Juifs. Maroc Mellahs-D. Corcos


Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

La creation des derniers Mellahs, dont nous venons de parler, profita aux proprietaires musulmans dont les immeubles se trouvaient d'un coup liberes d'un droit qui les grevait depuis des generations. Quant aux proprietes juives, elles furent, comme plus tard a Mogador, vendues a des prix derisoires dont beneficierent les acheteurs musulmans.

Le sultan Moulay Sliman avait fort a faire pour maintenir son autorite dans le pays qui, d'ailleurs, sera en revolte ouverte a la fin de son regne. II allait aussi supprimer la course dans ces etats, ce qui touchera surtout les gens de Rabat et de Sale. La creation des Mellahs dans ces deux villes parait ainsi comme une compensation offerte aux populations musulmanes de ces deux villes; et, a n'en pas douter, une mesure a la fois religieuse, sociale et surtout politique.

VI

La communaute juive de Mogador (ou Souira) est plus que toutes les autres communautes du Maroc celle qui meriterait, peut-etre, l'etude la plus appofondie et la plus complete. Sa courte histoire, deux siecles a peine, tant par sa diversite que parce qu'elle refletc l'etat social et politique des Juifs du Maroc, forme la synthese d'un passe anterieur a sa propre existence. Cette histoire qui reste a ecrire, sera, assurement, pleine d'enseignements. Mogador offre egalement le grand interet d'une ville ou souvent la majorite des habitants etaient des Juifs tout en etant par son intense activite commerciale, ses relations ininterrompues avee le monde exterieur, des Etats-Unis a l'Europe occidentale, le port le plus important du Maroc depuis 1765  jusqu'au debut de notre siecle.

Le site de Mogador, ou se trouvait la ville libyque de Tamusiga et son ile situee a mille metres a peine du port actuel, n'a pas cesse d'etre habite depuis l'Antiquite. Les Pheniciens y avaient fonde un comptoir au VII״ siecle avant Fere moderne. L'ile de Mogador est probablement la fameuse Cerne du Periple d'Hannon et il est defini- tivement prouve que c'est a Mogador qu'il faut situer les ils Purpuraires ou Juba II faisait fabriquer la pourpre de Getulie, celebre dans le monde romain. Ce lieu a ete visite pendant douze siecles, jusqu'au V״ siecle de l'ere moderne, par des Orientaux, Cyriotes, Pheniciens, Grecs et Byzantins qui y ont laisse des vestiges importants.

Au XI״ siecle encore, Mogador servait de port a toute la Province du Sous, c'est-a-dire a tout le Sud Marocain. En ce qui concerne le lointain passe de ces regions, nous sommes reduits a faire de simples hypotheses quand il s'agit des Juifs; mais la question merite, ici encore, d'etre reprise ailleurs pour etre examinee a fond.

 Au debut du XV" siecle, les Portugais avaient contruit a Mogador line forteresse qu'ils appelerent Castello Real. Apres leur depart, l'Espagne, l'Angleterre, la France et la Hollande chercherent, les unes apres les autres, a s'en emparer et a s'etablir dans cette baie qui offre tant d'avantages. Des Juifs y etaient fixes. En 1641 , un navire hollandais visila Mogador. A ce sujet, le peintre Adrien Matham qui faisait partie du voyage nous reconte: "Les Maures de la Kasba…ont accueilli amicalement nos gens et ils nous ont envoye leur interprete, un Juif, en echange duquel, suivant leur coutume, un des notres devait rester a terre, comme otage

… Le Juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des amandes, des raisins et des gateaux d,olives qui avaient un gout excellent… Le Juif susdit nous a donne des renseignements sur leurs mariages etc. … II est aussi a remarquer que nous avons ici trois Dimanches a celebrer chaque semaine: a savoir, celui des Maures, le Vendredi, celui des Juifs, le Samedi et le notre, le Dimanche". Quand un peu plus de cent ans plus tard, le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, pour faire echec a Agadir qui monopolisait le commerce eu rope en, decida de creer a Mogador le port le plus important de son empire, il y avait des Juifs qui vivaient a quelque deux mille metres au sud de l’emplacement choisi, dans le village de Diabat, sur l'Oued Ksob. II y resterent pendant une dizaine d'annees apres la fondation de la ville.

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

 

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos 

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissem

ent fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179. 

En 1766  un an avant que la ville ne soit completement construite le sultan "avait fait appel, pour la peupler, aux Juifs preleves parmi les Elements les plus dynamiques des principaux mellahs (sic!)". A cette phrase ecrite par le professeur Miege, font suite quelques explications tirees de deux documents rediges pendant ces dernieres decades "". Quelques indications sur ce peuplement sont egalement exposees dans un ouvrage publie il y a une dizaine d'anndes. Nous avons, quant a nous, l'avantage de posseder un manuscrit judeo-arabe qui nous fournit des precisions sur cette question.

Note de l'auteur

J.-L. Midge. Le Maroc et I'Europe. (1830-1894), 4 volumes parus, II (Paris 1966) pp. 143-144. Le travail monumental du professeur Miege ne leve pas seulement le voile sur trois quarts de siecle d'histoire marocaine, mais cncore, pour la premiere fois, un savant authentique accorde aux Juifs du pays la place qui leur revient dans cette histoire. Certaines confusions dans la composition des families comme les Corcos, le peu d,importance donnee it d'autres au profit de personnes, souvent employes juifs des consulats dont les noms revienncnt frequemment et naturellement dans les rapports des consuls, tout ccla est bicn excusable dans un travail aussi vaste ou la masse des documents ct l'etendue des sources consultees sont forcemcnt d'inegale valeur, Bien plus grave est l'idee de base du professeur Miege pour qui les juifs maroccains  commencent une ascension et rentrent dans une promotion sociale avec l'avenement de Moulay Abderrahman ben Hicham (1822-1859)  Cette theorie ne tient aucun compte de la realite, fait peu cas des textes et des documents innombrables qui existent et veut ignorer la verite sur les periodes anterieures a celles etudiees par le professeur Miege.

Note de l'auteur

Pierre Flamand, Diaspora en Terre d'Islam, Les Communautes Israelites du Sud marocain, Essai de description et d'analyse sur la vie juive en milieu berbere, Casablanca s.d., pp.122-124 . Il nous faut dire que cet ouvrage presente le grave inconvenient d'etre l'oeuvre d'un homme qui a choisi un sujet qui le depassait visiblement. Ne connaissant le pays que depuis tres peu de temps, n'ayant que quelques notions sur son passe, il ignorait egalement la langue de ses habitants; et en ce qui concerne le Judaisme comme l'lslam, les connaissances de M. Flamand sont tres limitees. Les renseignements utiles qu'on peut trouver dans son ouvrage se rapportent aux annees 1950  et on les doit a ses enqueteurs, les instituteurs des ecoles de 1'Alliance Israelite Universelle qui ont fait ce travail a la demande de M. Flamand, alors inspecteur de l'enseignement francais (ecoles primaires) au Maroc. Leurs enquetes ont ete rassemblees et presentees avec ordre. Malgre les lacuncs, les erreurs nombreuses, les incomprehensions et tout ce qui peut etre desesperement superficiel et superflu dans l'ensemble du travail de M. Flamand, son ouvrage constitue un "document". II a ete ecrit a un moment crucial, decisif de la vie juive au Maroc et decrit cette vie dans des regions ou les Juifs etaient implantes depuis de tres nombreux siecles et ou ils n'existent plus. L'auteur d'un tel travail aura toujours le merite a y avoir pense et de l'avoir realise. 

Tout d'abord, il n'avait pas ete question pour Sidi Mohammed ben Abdallah "d'etablir" des negotiants juifs a Mogador pour peupler la ville. Cependant, quelques riches sujets du sultan, Maures et Juifs, s’empresserent d'y construire des maisons sans s'y transporter immediatement. Par contre, les consuls et les negotiants Chretiens d'Agadir, Safi et Sale recurent I'ordre d'avoir a y tranferer leur residence et a y constuire leur nouvelle maison. Le sultan leur fit esperer une reduction sur les droits de douanes. Plusieurs consuls, dont Chenier et le consul des Pays-Bas refuserent finalement de changer de residence et peu de negotiants Chretiens obeirent. Les gens d'Agadir ne vinrent pas non plus a Mogador. C'est alors que l'interprete et le favori du sultan conseilla de faire appel a quelques families juives appartenant aux plus riches comunautes. Elles devaient envoyer chacune un parent pour les representer a Mogador. C'est Samuel Sunbel, celui־la meme qui avait donne ce conseil a Sidi Mohammed ben Abdallah, qui presida au choix de ces families. Ces "nominations" dont le nombre se limita a dix, comportaient des privileges exceptionnels tant au

point de vue politique que commercial: avance de capitaux, gestion de certains fonds du Tresor, obtention dc concessions et de monopoles sur !'exportation de la cire, du tabac, des plumes d'autruche, des amandes, des parts importantes dans l,exportation des cuirs et peaux, des laines, des mules pour les Etats-Unis, des huiles, des gommes et meme, occasionnellement, des boeufs et des cereales.

la precieusee liste de notre manuscrit nous fournit les noms suivants:

         Abraham ben Joseph Sumbal "el-Mesfioui" (=de Safi)

          Maimon ben Isaac Corcos "el-Marrakchi" (=de Marrakech)

          Salem Delmar (Lebhar) "el-Marrakchi"

           Aaron ben Moses Aflalo "al-Gadiri" (=d'Agadir)

         Judah ben Samuel Levy-Yuly (Halevi aben Yuly) "ar-Rbati" (=de Rabat)

          Moses Abudarham "al-Tetouani" (=de Tetuan)

           David ben Moses Pena (Pennia ou Penha) "al-Gadiri"

        Abraham ben Josua Levy-Bensussan "ar-Rbati"

           Moses ben Judah Anahory "ar-Rbati"

Joseph ben Abdi Delvante (Chriqui) "al-Mesfioui".

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissement fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179. 

          Ces "nominations" donnaient aussi des droits sur certaines marchandises d'impor tation. Un logement, vaste et particulierement confortable pour l'epoque, etait mis a la disposition des personnes designees et de leur famille. Elles pouvaient soit en regler le prix au Tresor et devenir proprietaires de la maison, mais non du terrain sur lequel elle etait batie, soit la louer a un prix d'ailleurs modique. Ces maisons comportaicnt, au rez-de-chaussee, des bureaux et de grands entrepots. Elles etaient, en principe, inalienables. On mettait a la disposition de chacune de ces families une garde de deux soldats dont l'entretien etait assure par elle et un couple d'esclaves noirs qui devenait leur propriete. Ces csclaves devaient etre de nouvelles acquisitions du sultan.ct non encore convertis a l'lslam. Le chef de famille prenait alors le titre de "Tajer as-Soultan"  qui lui etait confere par dahir special. Ce titre lui procurait l'enorme avantage.

De n'etre justiciable que du souvcrain lui-meme. .Sa maison etait inviolable.Enfin, il beneficiait du statut de certains etrangers favorises par Sidi Mohammed ben Abdallah, comme, par exemple, les Juifs hollandais etablis dans les ports: il etait dispense du paiement de la Jeziya et de toutes autres contributions regulierement ou occasionnellement versees par les Juifs, sujets du sultan, et dont chaque communaute etait responsable a titre collectif .

Note de l'auteur         

Les "Toujar as-Soultan", commercants du sultan: ce fut au Maroc une veritable institution dont l'origine remonte au moins a l'epoque des premiers saadiens. L'habitude de donner ce tilre officiel a quelques personnes choisies dans le monde du haut commerce est peut-etre venue d'Angleterre: Sir Thomas Gresham fut nomme, a Londres, en 1552  a l'importante charge de "marchand du roi'"; il etait charge de negocier des emprunts et des achats pour la couronne, d'approvisionner l'Etat anglais de tous les produits etrangers, notamment d'articles militaires, tout en tenant le gou vernement au courant des evenements d'importance qui avaient lieu sur le continent (cf. SIHM, Angleterre I. pp. 200 note note 2 ) Les textes europeens relatifs au Maroc du XVI« et XVIIs siecles appellent les Juifs "toujar as־Soultan" de ces epoques "trafiquants du roi", "marchands de Sa Majeste", aumoniers du roi" ou orfevres du roi" etc. (cf. STHM, Pays- Bas T, p. 343, note 3). Quelques families juives au Maroc ont ainsi forme de veritables petites dynasties, car un ',tajer as-soultan"' etait a sa mort remplace par un ou deux de ses fils qui recevaient un nouveau dahir et le titre, avec les privileges qu'il procurait, restait pendant des generations dans ces memes families, Sur ces negotiants privilegies au milieu du XIX« siecle, Voir Miege, ouvrage cite II, pp. 230-233. 

Les beneficaires de tels avantages devaient, en premier lieu, presenter des garanties morales et materielles sures, basees sur l'anciennete de leurs families, leur reputation sans tache et leur fortune. Chaque famille etait, pendant dix ans, responsable du parent qu'elle envoyait a Mogador. En second lieu, la personne designee et sa famille devaient obligatoirement avoir des relations tres etendues a l'etranger et meme avoir des parents etablis dans un ou plusieurs centres importants de l'Europe. Ces personnes etaient a 1'entiere disposition du souverain: elles ne pouvaient se deplacer qu'avec son autorisation. Elles etaient tenues de lui fournir rdgulierement des informations politiques tant sur les pays europeens que sur les tribus berberes et arabes de l'interieur avec lesquelles elles commergaient par l'entremise de dizaines d'agents, Musulmans et Juifs. Elles devaient etre toujours pretes a partir pour des missions economiques ou politiques en Europe . ״

Note de l'auteur

Sur ccs questions voir dans les Responsa de R. Eliezer de Avila, le cas longuement debattu d'un negotiant juif d'Agadir, sujet marocain dont le nom est Abraham ben Reuben Pinto, qui, de 1751  a 1753  avait vecu en Hollande et a qui la communaute reclame a son retour dans sa ville natale sa part de la gharama (taxe annuelle imposee a l'ensemble d'unק communaute). Les plaignants appuient leur reclamation en contestant l'appartenance au haut commerce de ce negociant qui n'affrete pas, pour son usage exclusif, des navires, rejettent le fait, juge insuffisant parce qu'il etait ne au Maroc, qu'il portait des vetements europeens et nient qu'il soit en possession d'une lettre (dahir) du sultan, c'est-a-dire qu'il ne faisait pas partie des "toujar as־soultan". Les plaignants ajoutent que, meme ceux qui jouissaient de ces privileges, contribuaient volontairement  la gharama. Abraham Pinto obtint gain de cause car il disposait reellement d'une "lettre" du sultan Moulay Abdallah pour qui, d'ailleurs, il semble etre alle en mission en Europe.

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Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissement fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179. 

C'cst autour de ccs "Toujar as-Soultan". dix families cn tout, que se constitua la communautd juive dc Mogadoe. Un de ces favorises du sort, Aaron Aflalo, avait emmene avec lui un parent, R. Yahiya Aflalo, qui devint le premier dayyan de la jeune communaute "'. Aaron Allalo reserva au culte la plus vaste salle de sa maison. Ce fut la premiere synagogue de la ville; elle existe encore.

II s'eleva des contestations au sujet de cette nomination. Le "Tajer as-Soultan" Chalom Delmar, tres en faveur aupres du souverain, finit par imposer R. Moche Elkeslassi. Ce dernier dut, a son tour, abandonner son poste au profit de R. Jacob Bibas de Rabat, soutenu par les Levi-Bensussan et les Levy-Yuly. On lui adjoignit R. Jacob Benbenisty de Marrakech. Le groupe des gens de Tetuan ayant pris de l'importancc, on fit appel a R. Abraham Coriat, 1'auteur de Zckhut A bot, qui, du reste, avait une nombreuse parente dans la ville. R. Abraham Coriat, a la demande des Livournais fixes a Mogador, partit pour Livourne dont il devint le dayyan.

Les "Toujar as-Soultan" avaient amene avec eux un certain nombre d'assistants, des auxiliaires charges de la correspondance et des comptes, tous Juifs, et dont beaucoup devaient devenir les alter ego de leurs patrons. Ils amenerent aussi des serviteurs, hommes et femmcs, et des hommes de confiance, musulmans quelquefois, charges surtout de la surveillance des marchandises au port et a 1'entree et a la sortie de leurs entrepots. Puis vinrent des artisans et des boutiquiers juifs dont quclques-uns formerent une corporation d'intermediaircs, al-Bassaria, avec a leur tete un chef ou amin. Aucune transaction interne n'etait possible sans l'intervention de ces courtiers.

Mogador etait alors partagee en plusieurs quartiers separes les uns des autres par de hautes murailles crenelees pour leur defense. Le quartier ou furent loges les "Toujar as-Soultan" englobait la residence du gouverneur, les maisons dc quelques haut-fonctionnaircs. des consuls et aussi des marchands Chretiens. Un petit palais pour le sultan y fut egalement construit. Ce fut la kasaha al-kadima. Le reste de la ville, comprcnait les quarties des bouakhur, soldats noirs du sultan, des renegats chretiens (derbe al-Euleuj}) un corps dc 200  hommes charges de la defense dc la ville, des marches pour toutes sortes de produits du pays et enfin la medina. Ce quartier etait tres populeux. Tous les Musulmans, les Juifs et les Chretiens qui n'etaient pas des soldats ou qui n'appartenaient ni au corps consulaire ni au haut-commerce y vivaient meles les uns aux autres.

Notre manuscrit indiquc le chiffre de 1875  Juifs vivant dans la medina en 1770/1 Ils avaient six synagogues installees, naturellement, dans des maisons privees. Sauf en ce qui concerne lc paiement de la Jcziya, ils n'etaient astreints a aucunc des obligations qui pesaient sur la majorite des Juifs du Maroc. Des les premieres annees de l'etablissement de cette communaute, celle-ci donna a la ville un caractere juif qu'elle garda, d'ailleurs, jusqu'a ces dernieres annees. Des le vendrcdi soir, la ville entiere prenait un air de fete; le samedi et les jours de fetes juives, personne n'achetait ni ne vendait, tout lc monde, Musulmans, Chretiens et naturellement les Juifs se reposaient. 

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Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissement fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179.

Les premiers "Toujar as-Soultan" de Mogador ne decurcnt point Mohammed ben Abdallah, ils lui rendirent les services qu'il en attendait. Fait exceptionnel, le sultan, sur avis favorable des Oulemas, autorisa, en 1766 l,exportation des cerealcs au profit dc Mogador. Il prit aussi des mesures pour forcer les navires venant au Maroc de se ravitailler dans le nouveau port. Mais l'activite dc cc dernier ne s'explique reellement que par le dynamisme et les relations internationales des negociants de la ville. Bien que les droits de douancs fussent moindres a Mogador que partout ailleurs, ils atteignirent, en 1768

 150.000 piastres contre 60.000  piastres a Larache et seulement 20.000  piastres a Rabat-Sale et Safi ensemble  . Cette grande prosperite attira de nouvcaux marchands europeens donl quelques uns etaient juifs commc les de Lara d'Amstcrdam cl les Akrick de  Livourne. La communaute d'Algcr envoya egalcmcnt ses represenlants, les Cohen- Solal, les Busnach. II en vint et encore, egalemcnt de Tetuan, Marrakcch et Safi. Cette derniere ville se vida litteralement de ses meilleurs elements au profit de l'Europe, et surtout de Mogador, et ne conserva qu'une communaute evaluee, vers 1785 a 500  ames a peine.

Parmi les nouveaux-venus a Mogador, quelques-uns devaient devenir a leur tour des "Toujar as-Soultan" et occuper une grande place dans la cite. En s'expatriant, ils retrouverent de hautes positions dans les communautes de l'Europe, particulierement a Londres. Quelques-uns devaient jouer un role economique, politique et diplomatique d'unc certaine importance. Parmi ces families, il faut mentionner Abraham Cohen ben Macnin, ses deux fils, Mesod et Meir, et ses deux gendres Mesod ben Abraham Sebag et Jacob ben Abraham Pinto. Ils venaient de Marrakech. Les Hadida et les Israel vinrent de Tetuan, les Merran de Safi et Hai'm ben Jacob Guedalla d'Agadir. Ce dernier devait ainsi prevenir la catastrophe qui allait s'abattre sur sa ville natale.

Macnin ( = Maknine=rouge-gorge, oisillon femelle) est un tres vieux prקnom de femme chez les Juifs du Maroc (voir la liste de ces prenoms feminins chez R. Abraham Coriat, op. cit. f° 54a) inusite depuis longtemps. Ce n'est pas ici le lieu pour examiner a fond l'habitude qui existait chez certains Juifs du Nord de l'Afrique soit de se rattacher a une ancetre lointaine en portant son prenom comme nom de famille (exemplcs: Ohana — O et Ou signifient ben. fils de, dans plusieurs dialectes berberes; Ohana=fils de Hanna—, Ben-Malca, Ben-Chouchana, Ben-Nouna, Ben-Tata qui se seraient appeles, mais avant le XVI־ siecle, Sultan), soit d'ajouter ce prenom a leur propre nom de famille, generalement Cohen ou Levy (par ex. Ben- Rica, Ben-Fhima, Ben-Maliha). La filiation uterine, la designation de l'enfant par le prenom de sa mere a existe dans les Oasis sahariennes, le Draa, le Tafilalet, le Touat ou les Juifs avaient ete tres nombreux. Elle existe encore chez quelques hararin habitants de ces oasis et chez une partie des Touaregs.

En 1773 , Agadir qui resistait encore a la pression du souverain et ou se maintenaient malgre lui d'importants marchands chretiens et juifs comme les Zagury, Abenhacock, Abcccassls et Lealtad, fut puissantment attaquee  par une armee venue de Marrakech. I.a ville ne put resister, ses fortifications furent detruites. I.e sultan n'accorda qu'un temps tres court a  ses habitants pour ramasser ce qu'ils possedaient el leur ordonna de se transporter a Mogador ou un quartier, derb ahl- Agadir, leur fut attribue״".

   Les Sebag et les Pinto jouissaient du prestige que leur conferaient la piete et le savoir, joints a la fortune de leurs aieux. Salomon Sebag de Meknes etait, au XVIII0 siccle, un des hommes les plus fortunes du Maroc. Genereux et savant, le poete David ben Aaron ben Hassine תהלה לדוד, Amsterdam 1807 cet ouvrage avait ete d ailleurs publie grace a Judah ben Ha'im Guedalla, Meir Cohen ben Macnin et Salomon ben Mesod Sebag, l'ancetre des Sebag-Montefiore) lui dedia plusieurs poemes. A Marrakech, les Sebag comme les Pinto avaient ete parmi les dirigeants spirituels de cette grande communaute oil leurs families etaient unanimement respectees. Cf. J. Benai'm, מלכי רבנן, Jerusalem 1931, passim: A. Belaish Livourne 1846,.

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissement fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179. 

Ces nouveaux elements renforcercnt la communautee de Mogador et ouvrirent surtout la voie aux Juifs du Sous qui vinrent, par groupes, augmenter le nombre de leurs coreligionnaires dans la ville. Les pertes subies par les marchands d'Agadir etaient importantes, mais parmi eux, il y en avait qui etaient reellemcnt fortunes. Ces derniers reprirent leurs activites dans leur nouvelle residence et avec succes. Les autres, bien que ruines, vecurent facilement de leur travail. Ceux qui avaient ete tres pauvres virent leur situation s'ameliorer considerablement, nous dit encore 1'autcur anonyme de notre manuscrit, qui ajoute: "Vers 5545  (1785) il y avait plus de 6.000  juifs a Mogador"(!) … "et la plupart ou tous ne vivaient pas seulement bien, mangeant des plats raffines, jouant et ecoutant la meilleure musique, connaissant comme il faut nos vieux airs d'Espagne, s'habillant de draps les plus fins et habillant leurs femmes de soie, les parant d'or et de perles, de rubis el d’emeruudes. non ils n'avaicnt pas que cela, ils etaicnt pieux, craignaient Dieu. etaient fermes dans leur foi. Beaucoup Etaient des savants qui enseignaient dans plusieurs "Yeshivot" ou etudiaient journellement notre "Toraיי. ils composaient des "piyyoutim" en son honneur et des "shirim" en l'honneur de nos saints …"

La musique "arabe" ou plus exactement la musique "andalouse". Les Juifs de Mogador en furent lengtemps consideres comme les specialistes. ils gardaient le secret de la grande partie des "noubat" ou partitions au nombre de vingt-quatre et dont on ne connait plus que onze aujourd'hui

Cependant, si cette vie de piete ne changea jamais, la vie facile des Juifs de Mogador prit fin et leur situation se deteriora dans les dernieres annees du regne de Mohamed ben Abdallah. Samuel Sunbel etait mort en 1782  et le sultan, versatile sur ses vieux jours, etait sous l'influence nefaste de deux aventuriers juifs, Elie Levy et Jacob Attal "s־ preoccupes de leurs seuls interets et, de plus, ils detestaient les marchands juifs de Mogador qui genaient leurs affaires dans d'autres ports et les meprisaient.

 Note de l'auteur : Elie Levy provoqua la rnort dans d'atroces conditions d'un autre favori juif de Sidi Mohamed ben Abdallah, Nunes Cardoso dont il 6tait jaloux. Lui-meme et Jacob Attal apostasierent des qu'ils furent menaces par Moulay Yezid. Jacob Attal et son frere furent malgre cela, massacres sur l'ordre du souverain. Cf. Romaneli, op. cit. passim; Lempridre, Morocco, pp. 182, 437; Hirschberg, Histoirc. II pp. 292-293.

 Quelques negociants Chretiens, devenus conseillers du sultan, etaient egalement hostiles aux marchands juifs de Mogador a cause de leur concurrence commerciale. 

Ces marchands furent, sembie-t-il, Cyriaque Petrobelli de Trieste, un toscan. Pietro Muti et un genois. Francesco Chiappe qui avait ete consul de Venise a Mogador.

 Les effcts de cet antagonisme commencaient a se faire durement sentir pour la population. Encourages par 1'attitude du souverain, les caids ainsi que la populace se mirent a maltraiter tous ceux qu'ils pouvaient atteindre. Il fut decrete que les Juifs devaient entretenir, a leurs frais, les nombrcux canons de bronze de la ville; quand le sultan voulait favoriser un Chretien d'une nation amie, un riche marchand juif de ses sujets devait lui ceder la maison qu'il avait pourtant construite de ses propres deniers .

            Keating, op. cit. pp. 182, 192: "The Governor without a moment's warning, turned a rich Jew merchant and his family out of house and home, to accommodate some of the Swedish Gentlemen; and yet Jews do build houses here!".

Les effcts de cet antagonisme commencaient a se faire durement sentir pour la population. Encourages par 1'attitude du souverain, les caids ainsi que la populace se mirent a maltraiter tous ceux qu'ils pouvaient atteindre. Il fut decrete que les Juifs devaient entretenir, a leurs frais, les nombrcux canons de bronze de la ville; quand le sultan voulait favoriser un Chretien d'une nation amie, un riche marchand juif de ses sujets devait lui ceder la maison qu'il avait pourtant construite de ses propres denier on publia un ordre du souverain interdisant aux Juifs de se vetir a l'europeenne. Enfin, en 1789  on frappa au plus haut: les "Toujar as-Soultan" qui n'avaient pas ete atteints jusque la, recurent l'ordre de livrer aux marchands Chretiens de la ville les fonds du Tresor et les marchandises appartenant au sultan״.

 Sidi Mohammed ben Abdallah mourut en 1790 . Heureusement, son successeur Moulay Yazid ne vecut pas assez pour pousser les chosses au pire; les Juifs de Mogador furent ainsi epargnes. En effct, quand ce terrible tyran prit Marrakech en 1792  il y fit massacrer trois mille personnes, sans distinction ni d'age, ni de sexe, et fit crever les yeux a des centaines d'autres, il publia un edit ordonnant de decapiter soixante notables de Mogador dont presque tous des marchands chretiens et des Juifs.

Une blessure qu'il recut pendant la bataille de Marrakech entraina rapidement sa mort et l'ordre ne fut pas execute. Son successeur, Moulay Sliman, qui tenait avant tout a eviter les relations avec les Chretiens, tout en maintenant Mogador comme le seul port ouvert pour le commerce maritime, retira aux marchands chretiens les avantages que Sidi Mohammed ben Abdallah leur avait accordes et replaca les "Toujar as-Soultan" dans leurs fonctions .

Les calds et les Vizirs chercherent de nouveau a s'associer aux marchands juifs moins haut places, mais dont l'activite etait fort importante

 

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos 

Les quartiers speciaux ou etaient relegues les juifs n'ont d'abord existe qu'en Europe. Leur etablissement fut sanctionne par une loi canonique du Troisieme concile de Latran en 1179.

L'epidemie de peste de 1799 qui fit tant de ravages au Maroc frappa durement Mogador ou, d'apres Jackson 4.500  personnes en moururent. D'autres textes avancent le chiffre de 5.000  victimes. Des families musulmanes errantes fuyant le fleau s'etaient refugiees dans la ville. Des families juives, a qui l'entree avait ete interdite, moururent de misere dans les sables, sous les murs de la ville dont les portes avaient ete fermees. On ne put leur porter secours. La mort ne fit pas de discrimination parmi les habitants de Mogador.

 Beaucoup de families juives et chretiennes emigrerent des qu'elles le purent. Moulay Sliman, craignant pour la prosperite du port et du Maroc, interdit l,emigration des femmes juives  et ceux qui se preparaient a partir durent rester pour ne pas briser leurs foyers. Les Chretiens, proteges par leurs Nations, partaient d'autant plus que leurs affaires etaient mauvaises en raison de la politique adoptee a leur egard par le souverain.

Tout le commerce, par la force des choses, passa alors entre les mains des "Toujar-as-Soultan". Au debut du XIX״ siecle, ces derniers favoriserent particulierement les echanges avec l'Angleterre, qui reprit ainsi la place preponderante qu'elle avait occupee et qu'elle occupera desormais dans l'economie marocaine. Les marchands juifs favoriserent egalement les echanges avec les Etat-Unis, notamment avec les ports de Salem (Mass.), Boston et Charleston. Les Antilles, surtout Saint- Thomas et la Jainai'que, profiterent de ce commerce grace aux navires americains qui y faisaient escale en venant de Mogador

Une famille d'Ifrane de l'Anti-Atlas, les Afriat, venus a Mogador apres 1792  prit une grande place dans le commerce, particulierement avec Londres ou Joseph Afriat devait se fixer vers 1809  et ses petit-neveux Jacob, Aaron et Sellam y creer, au milieu du XIX״ siecle, la plus importante maison marocaine de commerce de la "City". Le chef de cette famille, Judah ben Naphtali Afriat representant d'un "clan" qui depuis plusieurs generations, avait joui d'un prestige considerable chez tous les Juifs du Sous et dont l'histoire etait entouree de nombreuses legendes, avait ete brule vif a Ifrane (Oufrane) en 1792 . Apres la mort de Sidi Mohammed ben Abdallah, un marabout s'etait pose en pretendant chez les Ait Ba-Amran de la region d'lfni. II groupa les tribus et chercha a passer dans le Nord pour se faire proclamer sultan. A Oufrane, plaque tournante du commerce saharien, ou vivait une des plus anciennes communautes du Maroc et ou les Juifs etaient fort riches, Bou-Hallais ou Bou-Helassa (c'etait le nom de ce marabout), chercha a convertir les Juifs et leur donna a choisir entre l'lslam et la mort. On eleva un enorme bucher pret a recevoir les recalcitrants.

 Afin de prevenir toute faiblesse dans la communaute, les notables, au nombre d'une cinquantaine, avec a leur tete Judah ben Naphtali Afriat, apres s'etre purifies et fait la priere de Minha en commun, se jeterent 1'un apres l'autre dans le feu. Les Berberes delivrerent tous les autres Juifs. Ces derniers recueillirent les ossements et les cendres des martyrs et les enterrerent dans une grotte appelee Maarat ha-Makhpela par comparaison avec celle de Hebron. Les descendants de ces martyrs, celebres au Maroc sous le non de Nisrafin vinrent presque tous se fixer a Mogador oil ils furent entoures d'un grand respect.

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Nous venons de donner un apercu de ce que furent les elements qui ont forme la communaute de Mogador avant la creation de son Mellah. Nous avons vu qu'en general, les Juifs de cette ville occupaient de hautes situations et que la position de toute la communaute etait preponderante. A la veille de la fondation du Mellah, de cette guezera comme on l'a dit, les Juifs jouissaient encore d'une liberte eדוד קורקוסxceptionnelle pour l'epoque et dans le pays. Cependant, ici encore l'attitude equivoque du sultan autorisait la populace a saisir chaque occasion pour opprimer les Juifs qu'elle pouvait atteindre. Ali-Bey al-Abassi nous renseigne, a sa maniere, sur cette situation qu'il avait d'ailleurs constatee au cours d'un voyage qu'il fit a Mogador en mars de l'annee 1804. Un an apres, Moulay Sliman se rendit a Mogador "pour visiter les travaux effectues par son pere"

  Ali-Bey, op. cit., I p. 147: "The vice-consuls and merchants of various European nations, who live at Souera form a kind of colony, which is increased by the Jew merchants of the country: these latter enjoy here much more liberty than at any other place in the empire; they are even permited to wear the European dress, and to live like the merchants of other nations; they are the richest class, but from time to time they are compelled to pay dearly for these advantages by the most shocking oppressions".

Dans le courant de l'annee 1807  il envoya une lettre ordonnant la separation des Juifs et des Musulmans, c'est-a-dire la creation d'un Mellah ou les Juifs devaient etre enfermes. Nous ne connaissons pas le pretexte invoque offciellement pour cette segregation qui, naturellement, faisait partie d'un plan general englobant les Juifs de Mogador, de Rabat, de Sale et de Tetuan.

 Deux documents se font l'echo de ce que la tradition orale des Juifs de Mogador avait conserve sur les causes de la fondation du Mellah. "Les Juifs de la seconde classe vecurent en paix dans ce quartier (la medina) jusqu'en1804  annee ou le fanatisme musulman se reveillant, une Juive fut enlevee et contrainte d'epouser un cherif mahometan (sic)• Vers la meme epoque, la securite generale des Juifs fut menacee. Ils en appelerent au souverain, se plaignant de l'injustice commise, faisant valoir l'insecurite de leur situation et demandant avec insistance que fussent prises des mesures de protection pour leur securite future … Le sultan acceda a leur demande et ordonna la construction, a l'extremite de la ville, du vieux Mellah d'aujourd'hui, qui est en realite le premier Mellah au sens propre du mot et qui fut muni d'une porte de guet… ״. Pour l'auteur du second document, moins bien informe, le Mellah ne fut que deplace. Le premier se trouvait en pleine medina "ouvert a tous les passants, de sorte que les incidents se multiplierent chaque jour entre Juifs et Musulmans"; mais il rejoint a peu pres l'auteur du premier document en ecrivant: "Une jeune fille d'un sujet anglais (sic) se trouvant un samedi a sa fenetre, a jete par megarde une ecorce de pepin, qui tomba sur un cherif. Un incident en surgit: on obligea la jeune-fille a abjurer. 

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos 

. ". Pour lui aussi, l'edification du Mellah, le second pense-t-il, fut une mesure de securite pour les Juifs de la "seconde classe". Qu'a cette epoque la situation de la majorite des Juifs soit devenue beaucoup moins bonne est l'evidence meme, mais ces Juifs, s'ils demandaient que des mesures de protection fussent prises pour leur securite future, n'avaient pas prevu que cette protection se traduirait par leur segregation.

Ils furent douleureusement surpris quand arriva l'ordre du sultan. La mesure, d'ailleurs, ruinait un grand nombre d'entre eux. Un texte de R. Joseph Elmaleh, date de 1813  cinq annees apres l'installation des Juifs au Mellah, nous edifie sur ce point ainsi que sur d'autres. L'essentiel de ce texte nous apprend que, lorsque le decret ordonnant a tous les Juifs de sortir de leurs maisons arriva a Mogador, on put y lire que la valeur des maisons ainsi evacuees devait etre remboursee par le sultan.

 Ce remboursement devait s'effectuer sur le prix qu'en offriraient des acheteurs eventuels. Ces acheteurs etaient evidemment des Musulmans qui seuls pouvaient occuper les maisons en question. Ils voulurent profiter au maximum de cette conjoncture, aussi les maisons n'atteignirent-elles pas le sixieme de leur valeur. Les autorites musulmanes en firent alors l'estimation "qu'ils voulurent" et le sultan sortit un second decret invitant les Juifs a se faire rembourser sur la base de cette estimation.

Mais les terrains sur lesquels les maisons etaient construites, comme tous les terrains de Mogador, etaient la propriete du sultan; aussi devait-on prelever le tiers de chaque estimation pour le sultan et les Juifs encaissaient le reste. L'estimation ayant ete faite par les autorites musulmanes comme bon leur semblait, il ne resta plus aux proprietaries des maisons que "la valeur des pierres et des planches", c'est־a־dire, qu'en fait, ils perdaient presque tout.

137 R. Joseph Elmaleh, op. cit., II f° 61a, art. N° 95:

״… שאלה מעיר אצווירא (מוגאדור) ראובן שמשכן קרקע ביד שמעון כדין משכו׳ הנהוגות בניט שהם כדין מש׳ דסורא וכשבא מאמר יר״ה שיצאו כל היהודים מחצריהם וטירתם ויקהו דמיהם מאת המלך יר"ה נסתרסרו החצרות בשוק לעיל כל ולא הגיעו אפילו לפחות משתות מכדי שיווים. אח״כ שמו אותם השרים והערכאות כפי רצונם ובא מאמר המלך שיקח כ״א דמי חצרו ע״פ השומה ההיא. וכן עשה וע״ז נסתפק השואל אם יגבה המלוה חובו שהם כל דמי המשכו׳ ממה שנתן המלך בעד החצר או ינכה מהם לערך מה שפיחת המלך מדמי שיווי החצר ע״פ השומה הזלה. לפי שידוע . הוא שהקרקע הוא של המלך והשר שהביא מאמר יר״ה אמר שהמלך מנכה שליש הקרקע שלו שומ' החצרן׳ וכפ״ו לא נשאר לבעל המשכו׳ אלא דמי עצים ואבנים. וגם אם כבר חסם המלוח דמי המשכו׳ ע״ח יורונו מ״ץ מה יהיה משפט זה לאשורו ושכ' מה…." 

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

 

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Tous les Juifs de la medina furent transferes dans le Mellah qui, comme tous les Mellahs, fut entoure d'une enceinte crenelee. Cette muraille donnait sur l'exterieur, au nord de la ville et etait munie de canons comme, d'ailleurs, l'enceinte qui entourait la Kasba au centre de la cite. Le sultan ne fit exception que pour une poignee de families, les Toujar-as-Soultan, quelques riches marchands independants comme les Guedalla et des Juifs etrangers comme les Pacifico. Vers 1820  Amram Elmaleh, venu se fixer a Mogador, put acquerir pour lui et sa famille une des plus belles maisons de la Kasba. Ainsi, une dizaine d'annees apres la creation du Mellah, on se montra moins severe quant a la segregation des Juifs; mais ce ne fut encore que par faveur speciale.

Amram Elmaleh etait le fils de R. Joseph Elmaleh, l'auteur de Tokfo shcl Yossef. II etait ne a Rabat avant 1785  s'etait installe a Gibraltar puis a Lisbonne avant de se fixer a Mogador oil il fut le representant du Royaume des Deux-Siciles. R. Samuel Caro fut son grand- pere maternel et il appartcnait comme sa femme a l'illustre famille des dc Avila. C'est grace a son fils Joseph dont la generosite etait proverbiale et qui fut un des plus importants "Toujar as-Soultan" a Mogador, que de nombrcux ouvragcs hebrai'ques de savants marocains ont put etre publies. La famille Elmaleh a, d'autre part, fourni des poetes et des juristes au Judaime marocaln, Des membres de cette famille ont porte le nom de Buenos-Hombres.

VII

Alors que la tolerance des Musulmans, qu'on l'explique d'une facon ou d'une autre, avait le plus souvent dispense les Juifs des pays islamiques d'etre obligatoirement enfermes dans un "Ghetto", il suffisait d'un mouvemcnt inspire par un meneur intolerant, d'une explosion de fanatisme ou de la volonte d'un despote fanatique pour miner cette tolerance; mais la permanence des situations creees par de tels cas fut generalement rare. En s'appuyant sur les trois exemples qui existaient dans son propre pays, Moulay Sliman y a etendu l'institution, pourtant d'origine chretienne, du "Ghetto"; cela, il l'a fait a un moment ou precisement en Europe le liberalisme commencait a triompher, permettant ainsi l’emancipation des Juifs de l'Occident.

 Isoler son pays, arreter l'influence europeenne, contenter les esprits etroits et secretement interesses, assumer son role de chef religieux suivant sa conception, elever une barriere entre Infideles et Croyants, en isolant completement les premiers, tout cela ne faisait sans doute qu'une seule et meme idee dans l'esprit dc Moulay Sliman. Si d'autrcs communautes avaient ete assez importantes, le souverain les aurait surement fait enfermer dans un Mellah. A Tanger, residence des consuls et charges d'affaires europeens, il n'y avait que 800  Juifs, dont cinq ou six families capables d'entretenir une activite commerciale d'ailleurs reduite; Larache avait quatre a cinq ccnts Juifs "qui font un petit trafic"; le port de Casablanca avait קte ferme au commerce et ses negociants deplaces a Rabat sur l'ordre du sultan; Mazagan evacuee par les Portugais en 1769  et dont Mardoche Delmar obtint la concession du port, fut abandonnee en 1790  et ne se releva de ses ruines qu'en 1826  quand la douane y fut installee sous l'autorite de Meir Cohen ben Macnin; nous avons vu ce qu'il advint d'Agadir en 1773 et la communaute de Safi ne commenca a se reconstituer qu'en 1817  quand Adi Chriqui (Delavante) y eut obtenu l'usage exclusif du port. Cela se passait dans les dernieres annees du regne de Moulay Sliman qui, malgre tout, finissait par reconnaitre a certains de ses sujets juifs quelques qualites

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

 

Les juifs au Maroc et leurs Mellahs – David Corcos

Plus eclaire que son oncle et predecesseur, Moulay Abderahmanfavorisa toutes les initiatives de ses sujets, en particulier des Juifs dont les connaissances et l'experience etaient depuis longtemps prouvees

Moulay Abderrahman fut gouvcrneur de Mogador avant d'acceder au trone Les negociants de la ville et particuli6rcment ses amis juifs, Musa et Murdoch Aflalo, Salomon Corcos ct les deux freres Cohen ben Macnin l'initierent a la politique des Nations Chretienness el lui demonterent les avantages du commerce maritime

Nous avons vu qu'en general ce sont les memes families qui ont fourni traditionnellement les "Toujar as-Soultan", aussi les enfants de ces families etaient ils eleves pour tenir ce role. La connaissance du monde exterieur leur etait necessaire; de la l'habitude, depuis le dernier quart du XVIIIs siecle au moins, d'envoyer ces enfants, des apres l'age de treize ans, dans des ecoles privees juives en Europe, notamment en Angleterre, puis en stage dans la maison de commerce d'un associe ou d'un parent. De plus, depuis les premieres annees du XIX׳ siecle il y avait, a Mogador par exemple, des ecoles anglaises. Ces etablissements etaient aussi des ecoles privies. Les plus riches families avaient dgalement des precepteurs charges de l'education religieuse et profane de leurs enfants. Mais tous continuaient d'aller se perfectionner en Europe.

Si, sur le plan officiel, il parut ne pas vouloir changer la triste situation des communautes de Fes ou de Meknes se montrant meme d'une severite excessive envers les Juifs etrangers, allant pour l'un d'eux jusqu'a l'injustice et la cruaute, il n'en demeure pas moins vrai qu'il fit des efforts louables pour ameliorer le sort de la masse juive pour laquelle les trente cinq dernieres annees avaient ete les plus sombres qu'elle eut a traverser. Enfin, il permit a ceux qui desiraient aller s'installer en Terre-Sainte, Jerusalem, Tiberiade, Hebron ou Safed, de quitter le pays sans verser la taxe de sortie a laquelle les Marocains, musulmans ou juifs, etaient astreints. Ce n'etait pas un tel homme qui allait creer de nouveaux Mellahs dans les villes qui justement se repeuplaient. Au contraire, c'est sous son regne que nous assistons a la reinstallation de familles hors des quartiers juifs. Pourtant, a Tetuan, les Juifs, par une sorte de reaction contre l'injustice qui les avait groupes tous dans une seule et meme place, avaient fait de leur "Juderia" le quartier le mieux tenu de la ville. A l'exception de la Kasba de Mogador, il n'y avait pas au Maroc un quartier aussi confortable.

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

 les Juifs du Maroc et leurs Mellahs David Corcos

Apres le bombardement de Mogador par les Francais et le pillage en 1844  par les Tribus des environs, Moulay Abderrahman dedommagea les marchands de leurs pertes et des secours furent envoyes aux autres habitants. De plus, quelques "Toujar as-Soultan"

ayant quitte la ville et le Maroc, le souverain, comme en 1765  fit appel a des families juives de Tetuan et de Marrakech afin qu'elles envoyassent des repre sentants a Mogador. Tous furent loges dans la Kasba. La reprise des affaires incita de nombreux Juifs, artisans, ouvriers et boutiquiers de Marrakech et du Sous, a s'etablir a Mogador.

Le gonflement du Mellah fut extraordinaire 4.000  personnes en 1845  lc double unc vingtaine d'annees plus tard, sous le regnc de Sidi Mohammed ben Abderrahman; "l'entassement y est inoui". Sir Moses Montefiore s'en etait emu au cours de son fameux voyage au Maroc et de son passage a Mogador. D'accord avec Sir Moses, ses amis et ses hotes, les deux freres Jacob et Abraham Corcos ", ecrivirent au sultan une lettre en date du 14  Ramadan 1280 ( 22 Fevrier 1864 ) pour lui demander que le Makhzen mette a la disposition des gens du Mellah un terrain situe dans le quartier de Chebanat et de l'ajouter au Mellah afin de "pourvoir les Juifs (de classe moyenne) de logements plus vastes et plus confortables" et de laisser ainsi plus de place aux pauvres gens.

 Pour l'achat de cc terrain, Jacob et Abraham Corcos proposerent au sultan d'avancer les fonds necessaries au Makhzen. Le souverain fit repondre par son Grand-Vizir, Si Tayeb ben El-Yamani (le celebre Bou-Achrin) qu'il avait ecrit aux amin et au gouverneur, le caid EI-Mahdi, pour demander leur avis.

Ces derniers repondirent que le terrain en question etait occupe par des gens Chebanat et qu'une mosquee y etait situee. Les amin et le gouverneur proposaient un endroit sis a l'exterieur de 1'enceinte de la ville (du cote de Bab Doukkala) et exploite presentcment comme potagers. Mais les Juifs, disent-ils, n'en veulent pas parce que la construction sur cet emplacement leur reviendra trop chere.

Le Grand-Vizir, ami intime des Corcos, leur conscilla d'attendre une occasion meilleure, mais souligna lui aussi que le terrain ne saurait etre attribue aux Juifs du MellahLes gouvernants musulmans de Mogador oubliaient qu'a la Kasba, quartier residcntiel dont le plus grand nombre des habitants etaient juifs, se trouvait la plus belle mosquee de la ville; aussi, quelque temps apres, au cours d'une audience qu'il avait accordd a Jacob Corcos, le souverain accede-t-il a sa demande et la construction du nouvcau Mellah au quartier Chebanat commenca aussitot. Fin Aout 1864  un bon nombre de families juives y logeaient. Quant au vieux Mellah, Sir Moses Montefiore, particulierement interesse au sort des Juifs de Mogador contribua largement a l'edification d'un hopital pour les pauvres pour lequel les Corcos avaient obtenu du sultan un petit terrain supplementaire. 

Juifs au Maroc et leurs Mellahs-David Corcos

Remarque de l'auteur

Les habitants du nouveau Mellah n'y furent pas longtemps a leur aise, le Makhzen, qui possedait 13  maisons, y faisait loger le plus de monde possible. En 1874 , les Juifs originaires dc Mogador et etablis en Angleterre formerent un comite de secours et de defense pour leurs coreligionnaires. Profitant de la presence a Londres d'un Envoye du sultan en 1876  Manchester, Liverpool, Portsmouth, Newcastle etc. envoyerent des delegues (Judah Levy-Yuly, Isaac Belisha, Joseph Zagury, David Hatchwell, Halm Farache, J. Guedalla etc) qui se reunirent avee L.A. Cohen, les Afriat, Botibol, etc. etc. et obtinrent en definitif, par 1'entremise de cet Ambassadeur, l'autorisation pour tous les Juifs de Mogador de s'etablir dans tous les quartiers de la ville. Une vingtaine de families revinrent, apris soixante dix annees, habiter dans la Medina (cf. Annual Report of Anglo- Jewish Association 1876-1877, pp. 63 a 69). voyez note 156

Lettre de Sir Moses Montefiore a Abraham Corcos, datee du mois de Decembre 1869: "My dear Mr. Corcos, I have received with pleasure your letter of the 25th of last month enclosing the receipt of the Treasurer of the Hospital . . . The attention which has been paid to the purifying andl paving of the streets is very commendable … It will therefore be well worth the effort and expense to complete the work whilst your attention is directed to it and the poor themselves will be asked and encouraged to maintain the improved conditions when so perfected … I have had tho pleasure of seeing Dr. J.D. Hay in this country not long since and In conversing with him. I had I am assure you full evidence of his abilily and good will to render spiritual service lo our brethren in Morocco

Rem ember me most kindly to your brother and Doctor Thevenin and the French Consul whose valuable services I highly appreciate .. Tous les efforts et ces mesures benefiques ne resolurent pas completement le probleme. Les pauvres Juifs etaient irresistiblement attires par Mogador ou ils arrivaient continuellement. Ces deracines s'entassaient dans le Mellah provoquant le depart des occupants precedents pour le Nord, a Safi, Mazagan, Casablanca et Tanger, la ou il n'y avait pas de Mellah

Mogador avait, en 1875, 7000  Juifs dont 1316  vivaient dans de vastes maisons, somptueusement meublees, des deux Kasbas. Les deux Mellahs constituaient un monde a part. Au vieux Mellah, il y avait 174  maisons de 1164  chambres pour 1227 families representant 5198  ames(!); dans le nouveaux Mellah, il y avait 20  maisons de 96  chambres pour 108  families representant 486  ames (!). La misere, la salete et les maladies devenaient forcement le lot de ces malheureux cf. Annual Report of Anglo-Jewish Association, 1875-1876. Appendix J. pp. 58 k 61). Les Juifs des Kasbas fonderent des societes de bienfaisance, taxerent leurs transactions commerciales, le fret de leurs navires, leurs fetes familiales etc. Aussi, en 1890, on comptait 500 maisons de deux ou trois etages dans les Mellahs beaucoup mieux tenus qu'auparavant, malgre le resserrement des lieux (cf. Bulletin de I'Alliance Israelite Universelle Annee 1877 , ler Semestre, Rapport de J. Halevy, pp. 44  a 49 Annual Report, des anndes 1889  a 1896  En 1889  le Mellah de Tetuan fut agrandi, on decida d'en faire autant a Mogador, mais on se heurta a un refus de la part des Autorites. En 1898 l'Anglo-Jewish Association appuyee par le gouvernement anglais, chargea Stella Corcos, sa deleguee a Mogador, de faire une demnrche aupres du sultan. Bravant tous les dangers, cette grande dame accompagnee de son marl et de sa fille, fit a cheval trois jours de voyage pour arriver a Marrakcch et obtint gain de cause (cf entre autres, Annual Report1898-99 l,letter du Caid Harry Maclean, chef de l'armee marocaine ) II y avait alors a Mogador plus de 11,000  Juifs

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