux lecteurs les textes écrits en "judéo- arabe", nous avons choisi un mode de transcription phonétique en caractères latins qui tient compte de la prononciation des juifs du Maroc. Mais ne disposant pas d'un logiciel adéquoit pour la transcription phonétique internationale, nous recommandons à nos lecteurs de bien prêter attention aux différences de prononciation de certaines consonnes et voyelles en se référant aux exemples donnés dans le tableau ci-après :

Transcription phonétique

– Les consonnes :

 D dima =toujours, blad=ville

D emphatique daw=lumière, beda=œuf

 L lila- nuit, bali=usagé

 L emphatique bellot=glands, bola=ampoule

 R risa =plume, sra=il a acheté

R emphatique ras=tête, far =rat

S sif=épée, semmas=bedeau

S emphatique sla=prière, besla=oignon

T tlata=trois, mat=il est mort

T emphatique tas=bassine, tbeb=médecin

H hada=celui-ci, boh=son père, ihodi =juif

H hmar=âne, bhar =mer, sheh=solide

 KH khatem=bague, khoya=mon frère

GH ghedda=demain, deghya=vite, belgha=babouche

 J se prononce généralement Z dans le parler des juifs ja -za =il est venu

 CH se prononce généralement S : chabel / sabel- alose, 'lach / 'las

 (') Attaque vocalique forte, généralement en début de mot. Exemples : ('llah= Dieu 'ddaw= la lumière 'lghabra=la poussière)

(Q) prononcée comme une attaque vocalique (') dans les villes du nord, particulièrement à Fès, Meknès, Sefrou et Rabat. Exemples :

qal li / ,al li = il m'a dit

baqe / ba ' e = pas encore

daq/da' = il a goûté

beqqa /be"a = une punaise

 berqoq/ber ,o ' = des prunes

 (') Consonne gutturale. Exemples : 'in= oeil

sa 'a=une heure sba'=lion –

Les voyelles :

A fermé bab =porte, daba=maintenant

 A ouvert baraka=âssez, nar=feu

O fermé bota=tonneau, bola=ampoule

  • prononcé entre eu et u du français
  • lihod~ les juifs, shod=témoins

U prononcé OU huwwa=lui

E ouvert beda=œuf, het=mur

e muet : begra=vache, weld=garçon ־

Les diphtongues :

AU bdau msau zau..

AI atai zerzai kainin..

IU iziu izriu imsiu..

 EU i'teu=ils donnent

Oi prononcé euy (à Fès) comme dans boi (mon père)

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