Jean-Louis Miège LA BOURGEOISIE JUIVE DU MAROC AU XIXE SIECLE Rupture ou continuité

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Incontestablement l'optique de mon sujet d'alors — l'étude des novations et des résistances dans le Maroc du XIXe siècle— me portait à en schématiser un peu trop l'évolution. Face aux pesanteurs sociologiques, économiques et culturelles du Maroc intérieur, face aussi non pas à l'immuabilité, ni à l'immobilité mais à la lenteur des transformations de l'ancien Maroc, j'étais enclin à mettre l'accent sur les forces dynamiques des villes côtières et plus spécialement sur le rôle de ferment des Juifs européanisés des ports, de leur action nouvelle.

Une partie des arguments de David Corcos me semble fondée et m'invite à apporter quelques nuances à ma thèse. Les groupes des Juifs Andalous—mais ne faudrait-il pas inclure aussi les Andalous Musulmans réunis aux premiers par un malheur commun — s'est forgé, en tant qu'entité, dans l'adversité et la difficile adaptation, une conscience collective et une place à part dans la vie marocaine. Il a perduré en tant que groupe socio-culturel avec ses caractères propres. A longueur d'histoire, ces juifs sont bien d'abord des héritiers. C'est un fil de continuité qu'il m'aurait fallu sans doute plus fortement marqué.

 Ils se sont en même temps enracinés dans le monde local judéo-arabe. Et par là le rôle de charnière entre l'Europe et le Maroc a bien été pendant des siècles le leur.

Il est vrai aussi que se sont tissées vers le pays profond et entre Musulmans Andalous et Judéo-Andalous des relations non seulement nombreuses mais amicales. Là encore le trait s'est maintenu au travers des vicissitudes d'une histoire mouvementée et troublée dont les juifs ont supporté les avatars comme l'ensemble de la population du pays.

Mais ceci dit, et qui n'est pas mince, il me semble qu'il convient néanmoins d'insister, plus que ne le faisait Corcos, d'une part sur la spécificité par rapport à l'ensemble des Juifs marocains de ces familles, d'autre part sur les changements qu'elles subissent au XIXe siècle et qui, avec l'évolution sociale de leurs coreligionnaires et l'amorce des bouleversements de l'ensemble du Maroc, les transforment de petits groupes spécifiques en classe socio-économique naissante.

Le premier constat est celui de l'étroitesse de ce groupe de familles, H. Zafrani l'a excellemment souligné: 'ces carrières brillantes ne sont le lot que d'individus isolés, s'élevant au-dessus du niveau, généralement très modeste, de leurs coreligionnaires'. Il s'agit d'une étroite oligarchie et non de véritable classe bourgeoise. Elle n'englobe d'ailleurs que les Juifs européens (tel cet Abraham de Lara que Romanelli rencontre à Mogador à la fin du XVIIIe siècle) et les plus aisés des Juifs Andalous. Si les remarques de Corcos s'appliquent à eux, elles ne touchent ni les Juifs marocains des ports, ni à fortiori, la masse de l'intérieur.

Enfin, et c'est le deuxième constat, les assises de cette petite minorité sont fragiles. Le brillant du destin de quelques familles ou de quelques individus ne masque pas cette précarité.

C'est que le commerçant aisé, le Tajer es Soltan, est bien l'homme du Sultan, lié à lui par un lien personnel. Il participe ainsi, mais à titre individuel, de l'aura de son maître. Protection aussi précaire que l'homme qu'elle recouvre; aussi forte, mais menacée que le pouvoir d'où elle procède. 'Oulad Al Blad', dit le futur Sultan Mohammed ben Abderrahman, ce qui peut se traduire: 'Tu es notre Juif, tu es des nôtres et tu comptes parmi les nôtres'.

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