Les veilleurs de l'aube-Victor Malka

 La communauté s'attriste de voir l'exil perdurer.La Shekhina(la Présencedivine) promet une prompte rédemption et pour bientôt l'avènement messianique. Le poème étant relativement long, l'air sur lequel chacun des participants chante une strophe change une ou deux fois pour revenir à l'air initial, à la dernière strophe interprétée, elle, par toute la salle.

Le second poème (Yedid Nefesh Av harahmane, Ami de l'âme) a un contenu plus kabbalistique encore que le pre­mier. Il est dû à un auteur du xvie siècle, rabbi Israël Azkari, un autre disciple d'Isaac de Luria.

 C'est une sup­plication adressée à Dieu « père miséricordieux ». Le poète lui demande : « Relève-toi, ô toi notre bien-aimé, et couvre-nous de la coupole de ta paix. » Un autre poème, de circonstance celui-là, du maître du judaïsme espagnol Salomon Ibn Gabirol, est chanté par la salle, Shahar Ava- keshkha, A l'aube je te cherche… Il est, depuis lors, devenu un des poèmes et des chants les plus populaires du judaïsme du nord de l'Afrique.

Cette période introductive – toujours la même – termi­née, le maître passe aux différents poèmes spécifiques à la section hebdomadaire dela Torah.À chaque semaine ses textes liturgiques et ses modes musicaux. Ces modes sont tous empruntés aux différents airs des suites musi­cales andalouses.

La veillée s'achève régulièrement par ce que l'on appelle, dans le vocabulaire musical local, une ksida ( le mot veut dire objectif ). Le texte en est dû, d'ordinaire, à l'un des grands poètes du judaïsme marocain et il raconte ou bien commente ou encore se contente d'interpréter à sa façon les événements dont il est question dans la sec­tion ou la péricope dela Bible.

On y fait référence à deslégendes, à des interprétations du Midrash et à des récits talmudiques. Cette pièce est chantée selon des règles musicales très précises et relativement complexes. Son exécution n'est pas à la portée du premier venu.

 Il arrive que des collaborateurs réguliers du concert musical ne parviennent pas à l'interpréter correctement. C'est pour­quoi c'est le maître seul qui en conduit l'exécution de bout en bout.

 Au terme de cela, toute la salle salue le maître, selon une vieille tradition religieuse, par un hazak ou baroukh qui signifie « bravo ; soyez béni ». On prononce alors une brève prière à la mémoire de tous les poètes locaux -notamment ceux dont on vient de chanter les œuvres – disparus.

La veillée vient de prendre fin. Il est six heures du matin. Peut commencer alors, pour ceux qui le souhaitent, le premier service de la prière traditionnelle du shabbat. Une partie du public tient à rester à l'office en compagnie du maître. D'autres préfèrent rejoindre dans la ville la synagogue où chacun a, souvent depuis des années, ses habitudes.

Chapitre premier Un passeur de grâces

Il est né pour chanter comme d'autres pour semer la joie autour d'eux ou pour être des conquérants de l'es­pace. Une vraie vocation. On parierait d'ailleurs qu'il a dû naître en chantant. Et très vite, il a atteint la perfection. Il a poussé le talent jusqu'au génie.

Il a – c'est l'évidence pour qui l'a écouté fût-ce une seule fois – la voix de Ray Charles, un Ray Charles qui serait né en Orient et dont l'instrument d'accompagne­ment – s'il en fallait un absolument – ne serait pas le piano ou le saxo, mais le oud ou le kanoun, à la rigueur le violon, tenu à l'orientale c'est-à-dire prenant appui sur le genou.

 Il évoque Ray non seulement parce que aveugle, il ne cesse de se bouger de tout son corps de gauche à droite et de droite à gauche comme pour chercher la bonne distance, ainsi que le faisait le regretté chanteur américain.

 Mais aussi parce qu'il y a, chez l'un et chez l'autre, une identique inspiration. Une même plongée dans le cœur des hommes. Un même voyage dans les douleurs et les espérances de ses contemporains. Le sanglot de toute la souffrance humaine. Un chant auquel il suffirait de peu de chose pour qu'il devienne larme, prière supplication, requête, exhortation, complainte, cri de révolte ou appel de détresse. Une mélancolie douce et contagieuse.

 Une manière de caresser les mots, l'américain pour l'un, l'hébreu et l'arabe pour l'autre, qui leur est commune. Et par­dessus tout une même façon de plier la main autour de l'oreille en la ramenant sur elle-même, histoire de mieux s'écouter et de maîtriser au maximum, en cas de besoin, la sollicitation des cordes vocales.

Chanteur ? Pas seulement ! Il deviendra peu à peu rab­bin sans que nul n'ait jamais songé (cela aurait été perçu comme une outrecuidance) à lui demander dans quelle université ou dans quelle académie talmudique il avait acquis ce titre.

 Il était rabbi si naturellement que les sages du pays dûment diplômés eux-mêmes – présidents de tri­bunaux rabbiniques, par surcroît – ne se permettaient de l'appeler, et avec quel respect, que « rabbi David ».

 Il avait suffisamment étudié (tout en continuant de chanter) pour être en mesure de damer le pion à qui aurait, d'aven­ture, eu envie de contester sa qualité de rabbi ou de talmudiste. Sans compter qu'aveugle, nécessité oblige, il connaissait l'ensemble du Pentateuque par cœur, avec naturellement les notes vocales accompagnant chacun des textes.

Chanteur, rabbin, mais surtout poète. Il s'était habitué, à la manière de maîtres illustres qui l'ont précédé au sein de l'aire culturelle séfarade et singulièrement au sein du judaïsme marocain et qui lui ont servi de modèles, à trous­ser, semaine après semaine, des pièces poétiques reli­gieuses qu'il mettait en musique et qu'il chantait au cours des soirées de bakkachot dans les diverses synagogues qui, à Casablanca dans ces années 1960, lui ont servi de lieux d'accueil.

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