Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

 

IV

A part les trois Mellahs de l'interieur du pays, il n'y en eut point d'autre au Maroc pendant cent vingt cinq annees Le medecin anglais Lempriere, qui avait habite le quartier juif de Taroudant, nous dit que celui-ci etait situe assez loin de la ville. Ce n'etait pas un Mellah a proprement parler, mais un village juif comme il y en avait dans tout le Sous, l'Atlas et le Rif.

Ces villages n'etaient pas fermes de murs, les habitations n'y etaient pas toujours accolees les unes aux autres, mais separees par des enclos. Les Juifs qui y vivaient, commercants, artisans, agriculteurs ou eleveurs, echappaient la plupart du temps, comme les Berberes de ces memes regions, a l'autorite du sultan et de son Makhzen. Ceux que le sultan Moulay Sliman (1792-1822) pouvait atteindre etaient seulement ceux des villes soumises.

Moulay Sliman avait succede a son frere Moulay Yazid dont le regne heureusement court (1790-1792) avait ete l'un des plus sombres que le Maroc ait connu. Moulay Yazid, homme fantasque, cruel, sanguinaire, etait 1'ennemi des Juifs auxquels il fit subir les pires persecutions; il les faisait piller par ses troupes, livrant leurs personnes et leurs biens a 1'armee; il faisait mettre a mort tous ceux qui avaient servi son pere et predecesseur, Sidi Mohammed ben Abd-Allah (1757-1790).

Moulay Sliman, lettre, pieux, modeste, ennemi de la violence, parut, apres Moulay Yazid, comme le maitre reve. Musulmans et Juifs celebrerent ses qualites. En verite, il avait les qualites qu'on lui pretait, mais il etait aussi parcimonieux a l'exces, ennemi du progres, d'esprit etroit et fanatique.

 Son reve etait d'isoler le Maroc completement. II craignait que les relations suivies et etroites avec les Infideles ne finissent par corrompre et par pervertir les Croyants. Par une serie de mesures, il restreignit considerablement le commerce martime. Des lors, 1'utilite des Juifs importait beaucoup moins. Et puis, ceux des ports importants n'etaient-ils pas les agents de l'influence nefaste de l'Europe?

Chapitre 3

II decide de les isoler, et autant que nous pouvons nous en rendre compte, il fit justifier cette action par une "fatwa", ce qui prouve bien, d'ailleurs, que la question de la segregation des Juifs etait une mesure particuliere et tres controversee, sinon combattue dans le monde islamique. Force par les circonstances et craignant de desservir completement ses propres interets, il fit exception pour une poignee de families a Mogador. II negligea le Juifs des autres ports parce que leurs com munautes etaient sans importance. 

Moulay Sliman fit edifier de nouvelles mosquees et restaurer les anciennes dans presque toutes les villes de son empire. Ce fut, en general, le pretexte invoque pour eloigner les Juifs des quartiers ou les saints edifices se trouvaient ou devaient s,elever. II en profita pour enfermer les communautes importantes dans des Mellahs. Comme nous le verrons, il invoquait encore d'autres motifs en faisant etablir des actes des "Oudouls" (temoins attitres) et en compensant ce qu'il y avait de tendancieux, dilatoire et meme illegal par des decisions simultanees, empreintes d'une certaine justice.

A l'origine, la majorite des Juifs de Tetuan s'etaient groupes autour de la Grande Synagogueque la communaute avait, au XVIs siecle, mise a la disposition du premier dayyan de la ville, R. Haim Bibas. Cette synagogue, echue par voie d'heritage a sa famille, fut detruite et brulee fin 1665.

Les Juifs s'eparpillerent dans la ville; et quand les Bibas reconstruisirent plus tard une nouvelle synagogue, c'est autour d'elle que beaucoup se regrouperent de nouveau. Ils appelaient "Juderia" le quartier ou, d'ailleurs, ils n'habitaient pas tous et ou vivaient en meme temps des Chretiens et des Musulmans.

Braithwaite, toujours empresse a faire connaitre ce qui diminue les Juifs, ne signale pourtant pas leur segregation dans ce quartier ni dans aucun autre, non plus que Chenier, cinquante ans apres lui. Vers la fin du meme siecle, Lempriere, par contre, ecrit qu'il y avait a Tetuan un quartier special pour les Juifs, ou ils etaient enfermes chaque nuit; mais exactement a la meme epoque, Romanelli le dement formellement.

Nous savons d'une maniere certaine qu'au moins dans la premiere moitie du XVIII siecle, des Juifs possedaient des maisons en dehors de la Juderiaet y habitaient. Comme ailleurs au Maroc et dans d'autres pays, ceux qui etaient de simples locataires beneficiaient des droits de la Hazaka (droit de preemption et de presemption de propriete ou de jouissance) fixes par les Takanot et reconnus par les Musulmans eux-memes en ce qui concerne leurs propres proprietes louees a des Juifs.

Ce fait est remarquable. II nous indique que la tolerance des cas dans d'autres- Musulmans n'est plus ici le domaines; mais une claire demonstration d'une acceptation volontaire (au moins a 1'origine) et parfois materiellement couteuse. Cette tolerance ne s'exerfait pas seulement sur l'autonomie interne des communautes juives, mais s'etendait egalement a ce que cette autonomie exigeait et qui, nous le voyons, debordait de son propre cadre.

Il est vrai qu'il est arrive qu'un souverain, abusant de son autorite, vint parfois bouleverser cet etat de choses: les Juifs tetouanais exercaient, depuis plusieurs generations, les droits de la Hazaka sur des immeubles situes un peu partout dans la ville et appartenant a la puissante famille des an-Naksis, seigneurs de Tetuan. En1667  les an-Naksis furent arretes et depouilles de tous leurs biens par le fondateur de la dynastie Alaouite, Moulay Rachid.

 En meme temps, ce souverain retira aux Juifs leurs droits sur les proprietes qui faisaient partie de ces biens et decida, en 1669 de les vendre ou de les louer a d'autres Juifs sans tenir compte de l'existence des droits des premiers beneficiaires.

 Cette affaire occasionna des discussions et souleva de nombreux cas juridiques sur lesquels les rabbins eurent a statuer. La majorite de ces rabbins estima, selon une vieille sentence, que puisque "la justice du roi est celle qu'on doit reconnaitre" (dina de-malkhutci dina), ceux qui avaient joui du droit de la Hazaka sur les anciennes proprietes des an-Naksis perdaient ce droit et par suite, ceux qui voulaient maintenant s'en rendre acquereurs pouvaient le faire et y habiter

. Avant d'etre enfermes dans un Mellah, la plupart des Juifs tetouanais habitaient des quartiers comprenant des emplacements et des rues relativement larges qui portent encore les noms de as-Saiyyaghin (les Orfevres), bin al-Fnadak (entre les Fondouks), al-Mellah al-kadim (le vieux Mellah) et derb Jamaa al-Kabir (la rue de la grande mosquee).

הירשם לבלוג באמצעות המייל

הזן את כתובת המייל שלך כדי להירשם לאתר ולקבל הודעות על פוסטים חדשים במייל.

הצטרפו ל 219 מנויים נוספים
ינואר 2013
א ב ג ד ה ו ש
 12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
2728293031  
רשימת הנושאים באתר