Il etait une fois le Maroc-D. B.


Il etait une fois le Maroc Temoignage du passe judeo-marocain David Bensoussan

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Temoignage du passe judeo-marocain

David Bensoussan

LES CROYANCES POPULAIRES

Qu'en etait-il des superstitions au sein de la societe musulmane?

II faut tenir compte du fait que la societe traditionnelle d'Afrique du Nord venerait un tres grand nombre de marabouts et la croyance populaire reservait une grande place aux talismans. Dans l'ouvrage Pratiques des harems marocains, publie en1925 Aline R. de Lens rapporta la croyance fort repandue a des pratiques magiques et des talismans comme remedes pour guerir diverses maladies. Edmond Doutte etudia egalement la question en 1909 dans le volume Magie et religion dans l'Afrique du Nord et les travaux d'Edward Westermarck tel Survivances paiennes dans la societe mahometane ont devoile des aspects fascinants quant a l'anteriorite et a 1'origine de ces superstitions. Ainsi, les magiciens pouvaient commercer avec les esprits et jeter des sorts, leur pouvoir etant similaire a celui des saints et des marabouts. Les rites relatifs a la magie etaient multiples, faisant appel a des formules magiques, des parfums a bruler, des organes d'animaux, des plantes, des pierres precieuses ou des secretions diverses.

 La main tatouee, connue aussi sous le nom de khamsa, avait le pouvoir d'ecarter le mauvais oeil. II faut ajouter a cela la croyance aux esprits de toute sorte. Les Djinns etaient des esprits qui possedaient une personne epileptique. ils y etaient enfermes et il fall sheitane c'est-a-dire Satan. En differents endroits du Maroc, la croyance aux Djinns revetait plusieurs aspects qui allaient du simple fait qu'il ne fallait pas se tenir pres d'une fenetre ouverte afin de ne pas etre enleve par les Djinns jusqu'a la croyance dans leurs pouvoirs malefiques. Les Djinns se seraient trouves dans des lieux obscurs ou a proximite des sources d'eau. Le bruit du tonnerre lui-meme ne serait que celui que fait la Porte du Paradis que les anges claquaient devant les Djinns. Les Djinns auraient peur du sel et du metal, mais encore plus du verbe saint d'une formule coranique. Le Ghoul etait un animal mythique pouvant devorer tous les autres. Les 'Afrit revetaient des formes horribles. Ils detestaient la musique et etaient tres actifs 1'apres-midi. II y avait la terrible 'Ai'cha Qandrissa ou 'Aicha Qandissa mi- femme mi-chevre qui seduisait et envoutait les hommes pour les rendre fous. Les croyances populaires baignaient dans la superstition. A titre d'exemple, il y avait a Fes un arbre sacre sur la tombe de Sidi Maymoun et les pelerins venaient y accrocher des brins de laine, des meches de cheveux ou autres objets afin que certains voeux soient exauces. II s'agit la encore d'expressions populaires qui ne devaient pas impressionner plus que cela les grands erudits en matiere de religion.

En ce qui concerne le culte des saints, soulignons la position du chroniqueur Al-Naciri qui critiquait le culte de ces personnes sacrees -vivantes ou decedees – auxquelles le peuple attribuait des pouvoirs qui n'appartenaient qu'a Dieu. Les scenes d'hysterie sanglantes le revoltaient: « Maudite soit pareille ignorance ! » Al-Naבiri y voyait egalement un sectarisme qui etait en contradiction avec le principe meme de l'unite islamique. On attribue au sultan Moulay Slimane la condamnation sans equivoque du culte des saints et des rassemblements populaires des moussems qu'il considerait comme « un egarement … pour 1'amour de Satan. » Par ailleurs, dans le roman Mosaiques ternies du Tangerois Abdelkader Chatt paru en 1931 mais dont Taction se deroule en 1905, le maraboutisme fut severement critique.

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LES CROYANCES POPULAIRES

Parlons des sectes mystiques

Serait-ce une relique pai'enne de l'antiquite? Une tradition qui remonterait aux adorateurs du Baal et de l'Ashera des Pheniciens au cours desquels on se lacerait la peau tout en rentrant en transes, comme le firent les pretres du Baal que le prophete Elie avait confrontes sur le Carmel? Une copie des rites chiites? Une expression d'extase mystique a travers l'experience de la souffrance? II est difficile de savoir. Les redoutables Hmatsa tout comme les Aissawa, se tapaient la tete avec des boules de fer et, une fois en transes, se donnaient des coups de hache sur la tete.

Ils tournaient sur place telles des toupies, devoraient des serpents vivants ou un mouton cru tout entier, avalaient des objets heteroclites tels que des feuilles de cactus, du verre pile et des aiguilles, se saisissaient de braises et, dans leur frenesie, attaquaient ceux qui etaient vetus de noir et particulierement les Juifs. Ces itinerants se rendaient de ville en ville dans le royaume cherifien. Sidi Ben Hamdouj, patron des Hmatsa, vecut au debut du XVIIIe siecle. Sa tombe se trouve pres des sources sulfuriques de Zarhoun. Sidi Ben Issa pres de Meknes, decede en 1523 – 1524

fut le patron des 'Aissawa. Une fois depasse un certain seuil de l'etat de transes, les A'issawa se jetaient sur des betes qu'ils venaient tout juste de sacrifier et en devoraient la viande toute crue. Les Dghoughiyin qui se tailladaient le crane a coups de hache et autres instruments contondants venerent Sidi Ahmed Dhoughi qui fut un disciple de Sidi Ali Ben Hamdouj. II existait d'autres sectes tout comme les Sadiqiyin qui se frappaient la tete les uns contre les autres, les Riyaghir. qui s'enfoncerent des pointes de couteau dans le ventre et les Meliayin qui etaient des mangeurs de feu. Des descriptions vivides de ces pratiques extatiques peuvent etre trouvees dans les notes du capitaine Querleux dans les Archives marocaines de 1915

 ou dans l'ouvrage Ce monde disparu de Mme Saint-Rene Taillandier, epouse de l'ambassadeur de France a Tanger au debut du XXe siecle.

http://touggourt.org/sidiblal/index.html

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L'EDUCATION TRADITIONNELLE MUSULMANE

Sur quoi reposait l'education musulmane traditionnelle?

L'enseignement etait essentiellement religieux, non seulement en ce qui a trait a la foi proprement dite, mais aussi parce que de nombreux aspects de la vie courante dont la justice, etaient bases sur l'islam. II y avait avant tout l'etude du Coran et des Hadiths qui sont des traditions relatives aux actes et aux paroles du Prophete et de ses compagnons. L'enseignement primaire etait coranique et l'etude du Coran par coeur etait obligatoire. Les eleves etaient assis par terre les jambes repliees. Les punitions corporelles etaient particulierement severes. L'ecriture se faisait avec une plume de roseau sur une petite planchette de bois dur. Une fois la phrase ecrite et apprise, la planchette etait effacee et l'on passait a la phrase coranique suivante. Le jeudi etait journee de conge et les classes reprenaient apres la priere du vendredi. L'ecolier qui avait appris tout le Coran par coeur – sans necessairement le comprendre – etait reconnu comme Taleb, c'est-a-dire un erudit. 

Une minorite des finissants du primaire accedait au niveau secondaire. Des ouvrages de poesie etaient etudies, afin d'apprendre la grammaire, les bases fondamentales de l'islam et le droit. L'enseignement superieur se donnait dans les grandes villes mais avait fini par se donner essentiellement dans les prestigieuses Medrassa de Fes. On y etudiait le droit, la grammaire, la prosodie, la rhetorique, la theologie, la metaphysique et l'arithmetique. Toutefois, il semble bien que la vitalite de l'etude des sciences profanes etait loin d'etre ce qu'elle avait ete au Moyen Age, jusque sous la dynastie des Merinides au XVe siecle et que Ton se soit replie sur un enseignement plus conventionnel et dogmatique.

Les etudiants etaient loges et nourris et les professeurs vivaient grace a une subvention gouvernementale et a de dons offerts periodiquement. Les femmes n'etaient pas instruites. En 1952, 160.000enfants musulmans etaient scolarises dans des ecoles primaires et secondaires, sur une population totale de huit millions et demi d'ames.

Comment les critiques frangais jugerent-ils l׳education traditionnelle donnee au Maroc?

Aux yeux des observateurs, l'education traditionnelle etait deficiente en plus d'un point. Ainsi, dans un rapport sur l'enseignement primaire indigene d'Alger, on pouvait lire : « Les enfants ne lisent et n'ecrivent que quelques versets du Coran… Leur maniere d'etudier est fort bruyante… II n'y a ni composition, ni production, ni recherche, ni tension d'esprit… Les ecoles juives ne valent pas mieux: tout ce qui s'applique aux unes s'applique aux autres. II suffit de remplacer le Coran par la Bible. » Cette vision des choses rejoint celle du Dr d'Anfreville qui ecrivait en 1916:«Les memes murs enferment, sous leur illusoire protection, la Medina encore impregnee d'un islamisme etroit, et le Mellah israelite que remplit un fanatisme analogue. »

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LE SALAFISME

Comment decrire le courant salafiste?

Le terme salafisme provient d'Al-Salaf Al-Salih, signifiant les ancetres vertueux et fait reference au prophete Mahomet, a ses compagnons et a ses premiers successeurs qui, selon la tradition, furent des parangons de conduite. Le salafisme fut une ecole de pensee aspirant a un retour a la religion originelle des toutes premieres pieuses personnes qui observerent l'islam tout en faisant abstraction des innovations en matiere de preceptes ou de pratiques religieuses ulterieures. Cette ecole de pensee entendait restructurer les fondements de l'islam en en redonnant une interpretation moderne sans etre asservie par les interpretations du passe. L'idee directrice etant que ceux qui se sont inities a l'islam directement par la voix du Prophete ou ceux qui l'ont connu, ont eu une comprehension plus pure de la religion.

Cette doctrine relativement liberale s'opposa a celle du wahhabisme d'Arabie saoudite qui, bien que reposant sur les memes principes, etait egalement supremaciste et puritain. Le fondateur de cette ecole de pensee Abd Al-Wahhab 1703 – 1792 preconisait de s'en tenir a la doctrine primitive consistant a appliquer les sens externes du Coran, considerant qu'il etait inutile de s'engager dans la science du sens des mots. Le courant salafiste et le courant laic en Turquie ont represente des tendances nees pour repondre aux defis de la modernite. Au Maroc, la dynamique en fut tout autre.

Comment se positionna-t

on par rapport a l'Occident au XIXe siecle?

La societe marocaine du XIXe siecle etait encore traditionaliste et peu ouverte au monde exterieur. Mis a part une minorite de commergants installes dans les ports dont beaucoup de Juifs, les pelerinages a La Mecque, ou les rares ambassades marocaines a l'etranger, 1'ecrasante majorite de la population vivait quasiment en vase clos, sans contact avec le monde exterieur. L'enseignement des matieres generales tout comme la geographie, l'histoire ou les mathematiques etait laisse pour compte.

 L'enseignement de l'islam etait traditionnel et se resumait bien souvent a la recitation des textes sacres. II etait fort rare que l'on innovat en matiere de jurisprudence, tant les parangons du passe avaient preseance sur toute autre interpretation personnelle. II y eut des responsa contre les taxes non coraniques et contre l'usage du phonographe ou de la lithographie qui aurait pu nuire a la tradition de l'enseignement oral. Le repli sur la religion telle que pratiquee en ces temps-la inhibait toute forme d'ouverture de l'esprit de meme que d'art de la critique.

La confrontation avec l'Occident a pousse de nombreux Musulmans a aspirer a un retour a un islam politise. Elle souleva des reactions diverses, emanant des hommes de religion. Par ailleurs, le fait que certains Musulmans recherchassent la protection etrangere etait difficile a accepter pour beaucoup car, dans l'esprit des Musulmans proches de la tradition, etaient consideres comme des Infideles qui devaient etre soumis au statut de proteges ou Dhimmis.

Dans son epitre sur les meprisables detenteurs de passeports, le juriste Arbi Al-Mashrafi disait

 « La question est de savoir s'ils etaient Musulmans desobeissants ou bien des renegats qui devaient etre chaties selon les regies etablies…

 Dependre de l'lnfidele est un acte qui porte un grand prejudice a notre religion et doit etre combattu avec la derniere energie.» Mohamed Ben Al-Madani Gannoun exhorta les Musulmans a emigrer du pays des mecreants. De fagon generale, les religieux ne pouvaient supporter l'idee que l'islam soit assujetti a des lois et a des coutumes etrangeres. En 1886  il s'en trouva qui deconseillerent au sultan Hassan Ie d'autoriser la liberte d'exportation que reclamaient des pays europeens, n'envisageant avec ces derniers qu'un etat de treve temporaire.

Les hommes de religion se trouvaient aux prises avec un dilemme

 comment concilier la necessite d'entretenir des rapports avec les Europeens et ne pas contrevenir tout a la fois au verset coranique

 « Ne vous eclairez pas au feu des Infideles

 Les sultans devaient tenir compte de cette realite et edicter des lois, qui furent souvent des demi-mesures ou des mesures provisoires renouvelees regulierement.

Ali Ben Mohamed Al-Soussi Al Simlali fut un fcjih estime qui appuya les faits et gestes du sultan, que ce soit pour legitimer la levee d'impots a Fes en 1873 ou encore la vente de denrees a l'Occident. II deconseilla le djihad qui ne semerait que chaos et destruction, car de toute facon, le pays etait desuni et les montagnards agissaient comme bon leur semblait. Par contre, il fustigea vertement les Musulmans qui acqueraient un passeport etranger.

L'historien de la Cour Ahmad Ibn Khalid Al-Nagiri soutint que le djihad etait hors de question, car les Musulmans s'etaient ramollis apres bien des generations de paix. Ils ne pouvaient donc entrer en guerre et esperer en ressortir vainqueurs.

Mohamed Ben Ja'far Al-Kattani fut le representant de la tendance radicale rejetant tout contact avec l'Occident. II lanca un appel a cet effet a partir de Medine en Arabie. Dans son ouvrage Salwat Al-Anfas, il incita ses coreligionnaires a se soulever contre le principe de liberte occidentale qui representait a ses yeux la fin de la religion de Mohamed. 

II ala meme jusqu'a proposer de chatier ceux qui rendaient hommage a la justice des Infideles. II critiqua ouvertement les citadins qui s'adonnaient au commerce avec des Europeens, les officiels qu'ils fussent hommes de religion ou cherifs, voire meme le souverain s'il contreviendrait aux clauses de la Bay'a. Pour lui, seul un retour aux valeurs islamiques etait le garant que Dieu se chargeait lui-meme de punir les oppresseurs etrangers.

D'autres appelerent a la guerre sainte

Ahmad Al-'Iraqi pretendit que la treve avec les Espagnols suite a la guerre de 1860 etait illegale et preconisait le djihad constant. 

 Pour Mohamed Al

Manoun, le djihad etait a ses yeux la solution unique face a la tragedie du Maghreb. Mohamed Al-'Arbi Al-yAlawi Al-Maghari proposa une treve relative aux luttes intertribales afin de s'unir contre l'ennemi commun, la France, allant meme jusqu'a inciter a la desobeissance civile.

En 1935 L'Association des Ulama salafiya du Maroc fut fondee. Elle condamna les moussems (fetes annuelles tenues autour des tombeaux des saints). En outre, elle interdit les chants et les danses extatiques ainsi que les innovations des confreries. Allal Al-Fassi et Mohamed Ibrahim Al- Kettani firent partie de cette association.

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AVANT-PROPOS

Un adage bien connu veut que l'histoire soit de la polémique, mais que l'inverse ne soit pas fondé. Cela s'applique tout particulièrement à l'historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d'idéologie : une pléthore d'essais datant de l'ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d'information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés.

Peut-on dire que le repli sur l'islam est devenu chose du passe?

L'islam est bien ancre dans la societe marocaine. Meme les tendances politiques les plus moderees s'y referent comme parangon quasi mythique. Ainsi, le leader socialiste Ben Barka affirmait au lendemain de l'independance marocaine : « L'islam a connu des sa naissance un regime democratique et des l'amorce de son histoire, les califes ont applique les principes des gouvernements democratiques.» La loi fondamentale du 2 juin 1961 declara s'inspirer de « l'esprit de la Democratie authentique qui trouve son fondement dans les enseignements de l'islam.» De fait, la constitution marocaine adoptee en 1962 definit l'islam comme religion d'Etat. Cela dit, le repli sur l'islam devient preoccupant lorsque des radicaux au discours peremptoire en font leur cheval de bataille.

Notons egalement que des formulations moderees et lucides de l'islam ont ete exprimees par le roi Hassan II lors de ses entretiens avec Eric Laurent dans l'ouvrage : Le genie de la moderation : Reflexions sur les verites de l'islam.

En ce debut de XXIe siecle, le salafisme a pris une tout autre signification…

Oui. En Occident, le salafisme est devenu un mouvement compose de radicaux inspires par le wahhabisme, mais avec une connotation politique. Un rapport gouvernemental hollandais intitule The radical dawa in transition etablit la distinction entre trois courants salafistes : un premier courant est non politique: ses membres sont des fondamentalistes qui vivent relativement isoles car ils refusent le principe meme de la democratie qui represente le gouvernement des humains plutot que celui de Dieu. Le salafisme politique est un activisme visant a creer deliberement et par tous les moyens un cercle d'adeptes exclusiviste, vivant en marge de la societe, frolant la desobeissance civile. Enfin, le salafisme djihadiste est celui de radicaux violents disposes a se livrer au terrorisme.

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UN MOUVEMENT ISLAMIQUE ANTI-OCCIDENTAL

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אצווירא, מרוקו תרס"ה - 1905

אצווירא, מרוקו תרס"ה – 1905

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Comment la rencontre avec l'Occident se traduisit-elle dans les milieux islamiques radicaux?

Sidi Ali ben Senoussi-El-Khattabi-El-Hassani-El-Idrissi-El-Medjahiri

aurait appartenu a une famille algerienne qui se rattacherait a la descendance du prophete. Aussi incorpora-t-il a son nom les qualificatifs d'El-Hassani (affilie a Hassan fils de Fatima) et El-Idrissi (affilie a l'ancienne dynastie marocaine des Idrissides), bien qu'il fut mieux connu comme Cheikh Senoussi. A 1'age de 30

 ans, il eut des demeles avec sa famille. II alla a Fes au Maroc ou il sejourna sept ans avant de se rendre au Caire puis a La Mecque. II tenta de professer en public au Caire et se fit denoncer comme reformateur religieux. II partit pour La Mecque et dut s'en enfuir en 1843

 II construisit une zaoui'a en Cyrenaique et rallia de nombreux ordres religieux d'Afrique du Nord et du Tchad a sa confrerie.

A la fin du XIXe siecle, certains auteurs europeens mirent en garde contre le danger du panislamisme et se mefierent grandement des confreries religieuses qui, a leurs yeux, etaient en mesure de lancer des mots d'ordre subversifs. Ainsi, la menace de Cheikh Senoussi fut des plus exagerees par les coloniaux, car dans les faits, son influence se limita a la Libye et la zone geographique se trouvant au Sud de la Libye.

Napoleon Ney ecrivit a son sujet en 1890 dans la brochure Un danger europeen Les societes secretes musulmanes : « Son pouvoir s'etend sur toute 1'Afrique du Nord, du Maroc a l'Egypte… Le nombre des affilies repartis en Afrique et en Asie depasse trois millions… Le Mahdi de Tripolitaine est 1'ennemi irreconciliable de la domination frangaise dans le Nord de l'Afrique.» Ce personnage ne merite d'etre mentionne que parce qu'il a constitue une obsession dans l'esprit des puissances coloniales qui lui ont attribue alors une influence bien plus importante qu'elle ne l'avait vraiment ete.

Que prechait־il?

La soumission totale au pouvoir religieux s'il adherait a 1'orthodoxie islamique, soit les doctrines pures de l'islam primitif, impregnees de soufisme cependant. Pour lui, l'adhesion au Coran sans innovations et heresies etait essentielle et l'imanat etait une necessite. Cheikh Senoussi prescrivait des dietes prolongees de meme que la vie contemplative et devote. Le luxe etait prohibe, de meme que le chant, la danse, le tabac, le cafe ou le sucre blanc (car ce dernier serait raffine avec des ossements d'animaux. La confrerie pouvait prescrire des pelerinages et lever des taxes aupres de ses membres. Certaines missions delicates pouvaient etre confiees a ses membres. La confrerie stockait des armes bien que l'ennemi vise ne fut pas identifie. De fagon generale, l'identite des membres de la confrerie etait gardee secrete.

Le rite de la priere etait amende de formules supplementaires que les inities devaient repeter des centaines de fois. Les ikhouane (membres) devaient une obeissance totale au Calife. Cheikh Senoussi incitait les musulmans a quitter les pays de la chretiente ou ceux dont les souverains musulmans etaient ouverts aux influences occidentales percues comme des symboles d'innovations sataniques.

Bien que la France craignit grandement l'influence et l'opposition des Senoussi dans les regions desertiques, ces derniers furent impuissants devant l'armee et l'artillerie des forces francaises au Sahara. La France avait alors la hantise d'un soulevement panislamique initie par Constantinople et, probablement pour cette raison, surestima le potentiel de ce mouvement en Afrique du Nord. En fait, les Ottomans qui occupaient la Libye n'y maintenaient qu'une presence militaire symbolique. Cheikh Senoussi mourut en 1902. La dimension religieuse de cet ordre fut bien moindre du temps de son fils et successeur Ahmad Al-Sharif.

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LES VOYAGEURS MAROCAINS EN EUROPE

Quelle image les voyageurs marocains avaient-ils de l'Europe?

Les ambassadeurs marocains en Europe notaient la nette difference entre les sols cultives en Europe et ceux du Maroc. En voyant les vergers qui entourent la capitale londonienne, le secretaire d'ambassade Tahir Al-Fassi nota que « le monde d'ici-bas est une prison pour le croyant et un paradis pour l'infidele. » En 1860, alors qu'il voyageait en train, faisant le trajet Marseille-Paris, le diplomate Idriss Ibn Idriss s'etonna de ce que « toutes les terres soient cultivees.» En route pour La Mecque en 1849, un secretaire du sultan s'etonna de ce que des Musulmans de Malte ou d'Egypte portassent le costume europeen, ce qui etait a ses yeux « une marque d'apostasie.»

Le monde europeen etait associe a la chretiente et les voyageurs s'etonnaient parfois de voir que les Libanais Chretiens puissent avoir une excellente maitrise de la langue arabe. Les Marocains eux-memes s'identifiaient comme Musulmans. Rappelons que le sultan Slimane decida que les Juifs devaient habiter dans un quartier propre, le Mellah, car il les trouvait trop ouverts a l׳Occident et craignait de ce fait que les Musulmans n'en subissent de ce fait l'influence. En 1807, les Juifs durent regagner les Mellahs a Mogador, a Tetouan, a Rabat et a Sale. D'autres Mellahs bien plus anciens existaient a Fes, a Marrakech et a Meknes. En 1888, lorsque les Europeens proposerent de construire un chemin de fer, le sultan Hassan Ie consulta les 'alims (oulemas) qui s'opposerent a un tel projet. Neanmoins en 1892, il mit sur pied un service de poste reliant huit grandes villes, a l'image du service postal qui existait entre les consuls europeens.

Dans les milieux traditionnels, ce qui provenait des pays Chretiens etait souvent suspect et certaines innovations firent l'objet d'edits religieux. Pendant longtemps, on se demanda si on pouvait se fier au telegraphe pour transmettre l'information relative a l'apparition de la nouvelle June. Des mises en garde furent emises en regard du phonographe destine au jeu et au divertissement et l'ecoute du Coran sur phonographe aurait ete blamable.

 Certains lancerent des campagnes contre le tabac, les instruments de musique, le vin et le negoce avec les mecreants (i.e. les non-Musulmans). D'autres soutinrent que 1'imprimerie mettait l'enseignement oral en danger. Un magistrat de Fes refusa le temoignage d'une personne ayant consomme du sucre blanc. Un autre s'opposa au savon de toilette, a l'eclairage a la bougie ou meme au port durant la priere de vetements confectionnes par des mecreants. II se trouva un clerc qui annonca que la voiture etait la bete de somme qui augurait la fin du monde, bete qui detiendrait le secret de la bague magique de Salomon et de la canne de Moise. On alia meme jusqu'a edicter une fatwa qui rendit licite l'usage du canon meme si cette arme n'existait pas du temps du prophete.

Qu'en etait-il de 1'idee que l'on se faisait du role de la femme dans la societe?

La relation de voyage du diplomate Idriss Ibn Idriss Al-'Amraoui, charge de mission aupres de Napoleon III en 1861 est relevatrice

 « Qui possede une once d'esprit et la moindre parcelle de discernement ne peut que refuser de vivre comme eux et de se laisser prendre a leurs mirages. Qu'il suffise, pour improuver leurs facons de faire et fletrir leurs manieres, de voir comme les femmes les dominent, comment elles courent effrenees dans les lieux de debauche sans que personne ne puisse les empecher de poursuivre ce qu'elles veulent ni n'ose user de force a leur egard. L'obeissance des chretiens vis-a-vis de leurs femmes et leur docilite a suivre tous leurs desirs sont assez connues pour ne pas devoir etre ici rappelees; la femme est ici la veritable maitresse de la maison et l'homme est son sujet, si bien que lorsqu'on entre chez quelqu'un il faut saluer l'epouse avant son mari; c'est elle d'ailleurs qui recoit les invites et leur souhaite la bienvenue, aux hommes comme aux femmes; l'homme lui obeit et attend ses ordres, il se comporte avec elle de la maniere la plus polie en prenant soin de ne la contredire en rien; ceux qui en agissent autrement sont consideres comme des hommes grossiers et insolents.» II concluait ainsi sur la ville en reprenant l'expression

 le paradis des femmes et l'enfer des chevaux

 consacree par le voyageur egyptien Rifa'at Al-Tahtawi

 «II est desagreable assurement d'apprendre la maniere de vivre des Chretiens dans ce domaine, et il ne convient pas a un homme cultive de parler de cela, en prive ni publiquement; si nous avons mentionne ces quelques exemples, c'est uniquement pour qu'ils puissent servir d'avertissement et de blame aux ignorants.»

En regard de la condition matrimoniale, les references etaient compilees dans des 'Amal synthetisant la juridiction maghrebine d'obedience malekite de Sijilmasi: Lamiyah, Al-'Amal Al-Fasi et Amal Al- Mutlacj. Ce dernier compendium fit egalement etat de decisions juridiques qui n'avaient pas fait l'unanimite. Rappelons que selon la tradition malekite, il incombe au pere de l'epouse de consentir au mariage et il n'y a pas d'age minimum pour une union maritale; de plus, la polygamie est permise. Le mari peut divorcer en tout temps sans que la femme ne puisse legalement s'y opposer. Par contre, la demande de divorce de l'epouse n'est pas automatique. La part d'heritage d'une femme s'eleve a la moitie de celle de l'homme. Le vecu qui transparait dans les lignes precedentes d'Idriss Ibn Idriss en dit plus long sur la condition de la femme marocaine.

Il etait une fois le Maroc Temoignage du passe judeo-marocain David Bensoussan

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Temoignage du passe judeo-marocain

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Quelle idee se faisait-on du modernisme?

Le Tangerois Muhammad Al-Saffar voyagea en France en 1845. II fut impressionne de ce que les arbres fussent plantes et alignes d'une fagon si merveilleuse qu'elle frisait la perfection. II lui fut difficile de cacher son sentiment d'euphorie lors de son voyage en train. L'architecture gothique l'impressionna au plus haut point bien que la vue d'un crucifix le plongeat dans des polemiques visant a dementir les croyances chretiennes a l'endroit du Christ. Venant d'un pays ou l'autorite du souverain et de la loi n'etaient pas toujours respectes et notamment dans les regions interieures, il nota que tel n'etait pas le cas en France car le code legal etait inviolable dans tout le pays, et personne ne pouvait porter atteinte a la propriete d'autrui: « La puissance francaise est due non pas a la bravoure de ses soldats et a l'enthousiasme d'une religion, mais a une discipline stupefiante, a une planification judicieuse et au respect sacre des lois.

Pour Ahmad Al-Kardudi qui se rendit en Espagne en 1886

 les inventions europeennes etaient le fruit du hasard, du resultat de l'utilisation de

l'esprit des tenebres par les Europeens, afin de mieux les engoncer dans l'impiete. Pour Ibn Idriss, la perfection des affaires europeennes n'etait rien d'autre que le signe d'une degenerescence en puissance de la societe. Neanmoins, l'imprimerie l'impressionna au plus haut point et il conseilla au sultan

Plut a Dieu que Votre Majeste fasse oeuvre pie en mettant l'imprimerie au service de la religion.

Pour le secretaire d'ambassade Tahir Al-Fasi alors en poste a Londres,

le monde n'a aucune valeur pour Dieu, sinon II n'aurait pas permis a l'incroyant d'en profiter autant.» Nous sommes bien loin de l'ouverture d'esprit qu'avaient connue les Maures au Moyen Age. Les voyageurs marocains eurent de la difficulte a realiser que la suprematie arabe du Moyen Age etait revolue.

II ne faut pas oublier l'arriere-plan historique : La confrontation avec l'infidele etait a la base de l'attitude traditionnelle des Musulmans envers les Chretiens. II y eut longtemps un embargo contre l'exportation de grains, de chevaux et d'armes vers les pays infideles. Des voyageurs Chretiens ont rapporte que le lieu de leur campement etait purifie par le feu apres leur depart et qu'ils pouvaient en tout temps faire l'objet de quolibets et etre victimes de lancers de pierre. Plus souvent que de coutume, les relations avec des Chretiens furent confiees aux Juifs, non seulement en raison de leur connaissance des langues, mais aussi du fait que l'on ne voulait pas negocier a pied d'egalite avec les Chretiens. On alia meme jusqu'a mettre en question l'importation de lainages europeens sous pretexte que la facon de tondre les ovins n'etait pas acceptable sur le plan rituel. Nulle surprise donc si certains voyageurs du XIXe siecle consideraient le port du costume europeen par des Musulmans comme une heresie.

Il etait une fois le Maroc Temoignage du passe judeo-marocain David Bensoussan

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Il etait une fois le Maroc

Temoignage du passe judeo-marocain

David Bensoussan

Un adage bien connu veut que l'histoire soit de la polémique, mais que l'inverse ne soit pas fondé. Cela s'applique tout particulièrement à l'historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d'idéologie : une pléthore d'essais datant de l'ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d'information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés

Dans l'ouvrage publie en 1930 , Les gens du navire, ou le XIVe siecle (correspondant au XXe siecle gregorien), Mohammed Ibn Abdallah Al~ Mu'aqqit Al-Murrakushi reprouva le modernisme du siecle et se replia sur l'islam. Les gens du navire sont les Musulmans embarques dans un paquebot geant representant le Protectorat. Le courroux divin fit que ce paquebot fut defonce par un iceberg : « Chacun n'etait preoccupe que de lui-meme et de ses propres fardeaux et le souffle de la solidarite s'etait epuise. Alors meme que le besoin en etait plus pressant, chacun se derobait et il n'y avait plus place que pour l'ingratitude, la jalousie, l'egoisme, la ruse et l'exacerbation des inimities.

 Dans notre tristesse, nous n'avions de recours qu'en Dieu au decret duquel nous remettions notre sort.» Les passagers furent sauves par d'autres embarcations et il sermonna les rescapes en ces termes : « Nous leur exposames ce qu'il etait advenu aux gens qui, avant eux, avaient laisse se pervertir leur nature, leurs raisons et leurs mceurs en dormant libre cours a leurs passions a l'imitation des corrupteurs dans leurs rangs. Nous leur expliquames les effets nefastes de ces comportements au plan de la sante, de la moralite et de la societe, en nous plagant du point de vue des verites expliquees enoncees par le Coran glorieux et la Loi divine. Nous leur exposions les consequences de ces maladies morales et de ces transgressions religieuses, maladie par maladie, transgression par transgression, sans ne nous epargner aucun effort.»

Muhammad Ibn Al-Jajwi fut Ministre de !'Instruction sous le Protectorat. II etait convaincu que le Maroc devait adopter la civilisation materielle de l'Occident tout en l'adaptant a l'islam. Lors de son voyage pour participer aux celebrations du 14 juillet 1919  a Paris, il rencontra une delegation soudanaise invitee a participer aux fetes de la victoire en Grande-Bretagne. Ces derniers s'enquirent de la situation au Maroc  Je les informai que celle-ci etait bonne et que le pays avait progresse depuis l'occupation frangaise sur le plan de la paix et de la securite, ce qui nous a epargne le fleau de la guerre qui a frappe d'autres contrees, ensanglantant les franges des royaumes. Ils rendirent grace a Dieu qu'il en soit ainsi et m'informerent qu'il en allait de meme dans leur propre pays….

 Puis ils m'interrogerent sur le comportement de la France a notre egard et me demanderent si nos mosquees etaient respectees. Je leur repondis oui, et que la France etait connue pour cela, etant le plus tolerant des Etats en ces matieres, ce qui fait qu'ils ne prennent partie pour aucune foi, laissant la pleine liberte aux fideles des differentes religions. Ce que nous avons constate, de la part des Frangais, c'est l'interet qu'ils prennent a nos mosquees et a leur entretien, superieur a ce qui existait auparavant.

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 Ils ont restaure les habous et organise leur administration et ils continuent d'avancer resolument dans cette direction. Les echanges qu'il rapporta demontrent sa grande ouverture d'esprit, bien qu'il fut conscient des embuches potentielles de la modernite. Ainsi, ses interlocuteurs parlerent d'adopter le curriculum des sciences, mais

 dans leurs ecoles, ils se sont attaches a eviter les questions rationnelles ou les elements des sciences naturelles qui touchent aux croyances, dans la mesure ou celles-ci n'ont pas une grande importance du point de vue du progres actuel, qui repose d'abord sur la pratique et parce qu'ils craignent la corruption des croyances des enfants, ne disposant pas encore de livres expurges de tout ce qui est susceptible de corrompre lesdites croyances. Le souvenir de ce reformiste convaincu fut totalement ignore par les nationalistes apres l'independance du Maroc, qui se complaisaient a decrire le Protectorat uniquement par ses carences.

LA REDEMPTION DES CAPTIFS

La piraterie barbaresque en Mediterranee remonte loin dans le temps

De fait, la piraterie a marque profondement la perception que les Europeens se firent des pays au Sud de la Mediterranee et des Maures, notamment en raison des conditions de captivite horrifiantes relatees par ceux qui eurent la chance d'etre rachetes. La dure condition d'esclavage de marins europeens fut connue en Europe lorsque le vaisseau Le Jesus fut bombarde par les Ottomans a Tripoli car le capitaine Hellier avait ose donner l'abri a un esclave italien du nom de Patrone Norado. Le capitaine fut emprisonne et condamne a mort, abjura pour la foi mahometane, ce qui ne lui donna que le droit de mourir dans la vraie foi.

Le reste de l'equipage fut condamne aux galeres enchaines par groupes de trois, ils furent soumis au traitement de coups de fouet incessants.

Entre les expeditions, ils furent soumis a la corvee des carrieres et durent ramener des pousses de bois a la ville de Tripoli. Ce ne fut que sur intervention de la reine Elizabeth aupres de la Sublime Porte que l'equipage obtint sa liberation en 1584.

Ce fut le premier incident d'une serie d'autres qui suivirent des siecles durant. Deja au XVIe siecle en Algerie, les freres Barberousse passerent du statut de corsaires au rang de chefs d'Etat lorsque la ville d'Alger et le royaume de Tlemcen firent appel a eux pour repousser les Espagnols. Malgre cela, ils demeurerent tres impopulaires. Ils demanderent au sultan ottoman son appui et c'est ainsi que les Ottomans parvinrent a prendre le controle de l'Algerie et que debuta la Regence d'Alger par la Sublime Porte.

En 1553  peu apres l'avenement de la dynastie saadienne au Maroc, un emir de la dynastie wattaside rrecedente fit appel aux Ottomans pour prendre la ville de Fes. Elle fut reprise par les Saadiens apres un siege de neuf mois. L'Empire ottoman ne s'etendit plus au-dela de l'Algerie.

Precisons que la piraterie se faisait dans les deux sens, les corsaires europeens s'adonnant egalement au piratage. La piraterie fut pratiquee en Mediterranee et en Atlantique. Elle joua un role considerable en regard des rapports entre les pays europeens et le Maghreb.

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Qu'en fut-il de la piraterie sur la cote atlantique du Maroc au XVIIe siecle

II y eut des tentatives de traites de paix qui viserent a resoudre le probleme des captifs, mais bien souvent, elles furent sans lendemain. Les reripeties relatees dans les prochains paragraphes donnent une idee des rapports qu'entretinrent les puissances europeennes avec les souverains marocains.

Jean-Philippe de Castelane qui avait aeuvre pour la liberation des captifs frangais a Alger du temps du roi Henri IV, fut nomme consul de France au Maroc en 1610 . II montra au sultan Moulay Zidane une copie du traite qui liait la France a la Sublime Porte et lui proposa une alliance similaire. Le sultan acquiesca et rendit la liberte aux captifs frangais.

Or, le sultan subit une cuisante defaite de la part d'un marabout rebelle. II confisqua a Safi le vaisseau Notre-Dame de la Garde de Jean- Philippe de Castelane. II y plaga sa bibliotheque et ses archives personnelles, embarqua ses femmes sur un autre navire hollandais et ordonna de mettre le cap sur Agadir. Comme il attendait toujours le montant convenu de 3000 ducats pour l'affretement de son navire et que les vivres commengaient a manquer, Castelane decida de ne plus attendre et de revenir sur Marseille. Pour son malheur, il fut poursuivi par quatre vaisseaux espagnols, juge comme pirate a Cadix et condamne aux galeres par les autorites espagnoles. Devant la colere du sultan Moulay Zidane, le roi de France Louis XIII desavoua son consul. Le projet d'Alliance entre la France et le Maroc n'eut plus de suite et l'Espagne refusa de restituer la biblioth6que appartenant au sultan Moulay Zidane.

La France considera prendre pied au Maroc au XVIe siecle 

En effet, le chevalier Isaac de Razilly s'etait distingue au debut du XVIIe siecle par ses activites visant a liberer les captifs frangais et a contracter une alliance avec le souverain marocain Moulay Zidane. En 1624  son escorte fut pillee dans la ville de Sale par les Saletins en depit d'un sauf-conduit – apparemment mal interprete – du sultan. II fut libere puis, apres avoir participe au siege de la Rochelle, revint pour negocier la liberte des siens aupres du nouveau souverain Abdelmalik. II fit le blocus devant Sale pendant deux mois et obtint une treve de cinq mois avec les Saletins. Or, le sultan decida de temporiser l'accord. Razilly captura trois navires-pirates et en brula deux autres. Grace a son action, les Saletins libererent 120  captifs qu'il ramena en France sans attendre l'arrivee du sultan. En1628  le sultan Abdelmalik songea a construire un port fortifie a Mogador et d'y faire travailler des esclaves Chretiens, mais ce projet fut sans suite. Apres que Razilly – maintenant promu premier capitaine de l'Amiraute de France – eut capture un autre navire des freres Pallache au service du sultan, ce dernier ordonna de ramener de Marrakech 180  captifs. Ceux-ci durent attendre un an le voyage suivant de Razilly pour etre rapatries.

Un traite de paix qui n'etait dans les faits qu'un contrat de rachat fut enfin enterine en 1631 et, par la suite, l'esclavage des chretiens captifs continua au Maroc. On ne peut pas affirmer que la confiance regnait entre les emissaires de Louis XIII et le sultan marocain…

L'Anglais John Harrison (Hesperis volume IX) obtint la liberation des otages anglais a Rabat en 1627

 et conclut une entente qui ne fut pas respectee par les deux parties. Des pirates marocains firent des prisonniers  chretiens jusqu'en Mer du Nord et une expedition punitive anglaise de 4 navires fut envoyee en1637

Rabat etait alors occupee par des Maures refugies d'Andalousie qui s'y etaient etablis 25

 ans plus tot. Les corsaires de Sale etaient en conflit avec les Maures de Rabat (la nouvelle Sale) et avec le sultan saadien Mohamed Cheikh Al-Seghir. Apres deux mois de siege de Rabat (la nouvelle Sale) par mer combine au siege terrestre des gens de Sale, les Maures de Rabat livrerent aux Anglais leur chef enchaine dans une barque. Ce dernier fut remis au sultan et l'amiral William Rainsborough put repartir avec 300 prisonniers

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AVANT-PROPOS

Un adage bien connu veut que l'histoire soit de la polémique, mais que l'inverse ne soit pas fondé. Cela s'applique tout particulièrement à l'historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d'idéologie : une pléthore d'essais datant de l'ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d'information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés 

La negociation pour la liberation des captifs Chretiens n'etait donc pas une sinecure

Loin de la. Un autre negociateur francais Pierre Mazet fut emprisonne a Marrakech en 1634 II ne put resister aux mauvais traitements et perdit la raison dans la geole. En 1635 Priam-Pierre du Chalard revint en force et negocia le rachat de trois cent quarante-quatre esclaves frangais qu'il paya au prix de 133715 livres, mais fut emprisonne a la Bastille pour avoir paye un prix aussi eleve. Pendant plusieurs decennies, la marine francaise continua a poursuivre les pirates de Sale et de Larache. Le nombre de captifs de toutes les nationalites passa de plusieurs milliers an au debut du XVIIe siecle a plusieurs centaines au debut du XVIIIe siecle.

En 1634 le vice-consul de France Gaspard de Rastin s'engagea a payer 5503 ducats pour le rachat de 40  des 373 captifs frangais a Sale. II se porta garant de ces 40  personnes dont certaines s'evaderent avant la recette de la rancon. II fut 1'objet de maintes vexations et mourut en 1643  sans pouvoir conclure sa mission.

Longtemps, les pirates avaient verse un pourcentage de leur butin au sultan. Mais avec le temps, certains sultans eux-memes s'etaient accapare les prises des pirates et il fallut parfois aller jusqu'a negocier directement avec eux la liberte des captifs.

Dans la metropole, les ordres religieux de la Trinite et de la Merci se disputaient le monopole de la redemption des captifs Chretiens en Barbarie. Les queteurs se disputaient la destination des heritages determines et la couronne tenta de partager les zones de quete en France en 1638 Les quelques dizaines de captifs auxquels on avait interdit de se raser furent ramenes par les Trinitaires et conduits en procession de Marseille a Paris en guise de mise en spectacle de propagande. La rhetorique de l'opposition au musulman et l'ideal christologique de transfert de souffrance des esclaves vers les religieux se refleterent dans les estampes du fondateur de l'ordre au XIIe siecle St- Jean de Matha que les Trinitaires faisaient circuler en France.

En 1670 un vaisseau dieppois fut piege par des pirates qui avaient demande a verifier que l'equipage ne comprenait pas de ressortissants d'autres pays que la France. L'equipage fut immediatement mene au marche des esclaves a Sale. Les narrateurs rapporterent que les acheteurs axaminaient les mains des prisonriiers, pour savoir si ces derniers etaient des manuels ou des aristocrates et payaient en consequence en vue de pouvoir exiger des rangons par la suite. Normand Germain Moiiette fut captif a Meknes pendant dix ans. Dans l'ouvrage Relation de la Captivite du Sr. Mouette dans les Royaumes de Fez et du Maroc publie en  1683 on y apprend qu'un de ses deux maitres le mit a la corvee de maconnerie le jour et le placa le soir dans un cachot souterrain auquel on accedait par une corde. L'humidite et l'extreme promiscuite etaient intolerables. Tout prisonnier qui se plaignait de douleurs etait marque au fer rouge sur la partie malade. Son maitre ayant participe a une revolte contre le sultan Moulay Slimane, ses esclaves devinrent propriete du sultan et furent conduits a Meknes ou les geoliers excederent de zele pour les bastonner. Seule l'epidemie de peste leur donna un certain repit jusqu'a ce qu'ils furent rachetes par les missionnaires des Peres de la Merci.

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Un adage bien connu veut que l'histoire soit de la polémique, mais que l'inverse ne soit pas fondé. Cela s'applique tout particulièrement à l'historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d'idéologie : une pléthore d'essais datant de l'ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d'information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés.

Qu'en fut-il au XVIIIe siecle?

En 1721  le Commodore Stewart debarqua a Tetouan pour etablir un traite de non-agression avec les Maures mais ce traite ne fut pas toujours respecte. L'ambassade anglaise obtint neanmoins du sultan Moulay Ismail la liberation de 300 captifs de nationalite anglaise qui etaient restes fideles a la foi chretienne sur les1114  ( 400 Espagnols, 165  Portugais, 152 Frangais, 69  Hollandais, 25  Genois, 3  Grecs et 19  renegats de differentes nationalites) qui se trouvaient alors a Meknes. Capture a l'age de onze ans par les corsaires de Sale, Thomas Pellow fut battu jusqu'a ce qu'il acceptat de se convertir. II fut enrole dans l'armee et, vingt-trois ans, il parvint a s'evader. II publia ses memoires dans l'ouvrage The History of the Long Captivity and Adventures of Thomas Pellow in South Barbary. En 1751Thomas Troughton publia le volume intitule Barbarian cruelty. II y consigna les souffrances de l'equipage capture, qui fut conscrit puis enrole dans la construction : 8 d'entre eux perirent des mauvais traitements recus, 21 autres parjurerent et le reste fut relache 5  ans plus tard. Les recits de voyageurs et captifs anglais jusqu'au XIXe siecle sont recenses dans l'importante bibliographie de l'ouvrage de Budgett Meakin, The Moorish Empire.

La piraterie etait donc payante.

Les equipages pris en otage etaient echanges contre de grosses sommes d'argent voire meme de la poudre a canon, ce qui permettait de continuer a exercer la piraterie encore plus. Au Maroc, les puissances europeennes acqueraient le droit de protection en versant des sommes considerables au Tresor cherifien. La Hollande, Venise, l'Autriche, la Suede, le Danemark et la France versaient des contributions annuelles pour conserver leurs droits de protection. Beaucoup de moines agirent comme intermediaires pour le rachat d'esclaves europeens dont la misere etait extreme. Envoyes aux travaux forces, ces derniers croupissaient des annees durant en attendant leur rachat. Les conditions d’emprisonnement etaient horribles, les punitions corporelles etaient frequentes. Les prisonniers etaient souvent oublies a leur sort et on disait d'eux que leur malchance engendrait de la malchance. En 1682 le sultan Moulay Ismail decida de ne plus se contenter du prelevement de 10% du  butin de la piraterie, que ce soit en hommes ou en marchandises, et se reserva la propriete des captifs. Ces derniers devinrent une monnaie d'echange pour les souverains en vue d'obtenir des puissances europeennes des armes et des embarcations.

En 1724 le Britannique Joseph Betton qui connut la captivite en Barbarie legua un capital considerable a une association de quincaillers afin de pouvoir racheter des captifs britarmiques en Barbarie.

Les conditions d'incarceration evoluerent peu

En effet. Dans son ouvrage Life in Morocco and glimpses beyond publie en 1906 1'historien Budgett Meakin decrit la condition miserable des prisonniers marocains enchaines via des colliers metalliques portes a leur cou. Deux des huit captifs qui avaient peri lors d'une marche forcee furent decapites et leur tete fut ramenee pour prouver qu'ils ne s'etaient pas echappes.

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