Epreuves et liberation. Jo. Tol


Joseph Toledano-Epreuves et liberation

Réduits, malgré eux, au seul rôle de spectateurs du conflit qui n’allait pas tarder à éclater, les membres de l’élite occidentalisée, grands lecteurs de la presse en français, pouvaient au moins se dire, en guise de consolation, que le ministre de la guerre en Angleterre, Hore Bellicha, était des leurs,  "dialna", un Juif descendant d’une grande famille de Mogador, installée depuis la seconde moitié du XIXème siècle dans le Royaume Uni. L’Avenir illustré félicitait le " jeune ministre de la guerre qui est apparenté à notre sympathique ami de Casablanca, Jack Cansino ", alors que Paris Soir vantait les qualités physiques et sportives, l’humour et l’activité prodigieuse de celui en qui beaucoup voient un futur Disraéli, c’est-à-dire un très grand Premier Ministre. Hore Bellicha avait rétabli la conscription obligatoire et entamé la reconstruction d’une armée qui pratiquement n’existait plus.

Aussi sa démission, début janvier 1940, fut-elle une grande déception pour tous ceux qui avaient rejeté l’esprit de Munich et plus spécialement, pour les Juifs du Maroc, sentimentalement attachés à sa personne… Le journal L’Echo du Maroc lui consacrait son grand titre, le 6 janvier, et écrivait que « le départ du jeune ministre libéral a été attribué à l’hostilité de certains généraux et des classes conservatrices du pays, sur la pression du premier ministre, Neville Chamberlain ».

Au moment de cette fracassante démission, visant à protester contre le manque de fermeté du gouvernement Chamberlain face à l’Allemagne, le journal L’Advenir Illustré rappelait de nouveau, dans sa livraison du 15 janvier 1940, ses attaches marocaines :

« La démission de Hore Belisha du cabinet Chamberlain a été l’occasion pour la presse d’évoquer les origines marocaines du ministre sortant. Cette famille, comme d’autres de la communauté séfarade d’Angleterre — les Afriat, Yuli, Guédalia, Cansino, Sebbag, Corcos — est originaire du Maroc qui fut, pendant le XIXème siècle, un centre important d’influence britannique. Toutes ces familles ont conservé l’amour du Maroc où elles ont encore des racines profondes et des liens familiaux. Le grand-père de l’ex-ministre était né à Mogador et ses affaires le mirent en relations avec l’Angleterre et l’obligerent finalement à s’y installer… »

Bien qu’écartés de la participation directe à une guerre dont pouvait dépendre leur propre survie, les Juifs marocains ne se sentaient pas moins, comme nous l’avons vu, en communion avec le reste de la population, française et musulmane. Le sultan, en parfait accord avec le Résident, avait en effet engagé sans réserve le pays dans le camp de la liberté contre la barbarie.

Les chefs nationalistes de la zone française, restés en majorité sourds aux appels de la propagande allemande et italienne, s’alignèrent sur la position du sultan, malgré les très sévères mesures prises par le Résidence contre leur presse et leurs chefs en 1937. Avant même le déclenchement des hostilités, le 23 août, ils avaient fait parvenir au Résident un message l'assurant que non seulement ils ne feraient rien pour gêner l’effort de guerre de la France, mais qu’ils étaient, de plus, disposés à lui apporter leur soutien. Ainsi, la propagande allemande n’avait pas réussi à altérer l'image de l’invincibilité de la France, ni à mettre en question sa capacité à défendre tant son propre territoire que son Empire colonial. Le général Noguès pouvait assurer Paris, le 11 septembre 1939, que le moral de la population musulmane était excellent tout en signalant chez elle le réveil d’un antisémitisme rampant. Plusieurs milliers de tirailleurs marocains, mobilisés après la crise tchécoslovaque, commencèrent à être envoyés en France, au lendemain de la déclaration de guerre.

Un alignement qui n’allait pas de soi quand on connaît le succès de la propagande hitlérienne dans le reste du monde musulman. Et pour ne pas aller aussi loin, sa solide implantation dans la zone espagnole du Maroc, sous la double influence du franquisme et du Mufti de Jérusalem. Le plus influent des chefs nationalistes de Tétouan, Abbelhaq Torrès, n’envisageait- îl pas favorablement le remplacement de la France par l’Allemagne pour protéger et mener le Maroc vers l’indépendance ? Il écrivait dans son : journal El Hurria, daté du 1er août 1939 :

Dans le cas où le peuple marocain serait considéré, contre son gré, comme une quantité négligeable et non capable de se diriger, c’est à l’Allemagne, et à défaut, à l'Espagne, que serait confiée la mission de guider et d’aider le Maroc. Cette mission serait menée à bonne fin par 1’Allemagne et servirait nos desseins… »

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La drôle de guerre

Alors qu’elles s’étaient engagées dans la guerre pour défendre la Pologne, dont l’Allemagne écrasait les armées, la France et l’Angleterre ne prirent aucune initiative de taille. La guerre sur le front, entre l’Allemagne et la France, se limitait à des escarmouches, certes sanglantes mais peu décisives, dans lesquelles étaient engagées, en grand nombre, des unités de tirailleurs marocains.

Dans son discours du Trône, le 18 novembre 1939, le sultan adressa à ces derniers un message d’encouragement et de félicitations. En même temps, il renouvelait ses sentiments de très chaleureuse amitié envers le Résident Général et lui exprimait son désir de coopération. Enfin, il affirmait sa croyance en la victoire de la France :

Nous vous prions, Monsieur le Résident Général, de bien vouloir transmettre aux troupes marocaines qui se trouvent au front, l’expression de la fierté que Nous éprouvons à les voir si bien remplir leur devoir. Nous avons le ferme espoir qu’elles seront dignes de leurs aînées et qu’elles rentreront victorieuses, après avoir paré de nouvelles auréoles les glorieux étendards de la Division marocaine. Nous tenons tout particulièrement à renouveler l’expression des sentiments que Nous avons manifestés à différentes occasions. Nous ne dirons jamais assez que ces sentiments qui existaient à l’état latent dans tous les cœurs se sont exprimés grâce à votre incomparable compréhension de l’islam et de ses traditions…

Nous considérons votre présence au Maroc, pendant la dure période que nous traversons, comme la manifestation particulière de la bonté divine, en laquelle tous les Musulmans ont une confiance absolue, pour accorder la victoire finale à la France et à ses alliés qui défendent la cause de la justice et du droit… »

En ce début 1940, alors que persistait l’illusion que la guerre se déroulait sur un autre continent, voire sur une autre planète, les Juifs du Maroc eurent droit à un réveil quelque peu brutal. Venus à la Résidence à Rabat lui présenter leurs vœux pour la nouvelle année, les représentants des communautés juives du Maroc furent interloqués par l’accueil du général Noguès. Celui-ci leur conseilla ouvertement de dire, avant tout, à leurs coreligionnaires de ne pas profiter de la guerre !

La France et l’Angleterre s’abstinrent d’opérations militaires d’envergure sur le front Est, laissant le loisir à l’Allemagne d’écraser toute résistance, pendant les huit mois qui virent l’invasion de la Pologne et l’offensive éclair menée contre le Danemark et la Norvège. Cette attitude de retenue valut à cette période le qualificatif trompeur de " drôle " de guerre. Les plus optimistes allaient jusqu’à dire : " La France ne deviendra pas forcément un champ de bataille ", faisant presque oublier même en France — et à plus forte raison au Maroc — que " Nous sommes en guerre. " comme le rappelait, dans le titre de son éditorial du 15 février 1940, D’Avenir Illustré, toujours aussi intransigeant, comme si les Juifs du Maroc pouvaient faire autre chose que prier pour la victoire de la cause française :

« Le déchaînement de la barbarie nazie sur Israël semble ne pas avoir suscité de résistance dans nombre de communautés juives. Pour nous, au Maroc, c’était déjà un spectacle attristant de voir celle manifestée en son temps par des Juifs réfractaires à l’idée de boycott économique de l’Allemagne hitlérienne, notre ennemi numéro un. Mais maintenant que l’arrogance germanique a suscité la réaction des grandes puissances au sort desquelles celui d’Israël est étroitement lié, il est impossible que nous ne comprenions pas qu’il n’y a de salut que dans un effort commun, un effort illimité, en faveur de ces nations au sort desquelles celui d’Israël est lié pour remporter la victoire sur le cauchemar hitlérien… »

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La défaite

Quand en mai 1940, Hitler ayant achevé ses conquêtes à l’Est, lança son offensive éclair sur le front Ouest, avant même la déroute totale de l’armée française et l’armistice, L'Avenir Illustré fut une des premières victimes et connut une interdiction de parution pour  "tendances sionistes".  L’éditorial de sa dernière livraison, datée de mai-juin 1940, constituait un pathétique testament :

«Ne croyons pas à nos mérites éminents, n’attendons pas de témoignages particuliers de reconnaissance parce que nous avons offert nos biens et nos personnes, à la cause de la justice et de l’humanité. Soyons fiers de ne pas être rejetés dans un coin du monde quand le monde entier flambe de notre propre flamme…

Quel est notre devoir à présent ?

Au point de vue intérieur, adopter une attitude générale digne et qui nous attire l’estime de tous ; éviter les discussions politiques aussi bien que les démonstrations trop visibles d’une oisiveté qui fait scandale ; travailler avec ardeur et désintéressement en songeant que le travail est déjà un commencement de relèvement matériel et moral. Au plan extérieur, garder à la France et au Makhzen la fidélité traditionnelle que notre population leur a vouée depuis le début…»

Au Makhzen, cela ne devait pas poser de problème, mais à la France, elle n’en aurait cure — c’est elle qui allait trahir.

L’autre organe de presse juif paraissant à Casablanca, L’Union Marocaine, eut droit à un sursis, en raison de son orientation assimilationniste pro­française et ne fut interdit qu’en octobre 1940, dans le cadre de la nouvelle législation antijuive. Il laissa le même testament pathétique comme si les Juifs du Maroc pouvaient encore être maîtres de leur destin :

« II y a plusieurs moyens de servir la cause commune. Les uns donnent leur sang, leur jeunesse ; d’autres, leur travail, leur intelligence ; d’autres encore leurs biens. A ceux qui ne peuvent offrir tout cela, il n’est demandé que d’avoir patience, confiance et courage. Ce sont là de belles armes de défense passive, Dieu est avec les patientss’ils savent patienter … »

A l’heure des plus grandes épreuves, le judaïsme n’avait plus de voix, ses deux organes étant désormais interdits. L’ancien directeur de LAvenir Illustré, Jonathan Thursz, resté au Maroc après la fermeture de son journal, comme correspondant de l’agence de presse américaine Associated Press, avait bien sollicité des autorités l’autorisation de faire paraître un organe, comme cela était permis au judaïsme tunisien avec le journal Le Pêtit Matin, et en Algérie, avec le Bulletin des Sociétés Juives d’Algérie. En vain.

Avant la tempête

Dans l’atmosphère routinière de la drôle de guerre, les autorités du Protectorat ne se départaient pas encore de leur bienveillance traditionnelle et de leur respect envers les institutions religieuses juives. C’est ainsi que le dahir du 4 mai 1940, 25 Rebia 1359, créa une institution originale, sans doute unique au monde, avec la formation dans le cadre du Haut Tribunal Rabbinique siégeant à Rabat, d’un tribunal dit de la Sérara. Il avait pour unique compétence de statuer en matière de questions délicates, liées aux privilèges revendiqués par certaines familles, dans l’exercice exclusif de certaines fonctions religieuses comme les sacrificateurs rituels de bétail, les rédacteurs des actes de divorce, les responsables des pèlerinages sur les tombeaux de saints et du partage de leurs dons, etc. Autant de problèmes de gestion financière, parfois aigus, opposant les intérêts des possesseurs de privilèges à ceux des gestionnaires de la caisse communautaire. La première composition d’un tel tribunal inclut, à sa présidence, rabbi Méir Hay Elyakim, un rabbin natif de Tibériade, qui présidait depuis des décennies le tribunal rabbinique de Casablanca et à ses côtés : rabbi Shlomo Cohen, Président du tribunal d’Oujda et rabbi Moché Zrihen, Président du tribunal rabbinique de Marrakech. Rabbi Yossef Messas, adjoint au Président du tribunal rabbinique de Meknès, qui fut appelé en 1944 à sa présidence, décrit ainsi sa procédure très particulière :

«En cas de revendication de privilèges auprès de la Sérara, le requérant doit adresser une supplique au Haut Tribunal Rabbinique à Rabat qui envoie une lettre de convocation à la personne assignée et fixe aux parties une date pour leur parution. Le Haut Tribunal convoque alors à Rabat les trois membres du tribunal de la Sérara pour cette même date, et le cas échéant, un suppléant. Les deux parties exposent oralement, devant le tribunal, leurs arguments et déposent leurs conclusions écrites. Les membres du tribunal les emportent avec eux et reviennent chacun dans sa ville. Il appartient ensuite au Président du tribunal de rédiger le projet de jugement qu’il envoie pour approbation à ses deux assistants. Une fois le jugement contresigné par les trois membres, son texte est transmis au Haut Tribunal qui le paraphe et en informe les deux parties qui ne peuvent faire appel…

Ce respect des institutions hébraïques ne devait jamais se démentir, même aux pires moments de la législation antijuive du régime de Vichy, comme nous le verrons par la suite.

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

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Continuer la guerre en Afrique du Nord ?

Quand au fil des jours tragiques de mai et juin, l’étendue de la débâcle de l’armée française s’imposa avec de plus en plus d’évidence, le Maroc, de par sa situation stratégique et sa position dans l’Empire, devait jouer un rôle primordial dans la décision du gouvernement français de continuer ou non la guerre, à partir de l’Afrique du Nord. Pourtant, bizarrement, peut- être parce qu’lie était certaine de son invincibilité derrière la ligne Maginot, la métropole n’avait pas envisagé une telle éventualité et ne s’y était jamais préparée. Les responsables civils et militaires en Afrique du Nord n’avaient jamais été associés aux délibérations des instances suprêmes de la Défense nationale dans un plan d’ensemble. Pour Paris, l’Empire était considéré seulement comme un pourvoyeur d’hommes et de matières premières. Se prévalant de l’appui du sultan et du soutien des populations, le Résident Général Noguès, au départ, plaida avec force, en faveur du transfert du gouvernement en Afrique du Nord, pour poursuivre la guerre…

Le 25 mai, quand la bataille des Flandres parut sur le point de tourner au désastre, ouvrant aux Allemands la route de Paris, le général Noguès, responsable du théâtre d’opérations en Afrique du Nord, assurait le Président du Conseil Paul Reynaud que les moyens de la Marine non touchée par la débâcle, combinés avec les moyens intacts de l’Empire, permettraient de continuer les combats aux côtés de l’Angleterre. Pris dans le tourbillon des événements, le gouvernement Reynaud, errant de ville en ville jusqu’à Bordeaux, et pourtant favorable à une telle solution, ne parvint pas à prendre de décision définitive en ce sens. Entré au gouvernement, le maréchal Pétain, secondé par le commandant en chef, le général Weygand, allait désormais œuvrer pour empêcher le gouvernement de quitter la France et de s’installer à Alger afin de continuer la guerre.

Déclarée ville ouverte, Paris fut investie par les Allemands le 14 juin. A Bordeaux, où le gouvernement et le Parlement s’étaient réfugiés, le Président du Conseil, favorable au départ en Algérie, battu, donnait sa démission. Le 16, le Président de la République chargeait le maréchal Pétain de former le nouveau gouvernement. Le lendemain, le 17 juin, Pétain annonçait à la nation que la guerre était perdue, qu’il fallait cesser le combat et qu’il avait demandé à Hitler les conditions d’une " paix honorable Ce même jour à Rabat, dans un appel à Radio Maroc, le Résident proclamait :

« J’ai reçu avec joie et fierté de tous les groupements du Maroc, ainsi que de tous les milieux français et indigènes, les témoignages de foi patriotique les plus émouvants. Unanimement, ils expriment le désir de défendre par les armes et jusqu’au bout, le sol de la France et celui de l’Afrique du Nord… Nos amis en France, surmontant toutes les difficultés, continuent à se battre avec un courage magnifique, il n’est pas question pour le moment de cesser le feu… »

Le lendemain, 18, il récidivait et écrivait dans un message au chef d’état- major, le général Weygand qu’il était déterminé à continuer la lutte, pour sauver l’honneur et conserver l’Afrique à la France. « Permettre à l’Afrique du Nord de se défendre, c’est entreprendre dès maintenant le redressement de la France ». Il affirmait que « l’Afrique du Nord, avec ses ressources actuelles, est en mesure de résister longtemps aux entreprises de l’ennemi, assez longtemps sans doute pour contribuer à leur défaite. » Le Résident recevait l’appui, dans cette détermination, aussi bien de son homologue à Tunis que du gouverneur général d’Algérie et des gouverneurs de l’Afrique noire et du mandat sur la Syrie.

Chacun comptait sur le puissant appui de la Marine intacte, sur le matériel militaire déjà expédié par les États-Unis et sur tout ce qui pourrait être envoyé de la métropole. Même avec l’aide hypothétique de l’Espagne et de l’Italie, la Marine allemande, mal équipée pour les opérations amphibies, pourrait difficilement s’aventurer à transporter une armée par mer alors que les flottes anglaise et française dominaient la Méditerranée.

Le 19, le Résident revenait à la charge :

« LAfrique du Nord toute entière est consternée. Les troupes de Terre, de l’Air et de la Marine demandent de continuer la guerre pour sauver l’honneur et conserver l’Afrique du Nord à la France. En admettant même qu’elle nous soit laissée, nous perdrions à jamais l’estime et la confiance des indigènes… Les indigènes, comme ils le déclarent, sont prêts à marcher avec nous jusqu’au dernier homme. Ils ne comprendraient pas qu’on puisse disposer éventuellement de leur territoire, sans tenter avec eux de le conserver… Envisager leur cession à l’étranger sans leur consentement et sans avoir combattu, serait considéré comme une trahison… »

Le 18 également, De Gaulle lançait, de Londres, son célèbre appel à la poursuite de la guerre :

" La défaite est-elle définitive ?Non ! Car la France n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle ! Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte, elle peut comme l’Angleterre utiliser, sans limites, l’immense industrie des Etats-Unis… Cette guerre n ’estpas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Le destin du monde est là. »

Impressionné par la prise de position en pointe du général Noguès, en faveur de la poursuite du combat, De Gaulle lui offrit, dans un télégramme du 19 Juin, de prendre la tête de la résistance dans l’Empire français et de se mettre lui-même sous ses ordres. A ses yeux, en effet, il ne faisait pas de doute que si Noguès, en tant que commandant du théâtre d’opérations en Afrique du Nord, se ralliait à la résistance, le reste de l’Empire le suivrait ? « Suis à Londres, en contact officieux et direct avec le gouvernement britannique. Me tiens à votre disposition pour combattre sous vos ordres ou pour toute démarche qui pourrait être utile… »

Le soir à la radio, De Gaulle restait encore confiant dans la décision que prendrait Noguès et liait son nom à celui des héros légendaires de la colonisation :

« Dans l’Afrique de Claudel, de Bugeaud, de Lyautey, de Noguès, tout ce qui a de l’honneur a le strict devoir de résister. »

Bien que son offre soit restée sans réponse, De Gaulle la renouvela le 24 juin. Il proposa à Noguès de prendre la tête du Conseil National Français en formation, pour continuer la lutte.

Mais rien dans son caractère de militaire de carrière ne préparait le général Noguès à relever ce défi, à jouer si nécessaire le rôle de rebelle. Il n’avait pas la stature pour sortir de la hiérarchie et se joindre à une dissidence. N’avait-il pas, malgré sa volonté de résistance, censuré l’appel du " rebelle " De Gaulle et interdit sa diffusion au Maroc ? Ce n’est que le 26 juin que des avions anglais larguèrent sur Casablanca et Port Lyautey des tracts reproduisant le texte du célèbre appel.

Le général Noguès était décidé, dans tous les cas, à rester dans la légalité et à obéir au gouvernement en place, même s’il était contraire à sa propre conviction de mettre fin à la lutte. A une seule condition toutefois : la préservation de l’Empire. Ainsi, il prévenait :

« Si la signature de l’armistice avec l’Allemagne et l’Italie n’est pas accompagnée par me déclaration du gouvernement précisant que nos adversaires acceptent le maintien de l’intégrité du sol de l’Afrique du Nord, les populations nord-africaines unanimes n’accepteraient pas la décision, et suivies de la presque totalité des forces armées, continueraient, avec ou contre leurs chefs, la lutte jusqu’au bout. »

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

C’est ainsi qu’il reçut encore le 24 juin, avec les honneurs dus à leur rang, la poignée de 26 députés irréductibles, arrivés au port de Casablanca à bord du Massilia, qui avaient quitté Bordeaux à la dernière minute pour prendre, au nom du gouvernement, la direction de la lutte en Afrique du Nord. N’ayant pu les accueillir personnellement, il avait dépêché auprès d’eux, son secrétaire général Morize et sept généraux. Ces derniers, le même jour, participèrent à une conférence improvisée sur les perspectives stratégiques en Méditerranée, autour de l’ancien Président du Conseil Daladier et de l’ancien ministre de l’Intérieur Georges Mandel. Le lendemain 25, Mendès France accompagné du député radical Campinchi et de l’ancien ministre des Sports du Front Populaire, Jean Zay, rendirent visite à Casablanca au Cercle de l’Union, le cercle de la bourgeoisie juive. Ce geste fit beaucoup jaser mais permit aux visiteurs de vérifier l’attachement de la communauté juive marocaine à la France. De leur côté, prenant leur mandat très au sérieux, Daladier et Mandel rencontrèrent à Rabat le consul britannique qui, aussitôt, mit sur pied un projet de conférence avec deux hautes personnalités anglaises : le ministre de l’Information Alfred Cooper, et le général Lord Gorf… Mais à l’arrivée le lendemain à Casablanca, le 25 juin, des envoyés de Churchill, le général Noguès refusa cette entrevue et leur interdit tout contact avec les passagers du Massilia, désormais placés en résidence surveillée et renvoyés plus tard en France pour y être jugés.

Les clauses de l’armistice

C’est que le 25 juin justement, les clauses de l’armistice avec l’Allemagne et l’Italie, entré en vigueur ce jour-là, parurent à Noguès acceptables, sinon " honorables ". D’autant plus que le général Weygand lui avait fait comprendre que, sans l’appui de la Marine, que l’amiral Darlan refusait d’engager, la poursuite de la lutte serait dérisoire.

Les conditions de l’armistice proposées par Hitler — qualifiées de " diaboliquement habiles" par les Anglais eux-mêmes – permettaient à Noguès de rester dans les rangs. Théoriquement, étaient préservées la souveraineté de la France, la neutralité de sa Marine et l’intégrité de son Empire colonial… Il s’inclina donc, " le désespoir dans l’âme ", dit-il en privé, et informa Vichy qu’il restait à son poste « pour remplir une mission de sacrifice qui couvre son front de honte, pour ne pas couper la France en deux »

Il prenait acte publiquement de l’entrée en vigueur de l’armistice dans un message radiodiffusé, adressé à la population :

L’armistice est signé mais le gouvernement, en réponse à des démarches pressantes traduisant les vœux de toute l’Afrique du Nord, me fait connaître officiellement les points suivants :

  • — Il ne saurait être question d’abandonner, sans combattre, à l’étranger tout ou Partie des territoires où nous exerçons la souveraineté dans le Protectorat.
  • — L’hypothèse de l’occupation militaire par une puissance étrangère d’une partie quelconque de l’Afrique du Nord est exclue.
  • — Le gouvernement n’est pas disposé à consentir une diminution des effectifs stationnés dans ces territoires. »

Lui qui se prévalait encore hier de l’appui de la population et du sultan pour continuer la guerre, n’eut aucun mal à entraîner de nouveau, dans son sillage, le sultan soulagé à la perspective que son pays ne deviendrait pas un champ de bataille, face aux puissances de l’Axe. Loyal à la France, le sultan ne pouvait être plus français que les Français, bien qu’il ait été personnellement touché par l’humiliation du peuple protecteur, comme en témoigne son fils, Moulay Hassan, dans son livre Mémoire d’un Roi :

II était cinq heures de l’après-midi lorsque nous avons entendu à la radio le discours de Pétain déclarant qu’il fallait signer l’armistice. Mon père jouait au tennis. Il s’est immédiatement interrompu et s’est rendu au club-house. Des Français l’entouraient en pleurant et il était véritablement traumatisé. J’ai senti que le malheur qui venait de frapper la France était pour lui un véritable deuil personnel… »

Sans aller jusqu’à partager ce sentiment de deuil,

les indigènes musulmans sont abasourdis par notre défaite mais demeurent en majorité discrets et gardent une correction de tenue que n’observent pas même certains Français »

notait dans son rapport un contrôleur général dépêché par Vichy.

Le chef d’état-major Weygand mit en avant les excellentes relations de Noguès avec le sultan ainsi que sa souplesse, garante de sa future fidélité, pour convaincre le maréchal Pétain de ne pas le révoquer comme il en avait la ferme intention. Noguès en retint la leçon et fit tout désormais pour complaire au maréchal et se faire pardonner son crime " originel " — sa nomination par Blum — et sa virulente opposition initiale à l’armistice. Une fois acquis à la politique du maréchal Pétain, le Résident Noguès lui témoigna une fidélité sans failles.

Soulagement et inquiétudes

Si la foudroyante déroute de l’armée française avait été suivie avec une stupéfaction incrédule, dans toutes les couches de la population marocaine, l’annonce de l’armistice fut accueillie avec soulagement car le spectre de l’extension au Maroc des hostilités militaires s’éloignait enfin. Toutefois, ce soulagement ne pouvait être totalement partagé par la communauté juive, traumatisée par cette victoire de l’Allemagne nazie, tellement honnie, sur la France en qui elle avait placé tous ses espoirs. Le général Noguès était même convaincu du contraire. Se basant sur la réaction des élites les plus assimilées, il écrivait en juillet 1940 à un ami :

« Les Juifs aimeraient mieux, plutôt que d’être livrés aux Allemands, que le Maroc soit complètement et même inutilement écrasé. »

Comme toujours, face à une catastrophe inexplicable, dans le bon peuple la superstition — ou l’humour ? — reprit ses droits. Les Services de Renseignements rapportaient, le plus sérieusement du monde, la rumeur circulant au mellah de Casablanca, sur la vraie cause de l’incroyable défaite de la France. Ainsi donc le tsadik, le saint protecteur de la ville, Rabbi Liahou serait apparu en rêve à des privilégiés pour éclaircir ce mystère et leur révéler la cause du malheur de la France :

« Les Français ont dérangé le repos de mon âme et bousculé mon corps. Lieu a fait de même de leur pays et de leurs personnes. »

Effectivement, quelque temps avant la guerre, les autorités municipales avaient fini par se résoudre à transférer les restes du saint vers le nouveau cimetière israélite de Béni Msik. En effet, la tombe gênait le développement de la place principale de la métropole, la Place de France.

Certes, il ne s’agissait plus d’une modeste tombe mais d’un imposant mausolée, n’empêche qu’il était trop éloigné des fidèles du saint au mellah. De plus, comme chacun sait, selon la tradition juive, déterrer des ossements est absolument interdit et porte une irréparable atteinte au repos de l’âme du défunt. Telle était donc sa revanche…

Mais l’heure n’était vraiment pas à l’humour.

Dans son journal intime, l’ancien grand reporter de  l'Avenir Illustré, Jacob Ohayon, écrivait ?

Juin 1940. La défaite. Les Juifs pleurent car c’est aussi la défaite de la liberté, de la tolérance, de l’égalité et de la fraternité.»

Et ce, d’autant plus que, pour l’heure, malgré les clauses rassurantes de l’armistice, la perspective d’une invasion allemande par l’Espagne n’était pas encore définitivement écartée. Il était à craindre que l’Espagne, sûre de son alliance stratégique et idéologique avec les pays de l’Axe, ne profite de leur victoire pour réaliser son ambition de toujours : étendre son Protectorat sur l’ensemble du Maroc et une parue de l’Oranie. C’était bien le projet du général Franco et même sa condition, pour entrer en guerre, aux côtés de l’Allemagne. Il encourageait discrètement le pacha de Tétouan à se proclamer sultan et à partir à la conquête du Maroc français. Il n’avait pas hésité à faire un premier pas, en ce sens, en s’emparant militairement de Tanger, dès l’entrée en guerre de l’Italie, le 14 juin, et à mettre fin à son statut international, officiellement pour " garantir sa neutralité " menacée. Hitler avait difficilement réussi, dans son entrevue de Hendaye avec Franco, du 22 octobre 1940, à le convaincre de réfréner pour l’heure ses appétits sur le Maroc, jusqu’à la victoire finale qui ne saurait tarder. Il avait prioritairement besoin de ménager le régime de Vichy qui s’était engagé à défendre l’Afrique du Nord contre toute éventuelle tentative d’attaque anglaise.

Mais Hitler ne désespérait pas d’entraîner plus tard Madrid dans son sillage, comme il s’en ouvrait à Mussolini, encore en novembre 1940 :

«L’Espagne doit être immédiatement persuadée d’entrer dans la guerre maintenant. Il faut que l’intervention de l’Espagne nous serve à éliminer la base de Gibraltar, à bloquer le détroit et à transférer au moins une ou deux divisions allemandes au Maroc espagnol, pour nous protéger d’une possible défection des Français du Maroc ou dans le reste de l’Afrique du Nord… »

Ce fut finalement l’obstination de Franco à réclamer, pour prix de son entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne, une part si excessive de l’Empire français à laquelle Berlin ne pouvait souscrire, sans perdre la collaboration de Pétain, qui éloigna ce danger d’invasion espagnole de la zone de Protectorat français du Maroc et d’invasion allemande par la suite. Les Allemands ne traversèrent jamais le détroit de Gibraltar, mais le danger, pour les Juifs du Maroc, allait venir de l’adoption d’une politique antijuive par le nouveau régime de Vichy qui s’engagea dans la voie de la collaboration.

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

L’antisémitisme d’Etat

En juin 1940, les Français d’Afrique du Nord débordaient encore d’enthousiasme pour continuer la guerre aux côtés de l’Angleterre, donner l’exemple à leurs compatriotes décadents de la métropole et fauver l’honneur de la France. Très vite cependant, en quelques semaines, ds se muèrent en adeptes des plus intransigeants du régime de Vichy et se vouèrent au culte du chef de l’État Français, le maréchal Pétain. Ce culte allait être d’autant plus fervent dans la colonie française du Maroc qu’elle lui restait reconnaissante de son rôle en 1925, lors de l’écrasement final dans le Rif, de la révolte d’Abel Krim qui, après avoir battu les troupes espagnoles, avait menacé Fès. Ce processus d’identification avec le nouveau régime, pourtant issu de la défaite, reçut un renforcement décisif avec la destruction par la marine anglaise, le 3 juillet 1940, de la flotte française en rade à Mers El Kébir, sur la côte algérienne, pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains des Allemands. Une " trahison " de la part d’un allié, qui rapprochait de l’ennemi et justifiait a posteriori l’armistice signé avec lui. Mais ce processus d’identification avait des racines bien plus profondes comme l’écrivit le gaulliste Jacques Soustelle, futur gouverneur de l’Algérie Française :

Si la Révolution Nationale n’avait pas été instaurée en France, il aurait fallu inventer pour de nombreux Français en Afrique du Nord. Eloignée des misères de la métropole et du contact direct avec l’ennemi, notre Afrique du Nord offrait un terrain d’élection à la propagande du maréchal. Nulle part en France et dans l’Empire, on ne la voit s’étaler avec autant d’indécence, en énormes slogans barbouillés sur les murs, avec de gigantesques portraits du bon dictateur. Nulle part, la Région des Combattants puis le Service d’Ordre Légionnaire ne feront autant de recrues… »

De la défaite à la collaboration

Certes, le maréchal Pétain avait été appelé, moins d’un mois plus tôt, à former un gouvernement, dans le cadre des institutions républicaines, pour autant, le vote par le Parlement et le Sénat des pleins pouvoirs, le 10 juillet, signait le suicide de la Illème République et la naissance de l’Etat Français. En proclamant la fin des combats et en signant l’armistice, le maréchal Pétain disait avoir fait " don de sa personne ", pour protéger le peuple français de l’occupant. En réalité, il profitait de cette situation pour installer un nouveau régime. Au-delà de l’armistice, présenté comme une nécessité inévitable et de l’administration temporaire du pays jusqu’à la fin de la guerre, il voulait dépasser le mandat originel pour réformer profondément la société française, se servir de la défaite militaire pour redresser le cours de l’histoire de France. Aux yeux des hommes d’extrême-droite entrés au gouvernement dans le sillage du maréchal Pétain, la défaite sublimée était apparue comme l’occasion " divine " de prendre leur revanche, de réaliser leur révolution : la Révolution Nationale. Une révolution qui n’avait pas de scrupules à chercher volontairement, au-delà de ce qui était imposé, la collaboration avec le vainqueur, pour préserver la place de la France, au sein de la future Europe, sous domination de l’Allemagne dont la victoire était jugée inévitable. Dans ce cadre, pour Pétain et Laval, l’adoption par la France d’un régime autoritaire se rapprochant du fascisme et du nazisme, était également un signal adressé à Berlin, dans l’espoir illusoire de lui valoir le jour venu, de meilleures conditions de paix.

Le tournant en ce sens – impensable quelques mois plus tôt, si contraire à la tradition libérale de la France depuis la Révolution, qui lui avait toujours valu la gratitude des Juifs en Afrique du Nord – fut pris avec la poignée de main entre Pétain et Hitler, lors de la rencontre de Montoire, le 24 octobre 1940. A l’issue de cette entrevue décisive, le maréchal annonça au peuple français : « C’est dans l’honneur que j’entre aujourd’hui dans la voie de le collaboration. C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’a¡ subi de sa part aucun diktat, aucune pression. Une collaboration a été envisagée '. J’en ai accepté le principe. Ces modalités en seront discutées ultérieurement… »

Le changement d’atmosphère

L’arrivée au pouvoir, dans la légalité républicaine, du maréchal Pétain que l’on ne soupçonnait pas particulièrement d’antisémitisme, ne souleva

aucune véritable inquiétude. Ainsi, au cours des premières semaines de son gouvernement, les Juifs du Maroc furent amenés, à l'unisson du reste de la population, à l'acclamer. Dans son livre, André Elbaz rapporte ce témoignage :

«A trois ans, je fréquente pendant quelques semaines, l’école maternelle française, en ville nouvelle de Fès. Avant les classes, les petits comme moi sont réunis, en rang, dans la cour, pour saluer les couleurs et chanter : " Maréchal, nous voilà ! ”, en l’honneur de Philippe Pétain. Cela ne dure pas longtemps… »

Dès la formation du gouvernement Pétain, les antisémites sentant le vent en poupe, sortent de leur attentisme, avant même que le nouveau régime ne fasse officiellement de l'antisémitisme son credo… La première manifestation de ce tournant fut révélatrice du nouvel état d’esprit : l'abrogation le 27 août de la loi Marchandeau, adoptée en 1939, réprimant l'incitation à la haine raciale et religieuse, qui avait contribué à mettre un frein à la très virulente campagne antisémite, en particulier dans la presse française d’Algérie.

Au Maroc, divers incidents, encore sans grande gravité, illustrèrent ce changement d’atmosphère.

A Oujda, nombreux et influents étaient les Français originaires d’Algérie, à l'antisémitisme viscéral, comme le rapporte Yvette Katan, dans son livre

Oujda ville frontière :

«Les tracts de propagande antisémite, adressés sous enveloppe en 1936 étaient, en juillet 1940, placardés sur les murs de la ville et sur tous les magasins israélites indiquant : " Maison juive, maison des profiteurs " ; " Travailleur, ton ennemi c’est le Juif il te vole et édifie sa fortune crapuleuse sur ta misère " ; " Acheter chez les Juifs, c’est ruiner le commerce français ” ; " Un Juif par créneau, telle est ma devise pour la guerre prochaine ? un juif puis un Franc-maçon… »

La réaction de l'administration locale consista à prendre des mesures pour assurer l’ordre public contre les Juifs !

« j’ai signalé que les samedis soirs, la grande rue d’Oujda est envahie d’une jeunesse Israélite dont l’impertinence, l’exubérance vestimentaire et la joie bruyante sont les causes déterminantes des bagarres, soit avec les tirailleurs marocains, soit avec les membres de troupes de retour du front, soit enfin, avec des Français plongés dans le deuil…

En conséquence, interdiction est faite aux Israélites, plus particulièrement à la jeunesse marocaine de se grouper, notamment le samedi, dans la rue du maréchal Bugeaud, lieu habituel de promenade. Suppression totale de la mendicité pratiquée par les Israélites… et enfin, les jeunes Israélites en provenance de la zone espagnole qui se feront remarquer par une attitude arrogante, seront présentés à la Région et, le cas échéant, refoulés sur leur lieu d’origine… »

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

A Meknès, le 18 août 1940, les Services de Renseignements rapportent :

« Les vérifications des stocks préconisées par les autorités régionales, effectuées hier après-midi au mellah ont, en général, produit un bon effet sur la population indigène. Cependant certains, sous l’impulsion de leurs sentiments antisémites, disent qu’elles n’ont pu donner de très bons résultats car les Israélites possèdent de nombreuses cachettes secrètes, à l’abri de toute tentative de perquisition en ville et en dehors de la ville… »

A Casablanca, de jeunes militants du Parti Populaire Français cassèrent, dans la nuit du 12 septembre, les devantures de cinq magasins juifs. Ces manifestations intempestives d’antisémitisme étaient loin de servir la cause du Protectorat, en ces heures délicates, comme le soulignait le général Noguès dans son rapport urgent à Vichy :

< La nuit dernière, quelques jeunes gens ont cassé, avec des galets portant l’inscription P.P.F. les devantures de cinq magasins juifs, fermés d’ailleurs depuis peu par l’autorité administrative, qui avait ainsi sanctionné des hausses de prix illicites sur certaines de leurs marchandises. Ils ont par ailleurs apposé des papillons avec les mots : " Vive Pétain ! Vive Doriot ! "

Je n’ai pas besoin de souligner les dangers de ces faits qui apparaissent comme de véritables provocations et dont la répétition risquerait d’entraîner des désordres graves. J’ai en tout cas, dès ce matin, prescrit au chef de la Région de convoquer le chef du P.P.F. au Maroc, et de signifier à ce dernier qu ’au cas où de nouvelles manifestations de cette nature viendraient à se produire, je le tiendrais personnellement responsable de l’atteinte portée aux intérêts les plus évidents du Protectorat… »

 

A Marrakech, le 20 septembre 1940, un jeune Juif fut condamné à 15 jours de prison et à 200 francs d’amende, pour avoir injurié un militaire indigène alors que la population européenne " accueille avec satisfaction " la condamnation de 13 commerçants juifs reconnus coupables de hausse illicite des prix.

A Fès, ce même 20 septembre au soir, le mellah fut l’objet d’une attaque partisane qui souleva une vive émotion dans les milieux juifs, craignant  la nouvelle atmosphère d’hostilité ne débouche sur des violence: incontrôlées. Le rapport du Contrôleur Civil essayait vainement d’en minimiser la gravité :

 

« Un sous-officier de la Légion Etrangère détaché à l'infirmerie de la garnison de Fès et quelques militaires tirailleurs et légionnaires, pris de boisson, ont provoqué le 20 septembre, vers vingt heures-trente, une bagarre dans le quartier juif. Armés de quelques fusils, couteaux et matraques, ils firent irruption au mellah et commencèrent à distribuer, à tort et à travers, coups de fusils et de matraques. Un Israélite a été tué et six autres blessés, dont un grièvement. L’incident auquel l’intervention de la police et des patrouilles réglementaires mit très rapidement fin, n’a eu aucune répercussion sur la population musulmane. Les coupables ont été arrêtés sur les lieux mêmes de l’incident. L’affaire se limite à un acte d’indiscipline de quelques militaires appartenant à des corps différents. Je fais cependant pousser l’enquête pour vérifier s’il n’y a pas eu préméditation et si le sous-officier responsable avait ou non des rapports avec certains éléments français qui se sont signalés tout dernièrement par des manifestations antisémites… »

La tension devait en effet rester très vive, encore des semaines, dans la capitale intellectuelle, la rumeur annonçant un mouvement antijuif de grande envergure qui servirait de prétexte à l’entrée des troupes espagnoles dans le nord de la zone de Protectorat français.

Cette inquiétante répétition d’incidents concernant des troupes revenues du front avec un état d’esprit dangereux amena les autorités à envisager d’écarter les troupes marocaines des centres des grandes villes, pour éviter les heurts avec la population juive.

Parallèlement les autorités firent comprendre aux agitateurs antijuifs qu’elles entendaient maintenir l’ordre strictement et s’opposer aux troubles de rues. L’heure n’était plus aux initiatives et aux débordements individuels spontanés : l’antisémitisme devenait l’affaire de l’Etat restauré dans son autorité et n’admettant pas de concurrent.

 

Une idéologie bien française

Selon les idéologues de la Révolution Nationale, la France avait besoin d’expier ses fautes pour se régénérer. La défaite avait fait éclater " l’abcès " et permettait de mettre en marche la Révolution Nationale. Il fallait saisir cette occasion unique de refonte de la société française, dans le cadre de la nouvelle Europe allemande. Pour eux, l’issue de la guerre, qui n’allait pas tarder à s’achever, avec la capitulation prochaine et attendue de l’Angleterre, après celle de France, ne faisait pas de doute. Dans la perspective d’un nouvel ordre européen, la France trouverait sa place dans la mesure où elle saurait se " libérer des parasites responsables de sa décadence dont elle n’avait pu se défaire seule, par ses propres moyens : la démocratie parlementaire, les francs-maçons et les Juifs

Les révolutions fascistes et nationales-socialistes offraient, de par leur réussite, des modèles d’inspiration vivifiants à suivre. Il ne s’agissait pas pour autant de les imiter " servilement " et encore moins de chercher à les égaler. Plus particulièrement en matière d’antisémitisme. Tout en s’associant idéologiquement au Reich et à l’Italie, le nouvel État Français se prévalait d’une authentique vocation antijuive, puisée dans la tradition française, basée davantage sur la xénophobie culturelle et nationale que sur la discrimination raciale, comme le proclamait, dès juillet 1940, le nouveau ministre des Affaires Étrangères, Paul Baudoin ?

« La révolution totale dans laquelle s’est engagé le pays était en gestation depuis une vingtaine d’années. Ldévolution actuelle s’est faite en toute liberté et non pour complaire au vainqueur. Nous adopterons une solution française conforme à notre caractère, à nos besoins, dans la meilleure ligne de nos traditions.. .Le monde d’avant 1940 a été définitivement enterré… »

 

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

Pour propager et veiller à l’application des idéaux de la Révolution Nationale, des dizaines de milliers de militants furent enrôlés, parmi les anciens combattants, dans le corps de la Légion des Combattants français, dont les Juifs étaient d’emblée exclus, dans la pratique, en France, en Algérie et Tunisie. Le problème ne se posait pas au Maroc, faute de combattants — anciens ou nouveaux .

Les Allemands avaient compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de cette situation qui leur évitait de monter au premier rang. Les instructions données aux responsables de l’occupation militaire recommandaient en métropole

« de laisser aux français le soin de régler la suite, afin d’éviter dans ce domaine la réaction du peuple français contre tout ce qui vient des Allemands, aussi convient-il de s’en tenir à des suggestions ». Ils n’eurent même pas besoin de faire de telles suggestions pour que Vichy se lance, sans tarder et sans attendre de diktat, dans la législation antijuive en France. Et encore moins, pour ensuite l’étendre arbitrairement à l’ensemble de l’Afrique du Nord — comme si celle-ci était le prolongement territorial direct de la métropole, alors que l’accord d’armistice garantissait son autonomie – en faisant d’elle ainsi, le seul territoire non occupé par les Allemands qui appliquât leur législation antijuive.

Les seuls Allemands en effet que les Juifs virent, occasionnellement, au Maroc, pendant toute la guerre, furent les membres de la Commission d’armistice allemande installés à Casablanca, chargés de veiller au respect par les autorités françaises locales des clauses de désarmement et de limitation des effectifs militaires. D’ailleurs, pour leurs propres raisons, ces mêmes autorités locales déployèrent tout leur zèle bureaucratique, afin de réduire au minimum leur visibilité. Ceci, pour des questions à la fois de prestige et de sécurité. La vue, dans les rues du Maroc, d’uniformes allemands ne pouvait que rappeler aux Marocains la preuve flagrante de la défaite française. Le protecteur, devenu lui-même protégé, ne suscitait plus à ce titre la même crainte et ne méritait plus le même respect. La Résidence interdit en conséquence tout contact entre la population musulmane et les membres de la commission d’armistice et prit des mesures dissuasives contre les visites aux consulats. Cela ne devait pas empêcher le consul Théodore Auer de critiquer dans ses rapports, dès son arrivée, le laxisme des autorités à l’égard des Juifs, notamment les réfugiés étrangers fortunés qu’il côtoyait dans les grands hôtels de Casablanca.

Pour faire appliquer sa nouvelle politique, le nouveau régime n’eut pas besoin de placer ses hommes, ils étaient déjà en poste — à l’exception du renvoi de quelques gaullistes et francs-maçons notoires — l’administration coloniale, à tous les niveaux, était immédiatement acquise à sa cause. Malgré son " péché " originel — sa nomination par le Front Populaire — et sa récente incartade – l’opposition à l’armistice — Noguès fut maintenu à la Résidence à Rabat, mais perdit son titre de commandant en chef du théâtre d’opérations en Afrique du Nord, en faveur de l’homme de confiance du maréchal, le Général Weygand, nommé en octobre 1940 Délégué Général du Gouvernement en Afrique.

Par son aspiration à un ordre nouveau autoritaire, respectant les hiérarchies naturelles : " Travail, Famille, Patrie " — l’allusion originelle à Dieu écartée, en raison de l’opposition des laïcs — tournant le dos à la démocratie parlementaire jugée décadente, à la " fausse " idée d’égalité naturelle entre les hommes, la Révolution Nationale correspondait aux aspirations profondes de la société coloniale, basée sur les mêmes principes de hiérarchie, de corporatisme et d’autorité. D’autant plus qu’elle comprenait une forte dose de cet antisémitisme si prédominant dans la psychologie pied-noir en Algérie et par contamination, avec moins de virulence, il est vrai, en Tunisie et au Maroc.

Maintien de l’ordre

Au Maroc, en cette seconde moitié de 1940, le premier souci des autorités était, malgré le calme apparent de la rue et des campagnes, le maintien de l’ordre. Alors que la pacification totale du pays n’avait été achevée que peu avant la guerre, les autorités redoutaient un renouveau de la rébellion armée, ou au moins, le retour agressif des revendications nationalistes, étouffées en 1937. En effet, les rapports des Services de Renseignements notaient un changement notable du comportement des indigènes musulmans " désorientés " qui « tiennent des propos désobligeants à l’égard de la ־France, dans les lieux publics et dans les transports, et n ’observent plus vis-à-vis des Européens la même attitude déférente, lueur obséquiosité vis-à-vis de l’Administration a disparu. Le nombre d’informateurs fidèles a aussi baissé ». De plus, la propagande allemande, après une courte pause, suite à l’armistice, avait repris avec la même virulence, en arabe et en berbère, essentiellement par la voie des ondes, à partir, cette fois, en plus de Radio-Berlin, de Radio-Mondial (Paris), prenant comme cibles privilégiées les Anglais et les Juifs : « les ennemis communs de l’Allemagne et du monde arabo-musulman ». Radio-Madrid, relayée par Radio-Tétouan, n’était pas en reste, exploitant aussi l’antisémitisme, dans sa campagne de dénigrement de la France :

« La propagande espagnole présenta les épreuves que la France traversait comme une " expiation " de ses fautes séculaires en Algérie et au Maroc. Elle fit de la " discrimination établie en faveur des Hébreux, dont pas un seul n’a jamais pris une bêche pour défricher un terrain ou planter une laitue ", l’un des principaux thèmes. Au fait de la place que les événements de 1930 et 1937 tenaient dans la mémoire des Marocains musulmans, elle associa l’évocation du décret Crémieux, à " l’usure " et au ״ favoritisme ", en vertu duquel, dit-elle, " le Maure devient l’esclave du Juif", à " l’inique dahir berbère " et à la spoliation des eaux des indigènes de la campagne de Meknès. »

Du moins, et c’est une consolation, la sécurité des personnes était-elle strictement préservée, malgré rinstitutionnalisation de l’antisémitisme. On pouvait en effet redouter qu’encouragés par l’antisémitisme officiel, les si nombreux militants de La Légion Française des Combattants, ne se livrent à des pogromes et ne provoquent des incidents de rue, en attisant la haine des Musulmans, soudain traités en " frères ", auxquels ils faisaient miroiter que l’heure était propice pour " régler leur compte aux juifs ", Sans trouver d’écho sur le terrain.

Les Chefs des Régions et les administrateurs locaux furent toutefois invités à tenir compte de cette éventualité et à établir en conséquence des plans de défense. Dans cette perspective, il fallait à tout prix prévenir des heurts, comme ceux des années trente, entre Juifs et Musulmans, de crainte qu’ils ne dégénèrent en manifestations exploitables par les agitateurs nationalistes. De même, il fallait couper l’herbe sous les pieds des antisémites français, pressés de se débarrasser de la concurrence économique des Juifs en appelant au boycott. Il s’agissait de leur faire comprendre que l’heure n’était plus aux initiatives intempestives de l'antisémitisme " passionnel ", maintenant que l’État allait lui-même le prendre en charge. Les récidivistes récalcitrants et trop remuants furent même parfois expulsés vers la France.

Par précaution, des mesures d’internement ou d’assignation à résidence, en dehors de Casablanca, furent prises contre les plus bruyants : les Juifs marocains, naturalisés anglais, susceptibles de créer une agitation dans la communauté juive. Avec le risque que cela ne rejaillisse par ricochet sur la population musulmane, comme s’en inquiétait le chef de la Région de Casablanca ? «Le problèmejuif est un des problèmes politiques qui se posent dans la Region, en raison de l’importance numérique et économique des Israélites et de l’influence qu’ils exercent sur les Musulmans. »

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Par précaution, des mesures d’internement ou d’assignation à résidence, en dehors de Casablanca, furent prises contre les plus bruyants : les Juifs marocains, naturalisés anglais, susceptibles de créer une agitation dans la communauté juive. Avec le risque que cela ne rejaillisse par ricochet sur la population musulmane, comme s’en inquiétait le chef de la Région de Casablanca ? «Le problèmejuif est un des problèmes politiques qui se posent dans la Region, en raison de l’importance numérique et économique des Israélites et de l’influence qu’ils exercent sur les Musulmans. »

C’est ainsi, par exemple, que l’homme d’affaires Salomon Benadi fut assigné à résidence à Oulmès et Sydney Benaïm à Settat, puis à Fès. Pour éviter une telle assignation à résidence ou même un internement, un des notables de Meknès, Eliezer Berdugo, si fier jusque-là de sa protection anglaise, avait évité en 1940 de s’adresser au consulat anglais pour en renouveler la validité.

Les sentiments pro-anglais de la population juive, datant déjà du siècle dernier, avaient été encore plus renforcés par l’héroïsme de l’Angleterre qui continuait seule la guerre contre l’Allemagne. Le journal d’extrême- droite Le Soleil du Maroc ne se privait pas de s’en plaindre :

« Les indigènes Israélites paraissent acquis au mouvement anglophile. Persuadés que leur salut ne saurait venir que de 1’Angleterre, ils se font les propagandistes de la collusion avec ce pays. On fait des prières dans les synagogues pour sa victoire… » (30 août 1940)

Dans son rapport du 23 juillet, le Résident général Noguès aboutit à la même analyse, occultant toutefois qu’elle n’était valable que pour la mince élite de Casablanca puisque la masse de la population juive se tenait éloignée de toute activité à caractère politique :

« La propagande anglaise, soutenue dans l’ombre par les Israélites, redevient active et cherche en particulier à agiter à Casablanca où elle s’attache à gagner les milieux d’affaires liés par des intérêts à la Grande-Bretagne et à semer le trouble et la division dans la jeunesse. »

Pressé d’imiter les Allemands, avant d’en recevoir immanquablement l’ordre, le gouvernement Pétain charge, en septembre, les ministres de l’Intérieur et de la justice, Peyrouton et Alibert, de préparer en hâte la version française des lois de Nuremberg.

Là, se place une anecdote tragicomique, spécifiquement marocaine, que rapporte Robert Assaraf dans son livre, Mohammed V et les Juifs du Maroc à l’époque de Vichy :

« Il n’est jusqu’à l’entourage immédiat du sultan qui n’ait eu des convictions chancelantes. Ainsi le Grand Vizir El Mokri – qui avait été, il est vrai, imposé à Sidi Mohammed Ben Youssef par la France — avait cru bon de donner des conseils au ministre des Affaires Etrangères français Paul Baudoin qui raconte, dans ses mémoires, la visite que lui rendit elMokri, le 25 septembre 1940 :

« Il attire mon attention sur la prospérité de certains israélites. Il me donne une leçon charmante : avant le Protectorat, les Juifs mettaient une vingtaine d’années pour acquérir une grande fortune. Ils en jouissaient dix ans et à ce moment, une petite révolution survenait qui mettait leur fortune par terre. Les Juifs recommençaient à s’enrichir pendant trente ans pour aboutir finalement à la confiscation de leurs biens excessifs. Maintenant que le Protectorat existe, nous craignons que ce rythme trentenaire soit interrompu. Le Protectorat dure depuis vingt-huit ans ? il nous reste deux ans pour confisquer la fortune des Israélites, suivant la règle séculaire qui me paraît sage… »

Le Statut des Juifs

Rapidement, est élaboré le Statut des Juifs, adopté par le gouvernement Pétain, le 3 octobre 1940, et publié au Journal Officiel de l’État Français, le 18 octobre. Sans aller aussi loin que son modèle allemand, il adoptait pourtant d’emblée, la définition raciale et non religieuse de l’appartenance au peuple juif : " celui ayant trois grands-parents de race juive ou deux grands-parents de la même race si son conjoint lui-même est juif Mais l’objectif proclamé est identique ? mettre fin « à la domination de la pieuvre de la ploutocratie juive internationale » en éliminant progressivement les Juifs de la vie nationale et en les mettant au ban de la société française. Le Statut français écartait les Juifs de la fonction publique, des mandats électifs et de toutes les professions susceptibles d’influencer l’opinion — de l’enseignement à l’information, en passant par les arts, le cinéma, la radio et la presse.

Le Statut fut immédiatement et automatiquement étendu à l’Algérie, en tant que prolongation de la France au-delà de la Méditerranée mais avec une discrimination supplémentaire cardinale : l’abrogation du décret Crémieux de 1870, octroyant en bloc la nationalité française aux Juifs algériens. C’était la réalisation de l’objectif fondamental du mouvement antisémite algérien depuis 70 ans et le coup de grâce porté au rêve des élites juives francisées du Maroc, qui s’étaient bercées de l’illusion, jusqu’au début des années 1930, d’une prochaine naturalisation collective ou au moins individuelle facilitée. Paradoxalement, les Juifs originaires du Maroc, naturalisés en Algérie, étaient cette fois mieux lotis, ils conservaient la nationalité française, ne l’ayant pas acquise par la grâce du décret Crémieux.

«A Fès, beaucoup de Juifs d’Algérie demandent des extraits de naissance pour faire preuve qu’ils sont fils d’étrangers. S’ils l’obtiennent, ils sont alors déclarés français et échappent aux conséquences de l’abrogation du décret Crémieux. Mais comme les ascendants de ces Juifs étaient nés au Maroc où il n ’existait pas alors d’état-civil, les preuves sont difficiles à fournir. »

Les Services de Renseignements étaient particulièrement attentifs aux échos de cette mesure révolutionnaire, dans la population marocaine. Ainsi à Oujda, à la frontière algérienne, ils signalaient que l’abrogation avait été accueillie, avec satisfaction, par la population française

׳ bien que considérée comme tardive, elle aurait dû intervenir dès la fin de la guerre 1914-1918. Ce retard fait penser qu ’elle a été inspirée par les autorités allemandes, ce qui amoindrit son effet moral. Très vive satisfaction par contre dans les milieux algériens musulmans… »

« A Rabat, en ce qui concerne les Israélites marocains, il résulte que l’abrogation du décret Crémieux ne les a pas autrement touchés et ils laissent entendre qu’ils ne désirent qu’une chose : demeurer les sujets de Sa Majesté le sultan. » 

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Vers l'application au Maroc

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Vers l'application au Maroc

Si les clauses du Statut furent immédiatement et presque automatiquement applicables aux Juifs de nationalité française et étrangère habitant en Tunisie et au Maroc, le même automatisme ne pouvait s’appliquer aux Juifs indigènes des Protectorats de Tunisie et du Maroc qui avaient conservé leur souveraineté en matière législative. De plus, la France s’était engagée au Maroc à ne pas porter atteinte aux institutions locales et les Juifs, comme sujets personnels de Sa Majesté le sultan, ne relevaient pas de sa juridiction. Mais les autorités de Vichy n’en avaient cure et, aveuglées par leur antisémitisme fanatique, voulaient transférer leur fantasme au Maroc, sans se rendre compte de l’anachronisme de leur analyse de la question juive au Maroc, calquée sur la France. Ainsi, par exemple, pour justifier l’extension au Maroc de la législation antisémite de Vichy, le journal de Casablanca La Vigie Marocaine publiait, le 18 novembre 1940, un article au titre apparemment rassurant ?” Le Juif doit vivre au grand jour « Nos lois sur les Juifs ne datent que de l’armistice, pourquoi ? En vertu de deux contrecoups heureux du désastre ? l’avènement d’un gouvernement vraiment national et la levée de l’hypothèque juive sur nos institutions. Auparavant, les Juifs régnaient sur nous, mais comme maîtres occultes qui ne voulaient pas qu’on les nommât. Les Juifs tenaient sous leur contrôle tous les moyens de diffusion de la pensée : presse, radiodiffusion, agences, et disposaient en fait d’une censure.

Se rendant compte d’instinct qu’il devient de la sorte un parasite social, le Juif se garde d’attirer l’attention. Le masque de l’anonymat est indispensable à sa réussite. Aujourd’hui, chassé du pouvoir, écarté des fonctions publiques, le Juif est évidemment plus tenté que jamais par l’anonymat. Les lois actuelles l’invitent justement à renoncer à la spéculation, à vivre au grand jour, en exerçant honnêtement, sous son nom, une profession reconnue…

Mais le devoir du législateur, devoir chrétien autant que national, est non seulement de protéger la nation, mais de protéger le Juif lui-même pour l’empêcher de devenir nuisible, de le protéger contre ses propres instincts dont il a été toujours, en fin de compte, la victime, car, de tout temps, le Juif a été le principal artisan de ses malheurs… »

Le quotidien de la colonisation n’avait fait que reproduire paresseusement un article de la presse parisienne, sans réaliser à quel point cette analyse ne correspondait en rien à la situation au Maroc où le Juif a toujours vécu au grand jour, comme le dit un adage célèbre : " Partout où sera le Juif, il sera reconnu… "

Sujets personnels du sultan ne relevant pas directement de la juridiction française, les Juifs du Maroc espéraient que, dans le cadre du respect canonique de la condition des Juifs en terre d’islam, le sultan s’opposerait à toute forme de discrimination allant au-delà des limitations du Pacte d’Omar qui règle la condition de dhimmis. Rien en fait, dans la situation du Maroc, ne justifiait une nouvelle législation discriminatoire — si ce n’est la volonté contraire de la nation protectrice pour des raisons intérieures qui lui étaient propres. C’est donc à bon droit que les Juifs marocains pouvaient s’attendre à ce que le Makhzen, instruit par la méprise du fameux dahir berbère, s’oppose, malgré sa faiblesse face à la Résidence, à l’introduction de la nouvelle législation raciale. Le rapport périodique des Services de Renseignements se faisait l’écho de cet état d’esprit ?

« Ceux-ci (lesJuifs) indiquent que S a Majesté chérifienne enfreindrait la loi coranique Elle entérinait des mesures contraires à la lettre et à l’esprit du Coran ? les Chrétiens et les Juifs, disent-ils, ont le droit de vivre en territoire musulman et de s’y adonner à toutes les professions non canoniques, à condition de payer l’impôt de soumission et de respecter la loi musulmane. »

L’homme d’affaires et un des anciens rédacteurs de l’Avenir illustré, Raphaël Benazeraf allait encore plus loin dans cette attente :

« C’est un fait que le droit de propriété et le libre exercice d’une profession, quelle qu ’elle soit, par les Mahométans ou les non-Mahométans, sont des lois fondamentales sacrées en islam et aucun sultan n’essayera jamais d’agir contre ces lois. Ca base de la religion islamique et de sa législation est que Dieu est le seul pourvoyeur de richesses et de dons. Tout ce que possède un homme vient de Lui seul et 11 a déterminé et partagé, entre tous les êtres humains, toutes les chances, les richesses et moyens d’existence selon Sa volonté. Pas un seul Musulman ne se hasardera à discuter un principe aussi immuable, en aucune circonstance… »

Malgré cela, Vichy demanda au Résident à Rabat de préparer le terrain, en adaptant, si nécessaire, les mesures aux conditions locales, pour obtenir le plus rapidement possible l’aval du sultan avec lequel il entretenait d’excellentes relations de confiance. Dans la pratique, si ce n’est en droit, le Résident détenait seul l’autorité effective et réelle. Ses services rédigeaient en français le texte des dahirs, sa signature leur donnait force de loi. Les textes étaient ensuite traduits en arabe et adressés au Palais, pour être soumis au paraphe formel et au sceau du sultan, confié au Grand Vizir d’origine algérienne et acquis à la cause française. Dans ce contexte, il était difficile, sinon impossible au sultan, même s’il le voulait, de s’opposer de front au Résident, chargé d’appliquer la volonté de Vichy.

Saisi du texte préparé par la Résidence, le sultan chargea les fonctionnaires du Makhzen de négocier, avec leurs homologues français, l’adaptation de la loi française à la réalité marocaine. De son côté, le Résident Noguès, pourtant convaincu que l’intérêt du Protectorat exigeait la modération, dans les mesures prises contre les Juifs marocains, était tenu par sa fidélité envers le maréchal. Il était soucieux d’éviter les effets pervers de mesures antijuives, trop sévères pour la stabilité sociale et l’équilibre fragile de la vie économique du pays. Comme devait l’affirmer son avocat, lors de son second procès, Noguès voulait " amortir ou éluder ces lois d’exception, non seulement parce qu’il les trouvait injustes, mais parce qu’elles étaient, au Maroc, suprêmement imprudentes… " Mais parallèlement, il lui fallait également tenir compte des pressions de l’antisémitisme virulent de la colonie française locale. Un des hauts fonctionnaires de l’époque, non contaminé par cet état d’esprit, Roger Thibault, directeur du Service de l’Enseignement primaire, en témoigne :

L' antisémitisme larvé qui croupissait dans certains milieux français du Maroc, fit très vite surface et devint contagieux… Je fus surpris de l’attitude de la plupart des hauts fonctionnaires qui, au temps où Leon Blum était Président du Conseil, affirmaient des opinions pro-sémites exagérées et qui ne savaient maintenant qu’inventer pour appliquer au Maroc un Statut des Juifs encore plus sévère qu’en France… »

Alors que les négociations sur l’introduction au Maroc du Statut des Juifs lui semblaient traîner par trop en longueur, le responsable local à Rabat des Croix de Feu, André Normand, télégraphia, le 19 octobre, à son chef le colonel de La Roque pour exiger, sans tarder, au moins l’adoption des mêmes mesures contre les Juifs qu’en France :

« Au moment où paraît dans la presse le nouveau Statut des Juifs, il me semble opportun de soumettre au ministre de l’Intérieur, M. Peyrouton qui connaît particulièrement la situation, l’exposé ci-dessus. Il se pourrait en effet qu’au Maroc, les faits que nous allons vous signaler soient étouffés et cela, nous ne le voulons pas… Une récente décision du gouvernement a opportunément imposé une épreuve de

langue arabe à tous les candidats aux fonctions publiques du Protectorat. On ne peut manquer d’être frappé qu’au lycée de Rabat, les deux professeurs d’arabe sont deux Juifs algériens, francs-maçons, marxistes et gaullistes, comme il se doit, et que d’autre part, à l’Institut des Hautes Etudes marocaines, deux professeurs sur six sont juifs, de même mouvance que les précédents.

Toute la jeunesse française de Rabat, désireuse de se soumettre aux directives judicieuses des pouvoirspublics, se voit donc contrainte de subir une formation intellectuelle étrangère et d’exposer son avenir scolaire au jugement de pédagogues tendancieux ou sectaires, par atavisme.

Quant aux fonctionnaires, les agents d’autorité en particulier, il ne saurait être question de les inviter, en pays d’islam, à pefectionner leurs connaissances linguistiques, auprès de maîtres israélites. Ainsi se confirme une fois de plus la nécessité d’éliminer, de tous les services de la Direction de l’Enseignement, les fonctionnaires d’ancien régjme dont tous les soins visent à détourner de leurs fins véritables les projets les mieux adaptés aux circonstances actuelles et les plus conformes à l’intérêt supérieur du pays… »

Ses vœux n’allaient pas tarder à être exaucés.

Après trois semaines de négociations entre la Résidence et le Palais — en Tunisie, il fallut un mois de pourparlers supplémentaires pour obtenir l’aval du Bey — le dahir du 30 octobre rendait exécutoire, en zone française de l’Empire chérifien, la loi française du 3 octobre avec des modifications plus ou moins légères.

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Vers l'application au Maroc

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Le Dahir du 30 octobre 1940, 9 Ramadan 1359

Epreuves-et-liberation

 

Le Dahir du 30 octobre 1940, 9 Ramadan 1359

La première mesure est la définition de Juif, différente de la définition de la loi française mais uniquement pour les Juifs marocains. Est, en effet, considéré comme Juif :

Tout Juif natif du Maroc.

Toute personne non marocaine, ayant 3 grands-parents de race juive ou deux grands-parents, si le conjoint est lui-même juif.

 

Cet amendement, sans portée pratique, avait paru pourtant essentiel aux autorités chérifiennes. En tant que Commandeur des croyants, le sultan ne pouvait assumer la responsabilité d’une législation de nature à entraver la possibilité de conversion à l’islam. Un Juif marocain, qui abandonne sa religion pour embrasser l’islam, cesse immédiatement d’être juif, sans avoir a chercher l’origine raciale de ses parents et encore moins de ses grands- parents ! Seule la religion et non la race definit le Juif marocain. Alors que dans la legislation francaise, la conversion ne change rien au Statut de Juif, la legislation marocaine laissait ainsi la porte de la conversion ouverte aux Juifs qui desireraient eventuellement echapper au Statut. Certes, la procedure de conversion avait ete reglementee et ne revetait plus la simplicite d'autrefois ou il suffisait de l’enonce du credo reconnaissant Mohammed comme le vrai prophete de Dieu. Pour eviter les abus, l’arrete viziriel du 3 decembre 1929 l’avait sommairement codifiee :

 

< Lorsque quelqu’un se presente a vous, dans 1’intention de se faire musulman, vous lui ordonnerez d’abord de presenter des documents attestant de maniere evidente qu’il n’est I’objet d’aucune poursuite et que ses contestations anterieures relatives a son statut personnel (heritage, etc…) sont definitivement reglees. Vous ferez ensuite parvenir ces pieces au Grand Vizir qui donnera les instructions necessaires. »

On voit qu’en dehors de formalites bureaucratiques sommaires, la porte restait grande ouverte mais nul ne devait songer a cette extremite, uniquement pour echapper a l’application du Statut, comme le rappelait a ses etudiants, futurs Controleurs Civils du Centre des Hautes Etudes d’Administration coloniale, le professeur Dutheil:

 

Autre intervention du Makhzen central sur un plan different: la question de savoir si les Juifs, pour echapper au nouveau Statut, ne pourraient s’y soustraire en se convertissant a I’islam.

Avant meme que le Statut ne fut elabore, la question avait ete soumise au sultan. Des I’abord, ce dernier en contesta le principe, exposant d’une part, que 1’attestation du cadi etait necessaire a la validite des conversions et d’autre part surtout, que lui, sultan, ne pouvait assumer la responsabilite, en sa qualite de chef religieux, de 1’application d’une legislation quipouvait etre consideree comme de nature a entraver les conversions. L ’argument est peut-etre specieux, il n ’en est pas moins sympathique. D’ailleurs, les conversions a 1’islam sont rares chez les Juifs. Il illustre cependant clairement l’affirmation qu’il n’y a pas d’antisemitisme chez les Marocains, ni d’apres notre exemple, chez le premier des Marocains… »

 

Les institutions juives preservees

Plus significatives et plus lourdes de consequences, deux mesures essentielles ? le maintien en place des institutions juives, religieuses comme profanes.

Religieuses, a savoir les tribunaux rabbiniques, les etablissements d’enseignement religieux primaire, talmud torah et les ecoles talmudiques superieures,yechibot. C’est ainsi qu’en juin 1941, le President du tribunal rabbinique de Meknes, rabbi Yehoushoua Berdugo, fut appele a presider le Haut Tribunal Rabbinique a Rabat. Dans son livre, Otsar Hamikhtabim, rabbi Yossef Messas relate l’emouvante ceremonie organisee par les rabbins et notables de sa ville d’origine, a l'occasion de sa promotion a ce poste, dans la grande synagogue sla jdida, sans faire la moindre allusion au nouveau Statut, en concluant au contraire par un hommage appuye aux autorites :

« Notre salut et notre reconnaissance vont aux deux puissantes autorites, arabe et franfaise, pour avoir choisi notre rabbin pour presider le Haut Tribunal et pour avoir dote toutes les villes du Maroc de lasloire de tribunaux hebraiques » (tome 3, page 19)

 

Institutions profanes, lai'ques : le reseau des ecoles de 1’Alliance Israelite Universelle et l’organisation communautaire avec les Comites des Communautes, dans les villes, et les Associations de Bienfaisance.

Coupe de son centre et de sa source de financement — l’Alliance avait du quitter en hate Paris pour se replier sur Marseille mais ne disposait plus de ressources — le reseau, tisse dans tout le Maroc depuis 1862 et qui depassait les 10.000 eleves a la veille de la guerre, survecut par ses propres moyens. Toutefois, la subvention accordee jusqu’ici par la Direction de l’Enseignement du Protectorat, couvrant jusqu’a 80% des frais de fonctionnement, fut maintenue au grand scandale de ses opposants. Les antisemites les plus consequents avaient en effet propose de fermer purement et simplement ces ecoles, ou au moins, avaient reclame la suppression de la subvention de fonctionnement mais le chef de la Direction de l’Enseignement primaire, Roger Thibault, s’y etait fermement oppose dans l’interet meme du Protectorat.

 

« Je fis remarquer que la France occupee n’etait pas libre mais que le Maroc l’etait. L’opinion mondiale, particulierement celles des Etats-Unis, jugerait donc des sentiments veritables de la France par ce qu’on y ferait concernant les Juifs

 

L’arbitrage revint au general Nogues.

J’allais rendre compte de ces incidents au Resident General Nogues. II approuva mon attitude ; il ajouta qu’elle etait conforme aux desirs du sultan qui se considerait comme le protecteur naturel de ses sujets Israelites ».

 

Quand, par la suite, il s’opposa au renvoi des instituteurs juifs des ecoles franco-israelites et proposa, dans ce cas, de demettre de leurs fonctions et de nommer ailleurs les enseignants non juifs dans ces ecoles et de confier les postes, ainsi liberes, a des enseignants juifs chasses de leur emploi, la reaction ne se fit pas attendre :

 

« Deuxjours apres, les journaux de Casablanca publiaient en gros caracteres, que le Statut des Juifs au Maroc allait etre contourne par un salaud qui s’appelait Thibault et qui sevissait a l'Instruction Publique.

On connaissait deja dans Rabat, l’attitude que j’avais prise. Et la plupart des gens me fuyaient; on changeait de trottoir pour eviter de me rencontrer; lors des ceremonies auxquelles je devais assister, personne ne venait s’asseoir aupres de moi, des hommes que je considerais comme des amis, se repandaient en menaces me concernant… »

 

En fin de compte, le bon sens l’emporta et les ecoles de l’Alliance furent autorisees a poursuivre leur fonctionnement normal.

La centrale parisienne ne pouvant plus envoyer, comme par le passe, d’instituteurs de l’etranger, il fut permis a la delegation marocaine de les recruter parmi les enseignants juifs renvoyes du service public. De fait, les eleves des ecoles de l’Alliance, deja inscrits, purent ainsi poursuivre une scolarite normale mais le developpement du reseau fut bloque, faute de ressources, le Protectorat ne participant pas aux depenses de construction de nouveaux batiments. L’incapacite du reseau de l’Alliance a accueillir tous les candidats a l’education, deja patente avant la guerre, devint encore plus aigue et entraina un retard educatif pour toute une generation.

 

A ce stade, de la meme maniere, les enfants juifs frequentant les ecoles publiques franchises n’etaient pas touches, le numerus clausus annonce n’etant pas encore applique. A plus forte raison, les ecoles intermediaires dites franco-israelites, comme le justifiait le general Nogues a Vichy, peu avant la publication du dahir :

 

«Le gouvernement du Protectorat s’est preoccupe depuis son origine de ne recevoir les enfants Israelites que dans des ecoles primaires qui leur fussent speciales. De ce fait il existe a I’heure actuelle des ecoles Israelites comptant 51 classes et recevant 234 eleves, entretenues et administrees par le Protectorat, dans les memes conditions que les ecoles musulmanes et les ecoles entretenues par l’Alliance Israelite universelle a l’aide de ses ressources propres et d’une subvention. Le maintien des .classes

Protectorat, speciales aux Israelites, parait utile pour permettre de reprendre un jour a 1’Alliance Israelite Universelle ses ecoles, si ellepoursuivait une politique qui paraitrait contraire aux interets de la France.

M’autorisant de cet etat de fait particulier au Maroc, je compte, sauf objection du Departement, introduire dans le dahir relatif au Statut des Juifs qui doit etre incessamment promulgue, un article aux termes duquel les maitres Israelites francais et marocains pourraient etre employes dans les etablissements d’enseignement reserves aux seuls Juifs…»

Paradoxalement, le probleme le plus ardu se posa a propos des privilegies d’hier — les Juifs algeriens au nombre de quelque 10.000, particulierement a Oujda, Casablanca et Rabat — mais finit egalement par trouver une solution de tolerance, suite a la mission de conciliation, a Vichy, du meme Roger Thibault:

 

L'abrogation du decret Cremieux pose au Maroc le probleme de I’instruction des Israelites algeriens, devenus par suite de 1’application du nouveau texte, sujets francais. Ils etaient jusqu’a present citoyens francais, leurs enfants admis de droit dans les etablissements scolaires francais.

II paratt desirable de leur appliquer les regies etablies pour les Musulmans algeriens, sujets francais. Partout ou leur nombre ne serait pas tel qu’il puisse etre genant ou dangereux, les enfants pourraient — sauf motif special — etre admis dans les etablissements francais. II n’y a pas interet, en effet, chaque fois que I’on ne peut faire autrement, a repousser vers leurs coreligionnaires marocains, moins evolues, les Israelites algeriens. Partout ou ils seraient assez nombreux, comme a Oujda, pour risquer, par leur presence, de creer des difficultes, ils seraient recus dans les ecoles Israelites… »

Mais d’un autre cote, on signalait qu’a Mazagan, l'atelier de menuiserie, destine a l’enseignement professionnel des eleves juifs, venait d’etre requisitionne, en faveur d’une institution catholique pour y ouvrir un cours d’enseignement religieux.

 

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Le Dahir du 30 octobre 1940, 9 Ramadan 1359

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

Epreuves-et-liberation

Exclusion de la vie publique

II fut loin d’en etre de meme dans les autres domaines de la vie publique. Le dahir, reprenant presque a la lettre les dispositions draconiennes de la loi francaise, legerement adaptees au contexte local, introduisit un certain nombre d’interdictions et d’incapacites de droit prive et public, visant a exclure pratiquement les Juifs de toute participation a la vie publique. Selon l’article 3, l’acces aux fonctions publiques et mandats enumeres ci- dessus est interdit aux Juifs :

A)Membres de toute juridiction d’ordre professionnel et de toutes les assemblie

representatives issues de relection.

B)Directeurs, directeurs-adjoints, sous-directeurs et chefs de services municipaux et adjoints. Agents de tout grade dependant de la Direction Generale des Affaires Politiques, agents de tout grade attaches aux secretariats de greffe et secretariats de parquets et interpretes de la justice francaise, agents du notariat francais ; commissaires du gouvernement et agents de tout grade de la juridiction cherifienne, a l'exception des juridictions rabbiniques ; agents de tout grade attaches a tous les services de police.

C)Membres du corps enseignant, a l'exception de ceux qui professent dans les etablissements exclusivement reserves aux Juifs.

D)Administrateurs, directeurs, secretaires generaux dans les entreprises beneficiant de concessions ou d’une subvention accordee par une collectivite publique.

E)Postes soumis a la nomination du gouvernement pour les entreprises d’interet general.

F)Les Juifs ne peuvent exercer la profession de defenseurs agrees pres des juridictions du Makhzen, ni etre inscrits sur les tableaux d’experts judiciaires ou d’interpretes judiciaires assermentes, a ?exception de ceux concernant la traduction en langue hebraique.

Les rares dispenses accordees en France a titre militaire — anciens combattants, titulaires de la Croix de Guerre ou du Merite militaire cherifien – n’avaient au Maroc aucune portee pratique, les Juifs n’ayant jamais ete autorises et encore moins invites a servir dans l’armee pour s’y illustrer…

Pour les interdictions de droit prive, l'article 5 stipulait une clause de numerus clausus qui ne fut pas, pour l'heure, encore appliquee ?

« L’acces et I’exercice des professions liberales et des professions libres sont permis aux Juifs, a moins que des arretes viziriels aient fixe pour eux une proportion determinee. Dans ce cas, les dits arretes determineront les conditions dans lesquelles aurait lieu 1’elimination des Juifs en surnombre… »

L'article 6 enfin, reprenant mecaniquement le texte de loi francais. sans tenir compte du contexte local, enumerait la serie de professions interdites. visant a eloigner les Juifs marocains de tous les postes leur permettant, a un quelconque degre, d’exercer une influence sur l,opinion publique — alors meme qu’ils y etaient si peu representes ?

« Les Juifs ne peuvent, sans conditions ni reserves, exercer I’une quelconque des professions suivantes ? directeurs, gerants, redacteurs de journaux, revues, agences, periodiques a 1’exception des publications de caractere strictemeni scientifique; directeurs, administrateurs, gerants d’entreprise ay ant pour objet la fabrication, I’impression, la distribution, la presentation de films cinematographiques ; metteurs en scene, directeurs de prises de vue, compositeurs de scenarios, directeurs, administrateurs, gerants de salles de theatre ou de cinematographic, entrepreneurs de spectacles, directeurs, administrateurs, gerants de toute entreprise se rapportant a la radiodiffusion.

Des arretes vifiriels fixeront pour chaque categorie les conditions dans lesquelles les autorites publiques pourront s’assurer du respect par les inter esses des interdictions enumerees au present article. »

 

Une reaction resignee

Se sentant trahis par le pays des Droits de l,Homme, les Juifs d’abord incredules, connurent la panique puis la resignation, dans l’espoir que ce n’etait qu’une douloureuse epreuve passagere.

L’ancien grand reporter de L’Avenir Illustre, Jacob Ohayon, sut le mieux resumer ce desarroi des elites occidentalisees face a cette trahison :

« Les premieres persecutions se precisent. Les Juifs raisonnables disent " C’est la pression allemande qui fait tout marcher Les Juifs decus, les amoureux depites s’ecrient: " Qu’a done Petain a jouer la carte juive ?

C’etait peut-etre son meilleur atout, il l'abat tout de suite. Vous verrez qu’il ira plus ׳ ׳ loin qu’Hitler… " Si les mesures etaient purement gouvernementales et si 1’esprit des masses n’y trouvait pas satisfaction, le mal n’eut pas ete grand. Mais le public approuvait: " c’est bien fait! " et «ce n’estpas assez !… Mais le Maroc voulait faire plus et mieux… »

A Casablanca, rapportent les Renseignements Generaux :

Les Israelites de notre ville disent que la France a trahi les Juifs qui ont tant donne pour elle, que le marechal Petain est d’origine allemande et qu’a I’instar dHitler, il fait de la politique raciste et qu’enfin leur dernier espoir est en la victoire anglo- americaine. »

A Rabat, « Le nouveau Statut des Juifs francais fait I’objet de commentaires passionnes dans les milieux israelites ou I’on s’accorde a affirmer que ces nouvelles mesures sont de veritables sanctions constituant une revanche de la France fasciste sur les judeo-marxistes mattres de l’heure en 1936. Le 19 octobre, avant midi, les magasins juifs de la rue El Gza n’avaient pas pavoise alors que les maisons tenues par les Francais avaient arbore des drapeaux. Des ordres ont ete donnes pour que cet" oubli " soit repare et une enquete est en cours, afin de definir les raisons exactes de cette attitude… »

Si les nationalistes de la zone francaise ne se rejouirent pas ouvertement du malheur de leurs compatriotes juifs, le transfuge du Comite d’Action Marocaine, entre dans le Cabinet de Nogues, Abdelatif Sbihi, surnomme le Dr Goebbels du Maroc ne se priva pas de proclamer qu’il avait eu raison, avant tous, de demander de remettre les Juifs a leur place. II ecrivit dans son journal La Voix Nationale (25-11-40) qu’il avait ete, en son temps, le seul a se revolter, empruntant toujours sa phraseologie au langage antisemite aryen de 1’Action Francaise :

« Tous les obstacles cedaient devant les ambitions demesurees du Juif, flattees par un regime politique qu’il voulait a sa devotion, justifiees par la neutralite d’une opinion versee, comme le rappelle le marechal Petain, dans un liberalisme desagregeant. Au Maroc, une seule voix discordante, celle de " La Voix Nationale ", qui de sa tribune denoncait le peril juif, multipliait les appels a I’humilite, demandait aux Juifs de ne pas oublier le statut seculaire qui les fixe au sol marocain, reclamant ouvertement une reglementation officielle avant que les debordements n ’autorisent l’intervention brutale de la population. Main tenant, il reste a appliquer la loi, a amenager notamment les dispositions relatives au numerus clausus… »

De son cote, Abdelhaq Torres ironisait ?

« Le Protectorat a cree de toutes pieces la question juive. Avant l’intervention francaise, le Juif etait parfaitement a sa place dans I’Etat marocain. Mais comme les Europeens, principalement les Francais, avaient besoin de lui pour leurs affaires, ils l’ont sorti du mellah, protege etmeme naturalise ; voyez comment ils agissent avec lui maintenant… »

Le Bulletin de Renseignements de la Residence, en date du 15 novembre 1940, resumait ces reactions :

« Le dahir publie au Journal Officiel le 8 novembre, codifiant le Statut des Juifs au Maroc, est, des sa parution, immediatement connu et commente dans les mellahs.

L’interdiction d’occuper certains emplois et de tenir certaines places est peniblment ressentie. Elle apporte une nouvelle disillusion aux Israelites qui esperaient qu’au Maroc aucune difference ne serait faite entre Musulmans et Juifs autochtones. Elle ajoute encore au decouragement et a limpression d’isolement ressentie par la masse. En contrepartie, les Musulmans et beaucoup de Francais y voient la possibilite de trouver des emplois et manifestent ouvertement leur satisfaction de cette legislation.

La reaction juive s’exprime sur le mode mineur. A peu pres partout, les Israelites reprennent l’attitude effacee et modeste qu’ils avaient autrefois. En toutes circonstances, il faut constater leur resignation.

En peu partout, les commercants et les fonctionnaires importants cherchent des refuges. Les uns tenteraient d’acheter des proprietes rurales, mais ils craignent I’hostilite du fellah musulman. D’autres pensent a 1’emigration, en Argentine en particulier, mais le manque de moyens de communication ne simplifie pas les closes… »

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

 

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Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

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La reaction de la rue

Malgre ce changement de l'atmosphere autour de la communaute juive, les desordres que l'on pouvait craindre ne se produisirent pas et, a quelques rares exceptions, la rue resta calme, pendant toute cette periode agitee. Des incidents penibles, mais sans grande gravite, jalonnerent la vie quotidienne, provoques par des allusions antisemites de la part des Europeens, comme en temoignent les rapports de police. Ainsi, par exemple a Rabat, des militants d’extreme-droite, furieux de voir le portrait de leur idole, affiche dans un salon de coiffure tenu par un Juif, inscrivirent de nuit sur sa devanture : «Enlevez de chez vous le portrait du marechal! Sinon, gare a la casse… »

A Rabat toujours, le 13 novembre 1940, la police fut saisie d’un incident dans un cafe. Un client europeen interpella a haute voix une consommatrice juive :

"He Rebecca ou Rachel, ce qu’il faudrait ici au Maroc en particulier, c’est un politicien — et cela ne va pas tarder—pour faire souffrir la population juive. » Un Francais rencherit: «Je suis de votre avis et je ne sais pas ce que je donnerai le jour ou cela arrivera ».

La victime de ces invectives se leva alors et le gifla . Cet incident, somme toute mineur, était en fait hautement révélateur de l’efficacité au Maroc de la propagande du fer de lance de l’antisémitisme, du parti le plus extrémiste, le Parti Populaire Français. L’invective était en effet empruntée à un récent article de son chef Jacques Doriot, dans son journal Le cri du Peuple :

« M Mandel, leur chef de tribu, a été le belliciste le plus conscient de ce pays. Israël n’a pas fait la guerre, il convient toute de même que nous les chassions. Moi, je veux de la place pour les prisonniers quand ils rentreront, donc je fais du vide en expulsant les Juifs, j’interdis aux Juifs de se marier avec une Françaisen’ont-ils pas assez de Rachel et de Rebecca ? »

A Meknès, l’agitation antijuive contamina la jeunesse. Les jeunes lycéens français du lycée Poeymireau, déçus que les élèves juifs n’aient pas encore été renvoyés, badigeonnèrent, dans la nuit du 23 janvier 1941, les murs intérieurs et extérieurs de leur établissement ainsi qu’autour de la statue du général qui avait donné son nom à l’établissement, proclamant :

« Lycéens, chassez les Juifs du lycée ! Unissez-vous contre les juifs !

Passons à l’action ; mettons les Juifs dehors ! Mort aux Juifs ! »

Les clubs sportifs privés et associatifs, en particulier de tennis et de natation, exclurent leurs membres juifs. Depuis son inauguration, au début des années trente, la piscine municipale était de toute façon interdite aux Juifs le dimanche, ouverte le samedi aux seuls Juifs et le vendredi, aux Musulmans.

Dans son livre : Il était une fois le Maroc, David Bensoussan rapporte qu’à Mogador : « La ségrégation fut instaurée dans les piscines ouvertes vendredi pour les Musulmans, samedi pour les juifs, après quoi l’eau était changée le dimanche pour les Chrétiens. »

A Safi, ajoute-t-il, «les chemises noires forcèrent les leaders communautaires à enlever leurs vêtements européens, à mettre le burnous traditionnel des Juifs du ghetto et à se promener le crâne rasé dans la ville. »

Les seuls incidents graves eurent pour cadre Marrakech, sans lien direct apparent avec le tournant antijuif des autorités du Protectorat mais à son ombre. Scénario devenu classique, une bagarre entre des jeunes Juifs et des militaires musulmans, au quartier réservé limitrophe du mellah, dégénéra en pugilat général. La police intervint et ouvrit le feu, faisant 10 blessés parmi les manifestants musulmans ; 5 policiers furent hospitalisés et 20 Juifs blessés. Mais alors que le calme revenait dans le quartier réservé d’Elbhira, les désordres se propagèrent au centre ville, à Jama elfna où s’étaient regroupés des centaines de tirailleurs alertés par leurs compagnons. Cette fois, le bilan fut plus lourd : 2 morts et 7 blessés. Des gardes furent placés, nuit et jour, aux portes du mellah. La tension resta très vive et atteignit son paroxysme avec un incident mineur, le 30 novembre. Pour se venger, de jeunes Juifs lancèrent des pierres du haut des terrasses sur un convoi funéraire musulman. Le pacha décida de punir pour l’exemple la communauté juive de la ville en lui imposant une amende collective de 50.000 francs—une mesure sans précédent ! D’autant plus que, pour frapper les esprits, la Résidence décida de doubler l’amende à 100.000 francs. Le Comité de la Communauté, estimant la sanction trop sévère, envisagea de solliciter une audience auprès du sultan. La Résidence s’empressa alors de dépêcher sur place son homme de confiance, l’inspecteur des institutions israélites Yahya Zagury, pour calmer la communauté — et il y parvint. En effet, pour adoucir la pilule, les services municipaux acceptèrent de consacrer le produit de l’amende à des travaux d’assainissement du mellah qui souffrait par ailleurs de la propagation d’une épidémie, en raison des conditions sanitaires précaires.

En février 1941, à Meknès, bastion de l’antisémitisme européen, des commerçants français affichèrent, sur les devantures de leurs magasins, la francisque gallique — la hache à deux fers, emblème du régime de Vichy — pour se distinguer des commerces juifs soumis au boycott. Sur ordre de la Résidence, le chef des services municipaux leur ordonna de les faire disparaître sans tarder.

Le retour sur la scène d’une des plus discutables initiatives des autorités chérifiennes ne pouvait tomber au plus mauvais moment, pour aggraver encore plus la détresse psychologique et illustrer l’isolement et la mise à l’écart de la communauté juive.

 

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

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