A.I.U – Temoignages


Samuel Daniel Lévy (1874-1971

Samuel David LevyRien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire Samuel Daniel Lévy (1874-1971)

Dans ce recueil de témoignages, nous avons voulu permettre aux anciens de l'Alliance de témoigner de leurs expériences respectives. Nous nous sommes vite rendu compte que ces témoignages étaient tous empreints de nostalgie et d'admiration pour l'œuvre éducative de l'institution de l'Alliance. Les témoignages viennent d'originaires des grandes villes du Maroc tout comme Meknès, Mazagan, Marrakech, mais aussi des régions éloignées du bled marocain ainsi que de l'Irak et de l'Iran.

Peut-on envisager des souvenirs de classe sans leurs cancres et leurs farceurs ? Nous avons été chanceux de pouvoir mettre la main sur des notes personnelles de l'artiste et poète Isaac D. Knafo connu sous le nom de IDK, qui nous conte avec sagacité des scènes de classe dans sa ville de Mogador natale ainsi que son voyage à Paris à l'École Normale Israélite Orientale (ENIO), des souvenirs de son séjour dans cet établissement et son retour au Maroc.

Samuel D. Lévy a été incontestablement un leader qui a motivé toute une génération d'éducateurs et de dirigeants communautaires. Nous reproduisons des témoignages rapportés par les dirigeants communautaires de l'époque. Bien que certains de ces témoignages soient parfois redondants, nous avons jugé bon de les incorporer car ils traduisent un style et une forme de pensée propres aux dirigeants communautaires d'une autre ère et mettent mieux en évidence les dilemmes et les difficultés qu'ils ont dû confronter.

Dans une dernière partie, nous laissons la place à des réflexions sur l'œuvre de l'Alliance et sa philosophie ainsi que sur celle de certaines de ses grandes figures. Des critiques et éloges sont de mise, notamment du fait que l'œuvre de l'Alliance peut être évaluée aujourd'hui avec un certain recul.

Nos remerciements vont aux auteurs, à Asher Knafo qui nous a transmis les mémoires de son oncle IDK, à Clémence Lévy qui nous a transmis les témoignages sur son beau-père Samuel D. Lévy, à Charles Dadoun et à Morteza Danechrad qui ont bien voulu faire une seconde lecture des travaux soumis et à Martine Dahan du Centre communautaire juif pour la dactylographie de cet ouvrage.

 La vie de S. D. Lévy

Clémence Lévy

Il y a cent ans, naissait à Tétouan (Maroc) un homme dont beaucoup de juifs marocains habitant le Canada connaissent bien le nom : Samuel Daniel Lévy.

Son fils aîné, installé à Montréal, depuis un an a pu heureusement nous rapporter quelques documents précieux, concernant la vie de son père et c'est pour nous une grande joie de rendre hommage, dans ce journal qui est le porte-parole des juifs sépharades canadiens, à cei homme illustre que fut S. D. Lévy.

  1. D. Lévy fit ses études à Paris, à l'école Normale Israélite Orientale. C'est dans cette maison d'Auteuil, berceau des pionniers de l'Alliance, qu'il se prépara ii devenir une sorte d'ambassadeur de la civilisation de l'Occident au Maroc. En 1893, après avoir réussi brillamment à ses examens, S. D. Lévy est nomme- instituteur à Tunis. Il y exerce pendant un an, à Sousse pendant deux, à Tanger trois ans, et quatre à Casablanca.

En 1903, S. D. Lévy est nommé directeur puis inspecteur de la colonie Mauricio, dans la province de Buenos-Aires, en Argentine. Il y créa et fit fonctionner des écoles de la Jewish Colonization Association. Dans ces colonies agricoles fondées par le Baron de Hirsch, la J.C.A. installait des réfugiés russes. S. D. Lévy apporta dans cette nouvelle mission son esprit d'organisation et fit connaître et aimer l'Alliance Israélite Universelle.

De retour au Maroc, S. D. Lévy commence une carrière d'homme d'affaires, mais ce qui l'intéresse vraiment c'est l'action dans la communauté juive. Poussé par la devise de Guillaume le Conquérant : " Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ", S. D. Lévy attaque son labeur de bâtisseur. Déjà en 1900, il avait créé la première Association des Anciens Élèves de l'Alliance, mûs par le même souci visant à préserver le judaïsme. Il ne s'agissait pas seulement de soulager la misère, il fallait œuvrer pour la supprimer par l'Instruction qui donne plus de dignité, et surtout la possibilité de s'intégrer dans un monde de travail. Sauver l'enfance, l'instruire, lui permettre de s'émanciper sans qu'elle perde pour cela l'amour des traditions et de la loi juive, tel était l'objectif principal de S. D. Lévy. Pour la jeunesse, il créa aussi une bibliothèque, des cours du soir et une œuvre d'apprentissage.

  1. D. Lévy poursuivit ses efforts pendant quarante ans. Dans cette action, d'envergure, cet homme, à la volonté généreuse et opiniâtre, dont la vocation était de régénérer le judaïsme marocain, trouva dans l'ardente jeunesse qu'il avait formé des éléments qui l'aidèrent à créer ou à participer à la création d'un nombre étonnant d'œuvres sociales : la Maternelle, l'Aide Scolaire, le Centre Anti- Tuberculose, le Préventorium de Ben-Ahmed, l'Union des Association Juives de Casablanca, le Comité d'Études Juives, l'institution Maghen-David, l'École Normale Hébraïque, l'œuvre des Bourses Abraham Ribbi, la Fédération des Associations d'Anciens Élèves de l'Alliance Israélite pour le Maroc, Le Centre Social du Mellah, le Keren Kayameth Leisraël. Il a aussi participé au Congrès Juif Mondial d'où il revint avec deux grands projets : Celui de l'O.R.T. et celui de l'O.S.E.

Chez cet être d'élite d'une modestie exemplaire qui n'a jamais joué de rôle dans les organismes officiels du judaïsme, qui n'a jamais brigué les honneurs, il y a autre chose qu'un cœur généreux. C'est un activiste du judaïsme sur tous les plans, politique, philanthropique et éducatif. Il n'avait pas d'ambition pour lui, il en avait pour le judaïsme marocain qu'il voulait toujours plus fier, plus structuré, plus ferme et doté d'institutions neuves, dignes du grand passé de cette communauté. Une des grandes lignes de la mission de ce bâtisseur infatigable fut le retour aux traditions Maghen David qui devint le foyer par excellence de la langue hébraïque et des traditions juives. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'École Normale Hébraïque prit la relève des foyers de la culture juive éteints en Europe. Des promotions successives de jeunes maîtres d'hébreu se sont répandues non seulement au Maroc, mais en Europe et en Amériquè. Le Canada, et Montréal en particulier, peuvent s'enorgueillir de plusieurs de ces instituteurs, flambeau de la tradition juive.

Pour la renaissance et la mise à l'honneur de la langue hébraïque, S. D. Lévy a fait au Maroc plus qu'aucun autre. Mais son nom est également lié à la liste de ceux qui oni combattu pour la reconstruction d'un Foyer National Juif. S. D. Lévy fut le Président actif et dévoué du Keren Kayemeth Leisraël pendant 35 ans. Son sionisme, il l'entreprit avec son énergie habituelle, mais non sans prudence et clairvoyance. À l'époque de l'indépendance du Maroc, il osa continuer son travail de pionnier, dans la clandestinité. Pour lui, toutes les occasions étaiern bonnes pour lancer des campagnes d'appel de fonds, et il habitua les familles à marquer des dates heureuses ou malheureuses par des dons destinés à faire planter des arbres en Israël. Son expérience de sioniste en fut une hardie, voire même risquée. S. D. Lévy est resté l'apôtre et le symbole du sionisme au Maroc.

Parallèlement à cette action sioniste, S. D. Lévy s'intéressait aux problèmes du judaïsme mondial. Invité à assister aux assises du Congrès Juif Mondial tenues à Adantic City en décembre 1944, S. D. Lévy par un rapport magistral devant le congrès, retint l'attention des délégués. Sa brillante personnalité s'imposa dès les premiers travaux et lui valut la vice-présidence de la Commission Politique. Il engagea des tractations avec diverses personnalités et le Maroc entra de plain-pied dans la zone d'influence de la générosité juive américaine. C'est ainsi que des organisations telles que le JOINT, L'O.S.E. et l'O.R.T. s'installèrent au Maroc, contribuant généreusement au redressement social du judaïsme marocain.

Le 20 février 1945, à Casablanca, devant une nombreuse assistance, S. D. Lévy rendait compte des résultats de sa mission à Atlantic City. Mais, entre les lignes de son exposé on sentait son amour ardent pour le sionisme. Après l'affreuse tragédie de la guerre et du nazisme, dit- il, " il est permis de croire qu'il ne se trouvera pas d'homme politique à courte vue pour proposer au problème juif mondial de demi-solutions et que la seule solution qui s'impose et qui fera sortir Israël de son enfer, c'est celle qui répond à la formule si étincelante de précision et de clarté que j'ai proclamée à la Tribune du Congrès : A.m Israël Béeretz Israël (Le peuple juif dans la terre d'Israël).

En juin 1967, la victoire de la guerre des Six jours remplit d'une joie exaltante le cœur de cet homme qui avait encore toute sa lucidité. Heureusement pour lui, quand le 16 avril 1970, il s'éteignit, la vision de Paix à laquelle il aspirait de toutes les fibres de son âme, semblait encore réalisable.

Nous ne terminerons pas cet article sans rappeler que la Communauté Israélite de Casablanca a tenu à rendre hommage à ce grand serviteur du judaïsme marocain en donnant son nom à l'une de ses institutions qui s'appelle depuis 1971 " Home de Vieillards S. D. Lévy ".

 4décembre 1974 

En hommage à S.D. Lévy Mme Tolédano

Samuel David LevyEn hommage à S.D. Lévy

Mme Tolédano

Je tiens à prendre part à la manifestation organisée par la Communauté de Casablanca en l'honneur de mon ami S. D. Lévy, à l'occasion de son 78" anniversaire.

Je pense beaucoup de bien de lui, comme vous vous en doutez. J'aimerais en dire un peu. Je n’empiéterai pas sur le domaine des orateurs qui viendront dérouler devant vous le panorama de ses innombrables initiatives et de ses réalisations incessantes. Je voudrais plutôt tracer, aussi brièvement que possible, la silhouette morale de l'homme. Cet homme, je le connais depuis soixante ans et mon admiration pour lui n'a fait que grandir à chaque nouvelle expression de son caractère et de sa forte personnalité.

Ma première rencontre avec Samuel Lévy à Paris, quand, en 1892, je fus admis à l'École Normale de l'Alliance, où Lévy m'avait précédé de quelques années. J'arrivai à Paris un matin de décembre. Lévy vint me chercher à la gare. Nous nous embarquâmes sur le bateau-mouche qui devait nous transporter à Auteuil. En route, nous causâmes. Une sympathie mutuelle nous rapprocha d’emblée. Arrivés à l'école, nous étions déjà camarades. Et ce fut le début d'une amitié intime et profonde, qui dure encore et toujours, inaltérée et inaltérable.

A cet âge, on rêve. L'avenir s'étale devant nous comme la feuille blanche d'un livre, sur laquelle on espère pouvoir écrire une histoire merveilleuse. Nous rêvions. Mais que ferait le temps de ces imaginations d'adolescents ?

 Ses études terminées, Lévy fut nommé instituteur. Il exerça à Tunis, à Tanger, à Casablanca et dans les colonies de l'ICA en Argentine. Il parcourut avec distinction sa carrière dans l'enseignement. Quand il quitta le service, il revint à Casablanca.

C'est alors que sa véritable vocation se révéla. La détresse des communautés juives ébranla fortement sa sensibilité. Les masses grouillantes des mellahs offraient le spectacle d'une dégradation sans nom. Les enfants, mal nourris, mal vêtus, affligés de maladies infectieuses, happés de bonne heure par la tuberculose, semblaient condamnés à une misère perpétuelle. Ceux de nos coreligionnaires qui avaient pu s'arracher à ce bourbier et acquérir des moyens de subsistance acceptaient la situation avec une résignation facile.

Lévy résolut de briser cette torpeur. Il ne concevait pas que des Juifs puissent abandonner d'autres Juifs, chair de leur chair, à une pareille déchéance. La pitié chez lui s'alliait à une haute conception du devoir humain. Fils de l'Alliance par sa formation intellectuelle et morale, il pouvait puiser dans les principes de cette grande organisation juive une précieuse inspiration. L'obligation de solidarité juive prenait à ses yeux la valeur d'un dogme. L'idéaliste qu'il était se révoltait contre un état de choses qui violait les exigences les plus élémentaires de la conscience sociale. Il fallait descendre dans l'arène de l'action pratique et livrer bataille aux maux qui pesaient sur cette population déshéritée. C'est ce qu'il fit. Il se voua à l'idée du relèvement, de ces communautés par la création progressive d'institutions régénératrices.

L'entreprise était vaste et ardue, mais ne souffrait pas de délai. Doué d'un caractère rectiligne et d'une volonté puissante et tenace, il s'attela à la besogne. Il a œuvré pendant de longues années, sans répit et sans découragement, prodigue de son temps, prodigue d'une énergie apparemment inépuisable, le regard constamment fixé sur le but à atteindre. Son extraordinaire dynamisme, la ferveur de son apostolat lui ont permis de surmonter tous les obstacles, de maîtriser les résistances et les préjugés, de plier, pour ainsi dire, l'impossible à l'effort de sa volonté. Son activité s'est étendue avec succès à tous les domaines de la vie communale; assistance sociale, santé, éducation, culture juive. Son œuvre s'est épanouie en une riche floraison d'institutions publiques, portant l’empreinte de son inspiration, de son dévouement, de son labeur acharné.

Cette description n'épuise pas les qualités qui ont fait de Samuel Lévy le grand réalisateur que nous admirons. Il faut y ajouter celles du diplomate et du ministre des finances. La mise en pratique de ses projets ne pouvait s'accomplir sans la mobilisation de larges ressources matérielles. C'était à lui à les trouver. Il lui fallait pour cela combattre l'apathie du milieu, l'incompréhension de ceux de nos coreligionnaires qui, habitués à l'idée de la charité au petit pied, semblaient incapables de saisir la nécessité de donner généreusement, sur une échelle proportionnée aux besoins. Lévy a subi la corvée avec stoïcisme et bonne grâce, réussissant presque toujours à forcer les bonnes volontés et à s'assurer les concours indispensables.

Mais le plus grand accomplissement de Samuel Lévy réside, à mon sens, plus que dans la matérialité des résultats concrets, dans l'exemple qu'il a donné de ce que peut l'action d'une volonté persévérante et bien dirigée sur le sort des communautés. C'est à son rôle d'animateur, de propulseur d'idées, d'éveilleur d'aspirations, qui constitue son meilleur titre à la reconnaissance de la collectivité juive marocaine. Il a diffusé un esprit nouveau, brisé la paralysie morale du  milieu, allumé les espoirs, fortifié les courages. Son influence sur la jeunesse est manifeste. Et c'est ce qui compte fondamentalement et en dernière analyse, car cela représente, non pas des effets bornés au présent, mais leur prolongement dans l'avenir : c'est l'élan vers un progrès indéfini.

Mon ami Samuel porte légèrement et allègrement ses 78 ans. J'ai eu la joie de le constater lorsque, dernièrement, sans souci de son âge, il vint plaider à New-York la cause des œuvres qu'il dirige. Il garde sa flamme à la pesanteur des vies stagnantes et stériles. Son idéalisme lui donne des ailes.

Et maintenant, il peut contempler avec satisfaction et fierté, le déroulement fécond de ses années. La page blanche qui s'étalait devant lui en ces jours lointains de sa vie d'étudiant est partiellement remplie. Elle enregistre une histoire de travail, d'intelligence, d'abnégation mis au service de nos frères marocains. Peut-être est-ce l'histoire même dont, il y a soixante ans, Samuel Lévy rêva d'être le héros. La vie n'aura pas déçu ses imaginations d'adolescent.

Je salue, avec toute l'affection née de ma vieille et fidèle amitié, ce 78ème anniversaire; il sera, c'est mon vœu le plus fervent, suivi de beaucoup d'autres où sa présence parmi nous renouvellera la joie de nos cœurs.

Je suis heureux en même temps de lui transmettre l'hommage et les félicitations de Mme Tolédano, pour qui la personnalité de Samuel Lévy incarne un des aspects les plus nobles et les plus caractéristiques de l'âme juive.

Hommage envoyé de New-York à l'occasion de la manifestation organisée par la Communauté de Casablanca en   l'honneur deS.D.Levy le 21 janvier 1953

Un grand juif Samuel David Levy – Raphaël Benazéraf

Un grand juif

Samuel David LevyRaphaël Benazéraf

Le grand juif que fut S. D. Lévy vient de nous quitter à l'âge de 97 ans.

Il était beaucoup plus qu'une personnalité juive du Maroc. Il était l'âme du judaïsme marocain, l'homme qui avait voué sa vie à tenter de faire passer la communauté juive marocaine du Moyen âge au XXe siècle.

Lors de ses obsèques, célébrées à Casablanca, le docteur Benzaquen, ancien ministre, président de la communauté juive de Casablanca, MM. Emile Sebban, directeur de l'École normale hébraïque de Casablanca, Elias Harrus, délégué de l'Ittihad-Maroc, ont évoqué les étapes de cette existence exemplaire.

Né le 4 décembre 1874 à Tétouan qui comptait alors 5 à 6,000 juifs, il fut élève de la première école de l'Alliance israélite ouverte dans cette ville en 1862. En 1889, il est admis comme élève maître à l'École normale israélite orientale de l'Alliance, à Paris. Quatre ans plus tard il est nommé instituteur de l'Alliance à Tunis. Il sera ensuite en fonction à Sousse, Tanger et Casablanca. Puis, en 1903, il est directeur, puis inspecteur des écoles de la colonie Mauricio de la JCA (Jewish Colonization Association), dans la province de Buenos-Aires, en Argentine. Il passera dix ans dans ce pays.

En 1913, il retourne au Maroc où il s'installe définitivement. Il se voue totalement à ses frères malheureux, négligeant une situation matérielle qui aurait pu être de premier plan.

Le génie de Lyautey ouvrait alors le Maroc au monde occidental. Mais la communauté juive y connaissait, allait y connaître encore pendant des dizaines d'années, une effroyable misère, voisine de la détresse. La masse, privée de protecteurs agonisait littéralement.

C'est pour cette population déshéritée du Mellah, de ce Mellah où la maladie était reine, pénétrant dans les maisons privées d'air et de lumière, qu'allait s'exercer l'apostolat de S. D. Lévy.

Pendant plus d'un demi-siècle il allait créer ou participer à la création d'œuvres dont la seule nomenclature donne le vertige : la Maternelle, l'Aide scolaire, le Centre anti­tuberculeux, la Fédération des associations juives pour la lutte contre la tuberculose, le Préventorium de Ben- Ahmed, l'Union des associations juives de Casablanca, le Comité d'études juives, Maghen David, l'Ecole normale hébraïque de l'Alliance, l'œuvre des bourses Abraham Ribbi, la Fédération des associations d'anciens élèves de l'Alliance israélite, le Centre social du Mellah, l'O.R.T., l'O.S.E.

Sioniste militant – et dans ce domaine il s'opposait aux doctrines assimilationnistes en honneur dans les hautes sphères du judaïsme français d'avant guerre – S. D. Lévy et ses disciples estimaient qu'il fallait certes libérer le judaïsme des pays arriérés de la misère, de l'ignorance et des préjugés, mais avec l'espoir suprême de leur procurer le retour dans le pays de leurs aïeux.

C'est ainsi qu'il créa et présida dès le lendemain de la première guerre mondiale le Keren Kayemeth Leisraël et qu'il n'allait cesser de militer pour la réalisation du rêve de Herzl.

C'est lui encore qui dirige la délégation marocaine à l'assemblée extraordinaire du Congrès juif mondial qui allait tenir ses assises à Atlantic City en pleine guerre, du 26 novembre au 1er décembre 1944. Pour la première fois le judaïsme marocain était ainsi représenté dans une assemblée juive mondiale. Ses contacts aux États-Unis lui permettent d'obtenir la promesse que le Joint, l'O.R.T et l'O.S.E s'installeront incessamment au Maroc. On sait l'œuvre extraordinaire que ces organismes allaient y accomplir.

Nous n'avons pu que résumer ici une vie, une œuvre qui suscitent admiration et respect. Nous garderons fidèlement le souvenir de ce Juste, de ce Grand en Israël.

Allocution prononcée à l'occasion du décès de Monsieur Samuel D. Levy

Cité d'après l'ouvrage de E Sikirdji " S. D. Lévy. Une belle figure du Judaïsme marocain " édité à Casablanca à l'occasion du 80e anniversaire de S. D. Lévy, où l'essentiel de son œuvre hors série est mis en relief.

Une vie bien remplie – Léon Benzaquen

Samuel David LevyUne vie bien remplie

Léon Benzaquen

A l'homme qui, parallèlement à son activité professionnelle, à sa mission initiale d'éducateur de l'enfance et de l'adolescence, consacra le reste de son temps et déploya toute son énergie à inculquer à ses concitoyens le sentiment de la solidarité humaine, à celui qui fut le créateur, le fondateur et l'animateur pendant de longues années de la presque totalité de nos œuvres d'entraide, au grand philanthrope Samuel Lévy, le Président de la Communauté Israélite de Casablanca, en son nom personnel, au nom de tout le Comité, a le douloureux devoir aujourd'hui de rendre un dernier hommage : hommage de respect, hommage de gratitude et hommage de filiale affection.

Face à l'œuvre immense accomplie pendant une existence que la Providence a voulue exceptionnellement longue, le profond chagrin où nous plonge sa mort doit trouver sa consolation dans l'évocation de ses vertus, de ses mérites et de l'enseignement qu'il nous lègue.

Tel Moïse qui, animé par l'inspiration divine, ouvrit aux hommes le chemin qui devait leur donner le vrai sens de la vie, il fut pour nous, Juifs habitant encore en ce pays ou dispersés aux quatre coins du monde, le guide, l'inspirateur, l'animateur et le réalisateur.

Nous harcelant sans cesse par son désir de nous voir tous unis dans un sentiment d'entraide et de solidarité à l'égard de nos frères nécessiteux, toute sa pensée fut occupée à nous inculquer ce principe et toute son énergie tendue à concrétiser ces nobles aspirations.

Parmi les grands hommes dont le nom mérite d'être inscrit en caractères lumineux dans l'histoire du judaïsme marocain, Samuel Lévy qui naquit à Tétouan le 4 décembre 1874, doit figurer parmi les premiers et les plus dignes. D'abord, par sa personnalité propre, ses vertus et ses qualités l'ayant placé très tôt au rang des dirigeants et des conseillers des Communautés juives réparties dans le Royaume, ensuite par les circonstances qui l'amenèrent à remplir sa tâche comme un missionnaire imbu de sa mission et parmi ces circonstances une des plus importantes et qui détermina de façon irréversible le sort de nos coreligionnaires fut la diffusion au Maroc des écoles de l'Alliance Israélite.

En effet, à partir de ce moment, et pendant une longue période, le nom de S. D. Lévy resta intimement associé à celui de l'Alliance Israélite. Cet homme et cette institution, association providentielle et rapprochement certainement désiré par D.ieu, marchèrent côte à côte se complétant et servant le même idéal.

Cette symbiose du cœur et de l'esprit, entrevue aujourd'hui après tant d'années de recul, dont les conséquences pour l'avenir des Communautés juives marocaines furent considérables, bouleversant complètement les perspectives d'avenir d'une collectivité condamnée sans cela au piétinement culturel avec ferveur et gratitude et remercier D.ieu d'avoir désigné des hommes comme S. D. Lévy pour en être un des facteurs et un des artisans.

Cependant, cette collaboration de S. D. Lévy avec l'Alliance devait cesser précocement sur le plan éducatif. Mais la mission dont il semblait que D.ieu l'avait chargé et qui n'était pas de solution de continuité et nécessitait un travail immense.

Au fur et à mesure que les écoles de l'Alliance se multipliaient dans ce pays, une carence sociale complète se faisait jour et la nécessité d'organiser des œuvres d'entraide scolaires, parascolaires et postscolaires, ne pouvait pas ne pas naître chez cet apôtre nullement rebuté par l'ampleur de la tâche, mais au contraire déterminé à la poursuivre jusqu'au bout du chemin. Or, le chemin de la charité et de l'entraide, s'il a un commencement, n'a pas de fin. " Rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire " se plaisait-il à dire à ses collaborateurs. Ce chemin est parfois jalonné d'étapes par la réalisation complète d'une action, d'une œuvre nouvelle.

Cette étape à peine est-elle franchie qu'elle fait déjà partie du passé, et, pour des hommes comme S. D. Lévy, seul l'avenir présente de l'intérêt et déclenche de vigoureux ressorts durant toute son existence, à l'aube de sa carrière comme au crépuscule de sa vie.

Car cet homme dont nous espérions pouvoir célébrer en vie le centenaire (ne vécut-il pas plus de 95 ans ?) eut, à l'instar du grand Moïse, ce privilège que la Providence n'accorde qu'aux âmes d'élite choisies par elle, il ne cessa pratiquement son action bienfaisante qu'avec son dernier souffle. Il sut, et il put, en dépit de son âge avancé rester toujours l'animateur, le réalisateur, insufflant son enthousiasme à ses proches, ne parlant pas de l'œuvre accomplie, mais de l'œuvre à accomplir, retenant une jeunesse d'esprit que bien des jeunes lui enviaient. Car comme l'a dit le sage " On ne devient pas vieux pour avoir vécu un grand nombre d'années, mais parce qu'on déserte son idéal ".

Chez Samuel Lévy, cet idéal était servi par des qualités immenses qui firent que pendant plusieurs décennies et jusqu'à ses derniers jours, nos œuvres philanthropiques ont vécu sur cette impulsion. Œuvres privées, Œuvres Communautaires, elles furent toutes marquées par cette empreinte dont elles subissent encore fort heureusement la bienfaisante influence.

Aujourd'hui, ce n'est pas sans une inquiétude rétrospective qu'on se demande ce qu'il serait advenu des collectivités israélites réparties dans le Royaume, fortes à cette époque de plus de 300,000 âmes, s'il avait renoncé, dès les premières difficultés, à poursuivre son œuvre, s'il n'avait pas fait taire ses doutes, ses craintes, ses désespoirs, au bénéfice de son idéal et de sa foi, s'il n'avait appliqué avec tant de conviction et d'efficacité ce qui fut le grand principe de sa vie : " Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ".

La carrière philanthropique de Samuel Lévy au Maroc, commence, on peut dire, au lendemain de la première Guerre Mondiale et se poursuivit toujours plus active, et sans solution de continuité jusqu'à ces derniers temps.

La population juive marocaine croissait d'année en année. A l'exception de quelques privilégiés dans certaines villes, le gros de la collectivité juive vivait parquée dans ce qu'il était convenu d'appeler le Mellah où la misère accompagnait la promiscuité.

Si l'instruction primaire était de plus en plus répandue grâce aux efforts incessants de l'Alliance, ces mêmes enfants qui bénéficiaient de cet enseignement devaient rejoindre à la sortie des cours leur taudis où la menace de plusieurs maladies pesait lourdement sur eux. Le paradoxe ne pouvait pas laisser insensible l'homme délicat et plein de cœur qui venait à peine d'abandonner l'enseignement pour se consacrer à ses propres affaires, mais qui, absorbé par sa tâche philanthropique, délaissait la plupart du temps ses propres affaires pour organiser des réunions, stimuler l'enthousiasme, faire des collectes et se déplaçer de ville en ville pour alerter ses coreligionnaires plus fortunés et les inciter à la création d'œuvres sociales susceptibles d'atténuer les plaies de la misère, de l'ignorance et de la promiscuité.

Dans le même dessein, il se déplaça à l'étranger en France et particulièrement aux Etats-Unis. Il fit entendre sa voix et ses appels aux organisations juives d'outre-mer et l'on peut dire que c'est en grande partie grâce aux harcèlements incessants, à l'envoi de nombreux rapports à ces mêmes organisations, pour les intéresser sur le sort déplorable de certains de nos coreligionnaires que l'American J.O.I.N.T. auquel nous devons tant, se fixa dans ce pays. Qu'il me soit permis en cette pénible circonstance de remercier cette organisation au nom du |udaïsme marocain tout entier, pour avoir toujours répondu favorablement à nos exigences financières.

( )n ne peut, à l'heure où notre pensée doit être entièrement consacrée à la prière et au recueillement, vous faire une lecture complète de la liste des œuvres que notre cher disparu inspira, anima ou élabora entièrement.

Il en est cependant qui doivent être mentionnées, non pas dans l'ordre chronologique de leur création mais pour en montrer leur diversité et pour prouver combien l'esprit de Samuel Lévy était ouvert à toutes les exigences sociales.

La Maternelle, l'Aide Scolaire, le Centre antituberculeux Israélite, Maghen David, l'École normale hébraïque, l'œuvre des Bourses Abraham Ribbi, la Fédération des Associations des anciens élèves de l'Alliance Israélite, L'O.R.T. et L'O.S.E. Que l'on me pardonne d'en avoir omis quelques-unes, la liste aurait été fastidieuse par sa longueur.

À travers ces œuvres, se dévoile l'homme qui ne fut pas seulement un philanthrope mais aussi un philosophe convaincu qui nous enseigna que pour vivre dignement il fallait vivre pour répandre le bien et soulager quand on le peut, ceux qui souffrent.

Son sillon fut surtout marqué par le désir de sauver l'enfance, la doter de moyens propres à s'intégrer dans la vie moderne, lui permettre de s'émanciper sans qu'elle perde pour autant l'amour des traditions et de la foi juive,

Que ceux qui ont pris aujourd'hui la relève et assurent la continuité de ses œuvres d'entraide en soient remerciés. Ils prouvent qu'ils ont compris l'enseignement du maître et qu'ils en sont les dignes successeurs.

Lui disparu, son œuvre persiste et son nom est prononcé par toutes les bouches avec ferveur et reconnaissance.

Dans tout le Maroc et par-delà les mers et les continents, partout où les Juifs marocains ont élu résidence, le souvenir de cet homme ne s'effacera jamais et resteni gravé dans toutes les mémoires.

Le capital moral qu'il a représenté et qui a enrichi notre patrimoine nous donne légitimement le droit d'être fiers d'avoir servi sous son emblème.

Une longue vie remplie de bien, interrompue par la mon mais se perpétuant dans la mémoire de ceux qui l'ont approché ce sont les seules paroles de consolation que j'adresse à sa famille et à ses proches.

Que soit béni l'homme qui honora l'Humanité et que son âme repose en paix dans l'Éternité, Amen.

Allocution prononcée par le Docteur Le'on Benzaquen Président de la Communauté Israélite de Casablanca à l'occasion des obsèques de Monsieur Samuel D. Levy

Un homme d'action – Emile Sebban

Samuel David LevyUn homme d'action

Emile Sebban

Très cher M. Lévy,

Le voyageur a regagné le port, celui qu'il avait quitté il y a près d'un siècle pour s'engager sur les flots mouvementés de l'existence.

" Une bonne renommée est préférable à l'huile parfumée et le jour de la mort est préférable à celui de la naissance ".

Rendons honneur au pèlerin qui a traversé les tourmentes, qui a su résister aux assauts des vents et des vagues et qui a regagné le rivage paisible. Ce n'est pas à l'homme commençant sa carrière que peuvent aller nos louanges : savons-nous s'il saura affronter avec bonheur les ouragans des mers lointaines, s'il ne succombera pas sous les fatigues accumulées, sous les désillusions et les ingratitudes ?

" Le jour de la mort est préférable au jour de la naissance ", car alors l'homme a traversé les tempêtes de la vie pour arriver de nouveau à son point d'attache : sa terre natale.

Il est rare de trouver illustration aussi éclatante de cette sagesse biblique que celle de la vie de notre patriarche que nous honorons tous en ce jour de 10 Nissan, veille du Chabbat Hagadol qui nous relie à la sortie de Mitzraïm. La leçon rayonnante de service à la communauté, de dévouement inlassable, de bonté souriante est celle des grands êtres qui tirent l'humanité vers le haut et la dirigent vers sa vocation infinie.

Il me souvient de son accueil toujours tonifiant, de sa disponibilité constante, de ce bureau de la rue Coli ou nous allions puiser à la source du dynamisme social et du la solidarité réconfortante. Chaque époque réclame ses pionniers et ses visionnaires. L'après guerre travaillée par les courants profonds des grandes mutations a trouvé en M. S. D. Lévy l'un de ces créateurs capables d'accorder l'homme et l'événement, et de poser les bases d'une action à long terme : celle qui marquera une communauté, un pays, une histoire. Il s'agissait d'aider dans l'immédiat une population d'enfants et d'adultes ayant faim, de pain et d'affection; il s'agissait en même temps de former des générations de jeunes à servir de guides, d'enseignants et de cadres. Ainsi, sous son impulsion naissaient ou se renforçaient les organismes d'entraide sociale et médicale, ainsi se greffaient des œuvres scolaires et d'éducation. Les unes et les autres étaient portées dans ce large cœur qui battait à l'unisson de ses contemporains, mais pour cet ancien directeur d'école de l'A.I.U. les problèmes pédagogiques et d'avenir éducatif restaient prioritaires comme des gages de la continuité. C'est pourquoi il manifestait un tel intérêt pour notre Ecole normale où il voyait grandir les pousses; c'est pourquoi il a tellement œuvré pour la voir se développer à partir du petit noyau de Maghen David jusqu'à sa floraison à l'Oasis. Et il restait toujours soucieux même du fond de sa calme retraite, de la vie el des progrès de tous nos mouvements de jeunesse du D.E.J.J.

Et c'est cette continuité qu'il assumait dans ses gestes, dans ses pensées, dans son rayonnement. Quelle merveilleuse chose pour nos générations qui s'interrogent, pour nos jeunes ballotés par les événements déconcertants, que ce pont jeté entre deux siècles, que cette voie magistrale qui relie deux veilles de guerres et deux lendemains de guerres, et qui a traversé les bouleversements mondiaux des naissances des peuples.

" À présent je suis assis, me disait-il dernièrement, et c'est la vie qui passe devant moi ".

Heureux le navire qui accoste à son dernier quai ayant fait provision de richesses abondantes, et heureux les temoins qui sauront retrouver la voie de son sillage.

Dans notre hommage suprême à notre grand précurseur on sent la vibration profonde des cœurs : celui des pères vers celui des enfants, et celui des enfants vers celui de leurs pères. Soyez remercié, très cher Monsieur Lévy, pour cet accord harmonieux dont vous avez toujours rêvé pour la terre des hommes, et dont les résonances de paix s'accordent à la mélodie éternelle.

Allocution prononcée par Monsieur Emile Sebban Directeur de l'Ecole Normale Hébraïque et Président du D.E.J.J. -Maroc Casablanca, le 17 avril 1970

Un homme exemplaire Élias Harrus

temoignages-lallince-israelite-universelle

Un mois s'est déjà écoulé depuis que notre vénéré patriarche S. D. Lévy s'est éteint, entouré de l'affection des siens et de l'attachement fidèle et amical de ceux qui avaient l'honneur de le connaître et de l'approcher.

Ce fut un mois de deuil, certes pour la famille, mais également pour toutes les Communautés présentes ou éloignées.

Nous commémorons ce soir la cérémonie religieuse qui clôture cette période, à l'École Normale Hébraïque, son œuvre et son sanctuaire, au sein de l'Alliance israélite universelle devenue Ittihad, qui fut sa famille spirituelle première dont il a été l'animateur et le continuateur sur le plan social et éducatif et dont il se plaisait à se réclamer  jusqu'à ses derniers instants, tant il adhérait intimement a sa mission.

Si chaque groupement humain peut se flatter de certains de ses fils plus ou moins providentiels, si la Communauté juive en général est réputée féconde en hommes dévoués et désintéressés, notre Communauté peut proclamer qu'elle eut en Monsieur S. D. Lévy un homme exceptionnel, tant par son esprit généreux et lucide, son dynamisme infatigable et efficace, que par l'étendue de ses initiatives et la pérennité de ses réalisations.

La fin de l'autre siècle le voyait déjà au sein d'une équipe  de jeunes missionnaires, tous issus de l'École normale d'Auteuil, animer et diriger la jeunesse juive de Tanger. Et déjà le reste du Maroc s'ouvrait à leur action, souhaitée peut-être même au delà des frontières, Isaac Larédo, Haïm Tolédano, Moïse Nahon… ont eu des dessins heureux sur le plan social, à Tanger même et en faveur de la Communauté élargie. Leurs réalisations et leurs noms sont dans la mémoire de tous et inscrits sur  des murs ou attachés à des œuvres qui leur survivent.

Monsieur S. D. Lévy eut un sort incomparable et son oeuvre est immense dans le temps, dans l'espace comme dans les idées. D'autres voix plus autorisées que la mienne ont retracé avec bonheur ses apports innombrables à la cause juive, à la cause humaine.

Jc voudrais cependant, ce soir, exalter sa mémoire et rendre hommage à son action en soulignant auprès de vous tous, ses proches et ses amis, les anciens et les jeunes, ses qualités de cœur, son immense optimisme, sa générosité inlassable favorisés par une fraîcheur d'âme que rien n'a pu altérer, ni sur le visage, ni dans les sentiments. Il a vécu presque un siècle d'une jeunesse ardente et le corps n'a failli qu'aux tous derniers moments.

Monsieur S. D. Lévy avait par dessus tout le culte de l'amitié et perpétuait la mémoire de ceux qu'il avait connus et aimés et avec qui il avait partagé des idées, des sentiments et souvent une action au bénéfice de la Communauté.

Notre reconnaissance affectueuse et notre hommage à sa mémoire seront éternels. Nous pouvons offrir son exemple prestigieux aux jeunes et aux moins jeunes à un moment où les valeurs changent d'orientation. Sa générosité a fait plus – et avec peu de moyens – que toutes les contestations à la mode; son désintéressement et son dévouement ont vaincu les difficultés les plus tenaces, son optimisme communicatif a eu plus d'efficacité que n'auraient eu, de nos jours, les concertations les plus savantes.

Je ne saurais mieux conclure cette modeste évocation pour un si grand homme qui comptera dans l'histoire de nos Communautés qu'en vous faisant part d'un message d'amitié et de vénération que Monsieur Jules Braunschvig, Vice-Président de l'Alliance israélite universelle nous a chargés, mon ami Emile Sebban et moi-même, de vous apporter pour l'associer à la manifestation du souvenir et à l'hommage que ce soir, nous rendons avec ferveur à la mémoire de notre cher et vénéré S. D. Lévy.

Allocution prononcée par Monsieur Elias Harrus Délégué de l'ittihad Maroc à l'office de commémoration du mois de deuil de Monsieur Samuel D. Lévy

Une vie consacrée à l'aide sociale – Jules Braunschvig

Une vie consacrée à l'aide sociale

Samuel David LevyJules Braunschvig

Obligé d'être à Paris ce jour pour présider une Commission de l'Alliance, je tiens à m'associer à l'hommage rendu ici, dans cette maison, à M S. D. Lévy. |c suis certain que l'on saura exprimer la reconnaissance de tous les juifs du Maroc due à un homme qui a consacré sa vie à imaginer, à créer, à faire vivre tant d'institutions. Ce ne sont pas seulement les juifs – c'est le Maroc entier qui a bénéficié de son exemple et de son action.

Plus particulièrement, cette École normale hébraïque a été voulue et commencée par lui. L'Alliance à l'époque, a considéré comme un honneur de pouvoir s'associer à lui pour faire de Maghen David l'établissement où vous êtes réunis aujourd'hui. Ici, plus encore qu'ailleurs, que sa mémoire soit bénie et que son œuvre soit continuée et développée.

Que nos jeunes, pour toute leur vie, sachent que ce qu'ils apprennent ici pour devenir de vrais juifs instruits et dévoués, c'est, n'oublient pas non plus qu'à l'origine il y avait, ici, aussi, Monsieur S. D. Lévy.

Allocution de Monsieur Jules Braunschvig, Vice-Président de l'Alliance Israélite universelle, prononcée par Monsieur Emile Sebban

Un siècle d'action au service des siens Emile Sebban

 

Samuel David LevyUn siècle d'action au service des siens

Emile Sebban

Évoquer la naissance de M. S. D. Lévy à Tétouan il y a 100 ans, alors que l'Alliance Israélite Universelle créée en 1860 venait de célébrer sa Bar Mitzva, rappeler son enfance dans les ruelles de la Judéria héritière du fier judaïsme espagnol, suivre l'adolescent à l'École Normale Orientale à Paris où il découvre le Nouveau-Monde européen, accompagner le jeune pédagogue et l'ardent missionnaire parmi ses frères déshérités en Tunisie, au Maroc, en Argentine, le retrouver installé à Casablanca en 1913 et se donnant dans la force de ses 40 ans à une action sociale considérable dont il devait être durant plus d'un demi-siècle un créateur, un animateur, un guide, c'est parcourir une carrière humaine exceptionnelle de longévité et de réalisation, et en même temps embrasser une vaste fresque du Judaïsme marocain, presque l'ensemble de son histoire contemporaine. Tant il est vrai que certains êtres touchés par un feu céleste, élus pour une mission, s'identifient à une communauté, à un pays, à une histoire. Chaque époque exige et sécrète ses pionniers et ses visionnaires. La poussée hors des ghettos à la fin du siècle dernier, l'après guerre de 1918 éprise de liberté égalitaire, celle de 1945 bouleversée par la tragédie hitlérienne et travaillée par les courants profonds des grandes mutations, ces charnières successives de la vie des peuples et des groupes humains ont trouvé en S. D. Lévy l'un de ces conducteurs capables d'accorder l'homme à l'événement et de poser les bases d'une action à long terme.

Quelle formidable transformation dans le pays, dans la société, dans les mentalités, depuis le temps de l'enfant Samuel Daniel Lévy environné de la misère des rues, des maladies endémiques, de la somnolence de Communautés oubliées jusqu'au début du XXe siècle dans un Maroc moyenâgeux. Quelle puissance dans le réveil des vieux Mellah assoupis jusque là, à demi asphyxiés et qui vont éclater en lançant aux quatre vents du monde des semences si longtemps délaissées et maintenant fécondes. L'école moderne sa cour et la cantine, le dispensaire son hygiène et ses soins, le centre d'apprentissage et son inidation, l'asile et l'hôpital, l'ouvroir et le home, le cercle et le foyer, la lutte contre l'ignorance, la conscience civique, la conquête de la dignité, les échanges nationaux et internationaux, l'affirmation de la personnalité, à toutes ces étapes d'une émancipation patiemment conquise, le pionnier S. D. Lévy était présent, animateur infatigable, ambassadeur d'une communauté grosse de son avenir et de son destin, apôtre d'un Judaïsme épris de fraternité et d'épanouissement universel. L'école d'abord, l'école toujours, plaide l'ancien instituteur qui voit dans les jeunes la moisson du futur; mais en même temps et sans cesse il faut étendre l'œuvre sociale qui soigne nourrit et habille les corps, car le pauvre écrasé de misère ne saurait exposer ni son cœur ni son âme.

Comment mesurer le capital d'énergie, de volonté, de persévérance d'abnégation investi dans ces réalisations innombrables qui vont couvrir le Maroc d'Est en Ouest, du Nord au Sud, les quartiers juifs des grandes villes, les rues des petites cités et les masures des bleds les plus reculés ! Comment rendre compte de cette lutte de tous les instants, à tous les niveaux pour dépasser les inerties, vaincre les incompréhensions, triompher des hostilités, des peines, des déceptions surmonter les difficultés financières, administratives, politiques, effacer les distances, les fatigues, les découragements, entretenir l'espoir. Il faut convoquer, réunir, se déplacer, frapper aux portes, convaincre, enthousiasmer et sans relâche recommencer, réinsuffler, réanimer la flamme de la solidarité. Si la création peut se faire dans l'exaltation de l'instant, l'œuvre, elle, doit être inscrite dans la durée, dans la continuité; il faut la maintenir et la développer en dépit des tracasseries, des résistances, des nuits sans sommeil, des échecs, des ingratitudes, de toutes les sirènes de l'abandon. Mais justement S. D. Lévy avait le secret de ne pas perdre de vue l'étoile lointaine et il savait dire le mot, la formule qui décident et déterminent, il avait le regard et le geste qui entraînent. Et le désert fleurissait, les apostolats naissaient et se multipliaient; les réseaux d'assistance se ramifiaient prenant en charge le nourrisson et le vieillard, l'écolier et l'artisan, la jeune fille et la veuve, l'infirme et l'orphelin. Bien sûr un homme à lui tout seul ne peut suffire et il faut aussi penser avec reconnaissance à la pléiade de dirigeants, d'assistants, d'animateurs, à l'armée de volontaires, grands et petits, hommes et femmes, qui ont contribué au sauvetage et à la régénération de dizaines et même de centaines de milliers d'enfants et d'adultes frappés par la misère physique et morale, marqués par la faim et la maladie. Aujourd'hui nous avons presque oublié ce que fut la condition dramatique des Mellahs, la saleté repoussante de certains quartiers, leur puanteur, l'entassement incroyable des habitats sinistres, les rues sans soleil, les enfants sans rire, les yeux sans éclat. Que de poussière déposée sur le miroir de la vie, que d'ombre accumulée sur le rêve messianique.

Parler de S. D. Lévy c'est nécessairement souligner l'élan du cœur d'un de ces personnages de légende auréolés de grandeur et de noblesse qui ont fait reculer les frontières de l'ombre par leur courage et leur rayonnement; comme ces lumières de Hanouca que nous allumerons ce soir, que nous allumerons de nouveau chaque année à venir, encore et toujours; même aux temps messianiques – disent nos Rabbins – parce-qu'au-delà de la guerre qui sera enfin bannie il restera la lutte de l'homme vers plus de liberté, de vérité et de vie.

Centenaire de la naissance de S. D. Lévy ! Quelle occasion propice à nous tous ici ses parents, ses amis, ses disciples, ses continuateurs, ses admirateurs de dire la dette de gratitude du Maroc et de ses juifs à l'un de ses fils bénis, à l'un de ses grands promoteurs. C'est pour moi le lieu d'exprimer l'hommage de mon respect et de mon affection pour l'homme que j'ai connu, le militant qui a marqué mes jeunes années, le beau vieillard que j'ai aimé.

Pour ma dernière visite chez lui, quelques semaines avant sa mort, il m'a accueilli comme à l'accoutumée dans le salon de sa maison de bois de la Rue Rouget de l'Isle, avec son sourire plein de bonhomie et sa main chaleureuse. Il avait 96 ans. L'âge qu'auraient eu les grands hommes de sa génération qui ont marqué le monde : Churchill, Albert Schweitzer, Haïm Weizmann. Quelle écoute attentive chez cet homme d'action, resté modeste au fond de sa retraite, discret et délicat, droit et appliqué comme le dessin de sa fine écriture. Quelle écoute attentive malgré sa surdité ! Les yeux restaient pétillants et curieux quand il se penchait vers vous la main et cornet sur son oreille. De quoi croyez-vous que m'a parlé cet homme presque centenaire qui avait été un pont entre deux siècles, un fil conducteur à travers les bouleversements sociaux et politiques. Pas un mot de lui, ni de sa santé, ni même des événements qui venaient comme mourir au pied de ce grand chêne. C'était tout de suite l'interrogation, l'avidité de savoir où en était l'École normale hébraïque cette pépinière qu'il avait plantée à Maghen David qu'il chérissait tout particulièrement comme son dernier enfant et qu'il suivait avec tellement de sollicitude depuis la vigoureuse greffe Braunschvig et Tajouri. Combien d'élèves, quels résultats, quelles perspectives, quels projets? Toujours la préoccupation du futur, de ce qu'il reste à faire. Et ce cercle de l'Alliance avait-il ajouté, qui me donne bien du souci qu'est-ce que le D. E. J. J. pourrait y faire pour un programme vraiment éducatif ? Et où est la question des bourses aux étudiants qui ont besoin de notre concours… C'était à la fois émouvant et fortifiant de contempler le rare spectacle d'un homme en accord profond avec la trajectoire entière de son existence. À cette heure du bilan où les hommes se retournent vers le passé, au moment où ce grand philanthrope pouvait se complaire dans la richesse unique d'une mission accomplie, il gardait les inquiétudes qui honorent les jeunes responsables. Et je voyais sur les murs de sa véranda les documents, les photos, les portraits, tous ces jalons d'un itinéraire bien rempli, toutes ces notes d'une magistrale symphonie. Et je revivais ma première rencontre 25 ans plus tôt avec le président S. D. Lévy dans son bureau de­là rue Coli d'où il réglait un peu ses propres affaires et beaucoup les affaires communautaires. Nous sortions de la guerre et entamions les dix années les plus fécondes de l'action éducative et sociale. Contact capital pour un jeune idéaliste qui avait vécu les angoisses des soirs de bataille, les affres de son peuple persécuté, et qui recherchait un champ d'action à la mesure de son rêve. Dès l'abord, j'avais trouvé auprès de mon grand aîné S. D. Lévy un exemple et une confirmation : l'exemple illustré d'une vie consacrée au service désintéressé du prochain, la confirmation authentique de la voie éducative suivant la tradition de nos Sages. Le tout dans la chaleur de l'accueil et de la relation humaine. C'était une chance que je mesure encore mieux aujourd'hui dans un monde qui craque, où la place de l'humain se réduit chaque jour. Pareille rencontre est un bonheur que je souhaite à tellement de jeunes désorientés qui recherchent un réconfort et des raisons d'espérer. Et nous tous en cette terre accueillante et ceux éloignés dans l'espace mais qui testent proche à nos cœurs vibrants en ce jour du Centenaire, ceux qui l'ont connu et ceux qui entendront parler de lui, nous pourrons toujours puiser un encouragement à vivre en retrouvant dans l'épopée du livre des hommes la belle page écrite par notre Maître S. D. Lévy.

Allocution prononcée par Monsieur ־Emile Sebban Directeur de l'Ecole Normale Hébraïque et président du D.E.J.J. Maroc à la célébration du Centenaire de la naissance de Monsieur S.D.Léiy Casablanca, le 15 Décembre 1974.

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En reconnaissance à un guide – Benzaquen

Samuel David LevyEn reconnaissance à un guide

  1. Benzaquen

Donner le nom S. D. Lévy au " Home de Vieillards", n'est que la très humble et très modeste contribution de la Communauté israélite de Casablanca, au culte que nous devons tous à la mémoire de cet apôtre de la Bienfaisance.

Il est normal qu'une de nos plus belles institutions, communautaires perpétue le souvenir de celui qui fut Ie créateur ou l'inspirateur de presque toutes nos œuvres d'entraide et ce n'est de notre part, qu'accomplir une partie de notre devoir en profitant de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui. La structure et le fonctionnement de notre " Home de Vieillards " ouvert depuis longtemps déjà à nos concitoyens coreligionnaires, mais dont l'adjonction récente d'une aile supplémentaire comporte un grand nombre de lits, nous autorise à parler d'inauguration, d'évoquer tous ensemble dans le recueillement et la dévotion la mémoire d'un de nos plus illustres coreligionnaires, ayant vécu toute sa vie dans notre pays.

Illustre pas ses vertus et par ses qualités morales, et illustre par son activité inlassable en faveur d'un groupement déshérité et non secouru par l'absence totale d'organisme d'entraide au moment où il commença son activité sociale. Celle-ci débuta il y a plus de 60  ans et se poursuivit sans désemparer et sans solution de continuité jusqu'à son dernier souffle, vers l'âge de 95 ans, il y a à peine 18  mois.

Cet homme, qui, s'il ne créa pas tout, inspira tout ce qui se fit dans ce domaine, sut par son  enthousiasme communicatif et son sens aigu de la charité dans la dignité, inculquer à tous nos coreligionnaires parfaitement indifférents ou peut-être effrayés par l'ampleur de la tâche le sentiment de la solidarité non pas comme une action de piété, comparable en cela aux prières religieuses ou aux actions de grâce, mais purement intrinsèquement, d'une façon absolument désintéressée donnant à l'homme le véritable sens de la vie.

A la charité de la main à la main, dégradante et discriminatoire, il substitua petit à petit, d'année en année, l'entraide collective stimulante et plus conforme à la dignité de l'homme, par la création d'organismes de routes sortes dont il patronna les comités et qui, du temps où nous étions plus de trois cent mille juifs dans ce pays, contribuèrent d'une façon substantielle à soulager nos coreligionnaires dans le besoin, et à assurer aussi leur repli ultérieur dans des conditions convenables vers d'autres régions du monde.

Actuellement, en dépit de la réduction progressive du nombre de nos coreligionnaires vivant dans ce pays, des organismes d'entraide juive nous rendent vous le savez bien, d'énormes services et ne sont que la prolongation naturelle donnée par l'impulsion initiale de leur fondateur Samuel Lévy.

Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, afin de sortir de l'oubli quelques témoignages, parmi tant d'autres, de l'immense labeur si profondément humain de S. D. Lévy, de vous faire une rétrospective qui nous ramènera à quelques années en arrière.

En Janvier 1953, il y a donc près de 20 ans, peut-être certains d'entre vous s'en souviennent-ils, à l'occasion d'une cérémonie en son honneur parce qu'il allait très prochainement boucler ses 80 ans, un des orateurs disait ceci en substance " S. D. Lévy n'est-il pas l'alpha et l'oméga de toutes les œuvres sociales du judaïsme Marocain ? N'est-il pas le noyau magique d'où sont sortis ces rayons qui s'appellent l'Aide scolaire, la garderie d'enfants, la Maternelle, les Dispensaires de l'OSE, les bourses d'études, Abraham Ribbi, etc, etc, etc. Enfin, l'Asile des Vieillards dont la réalisation le hante maintenant et qu'il saura créer, en dépit des lenteurs et des apathies ? ".

Ainsi donc, Mesdames et Messieurs, cet asile de Vieillards, ce Home de Vieillards en plein fonctionnement ce matin, obsédait sa pensée et il en sentait la nécessité par une intuition d'inspiration divine, sans aucun doute. À ce moment là, vous ne l'ignorez pas, et il n'est pas inutile de le rappeler, le Maroc luttait pour son indépendance, et l'indépendance recouvrée, l'exode de nos coreligionnaires commençait et se poursuivait de façon rapide.

Pour notre bonheur à tous, Samuel Lévy vécut presque 18 ans encore, après cette cérémonie dont je viens de vous parler. Il ne cessa pas, comme on le prévoyait, de harceler les Comités des Communautés qui se succédèrent et qui finirent par être convaincus, avec le Joint, de la nécessité d'une telle œuvre. Grâce à la création de ce Home, ceux qui ne pouvaient pas être concernés par l'émigration parce que, handicapés physiquement ou trop vieux, y trouvèrent leur refuge naturel. Et ainsi, un autre chantier s'ouvrait à l'activité de la solidarité juive, la protection des vieillards, que malheureusement, l'indifférence ou l'égoïsme naturel des jeunes, reléguait au rayon des préoccupations mineures.

Mesdames Messieurs, le Judaïsme Marocain ne manque pas de noms illustres qui ont enrichi son histoire dans le passé et dans le présent, et apporté au prestige de cette grande communauté sépharade des fleurons glorieux et lumineux dont il nous revient d'entretenir la mémoire et de garder le souvenir. Il faut les évoquer à chaque occasion car ils sont une partie de notre patrimoine à transmettre à nos descendants. Ici et ailleurs, une flamme doit toujours être entretenue afin que jamais ne disparaisse la trace de leurs qualités et vertus et que leur souvenir soit le moteur constant de notre comportement.

Presque tous ces noms prestigieux se sont surtout illustrés et signalés par leurs écrits, par leur culture ou par leur piété. Il serait cependant injuste que nous n'engloutissions pas dans la même considération ceux, très rares, qui comme S. D. Lévy n'ont acquis le droit au respect et à l'amour de leurs concitoyens que par leur activité purement sociale, activité simplement humaine, non encadrée de considérations religieuses ou philosophiques, excluant tout développement théosophique pour ne lui conserver qu'une idée encore plus belle par sa simplicité et sa nudité, l'idée de la solidarité et de l'entraide. Ceux qui ont eu le privilège de connaître S. D. Lévy et qui ont pu le suivre jusqu'aux dernières années de sa vie, se rappelleront avec émotion et tristesse mais aussi avec ferveur ce visage au sourire lumineux, reflétant l'espérance et l'enthousiasme, la satisfaction du devoir accompli, suprême récompense offerte par la Providence, à ceux, qui spontanément ont agi comme le voulait D.ieu.

Aussi il importe que la volonté de D.ieu qui a nous envoyé cet apôtre, soit respectée et que se maintienne et se perpétue l'action bienfaisante qu'il a entreprise.

Ce Home que vous venez de visiter, dont vous avez vu les pensionnaires venus de plusieurs coins de notre pays, vous avez pu en apprécier la belle tenue et son merveilleux fonctionnement, non seulement grâce aux grandes qualités de sa directrice Madame Shlouss et de ses collaboratrices à qui je suis heureux d'adresser, en votre nom et au mien, nos chaleureuses félicitations, mais aussi grâce au labeur inlassable de notre collègue à la Communauté, notre ami, Jacques Moreno qui supervise avec une compétence et un dévouement qui mérite toute notre gratitude, la marche de cet établissement dont nous sommes tous fiers et qui fait l'admiration de tous les visiteurs venus d'Europe ou d'Amérique.

Cet établissement a été édifié et est entretenu grâce à la collaboration financière de la Communauté Israélite de Casablanca et du " J.O.I.N.T. ". La Communauté Israélite ne fait que son devoir et essaie par tous les moyens, de trouver des ressources, mais le J.O.I.N.T dont la contribution est particulièrement substantielle, suscite de notre part, une reconnaissance infinie. Je manquerais à tous mes devoirs si je ne profitais pas de cette occasion pour adresser, s'il m'est permis de le faire, au nom de toute la collectivité Juive du Maroc, nos remerciements les plus émus aux donateurs et à leurs dirigeants, ici et ailleurs pour tout le bien qu'ils font à nos coreligionnaires marocains.

Il ne nous est jamais marchandé leur soutien alors que d'autres sollicitations les réclament partout où il y a des juifs dans le monde. Aussi, en fonction d'une équitable répartition des secours, en fonction des besoins évidents et plus impérieux que les nôtres de beaucoup de nos coreligionnaires dans d'autres régions du monde, il importe que nous révisions notre propre contribution à la cause juive; il est temps que ce que nous avons appris du désir de D.ieu de voir les hommes unis par le sentiment de la solidarité, que ce sentiment ne soit pas à sens unique, c'est-à-dire, que nous devons maintenant songer à augmenter notre aide et nos efforts financiers. Nos œuvres sociales communautaires où nos communautés doivent continuer à fonctionner tant qu'il y aura des Juifs qui habitent cette terre, terre de nos ancêtres depuis plus de 2,000 ans.

L'émigration vers d'autres cieux de nos coreligionnaires, loin de diminuer nos problèmes d'entraide, nos préoccupations sociales, les a augmentés par le fait que cette émigration a surtout intéressé la population jeune et rentable et nous a laissé à charge la population inactive.

Des temps meilleurs récompenseront nos efforts, le chemin qui doit déboucher sur la suppression de la haine remplacée par l'amour de l'humanité toute entière, doit être suivi quelle qu'en soit sa longueur, avec patience et ténacité, s'appuyant pour cela sur la pensée du philosophe et qui fut le grand principe de la vie de Samuel Lévy. " Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ".

Discours prononcé par Monsieur Le Docteur L. Benzaquen Président de la Communauté Israélite de Casablanca à l'occasion de l'inauguration du " Home de Vieillards " S.D.Lévy

(Un mi litant sioniste de première heure M Kagan-Samuel Daniel Lévy (1874-1971)

Rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire Samuel Daniel Lévy (1874-1971)

Dans ce recueil de témoignages, nous avons voulu permettre aux anciens de l'Alliance de témoigner de leurs expériences respectives. Nous nous sommes vite rendu compte que ces témoignages étaient tous empreints de nostalgie et d'admiration pour l'œuvre éducative de l'institution de l'Alliance. Les témoignages viennent d'originaires des grandes villes du Maroc tout comme Meknès, Mazagan, Marrakech, mais aussi des régions éloignées du bled marocain ainsi que de l'Irak et de l'Iran.

Un militant sioniste de première heure

La Fédération sioniste du Maroc est heureuse de voir rassemblée autour de son doyen militant de la première heure, notre cher S. D. Lévy, tant de précieuses sympathies et de sincères amitiés.

Ayant commencé son existence il y a 70 ans, le jour même où naquit le prestigieux guide du peuple juif, Haïm Weitzmann, notre grand ami Samuel Lévy peut être fier de l'œuvre accomplie en force auprès des masses juives du Maroc. Il fut un trésor de dévouement aidant ses frères qui souffrent. Doté d'une ingENIOsité intarissable dans sa lutte contre la misère physiologique et contre le fléau de l'ignorance, un vif sentiment de solidarité envers les multitudes juive dans leur aspiration au mieux-être matériel et moral, – voici quelques traits qui émaillent la biographie de notre ami, dont le parcours fut rempli de bonnes réalisations, de Maassim Tovim.

Mais ce qui le désigne tout particulièrement à notre fraternelle affection, ce qui fait l'originalité et donne la mesure de sa personnalité, c'est l'ampleur de sa vision en tant que juif, c'est la netteté de sa conception du judaïsme au Maroc comme l'une des tribus du vieil Israël, c'est son effort permanent et soutenu dans la lutte du Peuple Juif pour sa libération, pour une Géoula Shéléma.

Dans ce vaste domaine et sur ce plan d'importance, S. D. Lévy a consacré, pendant de longues années, le meilleur de lui-même, à l'œuvre juive par excellence, à l'œuvre primordiale du judaïsme renaissant, au Keren Kayometh Leisrael dont il fut le Commissaire Général pour le Maroc et qui réalise, avec le concours des juifs libres, c'est-à-dire des juifs aimant la liberté, l'implantation du juif sur la terre ferme, son enracinement dans le sol vivifiant de sa patrie historique, à l'œuvre grandiose de la délivrance, du peuple par la délivrance de la terre, Géoulat Ha'am 'Al  Yédé Géoulat Haarets.

Le rêve de S. D. Lévy, notre rêve – qui, de nos jours et sous les regards d'observateurs émerveillés a pris forme et devient réalité – est d'activer le triomphe de la Révolution sioniste qui brisera les murs de tous les ghettos, des ghettos sordides et des ghettos dorés, qui rompra les chaînes combien de fois séculaires de l'esclavage, et qui rivent les enfants d'Israël à de nombreuses Egyptes et qui ligaturent les âmes et consciences des frères affranchis, – qui les libérera du joug de tous les Pharaons, Haman et Hitler empoissonnant, à chaque génération, notre histoire dans la galouth. Vous êtes fasciné et attiré par ce grand retour du peuple dispersé vers sa source vitale d'où jaillirent des champs féconds, des usines grouillantes, des bateaux sillonnant les mers, de jardins d'enfants, écoles, musées, universités et laboratoires, des villages prospères et des villes modernes, une vie nouvelle dans le Néguev ranimée par le labeur courageux de nos enfants, par cette Révolution qui s'accomplit à l'ombre de notre majestueuse Yérouchalaïm et qui assurera à notre peuple laborieux et pacifique, assoiffé de dignité et à l'avant- garde de la fraternité des peuples libres, l'accomplissement de son destin suivant les lois que lui aura inspiré son génie propre.

Le Sionisme, a dit Théodore Herzl, c'est le retour au judaïsme avant le retour au pays Juif. Ce retour qui implique une conquête difficile, la reconquête de soi- même. Vous l'avez réalisé, mon cher Lévy en nous libérant graduellement mais franchement de l’emprise d'une certaine idéologie qui, pendant trop longtemps, imprimait une allure assimilatrice à la grande et belle Alliance Israélite.

Remontant la pente de son évolution vous avez réussi, obéissant à une saine intuition juive, à ranimer l'esprit des grands animateurs de l'Alliance, Adolphe Crémieux et Charles Netter qui, sionistes avant la lettre, promurent l'idée-force de la solidarité juive universelle et plantèrent, il y a 75 ans, le drapeau du travail agricole en Erets-hraël.

Votre action inspirée par l'amour de Sion et par une fidélité dynamique à Israël n'a pas peu contribué à entraîner, sur le chemin de l'honneur, les éléments jeunes, ardents et généreux, la véritable élite de notre population.

Conscient de la grave responsabilité incombant au Judaïsme marocain (le dernier atteint par l'action corrosive de Hitler et de Vichy est le premier libéré par les arrières alliés, vous fîtes, accompagné de deux jeunes représentantes du Maroc, le voyage d'Amérique au Congrès juif mondial pour apporter l'indispensable contribution de notre communauté marocaine à l'œuvre de redressement et de réparation, de sauvetage et de libération des restes d'Israël.

Nous souhaitons de tout cœur, cher ami Lévy, vous voir célébrer le fruit de vos entreprises sous les yeux de vos nombreux amis et témoins de votre œuvre, sous le ciel limpide et sur le sol béni. Du grand pays aux petites frontières, aux destinées duquel – s'il existe une justice sur la terre – présidera comme chef de la République Hébraïque libre, notre grand Haïm Weitzmann.

Samuel D. Lévy-70 ans

Mes chers amis,

Je puis difficilement maîtriser mon émotion devant cette affectueuse manifestation de sympathie que vous avez bien voulu me faire et à laquelle je suis infiniment sensible. Vraiment, j'en adresse ici à tous, l'expression de ma plus vive gratitude. Mes remerciements vont particulièrement à ceux qui en ont pris l'initiative, et qui, malgré mes exhortations en vue de les en dissuader, ont tenu à me rendre cet hommage. C'est là une insistance qui me touche profondément. Je m’empresse de remercier également très vivement l'Alliance israélite universelle et la Communauté israélite de Casablanca, qui ont bien voulu s'associer à cette manifestation.

Que nous sommes loin, mes chers amis, du jour où sous l'effet du verbe éloquent et passionné du très regretté Nathan Halpern, je fus entraîné dans le courant du sionisme! Jusqu'alors, en bon " allianciste " que j'étais, (vous savez tous que par ailleurs je professe pour l'Alliance le plus grand respect, et le plus vif attachement) je partageais l'idée que la mission d'Israël était de faire hâter par la rançon de sa souffrance, l'avènement d'une ère de fraternité et de justice dans le monde. Je compris, depuis, que cette idée était une duperie, qu'Israël devait se refuser à continuer à jouer ce rôle et qu'il avait droit, lui aussi, à vivre sa vie dans un pays à lui, où il pourrait s'asseoir paisiblement à l'ombre de sa vigne et de son figuier! Je suis heureux d'avoir consacré depuis lors, c'est-à-dire depuis plus de 30 ans, tous les instants de ma vie à penser " Eret-Israéli " et à œuvrer en faveur de cet idéal qui nous est si cher à tous.

À ce moment là, nous n'étions pas bien nombreux les sionistes de Casablanca ! Le noyau principal était constitué par Thursz, Kagan, J. R. Benazéraf et moi- même. On peut dire, et je m'excuse de sembler m'en vanter que pendant un quart de siècle, nous quatre avons mené sans défaillance, l'action sioniste au Maroc, aidés par une poignée seulement d'amis fidèles. Nous étions alors loin de penser que quelques années auraient suffi pour voir se développer au Maroc une floraison aussi splendide de sionistes enthousiastes que celle que nous voyons aujourd'hui, non seulement à Casablanca, mais dans tout le Maroc.

Cependant, je dois loyalement reconnaître que ce n'est pas aux humbles efforts de la petite phalange que nous formions les quatre grands, passez-moi l'immodestie du terme, mais il est à la mode, que ce résultat a été obtenu, mais surtout au concours puissant – hélas ! – que nous a prêté un collaborateur de marque : Hitler, de sinistre et exécrée mémoire!

Mes amis, il ne vient certainement pas à l'esprit de personne que l'hommage que vous avez bien voulu me rendre aujourd'hui, signifie quelque chose comme une mise à la retraite. Car dans ce cas, je regretterais de ne pouvoir l'accepter. Ceux qui pour juger de la valeur des services que peut rendre une personne consultent le calendrier, et se livrent à des computations arithmétiques, se trompent plus d'une fois, car le calendrier ment souvent ou marque mal. Je sais bien que le Psalmiste à un peu arbitrairement, avouons-le, fixé à 70 ans l'âge moyen de l'homme :

Cependant, avec cet esprit si humain qu'on retrouve si souvent dans la Bible, le Psalmiste n'a pas voulu rester sur l'impression pénible que pouvait produire ce chiffre fatidique chez des natures peu courageuses, et il s'est hâté d'octroyer à la durée possible de la vie, une dizaine d'années supplémentaires : Eh Bien ! A ce compte-là, cela peut encore aller et nous avons encore du pain sur la planche !

Sans vouloir faire des rapprochements tout à fait déplacés, qui oserait dire à notre grand chef Chaïm Weitzmann que, vu les années qu'il compte (nous sommes nés le même jour), il doit laisser la place à d'autres, lui, qui conduit aujourd'hui le char d'Israël avec une maîtrise et une science à rendre jaloux bien de jeunes ? Ce n'est donc pas dans une feuille de papier délivrée par un officier ministériel qu'il faut lire l'âge de quelqu'un, mais dans l'ardeur qu'il est susceptible de mettre encore à la réalisation d'un idéal. Et voilà pourquoi dans ma très modeste sphère, j'ai la ferme volonté de suivre, moi, l'exemple de mon illustre patron et de rester debout, sur la brèche, tant que je pourrai servir. Pas de retraite !

Mes amis, en fait d'activité, il n'en est pas de plus noble que celle que nous déployons pour la reconstruction d'Erei-Israël, c'est à dire, celle qui consiste à rendre à un peuple qui a une histoire, la plus tragique, mais aussi la plus belle et la plus lourde de sens de toutes, le pays où ont vécu ses ancêtres pendant des millénaires. Tel est le but ultime de nos efforts et rien ne pourra empêcher la réalisation de cet idéal, non seulement parce que notre cause est juste et qu'il faut croire à une justice imminente, mais encore, comme l'a dit Herzl, parce que l'Etat Juif est un besoin du monde. Dénier la Palestine au peuple juif a dit encore Goldstein il y a quelques jours, ce serait conférer une victoire posthume à Hitler. Quel homme d'Etat, quel gouvernement voudraient se déshonorer en glorifiant ainsi le plus grand criminel de l'histoire !

La guerre a été gagnée, c'est indiscutablement un événement heureux. Si le corps de l'hydre présente encore par endroits quelques traces de vie, la tête en a été nettement tranchée, ce qui est un grand soulagement pour le monde comme pour nous-mêmes, les juifs. Il y a donc lieu pour toute l'humanité de se réjouir de la victoire obtenue. Cependant, pour nous les juifs, la victoire n'est pas complète et notre joie est servie non seulement du deuil de nos six millions de morts, le tiers de notre peuple, mais de la cruelle situation de ce million et quart de juifs qui erre misérablement en Europe, menant encore la vie des camps de concentration sauf les atrocités bien entendu, et n'obtenant encore pas de se rendre dans le seul refuge où ils pourront se remettre des souffrances indicibles qu'ils ont endurées : Eret-Israël.

Tant que le livre qui fut blanc et qui aujourd'hui est devenu rouge du sang de tous ceux qui sont morts assassinés par Hitler, parce qu'il ne leur a pas été donné d'aller en Palestine tant que ce Livre infâme ne sera pas répudié et abrogé, Israël ne cessera de protester contre l'iniquité dont il est l'objet et de lutter de toutes ses forces, qui sont grandes, et de tous ses moyens qui sont puissants, pour que justice lui soit rendue. Alors seulement, on pourra proclamer que la paix a été gagnée et qu'elle règne sur le monde. Pas avant.

Nous ne nous laisserons plus berner par de vaines promesses. Nous lutterons sans répit pour que les si beaux principes pour lesquels les Nations-Unies se sont battues ne soient pas des mots vides de sens, mais qu'ils soient une réalité. Cette fois-ci Israël est décidé à tout risquer, tout, pour obtenir enfin satisfaction. Si après le tribut si terriblement lourd payé à la persécution nazie et les sacrifices qu'il s'est volontairement imposé en se joignant aux Nations-Unies pour combattre les hordes d'Hitler, si après tout cela, Israël n'obtient pas de pouvoir vivre en sécurité dans ce petit coin de la terre qui est d'ailleurs bien à lui, alors il faudra désespérer d'avoir jamais gain de cause et la vie pour lui ne vaudra pas la peine d'être vécue. Nous avons atteint aujourd'hui le point culminant de nos chances : c'est maintenant qu'il nous faut  Eretz-lsraël.

Certes, ce n'est pas à vous que je vanterai les mérites du sionisme comme unique solution du problème juif où qu'il se pose, et il se pose partout. Aussi longtemps que nous n'aurons pas un Etat à nous et qu'on pourra nous traiter charitablement de sans-patrie, nous resterons toujours et partout les parias que nous avons toujours été. Mais, d'autre part, il suffira que nous relevions d'un Etat à nous, que nous ayons une nationalité propre, pour que l'injustice, dont nous sommes l'objet du fait de notre dispersion, de nos statuts de minorité et de notre statut d’apatride s'évanouisse comme par enchantement.

Ceci, tous les juifs l'ont compris maintenant et désormais le sionisme s'impose partout à eux comme la preuve triomphante de la vitalité juive sous les aspects les plus variés et les plus riches de la vie individuelle et de la vie sociale. Le sionisme ne peut pas s'accommoder de compromissions ni d'équivoques. Le sionisme réclame pour les juifs le progrès social intégral, le bénéfice de toutes les libertés et des grands principes qui font l'honneur de l'humanité et qui font sa force, à lui.

Au Maroc, notre mouvement a franchi les étapes qui l'ont amené à la situation favorable actuelle à un rythme qu'il est intéressant de relever. Il y a quelques années seulement, le sionisme était considéré comme un mouvement subversif et les sionistes signalés du doigt comme des gens compromettants. Où voyait-on un drapeau bleu-blanc déployé ? Les mots Etat Juif représentaient une utopie née dans l'esprit d'un visionnaire. Quant à penser que des juifs se battraient un jour dans une véritable guerre en tant que Juifs, cela frisait l'insanité. Ne parlons pas de la Hatikva. Il était formellement interdit de la chanter et si jamais on s'enhardissait à l'entonner c'était mezza voce et timidement de façon à ne pas être entendu du dehors. Plusieurs ne voulant pas se faire les complices de cette grave transgression, n'osaient pas aider au chant pour ne pas encourir des responsabilités et semblaient s'inquiéter des suites qu'une telle licence pouvait bien avoir le lendemain.

Que les temps sont changés ! Et quel chemin parcouru depuis ! Aujourd'hui la ville entière, hommes, femmes, enfants, chantent non seulement la Hatikva, mais tous les chants palestiniens, les mêmes chants que nous avons entendu à New-York, à la Herzlia Hebrew Academy. On déploie librement dans nos salons et parfois dans la rue le drapeau bleu-blanc, si cher à nos yeux et à nos cœurs; La Brigade juive se couvre de gloire sur les champs de bataille d'Italie sous le drapeau juif, et on parle de l'État Juif comme d'une réalité vivante. Et pour couronner le tout, nous venons de forcer les ports de la Palestine en y envoyant ce magnifique minian d'ardents Haloutzim marocains pour bien marquer ainsi que les Juifs du Maroc considèrent comme un honneur et un titre de gloire de travailler eux aussi à la reconstruction d'Eret Israël, Haloutzim qui constitueront comme le premier noyau autour duquel viendront se conglomérer les élus des prochains départs, très prochains espérons-le.

Au cours de circonstances diverses, j'ai eu le privilège de m'entretenir avec Ussichkin, Weitzmann pour ne parler que de ceux-là sans mentionner les Ben Gourion, les Goldman, les Stephen Wise, et tant d'autres. Chacune des paroles qu'ils ont prononcées devant moi sont comme de sources de haute inspiration juive qu'il aurait fallu conserver pieusement et faire connaître autour de nous. Mais l'impression dominante qui est restée chez moi de ces rencontres, c'est que, lorsqu'un peuple a de tels chefs, on peut avoir pleine confiance dans l'issue de la lutte qu'ils livrent pour Israël. Le jour de notre Rédemption est proche, n'en doutez pas. Ce jour arrivera bimhéra béyaménou, et quand je dis béyaménou je ne pense pas aux jeunes que vous êtes, vous autres, cela va de soi, je pense au… moins jeune que je suis.

Mais pour hâter ce jour, il faut que dès aujourd'hui nous soyons prêts et aptes à réintégrer notre patrie. Contribuer à ce but de nos moyens matériels, c'est bien, toutefois il faut bien se pénétrer de l'idée que cette contribution matérielle ne constitue qu'un aspect secondaire de la question. Son aspect principal c'est l'éducation juive des masses et c'est vers ce but que doivent tendre tous nos efforts. Notre action doit être plus intérieure qu'extérieure et s'il fallait faire un choix entre les deux je n'hésiterais pas à choisir la première. Se préparer pour réintégrer notre patrie, c'est faire de cette réalisation l'objet de nos pensées de tous les instants, c'est être utile de ses bras, de son cerveau, c'est être fier de son passé et avoir une foi absolue dans l'avenir, c'est être sain de corps et d'esprit, c'est avoir une culture juive, c'est parler hébreu.

Aussi, notre devoir est-il d'encourager dans le sein de la Communauté tout ce qui mène à ce but et même, est-il besoin de le souligner, les œuvres philanthropiques dont l'objet est de protéger l'enfance de ce pays où les tout jeunes ont tellement besoin de cette protection. Seulement il faut considérer ces activités en fonction de notre grand idéal sioniste et du futur que nous ambitionnons pour le peuple Juif, et, dans ce cas, habiller un gosse ou veiller à ce que les aliments nécessaires à sa subsistance ou l'eau indispensable à sa propreté ne lui manquent pas, c'est faire œuvre de sioniste. Que ferions nous, en Eret- Israël, je vous le demande, de ces misérables populations de nos mellahs, misérables physiquement autant que moralement ? Elles constitueraient une charge et un déchet dont, avec beaucoup de raison on ne voudrait pas. Ce dont nous avons besoin en Eret- Israël, c'est d'esprits sains dans des corps sains et nous devons avoir l'ambition d'élever à ce niveau tous nos malheureux frères des Mellahs.

L'œuvre à réaliser dans cet ordre d'idées est immense, gigantesque. Quand on entreprend – le mot n'est pas trop fort – dans ces immondes logements et labyrinthes du Mellah des visites comme celles que nous avons faites dernièrement avec Monsieur Bernstein, Directeur de l'Hicem à Lisbonne qui a manifesté le désir de connaître de visu ces horreurs. On en revient, je vous le dis en toute conscience, comme honteux de vivre soi-même dans une certaine aisance, et plus que cela, comme pris de remords de n'avoir pas su encore, nous, les dirigeants responsables de la Communauté, tirer ces malheureux de cette ignominie. Laissez-moi cependant conclure qu'une telle œuvre d'assainissement est tellement vaste qu'elle ne peut pas être menée à bonne fin par l'initiative privée, ni peut-être même par celle de la Communauté et qu'elle constitue de toute évidence une entreprise d'Etat. Encore faut-il que les chefs de notre Communauté talonnent sans cesse les Pouvoirs publics jusqu'à obtenir d'eux qu'ils entrent résolument dans la voie des réalisations.

Herzl a dit qu'il fallait faire la conquête des Communautés. Je ne sais à quelle occasion il a dit cela ni le sens exact qu'il a voulu donner à ses paroles. Moi je les interprète comme suit : 1) Il faut éduquer les masses 2) Il faut être des dirigeants de la Communauté. Et j'ajoute volontiers : Une communauté dirigée par des sionistes sera par définition une Communauté dynamique et progressiste; Amis sionistes, si vous voulez servir le Judaïsme, briguez les leviers de commande de la Communauté. Pas d'abstention en ce qui concerne la politique de la Communauté.

Et sur ce, mes chers amis, permettez-moi de terminer par un vœu : Plaise au Ciel que je puisse faire partie de quelque Alija qui me procurera le privilège d'aller saturer mes poumons de l'atmosphère juive et libre d'Eret- Israël et de labourer de mes mains une parcelle de cette terre aimée. Une minute de cette vie-là vaudra pour moi une existence entière dans n'importe quel autre pays du monde. Et puissions-nous nous rencontrer nombreux dans notre Terre Retrouvée, aussi bien nous, qui sommes réunis aujourd'hui ici que les nombreux milliers d'autres juifs marocains qui font de ce rêve l'objet de leur plus ardents désir et de leurs pensées constantes, dans Eretz- Israël libérée de toute hypothèque, déliée de ses entraves. Libre, Libre enfin, Libre et Juive ! Ce serait-là pour moi aussi une des plus grandes joies de ma vie et comme la plus belle récompense – si ce mot n'est pas impropre, et il l'est – des efforts modestes sans doute, mais exercés durant les années les plus utiles de ma vie au service du relèvement de la Condition de nos coreligionnaires au Maroc et de la Cause la plus chère à nos cœurs. La reconstitution du pays d’ISRAËL.

Casablanca le 26 septembre 1945

Temoinages- Souvenirs et reconnaissanceJe me souviens de mon écoleMarcel Bénabou

Souvenirs et reconnaissance

Je me souviens de mon école

Marcel Bénabou

Dans cette " mémoire obstinée " dont j'ai récemment tenté de restituer les fragments, l'école de l'Alliance de ma ville natale Meknès, occupe une place spéciale. Car, plus peut-être que les autres enfants de mon âge, j'ai entretenu avec cette institution des rapports étroits.

Avant même d'y entrer comme élève en octobre 1945 et d'y passer cinq années, j'avais eu quelques bonnes raisons de m'en sentir proche. Et pas seulement parce que les deux bâtiments qui la constituaient se trouvaient, comme par une sorte de prédestination, à quelques pas de la maison de mes parents.

En fait, c'est comme refuge, comme lieu de protection, que je l'ai d'abord perçue. Un de mes plus anciens souvenirs remonte aux années de guerre (1942 ou 1943) et concerne l'école des garçons. Dans la vaste cour de celle-ci, une série de tranchées parallèles avait été creusée, destinées – c'est du moins ce que j'ai toujours supposé – à accueillir la population du quartier en cas de bombardement. Je me rappelle être allé plusieurs fois contempler en famille, avec un sentiment de sécurité mêlé d'un brin de fierté, ces étroites et profondes excavations. Mais pour autant que je me souvienne, je ne me rappelle pas d'avoir jamais vu personne aller s'y abriter. Dès cette époque, l'école était donc devenue pour moi le prolongement naturel de ma maison. Déjouant la sourcilleuse surveillance maternelle, il m'arrivait souvent (je n'avais que la rue à traverser) de me glisser – au risque de m'écorcher les mollets ou le visage – à travers une épaisse barrière de buissons pour pénétrer dans la cour de l'école des filles, à l'heure de la récréation.

Je m'y sentais tout à fait en famille : une partie des élèves étaient mes cousines ou mes voisines; une de mes sœurs y enseignait, ainsi qu'une de mes belles-sœurs; quant aux autres maîtresses, elles étaient souvent des proches.

Lorsqu’enfin je fus admis comme élève à l'école des garçons, ce fut pour moi le début d'une série de plaisirs. J'aimai jusqu'au moindre objet de ma nouvelle salle de classe : l'estrade et le bureau de bois du maître, les tendres craies de couleur qui s'écrasaient doucement sous les doigts, le chiffon humide glissant sur le tableau noir, le globe terrestre tournant autour de son axe, les cartes murales (je me souviens surtout de celle qui était intitulée : Les peuples de la Gaule à l'époque de Jules César) et la série d'images représentant Jeanne d'Arc à la bataille d'Orléans, Saint-Louis rendant la justice sous un chêne, Le sacre de Sa Majesté l'Empereur Napoléon 1er… Mais ce que j'aimais par-dessus tout, c'est que chaque année m'offrait l'occasion de pénétrer plus avant dans un univers fascinant : celui que je découvrais à travers les textes assemblés dans ce volume que l'on appelait " livre de lecture ". Dès que je l'avais en main, peu avant la rentrée, je sautais par-dessus les chapitres du début, encombrés de leçons de grammaire et d'orthographe, et je courais aux pages finales, réservées aux vraies " lectures " : c'étaient de petits textes de fiction, les premiers que j'ai eu l'occasion de lire, et qui me firent éprouver les frissons d'un plaisir inconnu…

Mais d'autres moments, tout aussi intenses, me reviennent périodiquement en mémoire : les parties de billes sous les faux poivriers de la cour, tandis que nos maîtres échangeaient à mi-voix les derniers potins et que le directeur, majestueux et solitaire, faisait les cent pas devant son bureau ouvert, en attendant de pouvoir notifier impérieusement à tous, par trois coups stridents de son sifflet à roulette, la fin de la récréation; les réjouissances qui marquaient rituellement les derniers jours torrides de l'année; les leçons s'allégeaient, on célébrait l'arrivée prochaine des vacances dans un feu d'artifice de rondes et de chansons, inlassablement hurlées sous les fenêtres du directeur, qui, ces jours-là, consentait à prendre un visage moins sévère.

Ma scolarité à l'Alliance s'acheva en cet avant-dernier jour de juin 1950 où je découvris avec bonheur ce que pouvait être une " distribution des prix ", C'était la première dans notre école, et elle coïncidait exactement avec mon onzième anniversaire. Elle avait été préparée avec soin. Une représentation théâtrale avait même été prévue. La " scène " avait été dressée en plein air, sous les arbres. Les maîtres au grand complet, ainsi qu'un certain nombre de parents, dont les miens, étaient là. Mais ce qui donnait du lustre à l'événement, c'était la présence des " autorités " : aux côtés du président de la communauté et du grand rabbin, trônaient, majestueux et graves, le pacha dans sa djellaba blanche et le général dans son uniforme. J'avais été choisi pour interpréter le rôle principal, celui du mari, dans une farce médiévale intitulée La farce de la femme muette. Je l'avais répété pendant des semaines, et jusqu'à ces dernières années, quelques fragments de ce texte traînaient encore dans ma mémoire. Une très charmante élève de l'école des filles me donnait, si je puis dire, la réplique, ce qui ajoutait du piquant à la chose. Le moment le plus fort vint pour moi juste après la représentation : sous les applaudissements, je reçus des mains du pacha un beau et lourd volume, relié et doré sur tranche, qui allait pour longtemps concrétiser cette notion demeurée jusque-là bien abstraite, celle de " prix d'excellence ". Le livre était intitulé Peau de pêche. Il fut pendant quelques années le plus bel ornement de ma bibliothèque.

Les nouveaux cahiers (juillet 2000, rf 22) 

Temoinages- Souvenirs et reconnaissance

Je me souviens de mon école

Marcel Bénabou

page 2-5

Temoignages-Souvenirs et reflexions sur l'œuvre de L'Alliance Israelite Universelle-La Rentrée-Bob Oré Abitbol

La Rentrée

Bob Oré Abitbol

Tous les souvenirs d'enfants se ressemblent et pourtant chacun est personnel. J'ai beau vous entendre raconter vos aventures et m'apercevoir qu'effectivement elles ont un air de famille, les nôtres étaient uniques au monde, comme la rose du Petit Prince. Parce qu'il s'agissait de nous. La réalité se transforme peu à peu en souvenirs et chaque jour qui passe les rend plus vivaces et plus purs.

A cinq heures du matin, il s'était levé dans l'excitation de cette première journée pour " La Grande Ecole ". Il se lava la figure tant bien que mal, mit un peu d'eau sur ses  cheveux s'était habillé : chemise blanche à manches courtes, short gris à bretelles et, par-dessus, un tablier bleu et blanc à carreaux avec une lisière rouge qui fermait sur le côté.

Il réveilla doucement puis avec insistance sa mère qui se leva de bonne grâce, ne voulant pas gâcher par une remontrance quelconque cette journée vraiment très spéciale pour l'enfant.

Elle lui fit refaire sa toilette, rajusta ses vêtements attachés à la diable et lui prépara un bon déjeuner qu'il avala à la hâte.

" Prends ton temps, mon chéri, dit-elle, l'école commence à huit heures et demie ". Il ne voulut rien entendre; elle enfila un long peignoir fleuri, mit un ruban sur ses cheveux frisés et l'établissement ne se trouvant qu'à 500 mètres, elle accompagna l'enfant à pied.

Sur l'avenue qui menait à l'école, les arbres étaient toujours verts et les bougainvilliers fleurissaient encore malgré les premiers frissonnements de ce début du mois d'octobre.

L'aube se levait à peine et, dans cette rue de Casablanca, d'ordinaire si vive et si animée, un silence étrange régnait. L'épicier du coin n'allait cependant pas tarder à faire grincer dans un bruit de tôle son rideau, et la rue allait retrouver son visage de tous les jours et ses bruits quotidiens.

Le marchand de poissons d'abord :              " Colin, sole,

merlaaaan ", le dernier mot n'en finissait pas de finir. Le rémouleur et son sifflet, sa musique particulière est tellement jolie! Les marchands de légumes, de fruits, pittoresques et sympathiques. Le marchand de sable sur son âne : " Ha remla, Ha remla ". On racontait en riant que son âne pouvait parler, mais avait peur de le faire devant son maître, de crainte de devoir répéter sa vie durant : " Ha remla, Ha remla ",

L'enfant, connaissait bien sa rue. Pendant toutes ses jeunes années, il avait vu le va-et-vient des uns et des autres, et sa mère l'avait souvent pris dans ses bras pour un " petit marché " comme elle disait.

La rue appartenait aux femmes pendant la journée. Elles se rencontraient autour de tous ces vendeurs ambulants et tout " en marchandant " échangeait les dernières informations, lançaient les prémices d'un cancan et amplifiaient, reprenaient une rumeur ou s'indignaient des mini-scandales qui sont le " propre de toute communauté ",

Entre midi et deux heures, cependant, les maris et quelques-uns des enfants venaient prendre le déjeuner. La rue prenait alors un autre visage. Monsieur Amzallag,

avec son béret sur le côté (il racontait qu'avec le patron qu'il avait, c'est tout ce qu'il avait réussi à mettre de côté) et dans chaque bras un paquet de fruits, l'enfant ne se souvenait pas de l'avoir vu différemment leur vie commune durant.

Les voisins échangeaient leurs plats favoris, des cris fusaient de toutes parts. Le marchand de journaux passait à toute vitesse à bicyclette " Vigie, Vigie ".

Vers une heure trente, les hommes repartaient vers leur travail en s'arrêtant toutefois à la terrasse de leur café favori pour une rapide partie de cartes, qui n'en finissait pas et un café-verre. Les enfants reprenaient le chemin de l'école. Alors la rue se calmait.. pour quelques heures.

Pendant ce temps, l'enfant était à l'école. Sa première journée se passait bien. La maîtresse était gentille et sympathique. Elle racontait de jolies histoires et pour cette première rencontre donnait surtout des recommandations : les livres qu'ils devaient apporter, une ardoise, de la craie, une éponge, un plumier, un cahier avec des interlignes, des plumes Sergent-Major pour les pleins et les déliés.

La cloche sonna pour la récréation et l'enfant rencontra ses premiers camarades. La cour était immense; il y avait des arbres partout, le tronc peint en blanc. Près du préau, qui servait de salle de gymnastique, de théâtre, de salle de punition et que sais-je encore, se trouvait la fontaine où s'échangeaient les petits secrets.

L'école des garçons était mitoyenne avec celle des filles et l'on pouvait entendre leurs rires et leurs cris stridents pendant qu'elles jouaient à la marelle, à la corde, à la ronde.

Pendant ce temps, les maîtres se promenaient par deux ou par groupe les mains derrière le dos, l'un d'eux sifflant de temps en temps un enfant particulièrement turbulent.

Bien que déchaînés, les élèves craignaient leurs maîtres et les regardaient avec respect. Au fond de la cour, " les grands " étudiaient et les enfants qui les voyaient de loin attendaient avec impatience le jour où ils pourraient en être là. De leur côté, les grands enviaient leurs cadets et regrettaient, eux aussi, de ne pouvoir jouer comme leurs petits camarades.

L'enfant écarquillait les yeux, émerveillé. Il acheta un pain au chocolat qu'il dévora à belles dents. Puis se mit à courir avec les autres. Des clans se formaient, se défaisaient, se refaisaient rapidement.

La cloche sonna de nouveau, les rangs se formèrent devant les classes et quelques minutes plus tard, la cour retrouvait un silence relatif, troublé seulement par les oiseaux qui venaient picorer le reste de croissants des élèves.

Madame Bencheton, c'était le nom de l'institutrice, remarqua le petit visage vif et sympathique de l'enfant et le fit venir au tableau.

Comment t'appelles-tu?

L'enfant dit son nom d'une voix claire, mais son cœur battait fort. Il était intimidé par toute la classe qui le regardait et par la maîtresse qui lui demanda d'une voix douce :

Connais-tu un poème, une chanson, une petite histoire que tu aimerais nous raconter?

Oui Madame, dit l'enfant, un poème, et sans se tromper une seule fois, il dit le petit quatrain d'une voix sûre qui le surprit lui-même quand il se rassit plus tard.

L'institutrice le prit dans ses bras et le serra fort, l’embrassa avec un grand rire, lui dit " Bravo, c'est bien mon petit " et lui remit un bonbon et un bon point.

L'enfant retourna joyeux à sa place. La classe terminée, l'enfant résista pour ne pas croquer le bonbon; même quand son frère vint le chercher, il ne parla pas. Malgré son excitation du bon point et surtout du bonbon, il réservait la bonne nouvelle à sa mère.

Il retournèrent par le petit jardin du boulevard d'Anfa là où les amoureux se retrouvaient le soir, arrivèrent au boulevard Gouraud, retournèrent enfin rue Lusitania qui retentissait déjà des cris d'enfants. Cette rue Lusitana ainsi que la place de Verdun, la rue Mouret, la rue Voltaire, la rue Jean-Jacques Rousseau étaient des satellites ou plutôt des. confluents qui se jetaient tous dans la rue Lacépède qui était connue dans tout Casablanca.

Tous les jeux s'y pratiquaient. A l'époque dont je vous parle, l'enfant était tout jeune et ne voyait que les joueurs de billes, les collectionneurs de noyaux d'abricots, les batailles sans pitié de toupies, où le gagnant avait le droit, avec la pointe de sa toupie, à autant de coups qu'il avait pu tenir de secondes la sienne tournant dans sa main, le kiné, une sorte de base-bail qui se jouait avec des morceaux de bois, Zorro, sans déguisements mais avec des mouchoirs, le sort déterminant les " Bons " et les " Méchants ",

Les grands jouaient de la guitare, chantaient en chœur, près de leur moto qui définissait leur statut dans les groupes. Qui n'a entendu parler de " cow-boy ", de " poupée Benouaich ", " bébé Larédo " James, Dédé dit l'oiseau, Jacques de Gouveia dit Jouiqui le pâtissier, Maurice le pigeon, Charles Tolédano. Le quartier pullulait de fortes personnalités et de fortes têtes qui ont marqué leurs camarades et le quartier de façon définitive. Que sont-ils devenus?

 

Yaacob le " nougatelier " représentait un pôle d'attraction important de la rue. On y trouvait les meilleurs nougats, le meilleur gâteau aux amandes de toute la ville, et…du crédit.

Près de lui, un mercier peu sympathique s'était installé. Il vendait des boutons douteux, parce qu'ayant servi on ne sait où, des fils, des dés à coudre, de l'élastique. Son affaire ne marchait pas. Voyant le commerce florissant de son voisin, il revint un matin en marchand de gâteau à la grande colère et au grand dam de Yaacob. Les prix se mirent à dégringoler de façon vertigineuse. C'est à cette époque que le jeune garçon comprit les bienfaits et les avantages de la concurrence et de la libre entreprise pour le consommateur.

L'enfant revint donc tout excité de sa première journée d'école, le bon point dans la poche, le bonbon dans l'autre, serrant son cartable vide contre sa poitrine. Arrivé près de la maison, il se mit à courir, grimpa les escaliers à toute vitesse et frappa frénétiquement à la porte qui s'ouvrit presque instantanément.

– Maman, Maman, regarde, regarde! Dit-il.

Ses joues étaient rouges de joie, ses yeux brillaient, il brandit le bon point et le bonbon triomphalement. Sa mère le félicita chaudement. L'enfant eut enfin le loisir de croquer son bonbon.

Cet enfant qui évoque ces souvenirs avec tant d'émotion et de nostalgie, cet enfant, c'était moi….et c'est encore moi.

Temoignages-Souvenirs et reflexions sur l'œuvre de L'Alliance Israelite Universelle-La Rentrée-Bob Oré Abitbol

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