Il etait une fois le Maroc-D. B.


Il était une fois le Maroc-David Bebsoussan-Qu'en fut-il de la presse spécifiquement juive?

Il y avait cependant une grande influence britannique au Maroc…

Le Times ofMorocco fut fondé par l'écrivain Edward Meakin. Il dévoila la corruption tangéroise. Son fils Budgett Meakin fut l'auteur de livres importants sur le Maroc dont The Moorish Empire publié en 1899 et The land ofthe Moors paru en 1901. Le style critique de Meakin père et fils finit par les faire comparaître par-devant le Tribunal consulaire. Le journal fut racheté en 1893 par le Gibraltarien G.T. Abrines, propriétaire de Moghreb al Aksa, et se fit le défenseur de la politique britannique.

Avant d'être racheté, le Times of Morocco que l'on disait être le seul journal non israélite de Tanger, avait une attitude anti-française et il rejoignait en cela la position de la presse britannique. Parallèlement, le Réveil du Maroc et Al Moghreb al Aksa jouaient généralement le jeu de la France. Ils furent très critiques devant l'inaction du représentant britannique Drummond Hay devant les massacres des Juifs de Demnat. Le Réveil du Maroc dénonça auprès de la communauté internationale « la barbarie du gouvernement marocain » et attaqua les légations étrangères : « Pendant combien de temps l'Europe tolérera-t-elle ces crimes abominables? Et vous Représentants de la civilisation qui faites prôner constamment l'intégrité du Maroc, vous qui soutenez les actes infâmes du gouvernement chérifien au nom du droit des peuples, ne sentez-vous rien battre au fond de vos cœurs? » Lorsque Drummond Hay tenta de minimiser les évènements de Demnat, la réaction de la presse reprise par les journaux britanniques tels que le Times, le Daily News ou le Manchester Guardian, fut si violente que le Foreign Office fut contraint d'émettre cm communiqué officiel pour faire une mise au point. Le nouveau représentant français Charles Féraud fut encensé par la presse à son arrivée. Toutefois, lorsqu'il se fit l'ardent défenseur du statu quo, il eut droit au même traitement que Drummond Hay. Al Moghreb al Aksa se rapprocha de l'Espagne et se déchaîna contre la France soupçonnée de vouloir démembrer le territoire marocain suite à une rectification de frontière algéro-marocaine.

Les légations consulaires ne pouvaient ignorer ces journaux…

De plus en plus, les légations étrangères influencèrent la presse. Il y eut d'autres journaux tout comme La Africana publié pendant deux ans; le bihebdomadaire El Eco Mauritano dura de 1878 à 1886. La plupart de ses collaborateurs étaient juifs, parmi lesquels figurait Isaac Laredo, auteur des Memorias de un viejo Tangerino. Ce journal critiqua vivement l'inaction du représentant espagnol Diosdado.

El Diario fut un journal en langue espagnole fondé à Tanger en 1889, bien que financé par la légation française. Il fut publié pendant six ans. Ce journal dénonça la venue de navires de guerre britanniques à Tanger, à Tétouan et dans le Sous et fit mauvaise presse au nouveau représentant britannique Sir Charles Evans Smith.

De fait, Le Réveil du Maroc fut acquis par des intérêts français en 1889 et défendit les positions de la France. Moghreb el Aksa et Times of Morocco s'alignèrent sur la politique anglaise cependant que L'Eco Mauritano devint un organe espagnol officiel. La presse évolua alors dans le giron des puissances coloniales de l'époque.

Le journal hebdomadaire Le Maroc, lancé en 1894, fut un journal rédigé en langue française. Il fut suspendu en 1895 par la légation française pour un manquement à la réserve qu'exigent certaines convenances internationales. Il continua de paraître jusqu'en 1905. L'organe israélite La Cronica sous-titré « Organo defensor de los intereses internationales y locales des Imperio de Marruecos » fut dirigé par Messod Chriqui. H y eut encore le journal allemand Le Commerce du Maroc, rédigé en français, et l'éphémère La Duda des Progresso Marroqui. La Revista de Marruecos fut un bimensuel qui parut entre 1890 et 1891 et La Lintrena fut un journal satirique qui parut régulièrement entre 1888 et 1891.

Sous le pseudonyme d'Aïsa Farech, Budgett Meakin tenta de lancer le journal en langue arabe El Moghreb, mais l'essai ne dura pas longtemps.

Qu'en fut-il de la presse spécifiquement juive?

Les revues en judéo-arabe Kol Israël (1891), Mébasser Tov (1894-1895), Moghrabi (1904), éditées par Salomon Benaïoun parurent durant un temps relativement court. D'autres organes d'information juifs existèrent par la suite : La Liberté (1915-1922), hebdomadaire en langue française et judéo- arabe consacré à la défense des intérêts israélites au Maroc; Adelante (1929- 1932) fut un bimensuel hispanophone indépendant. Par la suite, des journaux juifs parurent à Casablanca, parmi lesquels : Or Hama'arav (1922- 1924), journal sioniste en judéo-arabe édité par les frères Hadida qui fut fermé par les autorités qui interdirent également la distribution du journal sioniste Ha'olam; L'avenir illustré (1926-1940), journal francophone, nationaliste et pro-sioniste fut édité par Jonathan Thurz lequel représenta le Maroc à tous les congrès sionistes jusqu'à la Seconde Guerre mondiale; L'Union marocaine (1932-1940), journal d'expression française représentant la tendance émancipatrice de l'Alliance Israélite Universelle, édité par Élie Nattaf. Ces deux derniers journaux furent fermés sous le régime de Vichy. Le journal sioniste Noar parut de 1948 à 1952. La voix des communautés, organe du conseil des Communautés israélites, parut à partir de 1950. De 1891 à 1964, on dénombre 38 périodiques juifs – dont 16 publiés à Tanger – et paraissant en français, en espagnol, en judéo-arabe ou en hébreu.

Quelle était l'influence réelle de la presse?

La vitalité de la presse tangéroise fut considérable si l'on tient compte de la population qu'elle desservait. Lors de l'avènement du statut international de Tanger en 1923, la ville comptait 60 000 habitants dont 35 000 Musulmans, 15 000 Juifs et 10 000 étrangers de nationalités diverses. Précisons que la ville comptait 648 étrangers en 1868,1 412 en 1888 et plus de 8 000 en 1906. La presse de Tanger visa à améliorer les conditions de vie locale. La défense des coreligionnaires juifs persécutés fut également sa priorité. La presse s'exprima librement et sans équivoque contre les injustices, ce qui constituait un geste osé dans le contexte de la monarchie absolue du pays théocratique qu'était le Maroc. Mais la rivalité des puissances fut transparente et, le fait que les légations consulaires tentèrent de prendre le contrôle des journaux et que le gouvernement marocain s'inquiéta sérieusement des critiques exprimées publiquement, montre à quel point la presse avait rempli un rôle de premier plan qu'il n'était plus possible d'ignorer.

D'autres journaux parurent au Maroc au XXe siècle : La Vigie marocaine en 1907, Le petit Marocain en 1912, La Presse Marocaine en 1913, Le soir Marocain en 1929. D'autres journaux locaux parurent, mais ces organes d'information atteignirent rarement le degré de liberté de presse des journaux tangérois.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan- Le sionisme au debut du XXe siecle

LE SIONISME AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE

Quelles étaient les relations traditionnelles avec la Terre Sainte? 

Il était courant que des personnes en âge avancé décident de finir leurs jours en Terre Sainte. Le bâton à la main, ils se mettaient en route vers l'Est, comptant le plus souvent du temps sur la Providence pour les sauver des périls de la route : la soif et les brigands. Par ailleurs, des émissaires venus de Terre Sainte faisaient des levées de fonds pour les institutions religieuses, les yeshivoth, de Tibériade, Safed, Hébron et Jérusalem. La réponse fut toujours enthousiaste au plus haut point. Lorsque les émissaires de Terre Sainte ne vinrent pas durant une longue période de troubles, R. Yaakov Abensour de Fès écrivit une missive destinée à l'émissaire de Hébron : « Nous avons eu à cœur que depuis tant d'années, plus de vingt-quatre, les émissaires d'Israël ne sont pas venus… Et durant toutes ces années, nous avons imploré, espéré, attendu qu'enfin vienne un émissaire pour que nous puissions accomplir cette mitsva (bonne action)… afin que nous le recevions comme on reçoit un ange, envoyé de Dieu.» L'un de ces émissaires, R. Raphaël Bensimon, s'arrêta à Fès et se donna comme mission d'imprimer les écrits des rabbins célèbres de la ville. À cette fin, il fonda la société Ahavat Kedmonim (l'amour des anciens) et imprima entre autres ouvrages célèbres, le recueil de prières qui prévalut avant l'arrivée des Juifs exilés d'Espagne, nommé Slat Alfassiyine. Un autre émissaire fut Raphaël Ohana né à Meknès en 1850 dont la famille s'installa à Tibériade en 1865. Émissaire en Boukharie, aux Indes, en Birmanie, au Kurdistan puis au Maroc, il publia l'ouvrage Tovat Mareh vantant les mérites de la sainte ville de Tibériade. L'un des thèmes de la poésie d'inspiration religieuse fut le salut et les vœux de succès aux émissaires de Terre sainte.

Les Juifs marocains se rendaient en Israël au XIXe siècle.

Oui et cela, bien avant le XIXe siècle : des rabbins et leurs disciples et parfois des commerçants. Parmi les personnes célèbres qui décidèrent de faire leur alya en Israël au XVIe siècle, mentionnons les kabbalistes Yossef Teboul, R. Messod Azoulay, R. Slimane Ohana et R. Abraham Azoulay auteur de Hessed LéAvraham. R. Hayim Benattar auteur du célèbre commentaire biblique Or Hahayim, quitta Salé sa ville natale pour la Terre Sainte après être passé par l'Algérie et l'Italie. Il mourut en 1743, l'année même de son arrivée en Israël à Jérusalem, à l'âge de quarante- sept ans.

Ce fut le rabbin Yéhouda Bibas, natif de Gibraltar et issu d'une famille de Salé qui enthousiasma les Juifs de son époque pour le retour à Sion et devint le maître spirituel des sionistes religieux. Il vécut à Livourne, à Londres, à Corfou, puis en Terre Sainte où il mourut en 1852. Ses sermons eurent un profond retentissement tant dans les communautés juives que dans les milieux protestants. Il disait : « Quant on verra en Haut les efforts déployés par les Juifs pour revenir dans leur pays, on décidera au ciel de venir à leur aide, comme il est écrit : Revenez à Moi et Je reviendrai à vous.»

Le négociant Yaakov Benchimol de Tanger fut un disciple de R. Yéhouda Bibas. Il s'installa en 1848 à Jaffa où il planta la première orangeraie. Il fut suivi par R. Abraham Moyal de Rabat qui devint le rabbin de Jaffa après Abraham Shloush, rabbin d'origine oranaise auquel on attribue le précepte : « Amenez de l'eau, amenez du ciment, le messie est en route.» Le Gibraltarien Hayim Amzallag devint Consul de la Grande-Bretagne en poste à Jaffa. Un groupe de Marrakchis dirigés par R. Itshak Assouline s'installa également à Jaffa. Les quartiers Ohel Moshé et Névé Tsédéq de cette ville portent encore les noms des premiers immigrants maghrébins tout comme Moshé Assouline et Yossef Arawas. En 1855, R. David Bensimon, de Rabat, auteur de Tsouf Dvash, fit son Aliya avec 155 disciples de sa Yéshiva et devint rabbin de la communauté maghrébine de Jérusalem. Il fonda Mahané Israël, le deuxième quartier juif de Jérusalem en dehors des remparts de la vieille ville. La plupart des Juifs de Tétouan qui firent leur Aliya en Terre Sainte s'installèrent à Haïfa. La communauté maghrébine comptait 2000 âmes au début du XXe siècle. Depuis 1844, des convois se formaient annuellement de Meknès pour se rendre à Tibériade, celui de l'an 1860 comptant 300 personnes. La Galilée était alors surnommée « la petite Meknès.» Le rabbin Yaakov Abouhatsira mourut en Égypte au cours de son voyage en Terre Sainte. Son petit-fils Israël Abouhatsira dit Baba Salé fit plusieurs voyages en Terre sainte depuis 1921 avant de s'établir définitivement à Nétivoth en Israël.

Quand germa l'idée d'un état juif moderne chez les Juifs marocains?

Le courant de pensée sioniste a toujours fait partie de la liturgie bien que cela se soit traduit par la concrétisation d'une Jérusalem mythique et céleste qui serait reconstruite aux temps messianiques. On chanta toujours Jérusalem et Tibériade. Tel fut le cas de David Hassin et de Yaakov Abensour. Un changement se produisit chez David Elkaïm de Mogador qui en 1900, traduisit concrètement l'amour de Sion : « Fasse que le mouvement de Sion avance… et que d'entre les Princes de la terre nous nous levions pour que le mouvement de Sion s'épanouisse librement… Et que j'aie le mérite – de mon vivant – d’embrasser tes pierres et tes arbres.» David Elkaïm était un hébraïsant qui, avec un certain nombre d'amis, conversait uniquement en hébreu. « Renais, Ô langue pure… Reviens aux jours de ta jouvence resplendissant de toute ta majesté… Renais au sein de ton peuple… Marche et éclaire-nous…» Dans ses enluminures, David Elkaïm imagina un drapeau juif : un lion doré sur fond vert ou encore deux banderoles horizontales bleues sur fond blanc avec une petite étoile en bordure.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan Le sionisme au debut du XXe siecle –page 129-131

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan- Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?

Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?

En 1900, les Juifs marocains entendirent parler de la volonté de bâtir un État juif. Une correspondance s'établit entre Léon Halfon de Tétouan et Théodore Herzl, par le biais de laquelle Léon Halfon demandait à recevoir des journaux en hébreu et en ladino. Une semaine plus tard, David Bohbot d'Agadir écrivit à Herzl pour lui annoncer la fondation de l'association Sha'aré Tsione (Portes de Sion). Dans le journal juif Hayéoudi, le rabbin David Elkaïm de Mogador cita le discours du Britannique d'origine mogadorienne Moses Lugassy : « C'est le devoir de tout un chacun d'aider ses frères de sa communauté et de se préoccuper de notre ville exaltée (Jérusalem)… et lorsque le Tout-Puissant verra que les Enfants d'Israël se préoccupent de Jérusalem et de la venue du Messie, qu'ils prennent conscience, qu'ils s'entraident et qu'ils se réunissent tous, c'est alors qu'il apparaîtra ainsi qu'il est écrit dans Jérémie dans ses paroles : « Et les enfants de Juda seront rassemblés » qui précèdent celles de « Je rassemblerai le reste de Mon troupeau.» Trois ans plus tard, Méïr Barchichat et Jacob Marciano de Safi annoncèrent à Herzl la fondation de l'association Ahavat Tsione (Amour de Sion) :

« À Sa très haute Excellence, éprise de son peuple, gloire de sa nation et Éminence de Dieu… nous demandons humblement à sa Splendeur, que du haut de son trône, elle daigne nous clarifier par écrit le sionisme. » Dans sa réponse, Herzl les invita au Congrès de Bâle. Ils ne purent s'y rendre mais manifestèrent leur opposition à l'hypothétique fondation d'un état juif en Ouganda. Herzl mourut en 1904 et les contacts avec le mouvement sioniste cessèrent pour un temps. Néanmoins, de nombreuses associations sionistes virent le jour au Maroc : Hibat Tsione (Amour de Sion) à Fès et à Meknès en 1908, qui demanda d'être accréditée par le mouvement sioniste et de recevoir des livres sur le sionisme car « les Juifs marocains en avaient entendu parler, mais en ignoraient tout, hormis le nom chéri»; Bené Tsione (Fils de Sion) à Casablanca dont les porte-parole demandèrent à recevoir de l'information dans la langue sacrée, car le yiddish parlé par les Juifs européens leur était étranger. Par ailleurs, les mouvements tels 'Ets Hayim (Arbre de vie) à Meknès, Magen David (Bouclier de David) à Tanger et Boné Yéroushalayim (Bâtisseurs de Jérusalem) à Larache, émergèrent. Contrairement à certains rabbins d'Europe qui n'ont pas vu d'un bon œil le sionisme parce que la Rédemption relevait seulement du Messie, les rabbins marocains n'eurent aucune objection à l'endroit du sionisme et ils y ont vu l'expression d'une manifestation religieuse.

Il serait erroné de lier l'Aliya en Israël aux seuls contacts avec le mouvement sioniste d'Europe. Dans son recueil Otsar hamikhtavim, le rabbin Yossef Messas fit état des très nombreuses tentatives d'émigrer en Terre Sainte ainsi que des difficultés du voyage que ce soit en raison des pirates de la Méditerranée ou encore les brigands des grands chemins voire même des guerres inter tribales. Rabbi Amram Ben Diwan était venu de la Terre Sainte pour encourager l'Aliya mais mourut en 1782 à Ouezzane. Des dizaines de personnes quittèrent la ville de Meknès en 1790, en 1840, en 1844 et en 1848. Des centaines de Juifs quittèrent pour la Terre promise en 1885 puis en 1899, en 1900…. Entre 1919 et 1923, des centaines de familles juives émigrèrent vers la Palestine.

Le rabbin Yossef Messas écrivit : « L'amour d'Erets Israël embrasait mon cœur d'une grande flamme… À chaque fois qu'un convoi se rendait en Terre sainte, mes larmes coulaient à flot… L'air d'Erets Israël est saint, saint, saint de la sainteté divine, baigné par les saints yeux du Tout-puissant du début de l'année à la fin de Tannée.» Il raconta que lorsqu'un des immigrants écrivit en 1880 que les conditions économiques étaient difficiles, son père déchira la lettre que personne n'en prit connaissance car elle transgressait le verset des Psaumes 128-5 : « Et vois le bonheur de Jérusalem.» Le bonheur et rien d'autre… Devant cet amour fou pour la Terre promise, on peut comprendre la portée des paroles de Haïm Weizmann, premier Président de l’État d’Israël : « Il n’est pas nécessaire d’être fou pour être sioniste, mais cela aide beaucoup. » Lors de la proclamation de l'État d'Israël, le rabbin Yossef Messas incorpora une prière festive spéciale dans le rituel liturgique juif.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?

 

Qu'en fut-il du sionisme chez les non-Juifs?

En toile de fond, un certain sentiment de commisération prévalut envers la situation des Juifs en général pointait en Europe. Cela se traduisait par des sentiments de compassion envers leurs souffrances, notamment dans des contrées où l'Europe avait des intérêts. Sous Napoléon, les Juifs devinrent citoyens et l’empereur envisagea le rétablissement des Juifs dans leur terre ancestrale. Rappelons enfin qu'un certain libéralisme émergea en Angleterre où l'on reconnut aux Juifs leur passé glorieux. Par ailleurs, les Protestants ont toujours eu une plus grande affinité avec la Bible hébraïque et de nombreux Protestants des deux côtés de l'Atlantique envisagèrent favorablement le retour des Juifs à Sion. Ainsi, en 1839, Lord Palmerston, alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères, instruisit le premier vice-consul de Jérusalem afin qu'il accorde sa protection aux Juifs en général. Il cita alors à la jeune reine Victoria le verset 23-6 de Jérémie : « En son temps, Judah sera sauvé et Israël vivra en sécurité dans sa demeure.» Lorsque Moses Montefiore revint du Maroc avec un édit de sultan proclamant la justice pour ses sujets juifs, le journal Daily Telegraph imprima un article sur le thème : « Qu'est donc le christianisme si ce n'est des actions telles que celle-ci ! »

Dans l'Amérique du XIXe siècle, certaines écoles de pensée protestantes virent dans le sionisme l'accomplissement des prophéties bibliques. L'Amérique elle-même était considérée comme une nouvelle terre de Canaan où coulent le lait et le miel, mariant ainsi le rêve du pionnier américain à celui du pionnier sioniste. Ainsi, pour l'écrivain Herman Melville, les idéaux démocratiques de l'Amérique étaient analogues aux idéaux bibliques dans un monde idolâtre : « Nous, Américains, sommes l'Israël de notre temps. Nous supportons les arches de la liberté du monde.» D'autres virent dans le foyer juif un besoin humanitaire visant à redonner la liberté à un peuple vivant dans de terribles conditions tant en Europe que dans l'Empire ottoman.

Les Musulmans ont généralement bien compris le besoin que les Juifs avaient de vénérer leurs lieux de pèlerinage. En fait, le verset 5-21 du Coran stipule en parlant des Juifs : « Ô mon peuple, occupez cette terre sainte qu'Allah vous a assignée.» De même, dans le verset 17-14 : « Nous avons ordonné aux Enfants d'Israël : Peuplez cette terre en attendant l'avènement de l'Heure où nous vous rassemblerons tous, vous et eux ! » Souvent, ces versets sont ignorés ou réinterprétés avec de nombreuses contorsions. Par ailleurs, un certain courant radical refuse qu'une terre conquise par les Musulmans ne puisse être réclamée par des non Musulmans. Ceci signifierait que l'Espagne, la France au sud de Poitiers et l'Europe des Balkans à l'Est de Vienne ne seraient rien de plus que des terres musulmanes. Il est fort intéressant que cette interprétation ne soit retenue quasi exclusivement que pour refuser aux Juifs le droit d'avoir un pays en Terre d'Israël.

DE L'ENSEIGNEMENT TRADITIONNEL JUIF AUX DÉBUTS DE L'ENSEIGNEMENT DE L'ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

Qu'en était-il de l'enseignement traditionnel juif?

À l'école juive ou Talmud Torah, ou tout simplement dans le logis du rabbin, l'enfant apprenait l'alphabet sur une planchette de bois. Puis l'on passait à l'étude des Écritures : Le Pentateuque, les Juges, les Rois, les Prophètes et les Hagiographes. L'instruction était prodiguée en espagnol ou en arabe, langues retranscrites en caractères hébraïques. La Bible était chantée et traduite en judéo-arabe ou en judéo-espagnol. La mémorisation des textes et de leur traduction était obligatoire et les punitions sévères. La grande majorité des filles juives n'étaient pas instruites.

Durant la phase secondaire, les discussions, commentaires et interprétations de la loi orale, Mishna et Talmud, étaient potassés et les textes hébraïques ou araméens étaient traduits en judéo-arabe ou en judéo- espagnol. Les commentaires bibliques classiques ou locaux étaient fouillés. La casuistique talmudique affûtait les esprits, quand bien même les questions débattues n'avaient que peu d'application dans la vie courante. Certains des finissants s'orientaient vers le rabbinat, le notariat ou l'abattage rituel. Ceux qui poursuivaient leurs études dans les villes de Fès, de Marrakech et de Tanger avaient un énorme compendium judaïque à leur disposition, incluant l'étude de la philosophie, de la cabbale, des contes historiques et des commentaires rabbiniques touchant aux Écritures, au droit, au calendrier, à la grammaire ou à la poésie. On étudiait également la pensée juive, tel l'ouvrage Les devoirs des cœurs d'Ibn Paqouda, le Kouzari de Yehouda Halévi et le préambule du Traité des Pères de Maimonide. En mission au Maroc, l'orientaliste Joseph Halevy notait : « Les Israélites de ce pays n'ont jamais atteint le degré de bigoterie fanatique qui repousse les sciences profanes comme contraires à la religion… L'obscurantisme absolu est inconnu au Maroc.»

L'éducation traditionnelle permettait la formation de juges rabbiniques, d'éducateurs, de chantres, de notaires, de copistes des rouleaux sacrés et de toute une panoplie de spécialistes rattachés à des fonctions ou des services religieux : Abattage rituel, circonciseurs, confréries du dernier devoir (Hévra), homélistes etc. En 1930, la taxe sur les produits dits casher gravitait autour d'un franc le kilogramme de viande et d'un quart de franc par kilogramme de pain azyme. Cette taxe spéciale était prélevée pour venir en aide aux nécessiteux.

Quant aux écoles de l'Alliance, elles suivaient le curriculum français : arithmétique, histoire, géographie, physique, chimie et des notions de littérature, l'instruction de l'hébreu étant donnée par des rabbins. Les enfants juifs récitaient : « Jadis la France s'appelait la Gaule et nos ancêtres les Gaulois…» Plus de 80% des enfants juifs étaient scolarisés.

Qu'en était-il des écoles européennes?

Dans la majorité des villes côtières, les écoles espagnoles étaient pour la plupart gérées par des Franciscains. L'anglais fut enseigné dans des écoles anglaises à Mogador et à Mazagan. Quant aux écoles françaises instituées après le Protectorat, elles suivaient le même enseignement qu'en France métropolitaine. On y chantait l'amitié avec tout un chacun « même s'il n'est pas né en France.»

Quelle était la mission de l'Alliance?

L'extrait du texte fondateur de l'Alliance Israélite Universelle, définit sa mission : « Rassembler tous les cœurs généreux pour lutter contre la haine et les préjugés. Créer une société de jeunes Israélites idéalistes et militants qui se sentiraient solidaires de tous ceux qui souffrent par leur conviction de juifs ou tous ceux qui sont victimes de préjugés quelle que soit leur religion. Faire enfin que la culture supplante l'ignorance de quelques fanatiques, pour le bien de tous… Si vous croyez que ce serait un honneur pour votre religion, une leçon pour les peuples, un progrès pour l'humanité, un triomphe pour la vérité et pour la raison universelle de voir se concentrer toutes les forces vives du judaïsme, petit par le nombre, grand par l'amour et la volonté du bien, venez à nous, nous fondons l'Alliance Israélite Universelle.» L'Alliance Israélite Universelle dont le siège social est toujours à Paris, s'engagea à ouvrir de nombreuses écoles juives d'expression française dans le monde, essentiellement dans les pays du bassin méditerranéen et jusqu'en Iran. 14 écoles furent fondées entre 1860 et 1870. Fondée en 1868, l'École normale israélite orientale fut en charge de la formation d'enseignants pour les écoles de l'Alliance. En 1900, l'Alliance scolarisait 26 000 élèves dans 100 écoles. Ce nombre passa à 48 000 élèves dans 188 écoles à la veille de la Première Guerre mondiale et à 51 000 élèves dans 135 écoles en 1948.

Au Maroc en 1867, il y avait 310 garçons et 1077 enregistrés à Tétouan, soit 5 ans après l'ouverture de l'école de l'Alliance. Trois ans après sa fondation, l'école de Tanger comptait 436 élèves et celle de Mogador 100 garçons et 40 filles. Une école fut ouverte à Safi et l'expansion de l'Alliance fut depuis lors, fulgurante.

Comment l'Alliance fut acceptée au départ?

Dans certaines villes comme à Salé et à Meknès, il y eut opposition à l'Alliance car les parents craignaient que l'enseignement des valeurs religieuses se relâche. Il y eut quelques hésitations parfois, mais lorsque les parents comprirent les bienfaits d'une éducation moderne qui ne soit pas exclusivement centrée sur la religion, il y eut des ruées quasi incontrôlables pour inscrire des jeunes élèves dans le réseau scolaire de l'Alliance Israélite Universelle. L'enthousiasme suscité par les écoles de l'Alliance dans les couches populaires fut indescriptible. Déjà en 1906, soit cinq ans après l'ouverture de la première école de l'alliance à Marrakech, Louis Gentil auteur de l'ouvrage Explorations du Maroc, notait : « J'ai vu très fréquemment les élèves de l'école (de l'Alliance), je les ai interrogés à maintes reprises, j'ai causé avec eux bien souvent. Ce qui m'a le plus surpris, c'est de voir aux cours d'adultes des hommes de 30, 40 ans et plus, qui après une journée de labeurs fatigants venaient apprendre à lire, écrire et parler notre langue. J'ai été réellement étonné de l'attention avec laquelle ils écoutaient leur professeur et des résultats auxquels arrivaient la plupart d'entre eux. J'en ai vu qui, au bout d'un mois de ce travail, parvenaient à écrire une lettre de clarté et de précision suffisantes.» Dans l'ouvrage Au Maroc avec le général d'Amade paru en 1908, le journaliste Reginald Rankin rapporta : « Il n'y a pas de mots pour exprimer le désir brûlant du parent juif de donner à son fils une éducation. À Mogador, il est notoire qu'un père a hypothéqué sa propre djellaba pour pouvoir payer les frais de scolarité de son fils.»

Le réseau scolaire de l'Alliance engloba rapidement l'ensemble de la communauté juive et cette mutation à la francisation s'accompagna d'une occidentalisation qui allait changer le visage du judaïsme marocain et lui faire espérer de meilleurs jours.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?page 133-136

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Les contacts entre le Maroc et les pays européens au XIXe siècle

Troisième partie

Les contacts entre le Maroc et les pays européens au XIXe siècle

LIMINAIRE

La conquête de l'Algérie au XIXe siècle marqua le début de l'ère coloniale. Pour empêcher le Maroc de venir en aide à son voisin algérien, la France intervint en dépêchant la marine française pour bombarder les villes de Tanger et de Mogador. Son armée stationnée en Algérie infligea une défaite cuisante à l'armée marocaine lors de la bataille d'Isly. Le pouvoir marocain prit alors conscience de sa faiblesse au plan militaire. Ne voulant pas demeurer en reste, l'Espagne se lança dans la guerre contre le Maroc en 1860. L'Angleterre mit en jeu sa politique traditionnelle d'équilibre des forces en se faisant accepter comme puissance de médiation. L'objectif premier de l'Angleterre était de continuer d'exercer son contrôle sur le de détroit de Gibraltar, relais qui, avec le canal de Suez, étaient les garants de l'accès à la perle de l'Empire : l'Inde. L'Allemagne intervint avec fracas pour exiger sa part de colonies, mais la France et l'Angleterre l'en empêchèrent.

Le Maroc était à l'image de l'Empire ottoman que l'on disait être l'homme malade de l'Europe. Il n'était plus la puissance militaire du passé. Sur la scène domestique, ses défaites militaires alimentèrent la dissidence. Les épidémies et les crises de disette accrurent le mécontentement général. L'insécurité régnait. Les Juifs tout comme le petit peuple en furent les premiers à en pâtir. De puissants contestataires du sultanat marocain allaient affaiblir encore plus le pays.

Au début du XXe siècle, la France troqua l'Égypte à l'Angleterre en échange d'une liberté d'action au Maroc, qu'elle partagea avec l'Espagne. Les dés en étaient donc jetés. Le long chapitre des ambitions et des rivalités enchevêtrées des puissances – commerciales et stratégiques pour la Grande-Bretagne, politiques et historiques de l'Espagne, territoriales et économiques de la France, économiques et impériales pour l'Allemagne – touchait à sa fin. L'institution du protectorat ne fut plus qu'une question de temps…

Le plan de cette troisième partie s'ouvre sur la description des rivalités coloniales européennes. La France occupe l'Algérie en 1830 et exerce des pressions sur le Maroc pour qu'il ne prête pas main-forte aux Algériens. Les batailles d'Isly contre l'armée française en 1844 puis contre l'Espagne en 1860 obligent les Marocains à admettre la supériorité militaire des Européens et à verser des indemnités considérables à l'Espagne. Les forces navales européennes ont mis fin à la piraterie d'antan. L'Angleterre joue un rôle diplomatique discret mais efficace et les représentants britanniques Drummond Hay père et fils bénéficieront de la confiance des souverains. L'Allemagne tente de faire son entrée avec fracas, mais elle est habilement écartée d'une mainmise sur le Maroc. Dans ce pays affaibli du XIXe siècle, les contestataires de  l'autorité s'affirment au grand jour : banditisme de Raïssouli, contestation de la couronne par Bou Hmara, ostensible puissance du chérif d'Ouezzane et opposition religieuse d'Al-Kettani. Le sultan Abdelaziz est évincé par son frère Abdelhafid. Suite à l'assassinat d'une dizaine de Français, Casablanca est bombardée en 1907 et l'armée française en profite pour pénétrer plus avant au Maroc. Encerclé par des rebelles à Fès, le sultan Abdelhafid fait appel à l'armée française et se voit contraint de signer en 1912 un traité de Protectorat.

PRINCIPAUX TRAITÉS INTERNATIONAUX AVANT LE PROTECTORAT

Quelle fut l'attitude des sultans à l'endroit des Européens au XIXe siècle?

Au début du XIXe siècle, le sultan Moulay Slimane décourageait les contacts entre Musulmans et Européens. Moulay Slimane s'inquiétait de l'influence européenne sur les mœurs et les croyances des Musulmans, raison pour laquelle il chercha à séparer les Juifs des Musulmans en créant des quartiers juifs ou Mellahs, car les Juifs et notamment ceux de la côte, étaient plus imprégnés de coutumes européennes. Les souverains qui lui succédèrent ne purent se passer des contacts avec les Européens et durent composer avec eux bon gré mal gré. Le sultan Abderrahmane reconnaissait le bienfait des échanges commerciaux et les encourageait. Le sultan Mohamed IV avait désespérément besoin des échanges commerciaux pour liquider sa dette envers l'Espagne à la suite de la guerre hispano-marocaine de 1860. Cinq ans après son avènement, le sultan Hassan Ie se trouva aux prises avec la crise due à la sécheresse, à la famine et au choléra, crise particulièrement grave. Outre cela, il mena de nombreuses campagnes pour mater des rébellions remettant son autorité en cause. Bien que le commerce renflouait le trésor public qui se trouvait au plus bas, il se méfiait des influences qui accompagneraient les contacts avec les Européens, mais ne pouvait toutefois pas les ignorer.

Au XIXe siècle, la diplomatie anglaise joua un rôle prépondérant dans les affaires du Maroc, notamment parce que les représentants anglais Drummond Hay père et fils eurent la confiance du Palais. Dans l'ensemble, les traités ratifiés par les souverains marocains ont contribué à un affaiblissement progressif du pouvoir au Maroc, jusqu'à l'avènement du Protectorat en 1912. Qu'en fut-il dans les faits?

Le sultan Abderrahmane qui ne nourrissait aucune confiance envers les Français car il les considérait comme des Infidèles, des ennemis d'Allah, des ennemis de la religion, des polythéistes et des adorateurs d'idoles, ne put s’empêcher d'avoir un grand respect pour le sens d'organisation et la qualité du renseignement que les Français prodiguaient. Il les combattit, mais perdit la bataille d'Isly en août 1844, alors même que les navires français bombardèrent Tanger et Mogador. Le 10 septembre de la même année, il signa le Traité de Tanger mettant fin aux hostilités. Le Traité de Lalla Maghnia fut ratifié le 18 mars 1845. La supériorité des armes françaises plaça la France en position de force avec laquelle le Maroc dut faire avec. La bataille d'Isly consacra la conquête de l'Algérie car au terme de ce traité, la France officialisa la frontière entre le Maroc et l'Algérie en se basant essentiellement sur les limites qui existaient entre le Maroc et la Turquie, sans toutefois préciser la limite territoriale dans le Sahara. Par ailleurs, le Traité anglo-marocain du 9 novembre 1856 entérina la position des Chargés d'affaires britanniques et celle de leurs interprètes et domestiques, les exonérant de tout impôt de capitation. Ce traité garantissait la liberté de commerce, abolissait les monopoles et les prohibitions de marchandises importées et fixait un plafond sur les taxes d'importation et d'exportation. La France officialisa la protection consulaire en 1863 (convention de Béclard).

Sous Mohamed IV, la guerre hispano-marocaine perdue par le Maroc fut conclue par le Traité de Tétouan le 26 avril 1860. L'enclave de Ceuta fut agrandie, une nouvelle enclave – Ifni – fut concédée au Sud du littoral atlantique et une indemnité de guerre fut fixée à 20 millions de piastres, soit 85 millions de francs. Le Maroc riétait plus la puissance militaire qu'il avait été par le passé.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Les contacts entre le Maroc et les pays européens au XIXe siècle

Quant à Hassan Ie, il demanda régulièrement aux oulémas des opinions sur les lignes de conduite à prendre, avec des résultats contradictoires. Il riest guère sûr que la majorité des Oulémas qui se référaient à l'énorme compendium de responsa du passé reposant sur le Coran, la Sunna et la tradition juridique malékite, seraient parvenus à les appliquer dans le contexte de l'actualité politique, d'autant plus que dans les faits, ils n'avaient pas de responsabilités. Le sultan reçut régulièrement des plaintes émanant des puissances étrangères en regard des abus dont leurs protégés furent l'objet. La Convention de Madrid ratifiée le 13 juillet 1880 tenta de régulariser le statut des protégés consulaires. Leur nombre fut limité. Le droit de propriété au Maroc fut reconnu pour tous les étrangers. Par ailleurs, tout sujet marocain naturalisé à l'étranger devait opter entre la soumission aux lois du Maroc ou l'obligation de quitter le Maroc au terme d'un séjour égal à celui qui lui aurait été nécessaire pour/obtenir la naturalisation.

Le 7 avril 1906, sous le règne de Moulay Abdelaziz, se tint la Conférence d'Algésiras qui chercha un règlement par la diplomatie aux rivalités européennes à propos du Maroc. La France et l'Espagne devinrent en charge de l'organisation de la police. La Banque d'État du Maroc fut créée et régie selon les lois françaises. Le premier tiers du capital devait être fourni par la France, le second par l'Angleterre, un sixième par l'Espagne et le solde par les autres puissances, soit 2% du capital pour chacune.

Enfin, ce fut sous du sultan Moulay Abdelhafid que le Traité de Protectorat franco-marocain fut entériné à Fès le 30 mars 1912, instituant un nouveau régime administratif au Maroc, tout en sauvegardant le statu quo religieux et en garantissant le respect et le prestige traditionnel du sultan. Des arrangements restaient à prendre pour délimiter la zone d'influence de l'Espagne au Maroc. Pour sa part, Tanger conserva un statut spécial. La France fut autorisée à occuper militairement le territoire marocain et à exercer la police dans le pays. Un Commissaire résident général représentait désormais la France qui devenait le seul intermédiaire entre le gouvernement du Maroc et les représentants étrangers. Le sultan s'engageait à ne conclure aucun acte international sans l'assentiment préalable du gouvernement français.

Tout au long du XIXe siècle, la marge de manœuvre des sultans fut ténue. Même sur le plan intérieur, l'autorité du sultan était affaiblie. Dans un rapport soumis au Ministère de la Guerre français, le commandant Zumbiehl rapporta en 1902 que l'autorité du Makhzen n'était reconnue que sur près d'un tiers du territoire seulement. Autant que faire se peut, les sultans furent réduits à temporiser, jouer les puissances coloniales l'une contre l'autre, ce qui fut fait avec un certain succès. Le rôle de l'Angleterre fut majeur. Elle garantit la souveraineté marocaine jusqu'en 1904, date à laquelle elle laissa le champ libre à la France en échange d'une concession similaire de la France en regard de la liberté d'action en Egypte. La diplomatie marocaine insista pour avoir des garanties internationales et notamment la participation des États- Unis au traité d'Algésiras, lequel faisait respecter l'indépendance et l'intégrité territoriale du Maroc. Restait donc l'Allemagne. Or, lors de la Convention franco-allemande du 4 novembre 1911, l'Allemagne laissa le champ libre à la France au Maroc et reçut en contrepartie une partie du Congo français.

Suite à cette vue d'ensemble, nous sommes prêts à aborder dans le détail les relations entre le Maroc et les puissances européennes au XIXe siècle. Le lecteur intéressé aux Actes internationaux relatifs au Maroc pourra consulter un recensement compilé par Jacques Caillé et Chantal de La Véronne dans le tome XLVI de la revue Hesperis de 1959.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844

LE BOMBARDEMENT DE 1844

Pourquoi la France décida de bombarder Mogador?

La France voulut affirmer la puissance française au Maroc peu après l'invasion de l'Algérie et dissuader le sultan de prêter main-forte aux rebelles algériens. Le but déclaré de cette attaque était d’empêcher le Maroc de soutenir les combats de l'Algérien Abdelkader contre l'occupation française de l'Algérie. Mais il est fort probable que la France désirait également ébranler l'indépendance commerciale marocaine, en touchant à une source de revenus importante du sultan : la douane. C'est ainsi que Tanger et Mogador furent bombardés par la marine française.

Le 6 août 1844, Tanger fut pilonnée par les vaisseaux de guerre français, mais sans trop faire de dégâts car on tenait à ménager le quartier européen. La flottille française mit ensuite le cap sur Mogador et dut temporiser son attaque en raison du mauvais temps. Le 13 août 1844 à 9 heures du matin, les canons de la ville tirèrent 21 boulets en direction de la flotte française commandée par le Prince de Joinville, François- Ferdinand, le troisième fils du roi de France Louis-Philippe. Une heure plus tard, les vaisseaux Gemmapes, Suffren et Triton, la frégate La belle poule, les bateaux à vapeur Asmodée et Pluton Le Phare, Le Gassendi et Le Rubis et les bricks Le Cassard, L'Argus, Le Volage tirèrent en direction de la ville et des îles. Les 76 pièces d'artillerie de la ville et les deux douzaines de batteries de l'île résistèrent aux bâtiments de guerre français et à son corps expéditionnaire composé de 1200 hommes.

Qu'advint-il des résidents étrangers?

Un mois avant l'attaque, un vaisseau français arriva et le consul français monta à bord sous prétexte de visiter un ami malade mais ne reparut plus dans la ville. Une fois les hostilités déclenchées, on ne permit pas au navire britannique Warspite d’embarquer des civils anglais de la ville. Le sultan ne permit pas au consul Wilshire et à un autre citoyen anglais Richardson de quitter la ville car à eux deux, ils lui devaient près de trois millions de francs. Le Gouverneur de la ville, Sidi Abdallah Deleero refusa à la femme du consul britannique la permission d’embarquer.

Puis ce fut le pillage

La journée du 15 août, les membres des tribus Haha et Chadmah vinrent piller la ville. Ils mirent à nu les femmes en espérant trouver dans leurs vêtements des objets de valeur et les abusèrent. Beaucoup de juives furent enlevées. Les pillards appartenaient aux tribus des Oudaïa, des Bouzia Schellenk, des Bou Hagger, des Ould Djemâ, des Oumaïn et à d'autres. Durant quarante jours, ils se jetèrent sur les marchandises du port déchirant et brûlant ce qu'ils ne pouvaient prendre. Sous la menace du couteau, la femme du consul britannique s'adressa aux pillards en langue arabe (elle était native de la ville et fille d'un ancien consul), ce qui lui permit de s'en sortir vivante.

Comment se déroula la bataille?

Un résident mogadorien d'origine européenne du nom de Lucas prit quelques planches et confectionna un radeau et des rames. Il peut ainsi prendre le large et se faire embarquer dans le brick Le Canard. Il informa le Prince de Joinville que les batteries étaient désertées et que le pillage de la ville battait son plein. Le Prince envoya des marins secourir des Européens qu'il transféra ensuite dans le Warspite.

Le 16 août, 900 marins débarquèrent sur l'île de Mogador et prirent possession de son fort après de durs combats. L'île était défendue par 320 hommes commandés par El Hajj Larbi Torrès. Vingt-huit marins français périrent, plusieurs dizaines furent blessées et on estime à plus d'une centaine le nombre de défenseurs tués. Les défenseurs de l'île finirent par se réfugier dans la mosquée avant de se rendre : il y eut 160 prisonniers, dont 35 blessés. Les Français ne réussirent à capturer que l’île et le port, mais non sans avoir déversé sur la ville 1240 boulets. Des dizaines de canons de l'île et du port furent encloués et jetés à la mer. Le bombardement causa de sérieux dommages au Mellah qui borde la muraille Nord de la ville donnant sur l'océan. Le 17 août, les prisonniers blessés marocains furent rendus à la ville en échange de la libération de ressortissants anglais qui furent embarqués sur le Warspite. Lorsque la flotte française se retira le 23 août, elle fut ciblée par des canons remis en état, ce qui occasionna un nouveau bombardement de la ville. 123 prisonniers valides furent envoyés en Algérie.

La ville était en piteux état

La ville fut en ruines en raison des bombardements. Bien des maisons furent pillées et brûlées. Bien des Juifs périrent dont le philanthrope Amram Elmaleh et l'Italien Carlos Bolelli. Bien des années plus tard, des boulets non explosés continuèrent de semer la terreur et firent de nombreuses victimes chez les enfants inconscients du danger.

Au Mellah, on parla de miracle…

Le bombardement causa de sérieux dommages au Mellah qui borde la muraille Nord de la ville donnant sur l'océan. Le Moming-Chronicle souligna que les principaux dommages infligés par le bombardement des Français et le pillage de la ville par les kabyles sont tombés sur les Juifs. La Revue Archives israélites de France de 1844 rapporta : « Ils (les Juifs) se sont procuré des armes, et pendant une journée entière, ils ont opposé la résistance la plus vigoureuse; ils n'ont succombé que sous la puissance du nombre. Alors ils ont été victimes des plus grandes atrocités, ni les femmes ni les enfants, ni les vieillards n'ont été épargnés.»

Une légende naquit alors : L'un des mérites attribués au rabbin Hayim Pinto fut que son domicile fut épargné du bombardement de la ville par les canonnières du jeune François Ferdinand Prince de Joinville. Les conteurs parmi les juifs de Mogador relatent que lorsque 40 cavaliers tout de noir vêtus vinrent attaquer la ville pour la mettre à sac, leur plan fut contrecarré par l'arrivée de 40 autres cavaliers, des anges tout de blanc vêtus. En fait, il s'agissait de deux tribus venues piller le Mellah dans l'intention de profiter du désordre général qui suivit les bombardements français. Ces deux tribus s'entre-tuèrent pour se réserver la part du lion du pillage. Celui-ci atteignit la partie Est et non juive de la ville et l'on rapporte que les dommages dus au pillage de la ville furent supérieurs à ceux causés par les bombardements des Français. L'on dénombra plus de 200 morts. Un grand nombre de juives furent enlevées et la famine régna un certain temps. Le Cheikh Abdallah Bihi de la tribu des Hahas prit l'initiative d'aller chercher des Juifs de Mogador et de les disperser dans les villages alentour, leur offrant ainsi protection jusqu'à ce que les troubles cessent. Les congrégations hispano- portugaises de Londres et des communautés juives américaines firent également un appel de fonds pour venir en aide aux sinistrés de la ville. Heureux d'être sortis indemnes des bombardements, les Juifs de Tanger, instaurèrent une nouvelle fête, Pourim de las Bombas.

Les pillards furent punis

Une fois la paix rétablie, ces tribus furent condamnées à verser une lourde amende imposée par le Makhzen (le Gouverneur de la région représentant l'autorité royale). Chaque homme marié appartenant à ces tribus dut verser une amende de 20 mitqals, et tout homme célibataire dut en verser 10. On dit que le sultan dépêcha contre les récalcitrants réfugiés dans la montagne une armée de 30 000 cavaliers et de 10 000 fantassins.

Et à Paris, on jubila

Quand, dans la liesse générale on apprit à Paris le bombardement de Mogador par le Prince de Joinville en 1844, la chanteuse populaire Célestine changea son nom en celui de Célestine Mogador. Une rue fut nommée Mogador et le cabaret Mabille où Célestine se produisait fut baptisé Théâtre de Mogador. Il fut acheté pour elle par son amant et capitaine de la frégate La belle Poule qui n'était nul autre que le Prince de Joinville.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844-page 144

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844

Et à Paris, on jubila

Quand, dans la liesse générale on apprit à Paris le bombardement de Mogador par le Prince de Joinville en 1844, la chanteuse populaire Célestine changea son nom en celui de Célestine Mogador. Une rue fut nommée Mogador et le cabaret Mabille où Célestine se produisait fut baptisé Théâtre de Mogador. Il fut acheté pour elle par son amant et capitaine de la frégate La belle Poule qui n'était nul autre que le Prince de Joinville.

Une des onze strophes d'un poème signé Méry et dédié aux marins de Mogador est révélatrice d'un certain état d'esprit : « Quand un barbare, assis, là-bas sur le rivage / Où le Croissant tenait la Croix en esclavage, /…/ Sur leurs forts abattus vous élevez la cendre / Et puis, quand le moment est venu de descendre, / Agiles fantassins, vous tombez en riant / Sur la terre d'Afrique où depuis mille armées, / Nos phalanges du nord, vos illustres aînées, / Meurent pour fonder l'Orient.» Il se trouva bien des bardes qui firent l'apothéose du prince de Joinville, tout comme Par Bonnebeault, ancien sous-officier de l'armée d'Afrique qui composa en 1845 un poème en l'honneur du prince : « Et ma voix, jeune prince, aurait mêlé ton nom /À celui révéré du grand Napoléon/…Un regret s'échappe aux lèvres de César / Que n'avais-je, dit-il, Joinville à Trafalgar ! » A Mogador, une chanson populaire déplora la débâcle qui suivit la mort du chef artificier : « Les frégates couvraient la mer / La poudre s'abattit sur la ville/ Ce fut un jour terrible/… Le destin nous a frappés à l'instant où /Omar El Eulj se baissa et où sa tête vola.»

Ce bombardement survint la veille de la bataille d'Isly qui opposa l'armée française à l'armée marocaine

L'Algérien Abdelkader menait la guerre aux Français depuis dix ans. Après la prise d'Alger, la ville de Tlemcen avait demandé à être rattachée à l'Empire chérifien, mais le sultan Abderrahmane s'y était refusé car son pays ne devrait pas se substituer à un autre pays musulman. Soutenant que les Ottomans n'étaient pas prêts à revenir, la ville de Tlemcen réitéra sa demande. Le sultan y dépêcha un Khalifa. Il soutint en armes, en vivres et en munitions les troupes d'Abdelkader. Mais, celui-ci commença à se conduire de plus en plus comme un émir indépendant. Cela le rendit suspect aux yeux du sultan, d'autant plus qu'Abdelkader prétendait appartenir à l'ancienne dynastie marocaine des Idrissides et qu'il jouissait d'appuis considérables dans le Rif. Suite à un revers, Abdelkader se retira au Sud d'Oujda, sur la frontière du Maroc. Les troupes françaises occupèrent Lalla Maghnia à une dizaine de kilomètres au Sud d'Oujda et firent une incursion à Oujda. Le général Bugeaud, Gouverneur de l'Algérie, dépêcha le général Bedeau pour parlementer avec le général marocain Al-Guennaoui. Ils ne purent s'entendre sur la délimitation de la frontière et des combats s'ensuivirent. L'armée marocaine supérieure en nombre fut repoussée par deux fois, notamment du fait du manque de coordination de ses troupes. Les Marocains exigeaient l'évacuation de l'avant-poste de Lalla-Maghnia et cette impasse fut considérée comme casus belli par les parties. Ignorant le compromis négocié par le représentant britannique, le Prince de Joinville bombarda Tanger le 6 août avant de mettre le cap sur Mogador, bombardée une semaine plus tard…

Le fils du sultan leva une troupe très nombreuse. Les armées s'affrontèrent au bord de la rivière d'Isly dans le Nord-est marocain. L'armée marocaine enveloppa le losange compact formé par les troupes françaises, tentant des attaques massives sur ses flancs. Encore une fois, la fusillade et la mitraille françaises eurent raisons des multitudes audacieuses, mais désordonnées. L'armée marocaine s'enfuit en abandonnant son camp, laissant près de 1000 morts sur le champ de bataille. Les pertes françaises furent au nombre de plusieurs dizaines.

Comment expliquer la débâcle?

Confiants dans leur nombre, les Marocains comptaient faire une seconde bataille des Trois Rois, celle qui eut raison des troupes portugaises et de leur roi Don Sébastien en 1578 et qui écarta définitivement le Portugal de cette région du monde. C'est qu'alors, le fondateur de la dynastie saadienne Abd El-Malek formé à l'école militaire ottomane, s'était montré fin stratège et avait su composer avec brio les avantages des bataillons des Andalous originaires d'Espagne, des renégats, des fantassins de la cavalerie et de l'artillerie contre l'armée portugaise spécialisée dans les opérations de siège et d'opérations côtières. La situation était fort différente : le général Bugeaud était un militaire intrépide, expérimenté par les guerres napoléoniennes. Il avait tenu bon durant les attaques marocaines et avait su optimiser sa puissance de feu. Suite à la bataille, il reçut le titre de duc d'Isly. Des stances – non signées – louèrent son talent militaire : « Honneur, Ô Bonaparte, honneur à ta mémoire ! Les Français, tu le vois, ne sont pas oublieux. Instruit à ton école, Bugeaud, avec orgueil, du maître son idole, a conservé les lois.»

Le 10 septembre, un traité de paix entre la France et le Maroc fut signé à Tanger. Il y était stipulé que les troupes marocaines devaient être réduites dans la région bordant l'Algérie et qu'elles ne devaient en aucun cas porter soutien au rebelle algérien Abdelkader. Un traité de délimitation de la frontière séparant le Maroc de l'Algérie fut ratifié le 18 mars 1845. Le 4 juillet de la même année, la ville de Mogador en liesse accueillit les 123 défenseurs faits prisonniers en août 1844, revenus de leur captivité en Algérie.

Cela ramena-t-il la paix?

En France, les opérations militaires furent présentées comme des opérations ayant ramené la paix. Ainsi, G. S.J Bertrand composa une ode révélatrice en l'honneur des militaires glorieux : « Ô Trinité noble et chérie / Isly, Mogador et Tanger /Vos noms seront dans la patrie / Comme une Arche sainte au foyer / …/ Et des bords de l'Isly jusqu'aux bords de la Seine / le canon retentit… Il a signé la paix ! » De fait, ces opérations dissuadèrent le sultan de porter un secours significatif aux Algériens qui combattaient la France.

Le Danemark et la Suède cessèrent de payer le tribut annuel qui leur permettait de commercer avec le Maroc. De son côté, l'Espagne se saisit des îles Zaffarines sur le littoral Nord du Maroc. Il y eut d'autres incidents qui pourraient être attribués à la faiblesse apparente de la France suite à la révolution de 1848 et qui suscitèrent des protestations de la part de ce pays. En 1849, un courrier du gouvernement français fut assassiné en prison. Un attaché de la mission française fut volé, sans que les coupables n'en soient châtiés. En 1851, lorsqu'un brick français échoué devant Salé fut pillé sous les yeux des autorités, la flotte française bombarda la ville. Lorsqu'un négociant français fut assassiné à Tanger par un chérif marocain, la France exigea l'exécution de ce chérif, ce sans quoi elle romprait ses relations avec le Maroc. Ce fut la première fois dans les annales qu'un crime commis par un Musulman sur un Chrétien était puni.

Le mécontentement de la population vis-à-vis du traité de Lalla Maghnia fut tel que le sultan Abdererahmane craignit un soulèvement et transféra ses biens au Tafilalet, région de laquelle la dynastie alaouite est originaire. Quant à l'émir algérien Abdelkader, il se rendit aux Français en 1847, fut détenu en France jusqu'en 1852 avant de partir vivre en exil à Damas. Il y vécut jusqu'à sa mort en 1883.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Le bombardement de 1844-page 147

l était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- La guerre Hispano-Marocaine de 1860

LA GUERRE HISPANO-MAROCAINE DE 1860

Au XIXe siècle, l'Espagne n'était pas en très bons termes avec le Maroc…

En 1843, l'exécution de Hayim Darmon, représentant consulaire de l'Espagne à Mazagan par les autorités marocaines avait été très mal reçue par l'Espagne. Il avait été condamné à mort pour s'être battu contre un musulman qui l'accusait d'avoir eu des relations sexuelles avec une musulmane. Une autre version veut qu'il ait eu querelle avec des Maures qui voulurent lui interdire le passage d'un champ lors d'une partie de chasse. Assailli de pierres et se croyant en danger, il avait fait feu et tué un assaillant. Il fut arrêté, jugé et condamné à mort, se sauva pour être de nouveau capturé et condamné à mort. L'Espagne, qui avait pris connaissance de l'incident une dizaine de jours après l'exécution, avait alors failli déclarer la guerre au Maroc. Un autre incident allait précipiter les évènements et résulter en une guerre d'envergure.

Il s'agit de la guerre hispano-marocaine de 1860

C'est bien cela. L'ultimatum espagnol du 16 octobre 1859 demanda réparation à l'outrage fait au pavillon espagnol dans les environs de Ceuta au Nord du Maroc, exigeant la livraison de notables de la tribu des Andjara responsables d'un raid contre une redoute espagnole à l'extérieur de la ville de Ceuta. Le nouveau sultan Mohammed IV qui venait tout juste de réussir à écarter des prétendants sérieux au sultanat, proposa par l'intermédiaire des Britanniques une compensation, mais cela fut refusé. La guerre fut donc déclarée.

Le général espagnol d'origine irlandaise Leopoldo O'Donnell quitta Algésiras avec un contingent important et débarqua à Ceuta le 16 novembre 1860. Il fut aussitôt attaqué par les troupes maures. Près de 120 soldats périrent et le nombre de blessés fut cinq fois plus élevé. L'armée espagnole se dirigea vers Tétouan et, durant le siège de la ville, le quartier juif fut saccagé. Plusieurs centaines de soldats périrent et les chroniqueurs rapportent que les pertes marocaines furent plus élevées encore. Les navires de guerre espagnols menacèrent Tanger et Mogador. Larache fut bombardée par les navires espagnols et au printemps de l'année suivante, la paix fut conclue. Ce traité du 26 avril 1860, suivi d'une convention ratifiée le 26 mai de la même année stipula entre autres : une indemnisation de 20 millions de piastres – équivalent à 4 millions de livres sterling – payables l'année même; l'occupation de la ville de Tétouan jusqu'à remboursement de la dette; la cessation à l'Espagne des territoires avoisinant les villes de Ceuta et de Melilla ainsi que du territoire d'Ifni sur le littoral Sud de l'Atlantique. L'Espagne maintint un contingent de 6 000 soldats dans les enclaves de Ceuta et Melilla.

L'Angleterre avança un prêt au Maroc pour payer l'indemnité de guerre. Tous les deux mois, les percepteurs espagnols ramenaient les indemnités de guerre sur un navire militaire espagnol. Le mythe de la redoutable force militaire marocaine s'était estompé. Le chroniqueur marocain Al-Naçiri décrivit en ces termes la défaite nationale et l'humiliation : « L'affaire de Tétouan a causé une perte de prestige au Maghreb et l'invasion du pays par des Chrétiens. Jamais pareil désastre ne survint aux Musulmans.» Dans les faits, le nombre de chrétiens dans les villes portuaires passa de 130 en 1820 à 350 en 1854, à 600 en 1858 et à 1400 en 1864.

Il y eut une dimension juive à cette guerre…

Bien des Juifs savaient que les périodes de troubles sont toujours accompagnées de pillages et de tueries dans les quartiers juifs. Ils cherchèrent à s'enfuir de Tétouan, de Tanger, d'Arzila et de Ksar el Souk la veille de la guerre hispano-marocaine. Peu avant la guerre de 1860, le consul d'Espagne à Tanger avait offert sa protection aux Juifs de Tétouan. 3 000 à 4 000 personnes s'enfuirent, se réfugiant essentiellement à Gibraltar. Leur dénuement total déclencha un élan de solidarité au sein des communautés juives marocaines et de l'étranger. Le gouvernement français proposa de faciliter l'émigration vers l'Algérie et quelques centaines de réfugiés optèrent pour cette issue. Le gouvernement espagnol offrit d'accueillir des réfugiés dans les villes de Tarifa et d'Algésiras. Leur condition misérable fit penser qu'ils pouvaient choisir entre le péril par la faim et l'apostasie car des membres du clergé espagnol s’empressèrent de chercher à les convertir.

Qu'en fut-il durant l'occupation espagnole?

Lorsque la soldatesque marocaine réalisa qu'elle avait perdu la guerre contre l'armée espagnole et que celle-ci était aux portes de Tétouan, elle s'en prit avec rage au quartier juif, massacrant, pillant et mettant le feu partout. On compta des dizaines de morts. Lorsque l'Espagne occupa Tétouan en 1860, Les Juifs accueillirent les Espagnols avec enthousiasme. « Ce jour-là, historique à plus d'un titre, Espagnols et Séfarades se retrouvaient face à face » écrit Sarah Leibovici, auteure de Chronique des Juifs de Tétouan. Au XIXe siècle, les diplomates espagnols ont pu nouer des contacts avec les diasporas sépharades et pour certains d'entre eux, la révélation de communautés parlant l'ancien castillan fut des plus émouvantes. Il y eut de bonnes relations entre les autorités espagnoles et la communauté en place. La misère recula, une nouvelle école fut ouverte. On assista alors à des courants philosémites, mais aussi à la réémergence de vieux réflexes antisémites.

Quant aux Espagnols, on trouva parmi eux des attitudes extrêmes : le directeur d'école Gogman écrivit : « Le vendredi saint, quelques misérables Espagnols qui habitent Tétouan ont l'habitude de pendre à la porte du quartier israélite et dans l'intérieur du quartier des mannequins revêtus du costume juif, de tirer à coups de fusil, d'y mettre le feu et de le traîner ensuite dans la boue. Ces scènes du Moyen Âge contre lesquelles j'ai toujours protesté mais en vain sont suivies d'une grêle de pierres jetées par les Arabes sur les Israélites.» D'autres témoignages font état d'effigies juives conduites au bûcher à Pâques. Il y eut des consuls espagnols malveillants envers les Juifs, d'autres, philosémites. Ainsi, en 1893, le Consul d'Espagne José Navarro sauva à son corps défendant le quartier juif d'une attaque du quartier juif contre l'avis de la communauté espagnole qui craignait le déclenchement d'un conflit incontrôlable. Bien que dépassant ses prérogatives, il était convaincu qu'il ne faisait que faire son devoir.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- LA GUERRE HISPANO-MAROCAINE DE 1860-page 150

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Presence diplomatique de l'Angleterre

 

Quelle fut l'attitude du gouvernement espagnol envers les Juifs?

Rappelons que l'inquisition fut abolie par durant la période napoléonienne par Joseph Bonaparte. Elle fut rétablie dans la Constitution de Cadix de 1810 dans laquelle il fut affirmé que la religion espagnole « est, sera, éternellement, la catholique, apostolique et romaine, seule vraie.» L'inquisition fut abolie au Mexique en 1813 et en Espagne en 1834. En 1855, les protestants furent autorisés à célébrer des offices privés et à acquérir des cimetières et on confirma dix ans plus tard que cette autorisation s'étendait aux Israélites. La Constitution espagnole de 1869 approuva la liberté de culte bien qu'elle s'engageât à soutenir le culte catholique. En 1876, le parti ultramontain promit d'expulser les Protestants et les Juifs s'il arrivait jamais au pouvoir, mais perdit aux élections. La liberté de culte fut confirmée durant la constitution républicaine de 1873 tout en prohibant la dotation du clergé. En 1881, le roi Alphonse XII lui-même offrit asile aux Juifs de Russie victimes de pogroms.

RÔLE DÉTERMINANT DES FLOTTES NAVALES EUROPÉENNES

Les flottes françaises et britanniques bénéficièrent d'avancées technologiques substantielles alors que les marines marocaine et ottomane stagnèrent. La nouvelle génération de vaisseaux de guerre plus rapides mus à la vapeur et de cuirassés armés de canons puissants donna un avantage déterminant aux forces navales franco-britanniques dès les premières décennies du XIXe siècle. Les interventions humanitaires des puissances européennes en faveur des captifs chrétiens ou les opérations de représailles se transformèrent en interventions politiques et militaires de plus grande envergure qui grugèrent systématiquement l'Empire ottoman. La France occupa le Péloponnèse en 1828, Alger en 1830. Puis il y eut le débarquement franco-britannique à Gallipoli et l'invasion de la Crimée en 1854, l'invasion de Chypre par les Britanniques en 1878 et l'invasion anglo-indienne de l'Égypte en 1882. Il y eut également des interventions ponctuelles à St-Jean d'Acre en 1840, à Tanger et à Mogador en 1844, au Monténégro en 1858, en Syrie en 1840 et en 1860. La supériorité navale de la France et de l'Angleterre facilita l'occupation croissante de territoires de plus en plus importants en Afrique, au Moyen-Orient, en Inde et dans le Sud-est établissement de grands empires coloniaux.

Quelle fut la réaction dans les pays de la Méditerranée?

Il y eut des réactions xénophobes qui se traduisirent par le massacre des Chrétiens libres ou des Juifs dans les pays musulmans : en Algérie en 1816 et en 1871, à Mogador en 1844, à Sfax et à Sousse en 1864, à Smyme en 1821, à Alexandrie en 1882. L'opposition des autorités locales à ces massacres ne parvint pas à créer le sentiment de sécurité des minorités dans les pays musulmans. La France fit de la protection des chrétiens du Levant un pilier de sa politique étrangère et il en fut de même pour l'Angleterre qui s'investit du droit de protection des missionnaires protestants et des Arméniens. Par extension, cette protection s'étendit à l'ensemble des communautés menacées et notamment les communautés juives. Ainsi, les bâtiments de guerre français et anglais évacuèrent les Juifs de Tétouan vers Gibraltar et Oran lors de la guerre hispano- marocaine de 1860. Aux yeux du grand public européen, la défense des minorités opprimées dans les pays arabo-musulmans donna aux interventions française et britannique une caution morale certaine. En outre, la défense des protégés consulaires européens finit par constituer un second pilier majeur de la diplomatie franco-britannique.

La réalité était que les pays arabo-musulmans n'avaient plus les moyens de s'opposer à la pénétration de la France et de l'Angleterre.

Le traitement des Européens au Maroc connut un changement radical suite aux batailles de Tanger, de Mogador et d'Isly en 1844, puis à celles de la guerre hispano-marocaine de 1860. Du temps de la piraterie, les Chrétiens n'étaient qu'une marchandise maltraitée vendue aux enchères aux représentants européens. Quand la piraterie cessa, les Chrétiens ne furent pas mieux traités que les Juifs quand il s'agit de porter des accusations sur des méfaits ou de réparer des torts. À la suite de ces défaites militaires marocaines, s'attaquer à un Chrétien pouvait avoir des conséquences sérieuses : des demandes de réparations substantielles, voire même des menaces militaires de la part des forces navales européennes.

Par ailleurs et dans un autre ordre d'idées, l'introduction des bateaux à vapeur dans la marine marchande européenne au milieu du XIXe siècle a stimulé le commerce, car la durée des voyages entre les ports marocains et les ports européens passa de près d'un mois à près d'une semaine.

PRÉSENCE DIPLOMATIQUE DE L'ANGLETERRE

Quelle a été la nature des relations entre l'Angleterre et l'Empire chérifien?

Les contacts diplomatiques entre l'Angleterre et le Maroc remontent au règne d'Élizabeth Ie (1558-1603) par l'entremise d'intermédiaires juifs. Le sucre marocain était échangé contre des tissus et des métaux. Les archives anglaises montrent que les décisions erratiques du sultan Al- Mansour rendaient fort difficile la tenue d'échanges normaux. Le Comte Henry de Castries fit état d'un rapport anglais dans son ouvrage Les sources inédites de l'histoire du Maroc de 1530 à 1845 : « Le Juif est mauvais débiteur. Souvent le Souverain les force à livrer leur récolte de sucre à un autre et ils font banqueroute. Le chérif les dépouille à son gré.» Entre 1437 et 1684, la ville de Tanger fut occupée par les Espagnols, les Portugais et les Anglais. En 1704, le rocher de Gibraltar fut capturé par les Anglais et la souveraineté anglaise sur le rocher de Gibraltar fut reconnue au traité d'Utrecht en 1713. Ce traité servit de modèle pour les ratifications ultérieures de 1734 et de 1751. Depuis, l'approvisionnement de Gibraltar s'est fait par le Maroc et les Juifs jouèrent un rôle important. Lorsque les Anglais chassèrent les Juifs de Gibraltar en raison de l'entente avec l'Espagne de 1713, Moulay Ismaïl s'éleva contre cette mesure. Les Juifs eurent un droit de séjour de 30 jours pour mener leur commerce à Gibraltar mais dans les faits, ils s'y installèrent. Des synagogues furent bâties à Gibraltar : Ets Hayim en 1760, Sha’aré Shamaïm en 1799 et Nefoutsoth Yéhouda en 1800. Moïse Ben Attar négocia un traité de paix entre Moulay Ismaïl et Georges Ie en 1721.

La puissance maritime anglaise lui donnait un grand avantage sur le plan du commerce avec le Maroc. La France venait de perdre le Canada et avait été obligée par l'Angleterre de démolir les fortifications maritimes du port de Dunkerque au terme du traité de Paris en 1763. Le sultan Mohamed III se méfiait des Anglais. La réciproque était vraie et beaucoup d'envoyés anglais craignaient de se rendre dans la capitale marocaine de peur de devenir des otages. Bien que l'accord de 1734 se fut conclu par la libération d'esclaves anglais du temps du sultan Abdallah son père, la rançon pour la libération des captifs n'avait jamais été payée. Mohamed III accusait les Anglais et notamment les autorités de Gibraltar, de se livrer à la contrebande et d'armer des villes rebelles telles Arzilah, Tétouan et Tanger. En 1760, l'Angleterre paya la rançon due, soit 225 000 piastres. Les dictats de Mohamed III poussèrent la diplomatie anglaise à la circonspection et jamais la confiance ne régna réellement entre Marocains et Anglais sous son règne. Abraham Benidar fut ambassadeur du Maroc à Londres et son fils Jacob Benidar fut Vice- consul d'Angleterre à Tanger, Tétouan, Salé, Mogador, Safi puis Agadir.

Durant le règne bref de Moulay Yazid, l'Angleterre ne fut plus considérée comme un pays ennemi. L'Angleterre garda un intérêt commercial pour le Maroc. En dehors de ses représentants officiels, elle y fut représentée par des marchands abolitionnistes, des organisations de missionnaires et des organisations philanthropiques juives.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Presence diploma tique de l'Angleterre

Au XIXe siècle, l'influence de l'Angleterre fut considérable

Edward William Auriol Drummond Hay avait été consul de Grande- Bretagne à Tanger de 1829 à 1845. À cette époque, la politique britannique visait à encourager le commerce avec le Maroc, à empêcher les Français d'occuper la Tunisie et le Maroc et également à empêcher la Russie de prendre des territoires du Levant de l'Empire ottoman. Lorsqu'en 1831 la ville de Tlemcen prêta allégeance au sultan du Maroc pour éviter d'être occupée par les Français, la Grande-Bretagne resta neutre car cette ville avait été occupée par les Ottomans. Edward Drummond Hay sut combiner des conseils judicieux à des positions de fermeté : lorsqu'en 1828, le sultan Abderrahmane voulut pratiquer à nouveau la piraterie que son père Slimane avait abolie en 1818 (Moulay Slimane avait également libéré tous les captifs chrétiens en 1816), la Grande-Bretagne décréta le blocus de Tanger pour dissuader le Maroc de se lancer dans de tels projets. Les problèmes de piraterie ne disparurent pas pour autant. Une protestation fut transmise au sultan en 1834, et la véhémence de celle-ci fut telle que le clerc qui devait remettre la missive en craignît pour sa propre vie. Edward Drummond Hay proposa ses bons offices pour régler de nombreux différends : arrestation d'un ancien soldat français à Mogador et libération d'un navire espagnol capturé par les Marocains en 1840. Les états de service d'Edward Drummond Hay facilitèrent de beaucoup la tâche à son fils John Edward qui lui succéda dans sa fonction de 1845 à 1886.

L'Angleterre eut en effet une influence considérable à la Cour marocaine par l'entremise de son habile envoyé, le consul John Edward Drummond Hay. Il fut conseiller du sultan en matière de politique extérieure en 1850 et maintint son influence pendant trente-cinq ans. Le traité anglo-marocain de 1856 fixa enfin les droits de douane qui, par le passé, étaient modifiés au gré du sultan. Les conseillers britanniques en poste à la Cour marocaine furent nombreux et, au milieu du XIXe siècle, la majorité du commerce marocain se fit avec l'Angleterre. En 1861, l'Angleterre accorda au Maroc un prêt de 426 000 livres sterling remboursable en prélevant 50% des droits de douane sur l'ensemble des ports du Maroc. Un an plus tard, il fut précisé que ces prélèvements s'appliquaient également sur l'intérêt du prêt, soit 75 176 livres sterling. Ce prêt servit avant tout à payer l'indemnité de guerre que le Maroc dût verser à l'Espagne. Des contrôleurs espagnols veillèrent à la perception des droits et taxes de douanes dans les ports marocains, ce qui ne manqua pas de susciter des animosités. Le contrôleur espagnol Mantilla, ancien colonel de l'armée espagnole en charge des douanes marocaines à Safi fut assassiné dans des circonstances obscures.

Par ailleurs, Drummond Hay convainquit le sultan de mettre le flamboyant militaire Harry Aubrey de MacLean en charge de l'entraînement d'une armée marocaine moderne. La rumeur voulait que ce dernier fût démis de la fonction qu'il avait occupée à Gibraltar car il se serait aliéné son supérieur de qui il aurait séduit la femme. Il se promenait au Maroc avec un garde du corps en burnous fait en toile écossaise et se faisait également accompagner d'un joueur de cornemuse.

Dans la première moitié du XIXe siècle, après la conquête de l'Algérie, l'Angleterre avait, par l'entremise de Lord Aberdeen, déclaré que l'expansion militaire française au Maroc constituerait un casus belli. N'eut été l'opposition de l'Angleterre qui tenait absolument à protéger Gibraltar, il eut été probable que la France aurait pris avantage de la bataille d'Isly en 1844 pour occuper le Maroc beaucoup plus tôt. L'Angleterre protégea la souveraineté marocaine contre les ambitions françaises et espagnoles. Il fallut donc attendre jusqu'en 1881 pour que la France étendît son Protectorat à la Tunisie et qu'elle réclamât le contrôle du Maroc « pour maintenir la sécurité en Algérie.» Par ailleurs, le consul britannique Kirby Green qui succéda à Drummond Hay déclara en 1887 à un ministre espagnol : « Si l'intégrité du Maroc venait à être sérieusement menacée, l'affaire serait traitée comme une affaire d'importance vitale aux intérêts britanniques.»

Evan Smith succéda à Kirby Smith et proposa en 1893 des réformes au sultan Hassan Ie : l'établissement de moyens civilisateurs tout comme le télégraphe et aussi l'abolition de l'esclavage, la création de tribunaux mixtes et la fin de la protection consulaire. Toutefois, son manque de tact l'aliéna à la Cour marocaine. Le Maroc n'était plus, comme par le passé, avide de bons conseils des consuls britanniques tout comme Drummond Hay. La compétition était grande entre les puissances européennes. L'objectif premier de l'Angleterre était de conserver Tanger et de créer de bonnes conditions commerciales avec le Maroc. Or, en 1900, la France lança l'idée d'une « neutralisation » de Tanger. Cette même année, la France occupa le Touat saharien qui avait été jusque-là considéré par les puissances européennes – la France exceptée – comme marocain. Le Maroc ne pouvait donc plus compter sur la politique britannique traditionnelle de défense de l'intégrité du Maroc qui, par le passé, n'excluait pas le Touat. La souveraineté marocaine ne prédominait plus dans la politique britannique et par ailleurs, il semblait que Ton désespérât du succès des réformes. L'ambassadeur anglais Nicolson déclara : « Je ne crois pas qu'il soit possible de réformer ce pays de l'intérieur.»

Comment se fit-il que l'Angleterre finit par laisser la France occuper le Maroc?

Il faut avant tout souligner que, pour l'Angleterre du XIXe siècle, l'importance du Maroc était essentiellement stratégique, la garantie de passage dans le détroit de Gibraltar primant toute autre considération. Suite à l'incident de Fachoda au Soudan en 1898 durant lequel les armées française et anglaise se retrouvèrent nez à nez, la France et l'Angleterre signèrent en 1904 l'Entente cordiale. L'Angleterre finit par accepter la prépondérance française au Maroc pour autant que la France renonçât à ses droits sur l'Égypte et sur Terre-Neuve au Canada. Le 8 avril 1904, La France et l'Angleterre entérinèrent un accord qui dans les faits laissait l'Égypte dans la zone d'influence britannique et le Maroc dans la zone d'influence française. Les deux pays s'entendirent sur la circulation libre dans le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, tout en limitant la construction de fortifications qui pourraient entraver le passage de navires dans le détroit de Gibraltar. Des clauses secrètes prévirent des réformes visant à moderniser la gouvernance de ces pays.

Les intérêts de la Grande-Bretagne ne coïncidaient plus avec ceux du Maroc…

Ajoutons qu'en 1900, une entente similaire fut signée avec l'Italie qui reconnaissait à la France le droit d'ingérence au Maroc et, de son côté, la France accepta que la Tripolitaine fasse partie de la zone d'influence italienne.

En 1908, la majorité des échanges commerciaux du Maroc se fit avec la France, alors que jusque-là, elle avait été faite avec l'Angleterre.

Chose surprenante considérant la compétition que se livraient traditionnellement le Coq gaulois et la Perfide Albion : Lyautey remercia vivement le consul britannique à Fès James MacLeod pour ses conseils inestimables lors de l'occupation de Fès en 1912.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- DRUMMOND HAY

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DRUMMOND HAY

Hay père et fils eurent une grande influence sur la diplomatie marocaine. À quoi peut-on attribuer leur succès?

Sir John Drummond Hay et son père Edward Drummond Hays furent des consuls britanniques maîtrisant parfaitement la langue arabe.

En 1830, les intérêts des Britanniques étaient mal protégés. La piraterie continuait encore et les traités n'étaient pas respectés. Ce fut le jeune Drummond Hay qui réussit à nouer des contacts avec le palais, faire comprendre les bénéfices réciproques de la collaboration jusqu'à devenir essentiel non seulement en ce qui a trait aux affaires britanniques, mais également en ce qui a trait au rapport de l'ensemble des puissances européennes avec le Maroc. On rapporta que durant les négociations qui suivirent la guerre d'Espagne en 1860, le Ministre des Affaires étrangères Khateeb se comporta plutôt comme le secrétaire de Hay qu'en tant que Ministre des Affaires étrangères d'un pays indépendant.

John Drummond Hay soulignait en 1845 les négligences de l'administration marocaine dans tous les domaines. Il connaissait intimement le pays et maîtrisait parfaitement la langue arabe. En 1865, il notait qu'à l'exception du sultan lui-même qui est honnête et faible de caractère, du chambellan Moussa Ben Ahmed et de deux autres, tout le reste était corrompu. En 1880, il arrivait à la conclusion suivante : « C'est une honte qu'il soit permis à ce maudit gouvernement de durer… Le sultan doit être forcé d'introduire des réformes.»

Drummond Hay intervint plus d'une fois pour alléger les souffrances des Juifs, et fut chaudement remercié par la communauté juive tangéroise lors de sa retraite. Il n'en était pas moins conscient de ce que la population musulmane souffrait également de grands abus : « Aucun défenseur humanitaire n'a élevé la voix en faveur de la population rurale mahométane qui est encore plus cruellement opprimée par les gouverneurs et les Cheikhs que leurs concitoyens juifs.» Dans un mémorandum adressé à l'Anglo-Jewish association de Londres en 1878, Drummond Hay souligna le changement radical de la condition des Juifs du littoral (dans lesquelles la présence consulaire était importante), car ils étaient moins soumis aux vexations d'antan. Drummond Hay était alors sur la défensive, car il devait composer avec le problème soulevé par le missionnaire britannique Ginsbourg, à la tête de la section marocaine de la London Society Promotting Christianity among the Jews, que la communauté juive de Mogador avait mis à l'index.

Certains pourraient voir dans la défense des Juifs au Maroc et dans l'Empire ottoman une sorte de contrepoids à l'influence de la Russie et de la France qui se voulaient les défenseurs respectifs des minorités orthodoxes et chrétiennes du Levant. Mais il n'en demeure pas moins que Drummond Hay avait à cœur le bien du Maroc et recherchait le bien du pays quand il proposait des réformes dans des domaines divers. De fait, une école de pensée existait, voyant dans l'expansion du commerce, dans l'abolitionnisme, dans l'utilitarisme et dans l'évangélisation, les piliers moraux de l'interventionnisme britannique dans le monde. Le vicomte Palmerston, Premier ministre de Grande-Bretagne, avait alors déclaré : « Notre devoir, notre vocation, n'est pas d'asservir, mais de libérer; et je peux ajouter sans fausse vanité et sans offenser qui que ce soit, que nous nous tenons au sommet de la civilisation tant sur les plans moraux que sociaux et politiques.»

Le tour de force de John Drummond Hay fut de parvenir à non seulement obtenir l'écoute du sultan qui appréciait sa sincérité, mais aussi de faire en sorte que le sultan soit persuadé que l'Angleterre était un pays allié. Son génie fut d'avoir une influence énorme sur les affaires marocaines sans même que l'Angleterre ne mette à sa disposition des budgets à ces fins, voire un personnel de soutien compétent. Alors que beaucoup de commerçants peu scrupuleux venaient faire fortune facile au Maroc, les Anglais eurent la réputation d'être « des personnes n'ayant qu'une seule parole.»

Dans sa correspondance avec la reine Victoria, le sultan déclara : « Conformément à notre évaluation, Drummond Hay jouit d'une fonction et d'un rang qui ne peuvent être ignorés. Nous avons apprécié son intellect remarquable, sa prestance et sa façon d'arbitrer entre Vous et Nous par sa conduite exemplaire et ses conseils avisés… Nous l'avons accueilli selon le protocole en vigueur et lui avons témoigné notre faveur, sollicitude et respect, car Nous le tenons en haute estime et comme le plus compétent des médiateurs qui cherchent le bien des deux pays.»

Cependant, les relations maroco-britanniques connurent des aléas

En effet, lorsque des aventuriers britanniques voulurent ouvrir un comptoir dans le Sous qui, à cette époque, cherchait à se libérer de la tutelle du sultan, Hassan Ie eut grand mal à faire la différence entre les actions de citoyens privés britanniques et celles du gouvernement britannique, d'autant plus qu'on lui demandait de payer une forte indemnité pour que ledit comptoir soit fermé. En outre, les successeurs de John Drummond Hay furent bien loin d'avoir les qualités humaines et le doigté de leur prédécesseur.

Les mémoires de Sir John Drummond Hay A memoir of Sir John Drummond Hay, furent éditées en 1896 par ses filles Alice Emily et Louisa Annette Edla.

PERCEPTIONS DU MAROC A L'ÈRE PRÉCOLONIALE

Comment était perçu le Maroc avant l'ère coloniale?

Le récit de l'officier de la marine M. Descoudray (Extrait d’un voyage inédit à Mogodore et à Maroc en 1824) est assez typique des descriptions faites par de nombreux voyageurs : « La trahison, l’empoisonnement. La strangulation entre frères, entre père et fils, sont les épisodes les plus courants de l'histoire de cette dynastie. La polygamie est, sur tous les trônes des états mahométans, la source de ces divisions; la multitude de frères et de prétendants au pouvoir, enfante nécessairement des guerres intestines, des démêlés domestiques entre tant d'héritiers; de là ces strangulations qui signalent l'avènement d'un nouveau sultan au trône de ses pères; il marche vers ce trône sur les cadavres de ses compétiteurs. Mais chez les Maures d'Afrique, cette affreuse conséquence de la polygamie cadre merveilleusement avec le caractère national : ces exécutions fratricides ne sont pas seulement une obligation, mais une volupté. Le soleil fait couler dans les veines des Africains un sang de lave; moins généreux que le lion de leur désert, la cruauté n'est pas chez eux l'effet des appétits charnels, mais celui du plaisir de détruire. Aussi les empereurs se réservaient-ils les exécutions à mort pour passe-temps. Sidi Mahomet se départit le premier de ce privilège, car enfin on a beau faire contre la civilisation dans les pays barbares, il y en pénètre toujours quelque chose. Le monarque ne fait plus l'office de bourreau, mais il n'évite pas le spectacle des exécutions; et les princes aiment encore mieux passer leurs loisirs auprès de l'échafaud que dans leurs maisons.» Les auteurs M.M. Baudoz et I. Osiris présentaient ainsi le Maroc en 1860 dans leur ouvrage Histoire de la guerre de l'Espagne avec le Maroc : « L'administration du Maroc est ce qu'elle est dans tous les pays musulmans, despotique, vicieuse et corrompue. La justice se vend, mais ne se rend pas. Les impôts sont institués non pour le bien du pays, mais pour enrichir le chérif.»

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 DRUMMOND HAY

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010-. Il n'y avait pas de respect pour les souverains marocains?

il-etait-une-fois le Maroc

Le Maroc était-il perçu au même titre que l'Algérie conquise en 1830?

Le Maroc était une nation indépendante alors que l'Algérie vivait sous la tutelle ottomane. La conquête de l'Algérie fut faite dans un contexte particulier. Deux négociants juifs Bacri et Busnasch avaient pourvu l'armée française en nourriture lors de l'expédition d'Égypte en 1799 sans pour autant avoir été payés, ce qui priva le dey d'Alger d'impôts substantiels. Le dey exprima son mécontentement au consul de France. Le roi de France Charles X prit pour prétexte le fait que le dey d'Alger ait offensé le consul de France par un coup d'éventail pour se lancer dans la conquête de l'Algérie et recouvrir de gloire la monarchie française, mettant fin à trois siècles d'occupation ottomane. Mais, tout comme le rappela le diplomate autrichien Metternich : « Ce n'est pas pour un coup d'éventail qu'on dépense 100 millions et qu'on expose 40 000 hommes.» Certes, il y avait un contentieux séculaire avec la Régence d'Alger qui protégeait les pirates barbaresques en Méditerranée et négociait très durement le rachat des captifs chrétiens. Une expédition maritime aurait certainement suffi. Mais, derrière la volonté de vouloir laver l'honneur de la France primaient la conquête de l'Algérie et la recherche du prestige perdu de la France depuis les grandes victoires napoléoniennes du passé.

De fait, les militaires y eurent les mains libres. Le docteur Bolichon décrivit ainsi en 1848 les agissements des militaires : « Quand une œuvre doit tourner à l'avantage de l'humanité, le chemin le plus court est le meilleur. Or, il est positif que le plus court chemin soit la terreur.» La colonisation civile s'ensuivit. On commença par y envoyer des indésirables. Suivirent ceux qui se cherchaient une vocation agricole et que la perspective de devenir propriétaires enchantait, des paysans ou des vagabonds venus d'Espagne, d'Italie et de Malte ainsi que des spéculateurs. Suivirent également des familles aristocrates que l'on qualifiait de colons aux gants jaunes qui exploitèrent des domaines avec un certain succès. Les soldats libérés furent encouragés à s'installer. En 1840, il y avait près de 35 000 Européens en Algérie et près de 3 millions d'indigènes. Leur nombre passa à 107 000 en 1847 dont 42% de Français. Beaucoup ne purent supporter les dures conditions, l'isolement, les maladies et l'insécurité et retournèrent en France. Ceux qui restèrent inclurent une grande proportion de quarante-huitards, révolutionnaires parisiens dont les autorités de la métropole n'étaient que trop empressées de voir partir. Toutefois, sous le Second Empire, Napoléon III déclara : « Les indigènes ont, comme les colons, droit à ma protection et je suis aussi bien l’empereur des Arabes que l’empereur des Français.» Il s'ensuivit que les terres non cultivées ne revenaient plus de droit au domaine public et que les indigènes pouvaient en récupérer certaines. Lors, les indigènes furent l'objet d'un certain paternalisme de la part de l'administration coloniale.

Il n'en demeura pas moins que l'armée fut toute puissante. Bien que la guerre de conquête se fût conclue par une paix entre le général Bugeaud et le chef algérien Abdelkader en 1847, la guerre de harcèlement continua. En 1871, l'insurrection indigène généralisée fut matée. La même année, l'Algérie fut représentée par six députés à l'Assemblée nationale française. Le décret Crémieux en 1870 enrichit la population française d'Algérie de 37 000 nouveaux citoyens. Beaucoup de Juifs d'Algérie percevaient la France comme libératrice des injustices séculaires de la part des autorités musulmanes. De fait, la naturalisation automatique de tous les enfants d'étrangers fut votée en 1889, ce qui porta la population française à 219 000 âmes. Il y eut cependant plusieurs appels pour abroger le décret Crémieux et l'on parla de péril étranger constitué par les Européens qui ne sont pas Français de souche. Par souci de préserver la prépondérance française, l'on eut recours à l'antisémitisme et la xénophobie. Quand Jules Ferry parla d'assimiler les indigènes, certains Français d'Algérie réagirent vivement, considérant que l'instruction des indigènes faisait courir à l'Algérie un véritable péril, que les écoles indigènes formaient des insurgés et des déclassés ou que les Arabes étaient une race inéducable. Il n'est pas exclu que les grands propriétaires et les colons – les pieds noirs – qui commençaient à prendre racine sur leurs terres, désiraient se tailler des privilèges et de les maintenir, au détriment de ceux qui n'étaient pas Français de souche. La métropole octroya une certaine autonomie – une licence de laisser-faire en quelque sorte – à l'Algérie, le mercantilisme rentable aveuglant moult bonnes consciences.

Revenons au Maroc. Il n'y avait pas de respect pour les souverains marocains?

Rarement émissaires et voyageurs étrangers prirent-ils en considération l'ensemble des pressions auxquelles les souverains marocains étaient soumis de la part des différents segments de la population marocaine d'une part, et la marge de manœuvre véritable du Makhzen de l'autre. La vision de ces émissaires et voyageurs fut souvent tronquée et partiale et elle influença grandement la perception que les Européens se firent du Maroc.

À la fin du XVIIIe siècle, Louis Chénier qui fut consul de France au Maroc de 1767 à 1782 écrivit dans sa correspondance : « Ce prince (l’empereur du Maroc) ne règne donc que sur des esclaves qui ont à peine la liberté de penser, sur des déserts et sur des ruines, puisque, par cet enchaînement des vices qui résultent d'un régime tyrannique et oppressif, ses sujets doivent être nécessairement lâches, pauvres et paresseux.» Le médecin William Lemprière décrivit le sultan comme « le plus arbitraire des monarques, qui disposait de façon absolue de la vie et des propriétés de tous ses sujets.» Mais avant tout, le Maroc fascinait les Européens. Le peintre Eugène Delacroix peignit des scènes de l'Afrique du Nord dans 80 tableaux. Il fit partie d'une délégation française venue sonder en 1832 les intentions du sultan Abderrahmane en regard de la question frontalière entre l'Algérie récemment conquise et le Maroc. Parmi ses plus célèbres toiles dépeignant le Maroc, mentionnons Noce juive au Maroc, Le sultan du Maroc entouré de sa garde. Mais en parallèle à cet engouement pour l'exotisme, les voyageurs et les diplomates jetèrent un regard des plus critiques sur la société marocaine.

En 1860, Jules Gérard décrivait le Maroc comme un pays de populations malheureuses frappées par des actes arbitraires, des injustices et des cruautés. L’empereur était celui qui parmi les héritiers, disposait de la garde noire et du trésor royal pour éliminer les autres prétendants. Les caïds et les cadis ne penseraient qu'à remplir leur bourse aux dépens de peuple. Les justes étaient achetables et celui qui possédait une belle fille, une belle femme ou un beau cheval ferait mieux de les cacher s'il ne voulait pas se les voir enlever. La pauvreté était donc la seule garantie de sécurité. Les souverains auraient inculqué la haine des chrétiens pour ne pas que ces derniers puissent libérer la population du joug impérial. Tout juste 20% de la population reconnaîtrait l'autorité de l’empereur et paierait des impôts dont une partie servirait à combler de biens et d'honneurs les corporations religieuses et les marabouts influents.

D'où, conclut Jules Gérard, la nécessité que ce pays soit occupé par un peuple civilisé et que, son empereur soit expulsé. Une conquête de l'Europe serait un bienfait pour la nation de l'Europe qui voudrait l'entreprendre, qui bénéficierait des ressources intérieures et du commerce considérable avec les pays des nègres. Et le plus tôt sera le mieux !

En 1860, Achille Étienne Fillias écrivit : « Le Maroc est fermé à la civilisation; ses côtes sont infestées de pirates; les résidents européens y sont mal vus et maltraités; leur existence même est en péril… Les Maures ont au suprême degré, les vices des Carthaginois dont ils descendent : l'avarice et la perfidie… Les Maures sont bigots, fanatiques et superstitieux à l'excès.»

Cette vision des choses s'inscrivait dans des courants de pensée qui justifiaient la colonisation. Il y eut des idéologues qui, comme Saint- Simon, aspirèrent à « réveiller les races somnolentes et les faire contribuer à l'exploitation rationnelle du globe.» Dans l'ouvrage Le sang des races édité en 1899, Louis Bertrand – qui fut lauréat de l'Académie française en 1925 – écrivit : « Dès que l'Orient faiblit, l'Afrique du Nord retombe dans son anarchie congénitale, ou bien elle retourne à l'hégémonie latine, qui lui a valu des siècles de prospérité… et qui enfin lui a donné pour la première fois un semblant d'unité, une personnalité politique et intellectuelle. L'Arabe ne lui apportera que la misère, l'anarchie et la barbarie. Tout lui est devenu du dehors, de la Syrie, de la Perse, de la Grèce byzantine, mais principalement des pays latins.» Au début du XXe siècle, un publiciste espagnol laissa entendre que, « pour pénétrer pacifiquement le Maroc, il est nécessaire au préalable de le "démusulmaniser".»

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010. Il n'y avait pas de respect pour les souverains marocains?

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