GREFFE DES EXPULSES D'ESPAGNE


LA GREFFE DES EXPULSES D'ESPAGNE-Joseph Toledano

MeknesLA GREFFE DES EXPULSES D'ESPAGNE

Dans les tractations secrètes qui avaient mené à la capitulation sans com­bat du dernier royaume musulman dans la péninsule ibérique, celui de Gre­nade, le 2 janvier 1492, il avait été garanti que les Juifs de la ville bénéficie­raient des mêmes droits que les musulmans, à savoir la sauvegarde de leurs vies, de leurs biens et de leur liberté religieuse. Mais sous la pression du chef de l'Inquisition, Torquémada, les rois catholiques Ferdinand et Isabelle, se laissèrent convaincre, après maintes hésitations, que la seule solution pour parachever l'unité religieuse du royaume et permettre la totale intégration des nombreux Juifs convertis, les Nouveaux Chrétiens, était le bannissement total de la religion juive. Le 28 mars l'édit d'expulsion était signé en grand secret, sa publication n'intervenant qu'un mois plus tard : A vous toutes les familles de la maison d'Israël, nous faisons savoir : si vous recevez l'eau du baptême et que vous vous prosternez devant notre Dieu, vous jouirez comme nous du bien -être en ce pays. Si vous refusez, sortez dans les trois mois, jusqu'au 31 Juillet, de notre royaume …"

Ils furent autorisés à liquider, ou plutôt brader leurs biens, à emporter avec eux leurs vêtements, meubles, mais ni l'or ni l'argent, ni les marchandises interdites à l'exportation. Des points de passage terrestres vers le Portugal et la Navarre et des ports furent prévus pour cet exode massif. Le Portu­gal était prêt à accueillir les plus fortunés capables de payer un lourd droit de séjour ou de transit. De toute l'Europe chrétienne, seuls les royaumes de Provence, les Etats pontificaux d'Avignon et de certaines villes d'Italie, dont Rome et Naples, acceptèrent de recueillir un nombre restreint de familles. Par contre, deux puissances musulmanes ouvrirent leurs portes sans réserve : le lointain Empire ottoman et le proche Maroc.

En plus de la douleur de l'abandon de leur pays de naissance et de la perte de la plus grande partie de leurs biens, les exilés devaient se heurter à la cu­pidité et la à traîtrise des passeurs et des capitaines qui profitant de leur dé­tresse, les dépouillèrent, les vendant parfois comme esclaves. Les épreuves furent si difficilement supportables qu'un grand nombre finirent par revenir en Espagne et au Portugal pour s'y convertir.

Tous les chroniqueurs juifs contemporains tressent des couronnes au pre­mier souverain watasside, Mohammed es Cheikh, élevé au rang de Juste des Nations. Dans le Sefer Hakabbala, rabbi Abraham Ben Shlomo de Teruel, rend hommage à ce grand roi " qui a accueilli avec bienveillance les expulsés dans son royaume ". Alors qu'ils furent en butte aux attaques et persécutions dans les ports occupés par les Portugais; comme Ceuta, Azila et Larache, le gouverneur du port de Velez de la Gomera, sur la Méditerranée près de Tétouan, fidèle au sultan, leur apporta le soutien nécessaire pour débarquer et se rendre ensuite en sécurité à Fès, comme le rapporte le même chroniqueur : " Le souverain leur dépêcha des mulets et des guides pour les mener à Fès et veilla à leur logement et à leur nourriture les premiers jours. " Mais les calamités et les épreuves étaient loin d'être terminés une fois arrivés à Fès, la capitale, centre de ralliement de tous les expulsés, bien que le sul­tan Mohammed es Cheikh les ait pris sous sa protection. Dans un premier temps, le mellah ne pouvant contenir toute cette nouvelle population, les ex­pulsés furent logés dans un immense camp de cabanes en dehors de la ville qui devait être entièrement détruit par le feu quelques mois plus tard. Puis ce fut la famine et l'épidémie de petite vérole (" la maladie française ") propagée par les nouveaux venus. Malgré cela, " le souverain Moulay Cheikh a continué à prodiguer ses bontés aux Juifs et chaque jour il donnait de sa poche de l'argent pour nour­rir les pauvres qui mouraient de faim dans les marchés et les rues …"

Mais ces difficultés eurent raison de bien des réfugies qui immigrèrent en nombre vers d'autres pays en Eu­rope ou dans l’empire otto­man, certains même retour­nant en Espagne pour se convertir. Les épreuves des réfugiés n'étaient pas termi­nées, qu'arrivèrent en 1497 –           en petit nombre, Lisbonne limitant les départs par diverses manœuvres – les rares expulsés du Portugal. Mais la situation matérielle devait rapidement s'améliorer à Fès : " Et après un certain temps, l'Eternel dans sa miséricorde pour son peuple, nous a bénis et nous avons, à partir de 1498, bâti de vastes maisons, fondé des yéchibot pleines de disciples, construit de belles synagogues avec des Rouleaux de la Loi revêtus de leurs revêtements de soie brodés de fils d'argent, rehaussant le prestige et le bon renom du mellah de Fès dans tout le pays d'Ismaël. Malgré la prospérité retrouvée, Fès ne pouvant tous les contenir, ils devaient progressivement se disperser dans les autres villes et particulièrement dans les villes de la côte et à Meknès.

Le premier document attestant l'arrivée dans la ville d'expulsés, les Mégou­rachim, et l'existence préalable d'une petite communauté indigène, les Tocha­bim, a été retrouvé au début du XXème siècle par le jeune talmid hakham ,Yossef Messas, dans une des synagogues du vieux mellah :) : " Nos ancêtres nous ont raconté que cette synagogue a été fondée au début du sixième millénaire par la famille Daoud Ouhyoun, en l'an 5199 (1439) qui avait fui les persécutions de ses méchants voisins dans un village des lisières du Sahara (sans doute le Tafilalet) et dont les membres étaient venus s'ins­taller à Meknès. Le nom du chef de notre famille était Yaacob. Elle est restée entre les mains de notre famille jusqu'à l'an 5256 (1496), suite à l'arrivée de beaucoup d'érudits et de sages de l'exil d'Espagne, qui en ont racheté la moi­tié pour en faire leur propre lieu de culte. Et ils en restèrent les dirigeants et les chantres jusqu'à la destruction du bâtiment dans le tremblement de terre de Ticha Béab de l'an 1630 et les fidèles se sont alors dispersés dans les autres synagogues …"

Le fait que les anciens propriétaires Tochabim aient accepté de vendre la moi­tié de leur synagogue indique sans doute qu'elle était devenue trop grande pour leur communauté. Le fait qu'ils aient accepté de partager le même bâti­ment, indique au moins un manque de tensions, une paisible cohabitation. Le fait qu'après la destruction de l'immeuble un siècle et demi plus tard, les fi­dèles de deux synagogues se soient dispersés indistinctement dans les autres lieux de culte, indique qu'à cette date il n'y avait déjà plus de net clivage entre Tochabim et Mégourachim. Contrairement à Fès où s'étaient concentrés la grande majorité des Mégourachim et leurs plus grandes sommités, où la confrontation entre nouveaux venus et indigènes, devait défrayer la chro­nique pendant plusieurs décades : A Meknès, la greffe semble avoir pris sans heurts notables. Sans doute parce que la plus vieille communauté indigène des Tochabim y était trop faible.

C'est ainsi que nous n'avons aucun écho de la participation des rabbins de la ville, aussi bien de la communauté des expulsés que de celle des indigènes, à la grande controverse qui les opposés à Fès autour de la question de la Néfiha (insufflation d'air dans les poumons), une des règles de contrôle de la cacherout dans l'abattage rituel.

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