Joseph Dadia


Regard sur l'Atlas – Serie hebraique-Troisieme volume-Joseph Dadia

Regard sur l'Atlas – Serie hebraique-Troisieme volume
Joseph Dadia

Ma mère, la bienfaitrice

Fulgurances colorées

אמי המחוננת

נדבנית ונדיבת-לב

פיה פתחה בחכמה ותורת חסד על-לשׁונהּ [משלי לא, 26] 

EN SOUVENIR DE MAMAN 

Fréha DADIA née Tuizer au mellah de Marrakech

Et décédée en Israël à Beit-Chéan

Cérémonie commémorative

Comme battre tambourin

Battre main contre main

Avec douleur

En ce mois d’av

Et serrement

De cœur

De nouveau tournoie

Et encore tournoie

La lune

Lunaison

Après lunaison

Embrasé

L’arôme agréable

צדקת בת ישׁרים

Première édition

Textes écrits et édités à la mémoire de nos parents

Jacob fils de Chaül DADIA et d’Esther BAR HANINE (1911-1981)

Fréha fille de Hanania TUIZER et de Messaouda LIBRATI (1921-1996)

Et en pieux souvenir de tous nos chers disparus

Copyright Joseph Dadia & Famille, juin 2017-avril 2018 ©

A chaque génération il n’y a jamais moins

 de trente-six justes au monde

 qui « reçoivent la Face de la Présence Divine »

 ainsi qu’il est dit : Isaïe 30, 18 :

Heureux ceux qui espèrent en Lui

אשׁרי כל-חוכי  לו

Achré kol hokhé lo

En hébreu le mot lo- לו, en Lui,

est composé de la lettre lamed ל dont la valeur numérique est  trente et de la lettre vav ו dont  la valeur numérique est six, d’où trente-six (cf. Babli Sanhedrin 97b).

 Cf. Sifré Vaéthanane 29 ;

Josué 7, 5 : Les habitants d’Aï tuèrent

 trente-six des explorateurs de Josué

Cf. Genèse Rabba 35, 2 :

  « Voici comment parlait Rabbi Chiméon ben Yohaï : Le monde ne peut subsister sans au moins trente justes de l’envergure  d’Abraham (qui est par excellence l’homme de l’alliance).

S’il y en a trente, moi et mon fils en sommes. S’il y en a vingt, moi et mon fils en sommes. S’il y en a dix, moi et mon fils en sommes. S’il y en a cinq, moi et mon fils en sommes. S’il y en a deux, c’est moi et mon fils. Et s’il n’y en a qu’un, c’est moi ».

Dieu est proche des justes qui implorent Sa miséricorde. Les justes sont l’objet de grand désir de Dieu. Et réciproquement, le juste a

 un grand désir de Dieu, comme le dit le poète :

« Mon âme désire ardemment et languit après les parvis de l’Eternel, mon cœur et tout mon être y chanteront au Dieu vivant ».

(Psaumes 84: 3)

Selon Babli Hullin 92a, Dieu a libéré Israël d’Egypte le 15 nissan par le mérite de quarante-cinq justes qui assurent le salut du monde. La question est de savoir si en Eretz Israël il y a 30 justes et 15 en Babylonie, ou bien le contraire. En conclusion : 30 en Eretz Israël et 15 en Babylonie.

Cette confirmation du Talmud, quant aux 45 justes, repose sur un verset du prophète Osée (3 : 2) :

ואכרה לי בחמשׁה עשׂר כסף וחמר שׂערים ולתך שׂערים .

« Je m’acquis [cette femme] pour quinze sicles d’argent,  un homer d’orge et un létekh d’orge ».

Le sicle pesait un peu plus de 10 grammes ; le homer avait une capacité d’environ 365 litres ; le létek était la moitié d’un homer, soit 182,50 litres. Le prix total payé par le prophète pour acquérir sa femme était à peu près celui du rachat d’une esclave (Exode 21 :32 ; Lévitique 27 :4). Le séducteur d’une vierge non fiancée devait payer à son père 50 sicles d’argent (cf. Deutéronome 22 :28-29).  Cf. bible Osty page 1948.

Le prophète Osée a payé pour cette acquisition à la fois par de l’argent et par des céréales. C’était peut-être à cette époque une coutume, mais le prophète Osée ne s’en explique pas. Cf. Lévitique 27 :4 ;  Michna Qédoshin chapitre 6 paragraphe 1.

L’argent, kessef כסף, dans le Bible hébraïque, signifie à la fois la monnaie sonnante et trébuchante, et, aussi, le métal, cf. Genèse 24 :22 ; Genèse 37 :28 ; Juges 9 :4 ; Juges 17 :4. A cette époque, il n’existait pas une autorité pour battre la monnaie. Et l’on pesait les pièces pour en déterminer leur valeur. Peser, en hébreu, est chql – שׁקל.

L’argent en accadien se dit kaspu, en tant que monnaie et en tant que métal.

Le Kessef  כסף est une métaphore pour dire que ce sont les tsadiqim צדיקים, les justes.

Rachi, se basant sur la paraphrase araméenne de Jonathan Ben Ouziel sur le verset d’Osée, explique que « quinze » fait allusion au quinze du mois de nissan, date de la sortie des fils d’Israël d’Egypte, armés, la tête haute.

Rachi ajoute que, numériquement, les trois lettres de nissan נסן  équivalent à 160 et les trois lettres du mot  kessef כסף   totalisent aussi 160.

Eben Ezra voit dans le chiffre quinze les quinze rois de Judah qui ont régné sur le territoire de Judah et Siméon dans le voisinage de Jérusalem. Pour lui, homer et létek font allusion aux grands prêtres de Jérusalem.

Rabbi Yéhouda, dans la Guémara Hullin précitée,  nous apprend que de leur côté les Nations ont dans le monde trente justes, et, grâce à eux, les Nations existent. Il déduit cet enseignement d’un verset de Zacharie (11 :12) : « Je leur dis : « Si cela vous semble bon, donnez-moi mon salaire ; sinon, n’en faites rien ». Ils pesèrent mon salaire : trente (sicles) d’argent ».

Dans le Talmud de Jérusalem – Traité ‘Aboda Zara, chapitre 2, décision (halakha) 1 – nous apprenons que le monde repose sur 30 justes et qu’il ne peut pas y avoir moins de 30 justes. Ce nombre de 30 est déduit du mot yihyé   יהיה que l’on trouve dans un verset à propos du patriarche Abraham (Genèse 15, 5). Le mot yihyé   יהיה équivaut à 30 car la somme de la valeur numérique de יהיה est 30 (10+5+10+5 = 30).

En définitive, il faut retenir que le monde repose sur 36 justes selon l’avis précité d’Abbayé.

Il résulte de ce qui précède qu’à chaque génération il y a au moins 36 justes, et le Saint, béni soit-Il, pardonne aux habitants de chaque endroit pour les hommes justes qui y habitent. Dieu tient compte de la dignité et du rang des justes de chaque endroit et de leurs mérites.

Les trente-six justes n’habitent pas tous dans le même pays, et ils sont répartis un peu partout dans notre monde. Bien sûr, chacun d’eux ignore qu’il est un juste et qu’il fait partie des 36 justes sur lequel repose le monde.

D’après un midrash sur le premier mot de la Tora, Béréchit – בראשׁית -, l’on trouve deux lettres : Y et  Ch – י et שׁ dont la valeur numérique est 10 + 300 = 310.

 Y- י= 10 + Ch- שׁ=300, d’où le total 310.

Pour chacun des justes, l’Eternel notre Dieu a créé 310 mondes.

Après ce prélude sur les justes, le texte Fulgurances Colorées a  été écrit il y a plusieurs années, pratiquement d’un jet, sur un carnet de notes, carnet n° 6, carnet classé avec tant d’autres en plusieurs endroits de ma bibliothèque. Fulgurances  Colorées est le titre donné à mon texte dès la première ligne. J’ai décidé de le reprendre sur mon ordinateur avec quelque augmentation pour rappeler le temps heureux de mon enfance auprès de mon père et de ma mère Zal.

Ma mère, d’un optimisme naturel, était un phare pour nous, un fanal qui éclairait notre chemin et qui illumine encore notre vie après sa disparition.

Cela fait plusieurs années que je n’ai pas rédigé à la mémoire de ma mère un opuscule pour son anniversaire de deuil, Jahrzeit comme on dit en Europe, Yom Hashana ou Yom Hapéqouda,  dans la tradition hébraïque, nhar el-messmara comme on dit chez nous, en judéo-arabe. 

[1] Genèse Rabba, Tome I, page 365 ; traduit de l’hébreu par Bernard Maruani et Albert Cohen-Arazi, Collection “Les Dix Paroles”, Verdier, 1987.

 

 

 

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Joseph DADIA

Je me demande souvent s’il est possible de revenir en arrière et de raconter. Ce temps-là me paraît si lointain, et, en même temps, si présent,  palpable même. J’ose dire que je le vois, que je le caresse et que je lui parle. La nostalgie, la rétentivité, et l’amour des miens me poussent à écrire, à dire, à crier,  à hurler s’il le faut.

Je me demande : est-ce possible d’avoir déjà vécu tant d’années ? Toutes ces images qui se déroulent devant moi. Je les vois ces camarades de classe, ces copains de football. Certains d’entre eux nous ont quittés, alors que je n’ai jamais réussi à les revoir. Pour moi ils sont encore  vivants. Ils sont là debout, près de moi, devant moi, face à moi. Ils me regardent les yeux dans les yeux. Ils me sourient. Mais ils ne parlent pas. Et j’entends ce qu’ils me disent dans leur silence. Nous sommes sur un terrain de football. Ils arrêtent le ballon qui roule, contre-attaquent. Ils dribblent et  ils me passent le ballon. Il ne me reste qu’à marquer le but. C’est la joie. Le bonheur. Les applaudissements.

J’écoute sur ma chaîne Hi Fi un CD de Farid el Atrache. Mais c’est eux que j’entends chanter, après le match. Ils connaissent par cœur  le répertoire de Farid el Atrache, de Mohamed Abdelwahab, d’Oum Keltoum, d’Abdel Halem Hafez, de Sabah Fakhri. Ils vont après le match chanter dans les quartiers de Bab Ghmat et de Bab Hmer, à quelque encablure du mellah, dans la nuit étoilée du ciel de Marrakech. C’est fou comme une chanson véhicule tant de messages et rappelle à la vie ceux qui ont fait le voyage vers l’au-delà auprès du Trône céleste dans l’Assemblée des Justes.

Farid el Atrache, je l’entends sur mon CD. Il chante, il pleure et il supplie : « Je suis unique – ana wahed – et toi aussi tu es unique – ounti wahed -, tu es unique dans ta beauté, et moi je suis unique dans mon amour. » Bidoumi ou-Bdoumouع  ‘inaya. Il dit qu’il chante avec son sang et ses larmes : « Pleure pour ce qui est passé. Pleure pour ce qui va arriver. Nous avons été des amants, Nous avons été des amis. Nous avons été la vie. Katabha Zamane ».

  Ces vers mélancoliques me font revivre maman qui m’a chéri et choyé  comme un enfant unique, aîné cependant de cinq frères et une sœur. Je peux pleurer et gémir comme le chanteur-vedette Farid el Atrache, libanais de naissance et égyptien d’adoption. Mais, hélas ! Rien ne se fera que je puisse serrer dans mes bras ma maman et l’embrasser.

Maman m’avait envoyé en 1957 par voie postale en Angleterre les vinyles de Farid el Atrache. Ils sont arrivés un peu abîmés car mal emballés dans un simple paquet. Le facteur qui m’a apporté le colis pleurait, pensant qu’il sera accusé de la détérioration. Mes camarades de classe au collège Judith et Moshé Montefiore et moi-même l’avons rassuré et il a  retrouvé son calme et sa sérénité, en un mot son flegme britannique. Mes camarades faisaient marcher les vinyles sur un tourne-disque, mis à notre disposition dans une grande salle où l’on jouait au ping-pong. Nous écoutions tous Farid el Atrache malgré les rayures. Le disque rayé grinçait et émettait des sons discordants qui écorchaient nos oreilles.

A qui je vais pleurer ? A qui je vais raconter ? Ô mon Dieu ! Uniquement à Toi, Eternel notre Dieu ! Nostalgie, enfance marrakchie. Maman. Une page fermée. Une lumière éteinte. Une tendresse disparue. Que je ne retrouverai plus jamais. L’attente a été longue, comme la séparation. Une vie à l’intersection du passé et du présent. Une vie entre parenthèses.  Avec mon sang et mes larmes. Katabha Zamane.

La séparation a été rapide et irrémédiable, tandis que je me suis égaré dans les métropoles européennes pour apprendre une culture et assimiler une civilisation autres que celles qui m’ont bercé dans mon berceau, dans le giron maternel et le bercail paternel.

Ô monde ! Même par le sang de mon corps et les larmes de mes yeux, ainsi que le chante avec gémissement Farid El Atrache dans ses chansons, je ne peux exposer ce que furent mes années de bonheur dans cette grande et spacieuse maison, Dar Ben-Sassi, dans cette rue Corcos, Derb Tajer, dans le tiède cocon de mon Mellah de Marrakech. Nous étions alors tous rassemblés, kouna mezmou’in, comme le chante dans son Matrouz l’ami Simon Elbaz,  artiste de grand talent. Nous ignorions ce que l’avenir et son traître de sort  allait nous réserver. Il nous a dispersés et éparpillés aux quatre coins du monde, continuellement écartelés entre le passé et le présent. Nous n’avons pas grandi ensemble : membres de la famille, voisins, amis de classe et de football, scouts et mouvements de jeunesse. Notre enfance, notre adolescence, ont été coupées comme  une rose pour être mise dans un vase. Le parfum de notre jeunesse n’a pas eu le temps d’éclore et de s’épanouir. Séparés, chacun de nous vit sa vie. Et nous nous accrochons pour le restant de notre vie à cette poignée d’années passées sur un banc de classe, à ces rires d’enfants qui jouaient innocemment insouciants, sans rien connaître de ce qui se passe ailleurs. Notre monde à nous se résumait à nos rues, à nos souks, à nos aires de jeux. Nous inventions des jouets, des jeux, des loisirs et des passe-temps. Nous n’avions pas connu l’isolement et la solitude, ce que nous ignorions totalement. La joie était partout nonobstant des moments difficiles. Groupés ensemble, nous étions forts de notre union, de notre amitié et de notre enthousiasme. Certains d’entre nous, des boute-en-train,  nous distrayaient par leurs blagues et leurs farces. Les lettres, remplacées depuis quelques années par des mails, que nous  échangions entre nous, par delà les mers, les montagnes et les continents, évoquent notre passé que nous souhaitons ardemment maintenir vivace. Ce passé commun finira par s’éteindre après notre disparition. Puissions-nous nous revoir avant de partir comme nos grands-parents, nos parents, nos voisins, nos instituteurs et nos rabbins ? Nous le souhaitons ardemment.

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Le passé se fond dans le présent, et il nous aide à vivre le futur.  Au fond, ce passé ne se réfère pas à une chronologie en rapport avec l’histoire et la géographie. Tout est intimement lié. Parler au passé ou du passé, c’est mourir un peu. Si nous nous collons à notre passé   et nous le retenons, c’est pour adoucir la séparation. Il ne sert à rien de se lamenter ou de se révolter. Nous ne faisons que réduire les distances et cela adoucit nos rêves.

A qui je vais me plaindre et pourra-t-on me comprendre ? A qui je vais raconter ma vie et saura-t-on me consoler ? Notre D…ieu a voulu cela  et Lui seul pourra me réconforter. A D…ieu seul, je me confierai et Il me soutiendra.

Les souvenirs sont nombreux et nul ne peut les dénombrer. Les souvenirs ne sont pas une formule mathématique que l’on peut déchiffrer, analyser et formuler en théorèmes. Peut-on défeuiller nos souvenirs comme on effeuille les pétales des marguerites ? Ces chères marguerites, au parfum entêtant, trônaient  les soirs de Pessah à Marrakech sur notre table bien dressée, éclairée par quatre majestueux candélabres en cuivre authentique, placés chacun à un coin de la table. Tout brillait ce soir-là. Tout sentait la  fragrance de Pessah, dans les maisons, dans les rues, et dans les échoppes du mellah où l’on vendait l’huile Lesieur, huile que je ne voyais qu’à l’approche de Pessah. Pour moi, l’huile dans les bouteilles portant l’étiquette Lesieur annonçait la fête.

Inoubliables marguerites, toujours présentes dans ma mémoire, mais introuvables dans cette campagne morbihannaise où  j’habite définitivement avec mon épouse Martine depuis août 2001. Notre chaumière achetée en 1980 était notre résidence secondaire pour les petites et grandes vacances scolaires. Cette chaumière bretonne a été bâtie en 1777, date indiquée sur les vielles poutres qui soutiennent la toiture, et sur le chambranle de l’entrée du côté sud, côté petit jardin.

Nous disposons sur le côté nord, et au-delà, d’un jardin de plus de 4000 mètres carrés, plantés de fleurs, d’arbres d’ornement de collection et d’arbres fruitiers, encadré par des chênes séculaires, dans une zone semi-climatique, au cœur de la campagne, à quelques kilomètres de la Ria d’Etel, et à 25 kilomètres de Carnac, l’une  des plus plages sablonneuses de la Bretagne.

La soupe aux fèves fraîches n’avait le goût de paradis que les deux premiers soirs de Pessah. En dehors de ces deux soirs, la soupe aux fèves est toujours bonne à goûter, mais elle n’a plus le goût de paradis. Martine me fait cette soupe les deux premiers soirs de Pessah et j’y goûte le paradis.

Mon père, à Marrakech, présidait allègrement la cérémonie de Pessah. Il se levait et faisait tournoyer au-dessus de la tête de chacun de nous un vase rempli de marguerites, en chantonnant Bibhilo : « Cette année nous sommes ici, l’année prochaine à Jérusalem ». Bibhilo envahissait notre rue, notre maison, de partout montait Bibhilo. Tout le monde à table, assis ou debout, à l’étage, au rez-de-chaussée, Bibhilo.

« Jérusalem…Jérusalem…l’an prochain à Jérusalem ! ». C’est ça ou quelque chose de ce genre qu’enfant je scandais à tout rompre le premier jour de la fête de Pessah avec des voisins de mon âge, tous rassemblés en cercle au beau milieu de ce vaste patio de l’honorable demeure Dar Ben Sassi. Et nous récitions de mémoire de nombreux passages de la Haggada de Pessah.

Avec mon père, nous récitions le récit pascal, avec des passages en araméen  et des passages en judéo-arabe. Le benjamin de la famille posait les quatre questions rituelles. Puis défilent les quatre enfants, chacun avec son tempérament, son caractère, et sa question à laquelle il fallait répondre tout de suite : – Le sage, – l’impie, – le candide et le balbutieur. Les quatre coupes de vin à boire, et la coupe à remplir en l’honneur du Prophète Elie,  avec l’espoir de le voir arriver et nous annonçant l’arrivée du Messie.

Le chiffre quatre est dans nos têtes : quatre enfants,  quatre coupes. Il symbolise les quatre matriarches : Sarah, Rivqa, Rachel et Léa. Ce chiffre quatre revient comme un leitmotiv au cours de la soirée. Il veut nous rappeler les quatre façons  dont les Egyptiens ont asservi nos ancêtres. Il veut nous rappeler les quatre façons dont D.ieu  nous a délivrées.

Maman servait à table avec joie et sourire, décontractée et heureuse. C’est sa récompense après tout un mois de veilles, de tâches accomplies pour préparer la fête : récurer, badigeonner, remettre à neuf la maison.

Ce soir-là, le prophète Elie  nous rendait visite, comme à chaque année, sous les traits de l’oncle Mardochée Tuizer, l’un des frères de ma mère. Mais la coupe de vin remplie en l’honneur du Prophète restait toujours remplie.

Des années plus tard, mon fils aîné Olivier Ram chalita  avait l’habitude de se lever tôt le matin pour voir la coupe du Prophète Elie. Une année, regardant de près la coupe de vin remplie en l’honneur du Prophète, il se mit à crier tout joyeux, avec l’enthousiasme innocent de l’enfance : « Le Prophète Elie est passé  chez nous pendant que nous dormions ». Il est venu me tirer du lit, et je constatais que la coupe de vin n’était pas remplie complètement jusqu’au bord, d’une infime poignée de millimètres. Une année, ici à la campagne, pendant que je lisais la deuxième partie de la Hagada, j’entendis un bruit. Une fois terminé le récit pascal, je lève mes yeux et je vois que l’une des fenêtres de la salle à manger, qui donne sur le petit jardin, côté sud, était ouverte. Je me suis dit : Cette fenêtre est toujours fermée et elle n’a pas été ouverte depuis de nombreuses années, compte tenu des bibelots qui ornent son rebord. Pour moi, et j’y crois fermement, c’est le prophète Elie qui l’a ouverte.

Olivier Ram a tout oublié  et il ne fête plus Pessah et ne remplit aucune coupe de vin en l’honneur du Prophète Elie. Il ne reconnaît plus  cette fête comme du reste tout ce qui concerne le Judaïsme. Il a suivi pourtant le cycle normal des Etudes juives, tant à la maison qu’au Talmud Tora. Il a fait sa Bar-mitsva au Mur des Lamentations à Jérusalem en présence d’un rabbin cabaliste, cérémonie précédée la veille d’un Daroush, véritable acte de foi.

En cette année 2018, les 30 et 31 avril, Olivier-Ram est venu de Paris se joindre à nous pour célébrer le Seder de Pessah. Quelle joie de le voir participer et de parler longuement du prophète Elie. Je lui ai fait découvrir Babli Haguiga. Il est parti avec un exemplaire pour l’étudier chez lui.

La fête de Pessah, comme les autres fêtes juives, ont rythmé  son enfance et son adolescence. Il suffit de le voir sur des photos ou sur un film sur Pessah réalisé à la demande de David Zrihen par l’Institut National de l’Audiovisuel. Son frère Samuel, après de belles années de pratique juive, a lui aussi tout rejeté. La fête de Pâque avait sa préférence. Il m’aidait à dresser la table, à sortir les livres illustrés de Pessah écrits en hébreu, en français, en anglais, et en judéo-arabe. Vivre dans un environnement non-juif fait que le juif, issu d’une famille  traditionnaliste, finit à son corps défendant par céder à la sirène des Gentils, allant jusqu’à trouver la pratique de son culte surannée. Ce que mes deux garçons ont gardé intact en eux, c’est leur identité juive qu’ils défendront bec et ongles contre quiconque qui tente de la leur contester, comme ils se battront au besoin par les poings contre les antisémites et les anti-Israël de tous poils. C’est très important de le  souligner. Ils restent fiers  de leur judéité et de leurs ancêtres juifs. C’est important de le redire. Mais est-ce suffisant ? Le Judaïsme n’est pas seulement une idée, une philosophie, mais il est surtout une pratique, une voie à suivre. Des actes positifs à faire et des actes négatifs à ne pas faire. Au Mont Sinaï, nos ancêtres libérés de l’esclavage des Pharaons,  ont déclaré à Moïse : « Nous ferons et nous écouterons ». A l’avance ils ont exprimé leur intention de faire, c’est-à-dire d’accomplir les commandements de la Tora, avant même d’entendre ce que Yahvé allait leur dire. Sublime d’apprendre qu’ils voyaient avec leurs yeux ce que leurs oreilles entendaient et qu’ils entendaient avec leurs yeux ce que leurs oreilles voyaient. La moindre des servantes a vu sur la Mer des Joncs dite Mer Rouge ce que le prophète Ezéchiel Ben Bouzi Hacohen n’a pas vu dans ses prophéties. Tout sentait bon dans le monde ce jour-là. Les malades, les infirmes et les aveugles ont guéri. Et la paix régnait sur tout. Plus de haine, plus de guerre.

En général, l’homme écoute d’abord avant de passer à l’action. Nos Sages nous enseignent  que la pratique des commandements divins est primordiale par rapport à la théorie. Ce qu’il faut savoir et surtout retenir c’est que la Tora a été donnée à ceux qui sont convaincus de son enseignement et non pas pour convaincre ceux qui ne le sont pas.

אמי המחוננת

נדבנית ונדיבת-לב

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Je ne désespère pas et mes enfants reviendront à leur source. Ils ont des bases solides. Et Samuel a choisi au Collège Marie-Curie de Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, l’hébreu comme seconde langue après l’anglais. Mon fils Olivier vient nous voir seul et passe un bon chabbat avec nous. Samuel est venu avec ses enfants Ethan et Noé passer Pessah 2017 avec nous. Nous gardons l’espoir de vivre un soir ou deux la fête de Hanouca, autour des beignets chauds et parfumés de Martine et de jouer à la toupie, si cette fête ne tombe pas à Noël ou le jour de l’An.

Maman, avec son esprit d’ouverture et de tolérance, me disait toujours en parlant de mes deux garçons, ses deux petits-enfants qu’elle avait aimés, que l’essentiel  est qu’ils soient heureux dans la vie et surtout être en bonne santé. Comme elle voyait que je n’étais pas satisfait de sa réponse, elle ajouta pour me rassurer que la crainte de Dieu par les deux enfants est indispensable. Son message est de me faire savoir que je n’avais pas à me chagriner du moment que mes enfants étudient et ont de bonnes fréquentations. J’ai tout fait pour qu’ils aient à leur disposition une bibliothèque contenant les livres de base pour la culture générale et pour la culture juive. Un professeur de Français de Samuel a eu la gentillesse, à ma demande, d’établir pour moi une liste détaillée et variée de livres qu’un lycéen devrait lire au cours de sa scolarité. En France, je le répète, la culture générale est fondamentale. Elle est présente dans les examens, les concours, et, mieux encore, dans la vie de tous les jours, dans les rues, les cafés, les entreprises. Le Doyen Georges Vedel de la Faculté de Droit de la Place du Panthéon de Paris, du temps de l’Université de Paris, et avant Assas,  nous disait dans l’amphithéâtre pendant son cours que la réussite à un examen pouvait dépendre parfois du fait d’avoir lu telle pièce de théâtre ou d’avoir vu au cinéma tel ou tel film. Paroles d’un grand Sage ancrées dans ma mémoire. Lorsqu’il partait de son bureau de Doyen, il avait toujours dans l’une des poches de son manteau l’hiver, ou de sa veste au printemps, le quotidien Le Monde et dans l’autre poche un roman policier.

Je revois mon fils Olivier étendu sur son lit lisant Moïse d’Edmond Fleg. Je le revois un matin vers la fin de l’automne lire un livre illustré sur la fête de Hanouca, rêvant de jouer à la toupie, marquée en hébreu des quatre lettres N.G.H.CH., et de manger des beignets chauds et parfumés faits par sa maman Martine. Il neigeait ce matin là. Et la neige renvoyait Olivier à ce qu’il lisait.

Je parle ici d’Olivier car Samuel n’était pas encore né. Il y a sept années d’âge entre eux.

Chez nous les Juifs, quand les parents meurent, les enfants perpétuent leur mémoire par la récitation du Qaddish, et la cérémonie annuelle dite Jahrzeit, messmara en judéo-arabe. Par ces prières, l’âme des parents défunts s’élève chaque année pour être encore plus proche du Trône céleste. Il s’agit de cérémonies dont l’organisation à la maison ou à la synagogue repose sur les épaules des enfants. De cette façon, les enfants récompensent leurs parents qui ont tout fait pour les élever, les entretenir, et les aider à trouver une place au soleil grâce à leurs études ou l’apprentissage d’un métier.

Mes enfants vivent depuis plusieurs années autonomes, chacun d’eux avec sa petite famille. Les parents, cependant, doivent toujours veiller à leur bonheur.

Il est important de transmettre à nos enfants, et eux à leurs descendants, la mémoire et le patrimoine de nos ancêtres. Pour nous les Juifs, cela remonte aux patriarches Abraham, Itshaq et Ya’aqob et aux matriarches Sarah, Rivqa, Rahel et Léa.

Sur le Mont Sinaï étaient présentes toutes les générations depuis Adam. De même, ma génération, celle de Martine, celles de mes enfants Olivier-Ram et Samuel, celles de leurs enfants, et ce, jusqu’à la fin des temps.

Je suis arrivé en France le 4 juillet 1962. Membres du Conseil de Maison du Toit Familial, 9 rue Guy Patin Paris 10, où habitaient des étudiants juifs triés sur le volet, David Lévy-Bencheton et moi-même  avons été délégués par les Directeurs Nathan Samuel et son épouse Hélène née Neher, pour assister à Strasbourg à des rencontres entre les Etudiants Juifs de France. C’était vers les derniers jours de décembre 1962. J’apprends au cours de ce rassemblement de la bouche du président de la communauté juive de Strasbourg le problème  que posent en France les mariages mixtes. C’est la première fois dans ma vie que j’entends parler de  mariages mixtes, expression à laquelle je n’ai rien  compris, et qu’il a fallu bien de la patience à des amis pour me l’expliquer. Un mariage mixte est un mariage entre un homme juif et une femme non juive ou bien un mariage entre une femme juive et un homme non juif. Dans ma ville natale de Marrakech, au mellah, les mariages se faisaient entre les femmes et les hommes de ma communauté juive. Le président a aussi voulu nous apprendre que dans ce type de mariage, nous perdons le ou la coreligionnaire. En conséquence de quoi le nombre des juifs de la communauté en France se trouve amoindri, alors que nous sommes une petite communauté par le nombre par rapport aux autres communautés.

En janvier 1963, sous l’égide du Congrès Juif Mondial, la Section Française organisait à Paris une rencontre autour du thème « De l’Identité juive à la Communauté », avec la participation de professeurs, de chercheurs, de philosophes, de rabbins et une conférence de Paul Ricœur, un philosophe non juif.

Plus tard, cette rencontre annuelle prendra pour nom Colloque des Intellectuels Juifs de France. J’ai pu plusieurs années de suite assister comme simple auditeur à ces colloques, dont j’ai gardé les fascicules publiés.

 Sur « Les mariages mixtes » et sur « L’Identité Juive », j’aurai quelques remarques à faire.

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA-page 22

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

« Les mariages mixtes »

La Tora nous a enseigné de ne pas avoir des liens de famille avec les membres des sept peuplades cananéennes : « … Tu les voueras à l’anathème, tu ne concluras pas d’alliance avec elles, tu n’en auras point pitié. Tu ne t’allieras point par mariage avec elles : tu ne donneras pas ta fille à leur fils, et tu ne prendras pas leur fille pour ton fils, car cela écarterait ton fils de derrière moi et il servirait d’autres dieux ; alors s’enflammerait contre vous la colère de Yahvé et Il t’anéantirait bien vite », cf. Deutéronome 7 : 2-4  et Exode 34 : 14-16.

Les peuplades cananéennes étaient des idolâtres, et l’idolâtrie était considérée comme une « prostitution » parce qu’elle s’adresse à un dieu autre que Yahvé, cf. bible Osty page 212 et page 385.

La Tora prévoit le cas particulier du mariage d’un juif avec une belle païenne qui se convertit soit volontairement soit par contrainte au Judaïsme, cf. Deutéronome 21 : 10-14. Il s’agit d’une captive en cas de guerre volontaire par Israël contre des peuples non cananéens. Rachi nous enseigne que ladite captive peut être une descendante de l’une des anciennes peuplades cananéennes. Il est question ici d’une femme bien faite de corps dont le guerrier juif s’éprend. Le chanoine Osty explique que « la prescription sur le mariage avec une captive, propre au Deutéronome, se rattache à celles sur la conduite de la guerre, cf. ch. 2) et se remarque par son esprit de tolérance et de modération. […] Les prescriptions des versets 12-13  symbolisent l’abandon total du milieu d’origine et le changement de condition de cette femme qui d’esclave devient épouse », cf. bible Osty, page 410. Cf. Babli Hullin 109b : l’avis donné sur ce point par Yalta l’épouse de Rab Nahman Bar Ya’aqob. Yalta, fille de Raba Bar Abhou, appartenait à une famille riche très renommée. Yalta connaissait les principes de la Tora et savait les commenter en donnant son avis. Ainsi, à titre d’exemple, elle disait que Dieu nous a interdit d’épouser une non-juive, mais Il nous a autorisés  à épouser une non-juive qui est belle. Un autre exemple : elle savait que l’on ne pouvait pas manger de la viande d’un quadrupède avec du lait. Elle avait envie de manger de la viande avec du lait. Son mari lui indiqua qu’elle pouvait manger le pis de la vache une fois la mamelle grillée.

Rab Nahman Bar Ya’aqob a été le disciple de son futur beau-père.

Il s’agit de deux amoraim en Babylonie, dans les années 250-290 de l’ère courante. Cf. Babli Baba Batra 46b ; Babli Yebamot 80b.

La Tora, par le texte susvisé du Deutéronome, nous inculque les principes qui gouvernent la conversion à la religion juive. La personne qui se convertit au Judaïsme est considérée comme un petit enfant qui vient de naître.

Il serait intéressant de lire et de méditer ce que dit sur ce point Rabbi Moché ben Nahman, Ramban, (1194-1270).  Il n’est pas demandé à la captive si elle entend se séparer d’elle-même de son culte et de se convertir au Judaïsme comme les prosélytes, mais le mari l’oblige d’observer scrupuleusement les prescriptions du Judaïsme. Il déduit cet enseignement de ce qui est écrit dans Deutéronome 21 : 12-13 : « Alors tu l’amèneras dans l’intérieur de ta maison. Elle se rasera la tête et se fera les ongles. Elle quittera son vêtement de captive, elle habitera dans ta maison et pleurera son père et sa mère pendant un mois. Après cela, tu iras vers elle, tu l’épouseras et elle sera ta femme ».  

« Elle pleurera son père et sa mère », c'est-à-dire qu’elle quitte son peuple et ses idoles. Elle est endeuillée car elle quitte son culte en s’intégrant à un autre peuple. Cf. Babli Yebamot 48b ; Sifré péricope Ki Tétsé 213.

Elle pleure parce qu’elle peut penser que ses parents sont morts dans la guerre. Le fait de pleurer va lui permettre de retrouver son calme,  une tranquillité  d’esprit, en se départant  de son chagrin (Maïmonide). La Tora recommande au mari de ne pas l’empêcher de pleurer son père et sa mère et d’être en deuil pour eux (Eben Ezra).

En général, il arrive qu’un juif rompt  avec les commandements de Yahvé, pour une raison ou une autre, sans pour autant s’assimiler à la société dans laquelle il vit ou contracter un mariage mixte.

Il arrive aussi à un juif de ne plus pratiquer les commandements de la Tora, de s’assimiler à la société dans laquelle il vit, allant jusqu’à épouser un conjoint non-juif.

Ce conjoint non-juif épousé par un juif peut être le meilleur du monde par sa gentillesse, par son intelligence, par son comportement irréprochable, ses valeurs, sa morale, ne sera jamais considéré comme juif à défaut de conversion. La pratique du judaïsme par le juif finira par s’émousser, voire par s’éteindre. Et le garçon qui naîtra d’une union entre un non-juif et une juive portera un nom qui n’est pas juif. Mais l’enfant est juif. Va-t-il être circoncis ? Etudier la Tora ? Faire sa Bar-mitsva ? Et la chaîne ascendante jusqu’aux trois patriarches et les quatre matriarches, via le Mont Sinaï, va disparaître pour toujours. C’est bien de cela qu’il s’agit. Et les enfants assimilés  se rendent compte de cette situation vers la fin de leurs jours. Et là, regrets et regrets. Mais, c’est peut-être  trop tard.

 Personnellement, relativement à mes enfants, je ne peux ni me résigner ni accepter le fait accompli. Je peux crier et hurler, seul le vent me répondra. Dommage, mile fois dommage. Mais espérons. L’espoir relève de la foi et de l’espérance. L’avenir, seul maître en la matière, nous fixera. Nos Sages nous ont inculqué de revenir dans la bonne voie un jour avant notre mort. Mais personne ne sait exactement le jour de sa mort. En d’autres termes, ce retour un jour aura lieu chaque jour pour ne pas être surpris par la mort.

A tout cela y a-t-il une explication à donner, une raison à avancer, une cause à pointer ? Quand je regarde sur l’écran de ma mémoire mon itinéraire personnel, la chronique de ma vie, je peux isoler deux dates importantes, dans la mesure où je peux les considérer comme la genèse, voire mon anamnèse, de mon histoire personnelle. Le premier fait remonte  à octobre 1956, date de mon départ de Marrakech en Angleterre à Ramsgate dans le Kent pour y étudier au Collège de Moïse et Judith Montefiore. Le deuxième fait, et de loin le plus déterminant, est le départ définitif de mes parents de Marrakech pour Israël, en avril 1962, soit trois mois avant mon départ pour la France pour y étudier le Droit et devenir Avocat à la Cour. Dans mon esprit, une fois terminées à Paris les études en Droit, je pensais rejoindre mes parents en Israël et vivre à leur côté. Les circonstances et les vicissitudes de la vie ont décidé autrement. Je me suis inscrit à l’Agence juive à Paris pour faire ma ‘aliya, j’ai passé les examens médicaux. Une personnalité de l’Agence juive qui me connaissait me dit : « Joseph, nous avons besoin de toi en France ». Il parlait alors au militant que j’ai été, hyper actif dans différentes associations, en particulier, à cette époque, le Mouvement Oded. Il se trouve que depuis mon arrivée en France en juillet 1962, je n’ai jamais quitté ce pays. Il y a certainement d’autres évènements qui ont compliqué ma vie en France, évènements dont je ne me souviens pas. A ce jour, je n’ai jamais accepté la situation,  mais le fait est là.

Ma mère, la bienfaitrice Fulgurances colorées-Joseph DADIA

Agadir-Joseph Dadia

Agadir-Joseph Dadia

Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé.

Ernest Renan

La vie est une succession de cycles …Et de temps en temps, on revient à la case départ. Patrick Modiano 

AVANT-PROPOS

Tous les récits du monde ne suffiront pas à raconter mon histoire.

J’évoque peu dans mes textes le souvenir de la famille de maman. Il n’y a aucune explication à ce silence. Le moment viendra. J’écris sous l’inspiration. Seule l’inspiration me guide. Je ne choisis pas mes souvenirs. Ils s’imposent à moi.

Quand je pense à la famille de maman, je revois des hommes et des femmes de qualité, d’un rang social élevé, d’une bonne réputation. Dès ces premières lignes, leurs visages apparaissent devant moi. Ils me regardent tels que je les ai connus. Plusieurs images d’eux se présentent à moi, toutes en même temps.

Ce que l’œil peut capter instantanément, la main de l’homme ne peut le transcrire d’un seul geste.

Ces mages me renvoient à Agadir et aussi à Marrakech. C’était avant octobre 1956, date à laquelle je suis parti en Angleterre.

Je me souviens. Ma famille d’Agadir venait voir maman à Marrakech.

Un jour de juillet, je me rappelle, profitant de la fraîcheur du matin, je révisais tranquillement le chapitre deux des « Lois d’Ethique et de Morale » de Maimonide : « Lorsque ceux qui souffrent de maladies physiques goûtent ce qui est amer, ils disent que c’est doux, et pour ce qui est doux, ils disent que c’est amer … Et ceux qui souffrent de maladies mentales s’écartent de la bonne voie, car leur mal altère leur volonté … ».

Soudain, j’entends des éclats de rires joyeux du côté de l’escalier. Levant les yeux de mon livre, je vois arriver vers moi mes cousins et mes cousines d’Agadir. Je n’en croyais pas mes yeux. Ils sont tous là devant moi. Je saute sur eux, les embrassant et les serrant dans mes bras. Il y a une heure à peine qu’ils sont arrivés d’Agadir à Marrakech. Leur première visite est toujours pour maman. Je leur dis que Lalla, c’est ainsi qu’ils appellent maman, se trouvait à Casablanca chez sa sœur Rahel, et aussi pour voir son frère David. Je ne tardais pas à lire sur leur visage une profonde déception. Ils ne sont à Marrakech, avec mon oncle et ma tante, que pour quarante-huit heures. Les grandes filles avaient des copains à voir au mellah.

Se détache nettement dans ma mémoire ma petite cousine Marie, douce et bonne, et d’une grande candeur. Comme elle était sensible, éveillée et intelligente. Malgré son très jeune âge, elle veillait sur moi quand je passais mes vacances à Agadir. Toujours affectueuse et câline.

Je garde de pieux souvenirs d’elle. Je me souviens, comme si c’était hier. C’était un samedi après-midi.

Elle proposa de me conduire à la plage pour jouer au foot avec mes amis gadiris. Nous empruntons un raccourci par une rue qui descend en pente à l’aplomb de la plage. Beaucoup de voitures circulaient dans les deux sens dans cette rue, d’ordinaire calme. Marie prit fermement ma main et me fit traverser la rue d’un trottoir à l’autre, faisant attention aux voitures qui arrivaient sur nous. Tout au long de notre promenade je l’écoutais me raconter des historiettes avec charme et naïveté, comme un petit frère avec sa sœur qu’elle protège. Je revois encore son regard. Une vision qui revient. Tout cela je le garde en moi comme un précieux et rare trésor qu’aucun pesant d’or ne parviendrait jamais à équivaloir.

Relisant mon texte, je constate des répétitions.

Josué Jéhouda, un grand écrivain juif de Genève, tombé dans l’oubli depuis des années, m’a appris au cours d’une rencontre chez lui qu’il faut garder les répétitions dans la mesure du possible.

Joseph Dadia

Agadir-Joseph Dadia

AGADIR- I

Je ne choisis pas mes souvenirs sur l’écran de ma mémoire. Tant de souvenirs m’envahissent. Ils s’imposent à moi. Il se trouve que j’ai consigné ces souvenirs sur de petits carnets à une époque où je me portais bien, loin de la drogue dite pompeusement cortisone. Après le déjeuner, je sortais dans le jardin, et c’était le printemps, un petit carnet et un stylo à la main, et j’écrivais.

Je reproduis ce que j’ai écrit.

Quand je pense aux membres de ma famille du côté maternel, je revois des hommes et des femmes de qualité, d’une bonne origine ancestrale et d’une haute et honorable réputation. Depuis ces premières lignes, leurs visages surgissent devant moi, le jour et la nuit.

Ces visages me regardent tels que je les ai connus. Les images se présentent toutes en même temps. Ce que l’œil peut distinguer dans son orbite, la main de l’homme que je suis ne peut le transcrire d’un trait en un seul coup. Ces images me renvoient à Agadir d’avant octobre 1956, date à laquelle j’ai quitté Marrakech pour l’Angleterre.

Mon oncle Meyer habitait avec sa femme Fréha et ses enfants dans une maison à Talbordj, à l’étage, sans rez-de-chaussée, sans voisins, avec un escalier sur la rue qui la desservait. Je n’avais aucune idée de la topographie de la ville d’Agadir dont les rues et leurs maisons, un peu partout en différents points, sur les hauteurs, au bas desquelles une mer diaphane et calme embrassait une longue et large plage de sable fin. L’eau de la mer que je découvre, par comparaison avec Essaouira/Mogador que je connaissais depuis longtemps, était toujours bonne avec une température agréable quasiment tiède, sans vagues ni houle. J’étais un peu perdu dans les rues d’Agadir. Il n’y avait pas de quartier spécifiquement juif comme à Marrakech, ma ville natale, ou à Essaouira/Mogador. Marrakech, ville homogène et structurée, se répartissait nettement en différents quartiers distincts. La vie juive à Marrakech existait en deux ou trois quartiers à proximité du mellah, mais surtout au Mellah avec ses synagogues et ses nombreux fidèles aux trois offices de la semaine et un peu plus d’offices le Shabbat et les Fêtes, en particulier à Kippour, Jour solennel du Grand Pardon. Rien de tel à Agadir où je vivais des moments étranges et intenses. Cependant je conserve dans ma mémoire le souvenir d’une ville attachante, moderne, où les enfants juifs parlaient un bon français, affranchis de toute contrainte religieuse. Ils étaient libres comme le vent et je les rencontrais sur la plage. Ma passion pour le football m’a ouvert largement les portes. Je suis devenu leur camarade, leur ami. Nous jouions au ballon rond de très longues heures, avant d’aller nous laver agréablement dans l’eau chaude et profonde de l’Océan. Je rêvais en me baignant aux lointains rivages au-delà de l’horizon.

Dans l’appartement, mon oncle Meyer et sa femme Fréha avaient leur chambre sans fenêtre sur la rue, avec un téléphone. Cette pièce était contigüe à celle que j’occupais durant mon séjour chez eux. Les enfants vivaient tous dans une même pièce, située à la droite de celle de mon oncle et ma tante. Je n’y ai jamais mis les pieds. Une grande salle face à la

 chambre de mon oncle Meyer servait de salon et de salle à manger. La cuisine, la salle de bain et les toilettes étaient là pour l’aisance et le confort de tous. Toutes ces pièces, au nombre de quatre, étaient disposées autour d’un patio à ciel ouvert. Sur la terrasse, la Souca

Une femme venait chaque jour pour le ménage et faire la cuisine.

Ma tante Fréha supervisait toutes les activités, le sourire sur son visage. Un sourire permanent et rayonnant.

La chambre que j’occupais avait une large fenêtre qui donnait sur une impasse où le soleil s’absentait l’après-midi. De ma fenêtre je voyais un troquet berbère, avec un bar à l’intérieur et, à l’extérieur, à même la rue, de petites tables coquettes garnies de bols en faïence, prêts à recevoir une soupe bien fumante pour rassasier le chaland du bled de passage dans la ville, à l’occasion d’un marché ou d’un moussem. J’aimais bien regarder de ma fenêtre ce troquet, le patron à l’entrée prêt à accueillir les premiers clients. Ce café se trouvait dans un cul-de- sac calme, qu’aucune voiture ne traversait. Il régnait dans ce café une atmosphère de sérénité. Il attirait mon regard par son charme simple et son ambiance chaleureuse. Je voyais bien que les gens qui le fréquentaient se sentaient chez eux et en bonne compagnie, le temps de boire un verre de thé ou un bol de soupe. Je me contentais de le contempler du haut de ma fenêtre avec sympathie et tendresse. Jeune adolescent alors, je ne pouvais fréquenter des personnes adultes qui parlent en chleuh entre elles, ni boire une soupe non cachère. Ce troquet était joyeux. D’un tourne-disque, voire un gramophone, jaillissait une musique rythmée, vivante et entraînante. Des chants berbères. De temps à autre, un musicien avec son gnibri venait y jouer. J’aimais de ma fenêtre suivre cette ambiance et entendre les chants berbères. Je n’ai jamais eu l’idée de descendre et d’aller saluer le patron de ce café. En bas, personne ne faisait attention à moi. Je garde un excellent souvenir de ce café. Résonnent encore à mes oreilles ces airs du Sud marocain, au son des cymbales, racontant l’épopée épique des Hmadcha et des Hadawa. De là date mon affection sincère et profonde pour la langue, la poésie, la musique et les chants berbères. Je ne comprenais pas les paroles, mais je sentais qu’elles racontaient des récits glorieux d’antan. Je partageais à ma façon des moments de distraction et de récréation en compagnie de ceux attablés en bas, juste au-dessous de ma fenêtre. Personne ne semblait remarquer mon regard ou bien faisait semblant de ne pas me voir.

Cette pièce, où je passais de longues semaines en l’espace d’un été, était meublée sobrement mais avec distinction. De longs divans, aux matelas de laine soyeuse recouverts de beaux draps, longeaient trois murs de la chambre : un mur à la droite de la porte d’entrée, un mur à sa gauche, et un mur face à cette porte, celui de la fenêtre qui donnait sur la rue. La nuit, je m’allongeais où je voulais.

Une table basse et ronde se trouvait vers l’entrée de la pièce. Elle nous servait le soir pour manger.

Il m’arrivait de sortir de la maison pour aller acheter le journal. C’était l’époque où je suivais, sur le plan militaire, le sort de la France en Indochine et sa défaite de Dien Bien Phu.

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AGADIR II

Je suis revenu à Marrakech de Ramsgate fin décembre 1959, avec l’intention ferme d’envoyer en Israël mes parents, mes frères et ma sœur. De revoir aussi les membres de ma famille du côté paternel et du côté maternel.

Il m’a été proposé de m’inscrire à l’Université Hébraïque de Jérusalem pour y poursuivre, selon mon choix personnel, soit des études en littérature hébraïque, matière que j’affectionnais tant, soit des études talmudiques et théologiques, matière que le Rabbin Lippa Rabinovitch aimait étudier personnellement avec moi dans son salon personnel. Mais je voulais avant tout revoir ma famille. En trois ans et quelques mois, loin de tous, bien des choses ont dû changer. Ceux et celles que j’ai laissés bébés ou petits ont grandi et ont fait leurs dents. Mais je ne savais pas qu’à peine peu de semaines après mon retour d’Angleterre que la terre allait à Agadir gronder de colère et emporter dans ses entrailles celles et ceux que nous chérissions tous. A Casablanca, j’ai passé quelques jours chez mon oncle David et ma tante Marie. De là j’ai pris le train pour Marrakech.

A Marrakech, j’ai été dire bonjour à mon oncle Shim’on et à sa famille, qui habitaient au milieu de Derb Latana, près de l’endroit où a été ensevelie El Beghla d’El Qbourat. Nous habitions à quelques mètres d’eux vers le fond du côté droit de ce Derb.

J’ai revu à plusieurs reprises mon oncle Mardochée, son épouse, ma tante Marie née Nezri, mes cousins Henri et Joseph et leurs frères et sœurs.

J’ai passé avec eux, comme avant mon départ en Angleterre, le repas du vendredi soir. Une fois, c’est sûr, plusieurs fois je ne m’en souviens pas. Mon oncle Mardochée aimait me voir chez lui au repas du vendredi soir. C’était le moment idéal pour nous d’eux de parler de beaucoup de choses et d’écouter à la radio, la T.S.F, des nouvelles d’Israël. Mon oncle Mardochée s’habillait encore à l’ancienne. Mais dans sa mentalité et ses objectifs, il était un homme moderne. Il se rendait au marché à vélo. Il s’intéressait aux jeunes qui poursuivent leurs études.

Il attendait beaucoup d’Henri. Il m’a prié de suivre Henri dans ses études, auquel j’avais remis avant mon départ en Angleterre un livre de calcul. On ne disait pas encore « Mathématiques ». Henri était au Lycée un bon élève et il avait une espèce de scooter pour s’y rendre. Il me parlait de Johnny Halliday et d’autres chanteurs que je ne connaissais pas.

Je me souviens bien d’un dimanche où nous sommes partis à l’Ourika pour aller au pèlerinage du saint Rabbi Shlomo Belhens. C’était début janvier 1960. Il faisait beau et le soleil brillait de ses feux d’hiver sur la vallée. L’oued roulait tumultuairement ses eaux. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. J’ai mis mon maillot de bain et je saute dans l’eau. L’eau était délicieuse et je nageais comme du temps d’une colonie de vacances en ces lieux, l’été 1955. Le courant était rapide. Et les flots déraisonnables m’ont emporté à toute vitesse dans leur cours. Je suivais instinctivement à la nage les ondulations saccadées de l’eau. A un moment, je me suis trouvé dans le creux d’une eau profonde, calme et impassible. J’avais peur.

J’ai fait signe à mon oncle et à sa suite. J’ai lu sur leur visage une grande inquiétude. Je suis sorti de l’eau comme si de rien n’était. Nous avons poursuivi notre pique-nique.       

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Car il n’est pas de souvenir pour le sage avec le fou, en pérennité, parce que déjà aux jours qui viennent tout est oublié.

Eh quoi ! Le sage meurt avec le fou ! Ecclésiaste 2 :16

(Traduction La Bible Chouraqui).

Ce qui me frappe, c’est la rapidité avec laquelle les jours d’antan ont traversé le temps de notre enfance et de notre jeunesse. C’est comme le D.V.D. d’un film que l’on déroule à grande vitesse pour arriver à la séquence que l’on souhaite regarder. Je n’ai pas eu le temps de connaître un peu mieux chaque membre de la famille. Les parents, les oncles et les tantes, tant de la branche paternelle que de la branche maternelle, nous ont vite quittés, nous laissant de doux et de bons souvenirs. Leur bon renom nous accompagne partout. Nous, leurs descendants, que sommes-nous devenus, dispersés çà et là, en Israël, au Maroc, en France, au Canada et aux U.S.A. ? Forcément, les distances émoussent les sentiments. Les rencontres occasionnelles réchauffent et animent le temps d’un événement nos rapports fraternels, notre amitié et notre solidarité. Mais, à la longue, qu’adviendra-t-il de nos propres descendants ? Il y a pourtant des familles qui sont restées intactes, groupées dans la même ville, voire même dans le même immeuble, avec le grand- père, la grand-mère, et toute une ribambelle de mômes, avec leurs parents, les proches et les collatéraux. Quand je vois cela et quand je l’écris, dois-je me révolter ? Etre jaloux ou envieux ? Non ! Certainement non et mille fois non ! Je me tais tout simplement. Garder le silence est la métaphore du sage qui accepte la volonté de D. ieu, comme le soulignent des passages de Pirqé Abot, les Maximes de nos Sages et Maîtres, que nous lisons chaque semaine dès le premier shabbat après Pessah jusqu’à la veille de Shavouot, avec Michlé. Les érudits étudient aussi le traité dit Abot de Rabbi Nathan, groupant 41 chapitres. Bien plus tard, le livre de Job. Tout cela pour nous montrer la bonne voie à suivre pour rester sous la présence de la Shékhina.

Pirqé Abot/Les Maximes des Pères, « Une gnomologie (nomologie) poétique qui a trouvé place dans la Michna », dans Nézikim, nom du quatrième Ordre sur six. Pirqé Abot ne fait aucune référence à un commandement de la Torah. C’est un ensemble de réflexions, d’apophtegmes, d’adages et d’aphorismes. Soixante-dix Sages d’Israël environ ont participé à la rédaction de ce Traité, du deuxième siècle avant l’ère commune jusqu’au début du troisième siècle. Le nom de chaque auteur figure dans Les Maximes des Pères. Ce Traité comportait à l’origine cinq chapitres auxquels un sixième chapitre a été ajouté. Sa lecture se fait un shabbat, et il y a six shabbatot entre Pessah et Shavouot.

Cf. Commentaires du Traité des Pères – Pirqé Abot, traduit de l’hébreu et annoté par Eric Smilévitch, Verdier/poche, Editions Verdier 11220 Lagrasse, 1990. L’auteur se réfère dans ses commentaires à Maimonide, Rachi, Rabbi Yona, le Maharal de Prague, Rabbi Hayim de Volozyne. Il explique : « Recueil des sentences des sages d’Israël qui succédèrent aux prophètes de l’époque biblique, les Pirqé Abot furent en effet l’objet, au cours des siècles, du plus intense travail de commentaire que connut la tradition juive. Cf – Les Maximes des Pères du Rabbin et Officier d’Académie Moïse SCHUHL ; – Benjamin Gross : Maximes des Pères.

– Rabbi Menahem Ménaché : Leb Abot Hachalem ; – Rabbénou Yossef Knafo : Pirqé Abot. ; – Rabbénou Chalom Abihssira, auteur du livre Kaf Ahat, où se trouve un commentaire de Pirqé Abot de Rabbénou Ya’aqob Abihssira ; cet ouvrage m’a été offert par mon très regretté ami Ya’aqob Abihssira Zal -Rabbi Chémouel dé Ouzéda (Safed 1540), disciple de Haari Zal et de Rabbi Haïm Vital : – Midrach Chémouel, commentaire de Pirqé Abot ; d’autres livres de lui : Iguérète Chémouel sur Ruth ; Lchcmc Dim'â sur Eikha. Je n’ai aucun ouvrage de lui.

Mon oncle Mardochée a été un homme posé, intelligent, modéré et sérieux. La semaine, il était accaparé par son commerce de poissonnier en compagnie de son frère Shim’on et de leurs ouvriers juifs et musulmans, en relation permanente avec leur frère Meyer à Agadir. La semaine l’oncle Mardochée portait de simples vêtements pour se rendre à la poissonnerie familiale, dont l’origine remonte au grand-père Hanania, président et fondateur à Marrakech de la Corporation des Poissonniers. Je le voyais sur son vélo, concentré, pour arriver au plus vite prendre sa place derrière l’étal pour couper le poisson et servir les nombreux clients, secondé en cela par son frère. Le vendredi soir, à l’heure de l’accueil de La Reine Shabbat, fille de Yahvé, et fiancée d’Israël, l’oncle Mardochée était un autre homme. Bien rasé, bien parfumé et bien habillé. Ce, grâce à Marie, son épouse. Tsadéqet guémoura. A jamais inoubliable. Toujours dans notre mémoire à tous. Je rencontrais souvent mon oncle Mardochée sur son vélo dans telle ou telle rue du mellah. Un jour je l’ai croisé au carrefour de la rue A’fir et de Derb Tabac. Il arrêta son vélo et nous nous embrassâmes. Il tenait à savoir si tout allait bien pour moi et que je ne manquais de rien. Que tout allait bien pour maman, sa jeune sœur, et pour mon père, mes frères et ma sœur. Rassuré par mes paroles, il remonta sur la selle de son vélo, et d’un coup de pédales, le voilà déjà sous le porche de Rabbi Mordekhay Bénattar, fondateur et bâtisseur de notre mellah, frontière incontournable entre notre quartier et le monde extérieur, avec ses multiples secteurs, dont principalement la Médina et ses faubourgs, avec Jamaa El-Fna et Mouassine, et, bien sûr, la Nouvelle Ville européenne, le Guéliz.

Un samedi après-midi, je rencontrais sur mon chemin mon vénéré et inoubliable maître, Rabbi Nissim Bénisty, ami très proche de mon oncle Mardochée. Nous habitions alors Derb Talmud Torah et Rabbi Nissim venait de chez lui, Derb Ben Simhon. Un jet de pierres séparait nos maisons respectives. Je venais de le croiser près d’une fontaine d’eau, « trompa », qui est juste en face de la synagogue des Toshabim/Autochtones, dite Slat Talmud Torah, à laquelle la Synagogue dite Slat La’jama, celle des Expulsés d’Espagne, lui tourne le dos en ce point là.

Aljama : ־ Lieu où se regroupaient les Juifs en Andalousie ; – Ensemble des Institutions sociales, religieuses et judiciaires. Toutes les Juiveries en Andalousie n’étaient pas des aljamas. Là où il y avait une synagogue, il y avait un miqveh

J’ai rencontré mon maître Rabbi Nissim Bénisty devant le magasin/épicerie de Rabbi Shlomo Elbhar, le père de mes amis Itshaq et Hanania.

Mon maître Rabbi Nissim Bénisty me pria d’aller chez ma tante Marie, pratiquement à l’autre bout du mellah, lui chercher une assiette des œufs de poisson dont il était très friand. Peu de temps après, pendant qu’il m’attendait à la même place, je reviens avec une grande assiette débordant d’œufs de poissons cuits au jus de safran. Je revois encore cette assiette. On eût dit une belle omelette. Ma tante Marie était un cordon bleu comme l’autre tante Marie, l’épouse de mon oncle David. La tante Fiby, l’épouse de mon oncle Shim’on, était aussi une grande cuisinière.

Je n’aimais pas et je n’aime pas les œufs de poisson. Mais où les trouver aujourd’hui ?

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Quand je raconte cette histoire d’œufs de poisson à mon épouse Martine, elle s’en pourléche les babines en répétant avec gourmandise « miam, miam », tel un fin gourmet.

Tout dans mon oncle Shim’on respirait l’enfant de bonne famille. Ne disait-on pas de ma famille maternelle « Dar Ben Tuizer», c'est-à-dire «La Maison Tuizer ». Ce qui dénote une considération certaine, mais surtout l’aisance matérielle dans laquelle la famille a toujours vécu. Le grand-père Hanania a laissé un bon renom. Ses enfants, deux filles et six garçons, ont suivi la voie tracée par lui. A quelle époque la famille Tuizer a quitté Demnate, son berceau d’origine, pour venir à Marrakech ? Probablement au cours du 18ème siècle. Personne ne disait à Marrakech que les Tuizer étaient de Demnate. Pour tout le monde, ce sont des Marrakchis. Il était habituel au mellah de Marrakech de dire que telle famille est de tel village ou de telle ville. Ce n’était pas le cas pour la famille Tuizer. Ils étaient des Marrakchis de souche, après quasiment trois siècles dans Marrakech. Maman me disait qu’elle était capable de dire qu’un tel est de Marrakech et que tel autre n’est pas de Marrakech, à sa façon de parler et à son accent. J’ai rencontré à Paris des membres de familles aisées, et de souche marrakchie, qui ont vécu avec la famille Tuizer. Ils ont toujours considéré maman marrakchie comme eux. J’ai eu l’occasion de le voir par la suite de par le contact chaleureux qu’elle avait avec eux. Cette grande dame a bercé mon berceau, et cette autre a aidé maman à résoudre tel problème.

L’oncle Shim’on s’habillait d’une façon simple, toujours en blanc, et sa skara bourrée d’argent, pièces de monnaie et billets de banque, toujours suspendue en bandoulière au niveau de son bras droit, prêt à sortir la pièce pour le mendiant qui passe. Il aimait la bonne chère et le bon vin. Sur la Place Centrale du Mellah, Rehba d’Es-Souq, il s’allongeait sur une natte sur le côté gauche et discutait paisiblement avec ses amis, tout en grignotant des fruits secs et des sauterelles, ou du maïs en épis bouilli, suivant la saison, et sirotant à l’envi quelques verres avant de regagner son domicile. Fiby née Elfassy, son épouse, avait des doigts de fée. Femme pondérée et d’une grande patience, elle ne prononçait jamais des mots déplacés. Je la trouvais chaleureuse, très proche de notre famille et animée de bons sentiments. J’aimais beaucoup les chemises qu’elle créait et qu’elle cousait pour m’habiller à la demande de ma mère. Maman achetait les tissus et la couleur qui correspondait à mon goût pour chaque chemise, et elle en remettait le coupon à Fiby. C’était des chemises sur mesure à manches courtes ou longues selon l’époque. A chaque fête juive, une ou deux chemises neuves. C’était économique pour maman et à la mesure de son porte- monnaie. Elle n’achetait que le tissu. La confection de la chemise était gratuite bien entendu. Fiby, je pense, ne faisait des chemises que pour ses enfants et les membres proches de la famille. Une fois, j’ai dit à maman que je souhaitais pour la prochaine fête juive une chemise de couleur noire. Cette couleur de chemise était à la mode et je voyais plusieurs personnes plus âgées que moi qui la portaient. Même aujourd’hui je garde le goût pour des chemises noires et j’en ai. Mes chaussures, mes gilets ou pulls, mes manteaux ou pantalons sont noirs. De même mes chapeaux. Tout en trouvant cela austère et d’un mauvais présage. Fiby était aussi une bonne cuisinière et j’ai toujours aimé ses petits plats à Marrakech et, plus tard, à Kfar Atta en Israël.

La joie s’empara de mama Messaouda à l’approche des fiançailles de mon oncle Mardochée. La future belle-famille habitait au mellah vers le fond de Derb Es- Souq, dont le début de la rue, légèrement en pente, commençait à Rehba d’Es-Souq, là où il y avait une petite boutique d’un marchand d’olives noires, et, à peu de mètres de la pente, à droite, un four à pains. En fait cette rue, par une traboule, débouchait sur une placette qui reliait Derb Tabac à A’fir. Je me souviens bien de marna Stwar, la mère de la fiancée, d’Elie et d’Ihya, ses frères, et de sa jeune sœur Madeleine. J’ai oublié le nom des autres sœurs, dont l’une d’entre elles habitait Mazagan. Je me souviens bien de leur accueil chaleureux. De leur sourire. De leur gentillesse. Je me sentais aussi heureux que maman et mon oncle Mardochée. Ce fut la seule et unique fois dans ma vie que j’assistais à des fiançailles. Cette famille, qui allait arriver dans la mienne par le mariage de mon oncle Mardochée et de ma future tante Marie, apportera parmi nous plein d’enthousiasme et de gaieté. Notre famille s’agrandira par l’arrivée de nouveaux membres sympathiques, agréables, serviables, à l’esprit large et ouvert. Orphelins de père, ils vont trouver en mon oncle un nouveau père et une grand-mère, d’autres tantes et

oncles. Un sang nouveau, un air frais, arrivait chez nous. L’amour d’une femme discrète, amour pour son mari et amour pour sa famille. Cet amour de Marie pour son mari, ses garçons et ses filles, pour les membres de la famille Tuizer et de la famille Dadia, était là durant toute sa vie. Ma tante Marie, femme d’intérieur exemplaire et hors pair, nous a toujours gâtés par ses plats et ses gâteaux. Petits plats aux mets variés, riches et sapides. En un mot, succulents. Maman aimait beaucoup Marie et dès les fiançailles. Une tendre et constante amitié les a liées tout au long de la vie. Affection et estime pour la vie.

Elie et Ihya avaient une petite échoppe au cœur du mellah. Une échoppe minuscule. Mais leur cœur et leur goût pour l’ouvrage étaient grands. Ils étaient des artisans cordonniers de premier plan. Chaque veille des fêtes, je me présentais à leur atelier. J’enlevais la chaussure que je portais et je posais mon pied droit sur un morceau de carton qu’Ihya me présentait. D’un coup de crayon habile, il dessinait sur le carton le pourtour de ma plante de pied. Peu de jours après, je revenais à l’atelier et Ihya me remettait une paire de chaussures cousues mains en chevreau souple. J’enfilais les nouvelles chaussures et j’avais la sensation de flotter et de ne pas marcher sur la terre ferme. Je revenais souvent pour de nouvelles chaussures, car celles que je portais, pratiquement neuves, je les donnais aux enfants de Fouifo, principal ouvrier/fournier de mon père, chargé d’enfourner et de défoumer les nombreuses miches de pain, que les ménagères apportaient chaque jour. C’était pratiquement un travail d’artiste qui requérait intelligence, dextérité et un savoir-faire professionnel pour l’exécuter.

Je l’ai écrit dans d’autres textes, et je le redis ici afin de rendre un hommage solennel aux nombreux volontaires qui venaient, été comme hiver, au four le shabbat, pour défourner les nombreuses marmites contenant la délicieuse et traditionnelle skhina.

Chez nous, dans la famille, une bonne entente dans une ambiance sereine régnait toujours. Cette amitié se prolongea en Israël en se maintenant entre nous. Nous, notre génération qui a repris le flambeau de la relève, sans nous en apercevoir à quel moment nous sommes devenus nous-mêmes des pères et des mères de familles avec des enfants à charge. Il y a eu des deuils, nombreux, et nous les avons traversés avec dignité, retenue et abnégation. La douleur brûle toujours au fond de nous-mêmes. Nous savons aussi saisir les occasions des fêtes de famille pour nous retrouver. Le message doit rester intact, vivant et fort, pour ne pas rompre et interrompre le lien ancestral. A chaque génération, nous perdons un peu de nos traditions familiales, et plus particulièrement dans le domaine culinaire. L’essentiel est de maintenir la flamme ardente, enthousiaste et fervente. Cette flamme de la famille brillera à jamais, animera nos contacts et consolidera nos liens fraternels, solidaires et affectueux. Le feu brûlera toujours en souvenir de nos parents et de nos aïeux. Nous leur devons cela, c’est la moindre des choses, par respect de leur mémoire, et, en reconnaissance étemelle, pour ce qu’ils ont fait pour nous. De ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Leur sacrifice pour nous a été immense. C’est surtout une manière de les maintenir vivants toujours parmi nous. Certains d’entre eux sont partis avant l’âge, d’autres ont subi une mort violente, inattendue.

Agadir-Joseph Dadia

Agadir-Joseph Dadia

Agadir-Joseph-Dadia

Les Justes ne meurent jamais disent nos Sages dans Babli Bérakhot 18a. Cf. Babli Hullin 7b ; Babli Baba Mesi’a 85b. Le poète le rappelle dans le Psaume 112: 6 : « Non, jamais il ne chancelle/En mémoire étemelle sera le juste ». D. ieu vit que les tsadiqim étaient peu nombreux. Aussi il les implanta dans chaque génération, cf. Babli Yoma 38b. Un juste ne quitte ce monde que parce que D. ieu a mis déjà au monde un nouveau juste qui lui ressemble. Dans le Livre des Mystères du Roi Salomon, il est dit que le Saint, béni soit-Il, accorde aux Justes trois résidences : Néfech, Rouâh, Néchama, cf. Zohar Aharé Mot 70b. La néchama des Justes est la sainteté de la sainteté. Le Saint, béni soit-Il, se complait à la prière des Justes. Les grands saints héritent des mystères de la Loi et ils les révèlent aux autres hommes. A chaque génération, il n’y a jamais moins de trente-six justes qui reçoivent la Face de la Présence Divine, cf. Babli Sanhédrin 97b.

Au fil de ce texte, maman est là à chacune de mes pensées et de mes phrases. Maman me semble avoir été l’âme vivante au sein de la famille, le fil conducteur qui nous reliait solidement et solidairement les uns aux autres. Elle ne s’était jamais fâchée avec aucun membre de la famille. Il lui est arrivé de réprimander tel homme ou telle femme. En cela, elle ne faisait qu’appliquer une règle fondamentale de notre sainte Torah, Lévitique 19 : 17- 18 : « Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote et ainsi tu n’auras pas la charge d’un péché. Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis Yahvé ». Cf. Michlé Chelomo Ben David/Proverbes de Salomon, fils de David, toi d’Israël, 27 :5-6.

Rahel, l’unique sœur de maman, de même son jeune frère David, habitaient Casablanca. Maman trouvait toujours l’occasion d’aller leur rendre visite. J’avais ainsi des nouvelles d’eux.

Rahel a suivi son mari Raphaël Assouline à Casablanca car ses affaires commerciales y avaient leur place. Leurs enfants étaient avec eux.

David partit à Casablanca avec son épouse Marie née Fédida, et leurs enfants, pour y exercer son métier de poissonnier au marché, à proximité du port de pêche. Il souhaitait vivre indépendamment de ses frères, lesquels, il faut le dire, n’appréciaient pas Marie pour des raisons qui les regardent. Maman tenait à ce que personne ne sache qu’elle partît à Casablanca voir Rahel et aussi David. C’était un secret entre maman et moi. Il y avait d’autres secrets que nous partagions tous les deux. Je ne dirais pas qu’il existât une certaine complicité entre maman et moi, le terme me paraissant inapproprié. L’amour profond, que maman avait pour moi et que j’avais pour elle, pourrait l’expliquer.

Ainsi, grâce à maman, j’ai pu connaître les membres de la famille, de même leurs proches et leurs amis. Je me rendais souvent en sa compagnie pour prendre des nouvelles de tel ou tel membre. Dans les rues du mellah de Marrakech que nous traversions, il nous est arrivé de rencontrer telle ou telle dame qu’elle connaissait et à laquelle elle me présentait. Ainsi, bien des années après j’ai pu faire la connaissance d’une dame d’une grande famille qui m’a appris que maman m’emmenait dans mon berceau chez elle, lorsqu’elle avait des courses à faire. Une autre fois elle m’a conduit chez une dame d’une grande famille pour me dire : « Voici la mère de ton chef scout ». Elle avait les portes ouvertes partout, venant elle-même d’une famille de grande réputation. Elle aimait surtout rendre visite à une grande dame de la famille, Rahel Attias, laquelle avait inculqué à maman comment être une bonne épouse et une bonne mère. Maman se maria alors qu’elle avait seize ans, selon les souhaits de ses frères, car il voyait en mon père un bon parti : un homme beau, grand et fort et qui avait les moyens pour entretenir sa famille. Maman, qui n’a jamais été a l’école parce que ses parents ne le voulaient pas, était une femme moderne : elle allait au cinéma et aimait la musique et les chants.

Rahel Attias habitait dans une grande maison à A’fïr, pas loin du domicile de ma grand-mère Messaouda. De la rue, il fallait prendre un escalier large et profond dont les marches menaient en bas dans un patio à ciel ouvert.

Dans un autre endroit du mellah, vers le fond de Derb Latana, il fallait descendre un petit escalier de cinq ou six marches pour être dans la synagogue de Rabbi Rahamim Abtan. Dans ce Derb, il y avait deux autres synagogues, au début de la rue.

Notre mellah à Marrakech se distinguait par une riche et complexe typologie des maisons d’habitation. La disposition des rues et l’architecture des maisons m’ont souvent interpellé. Je n’ai pas encore mis la main sur un document susceptible de m’éclairer sur le tracé des rues et l’édification des maisons, avec étage et sans étage. Les rues, les ruelles, les places et les placettes sont de divers types. L’essentiel était que nous nous sentions bien dans notre mellah. Il en est de même dans nos maisons. Chaque maison avait sa personnalité. Aucune maison ne ressemblait à une autre. La coexistence de différentes maisons dans le même secteur ne nous choquait pas. L’idée centrale qu’il faudrait retenir, c’est que notre mellah a été édifié en 1557 à l’ombre du Palais Royal, sur des anciennes écuries du Sultan. Cette conception d’un mellah à protéger a eu sa raison d’être. Les plans cartographiques qui existent sont évocateurs.

Les juifs autochtones et les castillanais ne s’entendaient pas et ils vivaient pratiquement séparés. Chaque communauté avait sa synagogue : les autochtones, slat Talmud Torah, et les castillanais, slat La’jama.

Je reste assez vague dans ce domaine, car j’ai déjà écrit des textes sur tout cela.

Le quartier dit Berrima appartenait aux Juifs. Mais il a été habité majoritairement par des arabo- musulmans, les Juifs n’ayant pas été assez nombreux pour résider à la fois au Mellah et à Berrima. Peu de familles juives ont habité à Berrima.

Le cimetière juif servait au départ de lieu où l’on plantait des légumes, en attendant le premier mort qui ne fut autre que Rabbi Hanania Cohen, notre Saint Patron.

Je ferme cette parenthèse historique car l’essentiel de cette monographie est de parler de la famille.

Parmi les voisins de Rahel Attias., il y avait un tailleur qui travaillait à son compte. Flanelle et Dormeuil gris anthracite étaient ses tissus préférés. Maman avait convenu avec lui de me faire un costume pour Pessah plus une veste croisée et un short assortis. J’étais au CM2 dans une école de l’Alliance Israélite Universelle, à Arset-el-Ma’ach, dont le directeur était Alfred Goldenberg. A cette époque, vers 1952/1953, nous ne portions pas encore de pantalon. Maman a convenu avec le tailleur de lui payer alf rials, mille riais, une somme raisonnable pour elle. J’ai arboré fièrement mon costume chic. Il était bien taillé et m’allait comme un gant. Maman était satisfaite du soin apporté par le tailleur à mon costume. C’était le travail d’un artisan et d’un professionnel qui maîtrisait son métier. Maman a été heureuse de le payer tout en le remerciant. Elle me disait qu’il méritait son salaire d’autant qu’il boitait à cause d’un défaut à son pied gauche. Il m’est arrivé d’aller à l’école avec ce costume comme l’on peut le voir sur une photo de classe dont l’instituteur était Roger Banon. Je ne portais sur cette photo que la veste. Le short était tombé en lambeaux peu de temps après sa confection. On eût dit que le costume a été confectionné dans du papier. En arabe, l’on disait hra, ce qui veut dire que le tissus a été effiloché, qu’il s’est effrité. Ce tissu se désagrégeait de lui-même en fines lamelles. Ce tissu s’émiettait par un mystérieux processus de décomposition.

Agadir-Joseph Dadia

joseph Dadia-Agadir

Agadir-Joseph-Dadia

 

Certains jours sur la plage d’Agadir, apres le match de football, la douceur de l’air nous invitait a rester sur place jusqu’a la tombee de la nuit. Vers le crepuscule, la mer devenait belle et de belles Giles brunes aux yeux bleus venaient se baigner apres le bureau. Leur corps se moulait dans des maillots bleu-turquoise. Elles etaient attirantes et ravissantes a croquer. Nous ne pouvions que les admirer en silence d’un regard discret. Un policier dans sa pelerine noire prenait son service de garde pour la nuit. II etait trapu, le visage rougeaud. J’etais libre de mes mouvements, mais c’etait l’heure raisonnable pour nous de retourner chacun a sa maison. Mon oncle Meyer, je le voyais chaque jour a la maison. La nuit, il etait pris par son activite de mareyeur. Le jour, il s’interessait a moi et me demandait si je ne manquais de rien. Un jour, il n’a pas apprecie que Maurice m’avait conduit au port. Je ne sais pas comme il l’a su. Mon oncle a severement puni Maurice pour cela. Cela ne m’a pas fait plaisir, mais personne n’osait dire quoi que ce soit a mon oncle. Pour mon oncle Meyer, j’etais un talmid hakham et ma place n’etait pas au port.

 

Mon oncle Meyer etait tres pris par son intense et debordante activite de mareyeur. Cela le retenait la nuit au port de peche. Le poisson peche par differents pecheurs etait vendu aux encheres, par adjudication et au meilleur offrant, pres de son local ou il faisait preparer par ses employes de nombreux cageots a destination de Marrakech et de Casablanca. A cette epoque, il n’y avait pas de camions frigorifiques. Des couches de glace couvraient le poisson des cageots. Mon oncle travaillait lui-meme pour aider ses salaries. Des camions conduits par ses chauffeurs quittaient la nuit Agadir pour assurer une liaison directe entre le port et les differentes villes ou le poisson sera vendu au detail.

 

Une annee, je suis reste chez mon oncle pour les Fetes de Tichri. Il m’a conduit dans differents magasins d’Agadir pour m’acheter des vetements et des chaussures. Je la sens toujours dans mes pieds la belle et confortable paire de chaussures que mon oncle m’avait offerte. Ces chaussures etaient d'excellente qualite et de cuir souple. Noires de couleur. J’ai toujours aime et j’aime toujours porter de belles choses ce, de la facon la plus naturelle.

Hien plus tard, a Marrakech, je rentre dans un magasin pour acheter une paire de chaussures. J’ai dit .» la vendeuse:   «Veuillez s.v.p. m’apporter la

meilleure paire des chaussures que vous avez quel que soit le prix ». Bien des annees apres, j’ai reconnu en elle celle qui etait devenue l’epouse de mon regrette frere Gabriel: Sol Aflalo.

Le jour de la fete de Roch Hachana, j’ai accompagne mon oncle Meyer a la Synagogue pour entendre Ahot Qetana et les souhaits de benediction pour la nouvelle annee. De retour a la maison, des plateaux bien garnis de toutes sortes de fruits et de legumes tronaient sur la table, comme le veut la tradition. Une belle soiree dont je me souviendrai.

 

'L'oncle David, le vendredi 27 mai 1977 vers 18 heures 45, chez moi 92 Bourg-la-Reine, me raconte le rituel de cette fete dans la famille Tuizer : sept legumes cuits avec une tete de mouton : navets, blettes, choux, poireaux, courges (deux especes), coing, slaouia (une courge slaoui). Faire bouillir les sept legumes. Une fois les legumes bouillis, les enfiler avec une aiguille, les coudre ensemble et les remettre a cuire. La cuisson se fait dans une marmite neuve. La coutume est de manger les sept legumes ensemble. Possibility de manger d’autres mets. Manger aussi toutes sortes de fruits, notamment des nouveaux. Le premier jour de Roch Hachana, de manger du couscous. Je me souviens qu’une servante envoyee par mama Messaouda nous apportait dans un plateau du couscous cuit au safran. La couleur de cc couscous m’a toujours impressionne. Le couscous chez mes parents n’avait pas cette couleur.

 

Mon pere Ya’qob, le lundi 5 aout 1974 vers 19 heures a Beit-Chean, me dit le rituel de cette fete. Le ler soir de Roch Hachana dans la famille Dadia : Couscous, 7 a 8 legumes : keroub (en hebreu) chou, navets, slaouia, potiron, houmous (pois chiches), bassal (en hebreu) oignons, blettes. Mettre ensemble ces legumes dans un bouillon, en y ajoutant une a cinq dattes. Prevoir de la viande. Chaque annee, la veille de la fete, il etait de coutume d’acheter une marmite neuve ou un couscoussier. Faire la priere sur les fruits habituels et sur les nouveaux fruits. Possibility de manger d’autres plats.

 

Sur slaouia, je n’ai pas trouve de documentation. Par sa forme et son aspect, slaouia ressemble a la courge pleine de Naples ou au concombre vert-long Rollisson.

Les courges (gourde, citrouille, potiron) sont des cucurbitacees, du latin cucurbita, «courge». Types principaux des cucurbitacees : Bryone, calebasse, coloquinte, concombre (cornichon …), melon, pasteque. Ricinus communis est la plante citee dans Jonas 4 : 6, 7, 9, 10 : Qiqayon, ricin. Le chanoine Osty, dans sa bible page 1999, ecrit: « Plante a larges feuilles palmees, de croissance rapide, pouvant atteindre une hauteur de 3 metres ; tres repandue dans le Proche- Orient, ou on la cultive volontiers dans les jardins comme plante d’ornement». Le qiqayon n’est cite dans la Bible hebraique que dans Jonas. C’est un hapax legomena.[הקיקיון]. De son fruit l'on obtient l’huile qiq – קיק, en grec kiki, en acadien kukkumiti, en arameen et en syrien slouliba – צלוליבא, cf. Babli Shabbat 21a; Yeroushalmi Shabbat chapitre 2 halakha 4. Ibn Gabirol cite l’huile qiq – קיק dans son poeme Shokhne batte hemar. Cf. Michna Shabbat 2,1 : « On ne doit pas allumer les lumieres du shabbat avec l’huile de ricin ».

Eben Ezra, au nom des Sages d’Andalousie, nous enseigne que le qiqayon est une della’at דלעת , une citrouille, une courge, cucurbita, ou une קרא qara, lagenaria. En arabe : khourou – כורוא; Haradaq : alkhrou – אלכר״ו ou alkhrou’ – אלכר״וע.

Joseph Dadia-Regards sur l'Atlas-Agadir

Agadir-Joseph-Dadia

Cette fete tombait souvent au moment de la rentree scolaire. J’ai ete admis a passer en 4eme du Cours complementaire, a la rentree scolaire 1955/1956. Je me trouvais encore a Agadir. J’ai pris le telephone dans la chambre de mon oncle pour appeler Monsieur Goldenberg. C’etait la premiere fois que j’avais dans ma main droite un tel combine. Je savais theoriquement comment l’utiliser ayant vu a maintes reprises comment mon oncle telephonait a l’un ou 1’autre de ses correspondants, en lui parlant en arabe a haute et intelligible voix, assis tranquillement sur le bord de son lit. II notait tout dans sa memoire. En ce temps-la pour appeler son correspondant, il fallait passer par une standardiste. J’ai mis par ecrit ce que j’allais dire a la standardiste pour avoir au bout du fil Monsieur Goldenberg. Dans un autre texte, j’ai consigne ce que j’allais dire a Monsieur Goldenberg pour lui demander d’excuser mon absence pendant quelques jours. J’ai repete les deux messages plusieurs fois devant une glace. Mais je n’osais pas prendre le telephone. Je m’approche du telephone et je recule. Et puis je saute le pas, et j’empoigne fermement le combine assez lourd dans ma main droite. Saisi d’une frayeur soudaine, je le depose, etouffant brutalement la voix de la standardiste qui m’invitait a parler. Je me calme et, d’un coup, je me voyais heureux et soulage de me debarrasser du telephone. Durant quelques jours je vivais le fait de telephoner comme un cauchemar. Je me decidai enfin a retourner a Marrakech et a retrouver mes copains de classe, filles et gargons. Le jour de mon depart arriva et j’allais quitter avec regrets la vie agreable que je menais a Agadir, la plage et les copains de foot. Meme si certains jours, l’on etouffait d’un vent chaud dit hamsin. Je me suis rendu au port chez mon oncle grace a l’un de ses chauffeurs qui est venu m’accompagner en voiture. C’etait la premiere fois que j’arrivais dans les locaux de mon oncle. L’animation a la criee m’a impressionne et les chalutiers arrivaient les uns apres les autres. Vers deux heures du matin, mon oncle me confia a l’un de ses chauffeurs dont le camion a ete charge de poissons frais. Tous feux allumes, le camion prit la route de Marrakech. Le ciel etait d’un bleu sombre et les etoiles, en me souriant, brillaient dans le firmament. Sur la route, les nombreuses montagnes qui la parcouraient de tous cotes, a travers de nombreux et dangereux virages, exhalaient de leurs cimes une fraicheur douce, nous debarrassant du hamsin de la journee qui nous brulait les yeux. J’etais assis a cote du chauffeur. II me racontait toutes sortes d’histoires et des fables berberes pour adoucir le voyage car la route etait longue. Je l’ai suivi de longues heures dans les tournants de la route, et puis tout d’un coup je suis tombe dans les bras de Morphee.

 

Lorsque j’ouvris les yeux, nous etions deja a Marrakech. C’etait les premiers jours de l’automne, un automne doux et radieux. C’etait l’aurore, et, de toutes les mosquees, le chant des muezzins. Du minaret de la Koutoubia parvenait a mes oreilles l’appel «delfjer» de son muezzin. Des murailles de Berrima, a deux pas du marche, lui repondait en echo le muezzin de la venerable mosquee de la Casbah. L’imploration sortant de la bouche de Hmed-el-Khalil couvrait, de sa priere aurorale, les premiers soubresauts du mellah qui dormait encore sous ses couvertures. C’etait l’heure de shahrit. A une encablure de la, de l’autre cote de la Bahia, les cloches de la chapelle de Derb Naqoss sonnaient les marines. De toutes les rues du Mellah montaient les prieres des demiers jours de la Fete de Soucot. Tous ces appels, toutes ces cloches et toutes ces prieres s’entrecroisaient et s’entremelaient pour monter de concert vers D. ieu. Mais les gardiens du Ciel examinent les prieres avant de les faire passer. Beaucoup de prieres sont repoussees a la porte, tandis que celles du pauvre entrent sans autorisation. Cf. Zohar pericope Balaq 195a.

C’est a l’heure du matin que l’ange Raphael prodigue ses soins de guerison.

  1. D.ieu aime la priere du matin et reconnait ceux qui viennent a la synagogue regulierement.
  2. D.ieu exauce tous ceux qui font appel a sa pitie a sa misericorde, a sa grace, a son amnistie, Rahman-er- Rahim. Les deux vocables Rahman et Rahim, en hebreu, veulent dire non seulement amnistie, pitie, misericorde et grace, mais aussi amour.
  1.  

Le patriarche Abraham, le bien-aime de D.ieu, et qui aimait D.ieu, cf. Isaie 41, 8 ; II Chroniques 20,7.

Dans la liturgie de Soucot, la Fete des Tabernacles, l’on recitait des poemes dits Hocha’anot/Delivrances, attribues a Rabbi Yossef ben Yitshaq Satanas. Dans l’un de ces poemes, le patriarche Abraham est qualifie Rehima: Abraham le bien-aime, Ibrahim El-Khalil.

Mon oncle Mardochee m’attendait au pied du camion, qui venait juste de se garer devant l’entree du marche. J’embrasse mon oncle qui m’apporte un verre de the a la menthe, bien chaud et sucre, pour m’aider a emerger de mon engourdissement et de la fatigue du voyage. Je prends ma valise et je me rends chez moi. Mon pere, ma mere, mes freres et ma soeur etaient heureux de me revoir. Le matin meme de mon arrivee, je suis parti a l’ecole.

Les grandes vacances d’ete etaient finies. Sans le savoir alors, c’etait la derniere fois que je les ai passees a Agadir.

Au fur et a mesure que je m’approchais de ma rue, je rencontrais sur mon chemin des fideles tenant dans leurs mains loulav, cedrat et branches de saule, chacun se dirigeant vers sa synagogue habituelle. Des maisons, sortaient ce matin l’odeur chaude et suave des « qross » et les parfums de la soupe talkhsa, plats traditionnels que l’on mange a l’heure du dejeuner Hoschana Rabba dans la Souca, pour lu dire a l’annee prochaine. C’est ainsi dans ma famille que nous disions au revoir a la cabane/Souca et a la Fete. Dans la soiree, commencera une autre fete au nom de Chemini ‘Atserete.

Ce matin de mon retour a Marrakech, je ne l’oublie pas, car il etait le dernier matin qui cloturait le bonheur de mon adolescence.

Durant plusieurs annees, j’ai oublie talkhsa ou- lqross. Les retrouvailles a Paris avec Dada Zrihen nee Dayan, la maman de mes amis David et Salomon Zrihen, fera renaitre en moi le gout de talkhsa et de lqross. Martine a repris le relais.

 

Sommairement, je resume en quelques lignes l’Histoire politique du Maroc: – Le 30 mars 1912 a Fes est signe le Traite de Protectorat par le Sultan alaouite Moulay Abdelhafid (1908-1912). ־ Moulay Youssef (1912-1927) deceda le 18 novembre 1927. – Son troisieme fils, Sidi Mohamed, monta sur le trone, age de 18 ans. II restera dans l’Histoire du Maroc sous le nom de Mohamed V (1927-1961). – La premiere Fete du Trone est organisee le 18 novembre 1933 par les jeunes nationalistes marocains a Fes, introduisant au Maroc la notion de Roi, Malik. Ce qui signifie l’imbrication entre l’Institution Cherifienne et la Souverainete Nationale. Le 8 mai 1934, Sidi Mohamed est recu a Fes aux cris de : «Vive le roi, vive le Maroc ». – Le 18 novembre 1952, lors de la Fete du Trone, le sultan se prononce clairement en faveur de «l’Emancipation politique totale et immediate du Maroc ». – Le 14 aout 1953, Mohamed Ben Youssef est destitue. Son vieux cousin Mohamed Ben Arafa est proclame sultan. – Le 20 aout 1953, le sultan dechu et sa famille sont exiles, apres une breve escale en Corse, a Antirabe a Madagascar. Sidi Mohamed Ben Youssef avait accepte de quitter son pays, mais il avait refuse d’abdiquer. – Les patriotes marocains, Watan, repandent une violence urbaine durant deux annees pendant lesquelles sont commis pres de 6000 attentats, suscitant un « contre terrorisme » europeen.

On releve 761 morts marocains et 159 europeens. – Une nouvelle forme de resistance a la France voit le jour au Maroc avec l’emergence de l’Armee de Liberation Marocaine, ALM, passant a l’offensive le let octobre 1955, date ou Ben Arafa demissionne. ־ Fin octobre 1955, retour d’exil a Paris du Sultan. – Le 16 novembre 1955 le Sultan rentre au Maroc, apres un exil force et impose. ־ Le 18 novembre 1955, le Sultan proclame «l’avenement d’une ere de liberte et d’independance », et le 7 decembre 1955 est constitue le premier Gouvernement du Maroc independant, preside par l’Officier berbere M’Barek Bekkai, charge de negocier l’independance. L’independance est signee par la convention du 2 mars 1956. Le 7 avril 1955 le Protectorat espagnol sur le Nord du Maroc est abroge.

Le 15 aout 1957, le Sultan prend le titre officiel de Roi du Maroc.

II a vecu avec tristesse et piete le tremblement de terre d’Agadir.

Epuise par sa longue maladie, le Roi Mohamed V deceda dans la matinee de dimanche 16 fevrier 1961, a la surprise des medecins qui etaient en train de l’operer.

 

Joseph Dadia-Regards sur l'Atlas-Agadir

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