Le château de Cambous


Le château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch

misgueretLe château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch
Histoire contemporaine du chateau de Cambous

(Viols-en-Laval, Herault)

De l'Aliyah des jeunes a nos jours

1950-2010

EXTRAITS SANS ILLUSTRATION


transmis a M. Yigal Bin-Nun

periode 1950-1972

Christian PIOCH

1ere partie

Un chateau francais au service de la cause sioniste :

Le chateau de Cambous, antichambre de la Terre promise et l'Aliyah des jeunes

Volontaires de la Misgeret  à Cambous en 1960

 (Arch. Yigal Bin-Nun, avec son amiable autorisation.)

Le temps de la Misgeret  à Cambous (1957-1961)

En effet, en raison de l’interdiction de l’émigration marocaine vers Israël, du début 1956 à novembre 1961, une nouvelle structure clandestine, la Misgeret , est mise en place par le  Mossad , comportant cinq sections :

 Maqhela (émigration clandestine) ;

 Lavi (autodéfense) ;

 Ballet (mouvements de jeunesse) ; renseignements ; soutien public.

Sa mission principale est de poursuivre le mouvement d’émigration vers Israël et d’assurer pour cela l’autodéfense de la communauté, et donc, le cas échéant, se defender contre les autorités marocaines ou contre les mouvements populaires antisionistes se faisant menaçants. Elle parviendra ainsi, dans des conditions fort difficiles, à assurer entre1957 et 1961 le départ de près de 29 500 nouveaux migrants qui devront, à chaque pas, se méfier des forces policières et militaires du nouveau régime marocain, comme desmouvements de foule.

De 1956-1961, son action précèdera ainsi le retour en 1961-1966 à une émigration qui sera à nouveau légale, l’opération Yakhin

Lors de son activation en 1956-1961, les Marocains juifs craignent désormais pour leur vie. Les incidents et les arrestations se multiplient. Leur correspondance avec Israël, de l’ordre de 30 000 lettres par mois dans chacune des deux destinations, est même interdite en septembre 1959 et la tension monte encore d’un cran quand le gouvernement marocainse réjouit publiquement de la conversion, forcée ou non, de quelques jeunes filles juives àl’Islam.

Volontaires de la Misgeret  à Fès (Arch. Yigal Bin-Nun, avec son aimable autorisation)

Charles Boushira et Eli Levy, à gauche sur la photo, tous deux nés à Fès en 1938, furent arrêtés lorsd’une distribution de tracts mettant en cause le régime marocain lors du naufrage du Pisces (ou Egoz )et furent torturés par la police marocaine, quittant le Maroc pour Israël aprèsl’intronisation d’Hassan II.

Un martyr de la Misgeret , Raphael Oiknin (1927-1961), à gauche sur la photo, en famille,mort sous la torture après le naufrage du Pisces (ou Egoz) (Arch. Yigal Bin-Nun, avec son aimable autorisation)

Aussi, sur la base d’informations collectées dans les Archives nationales d’Israël, dans celles du Ministère des Affaires étrangères ou dans les Archives sionistes, comme de témoignages de volontaires de la

 Misgeret ainsi que des émissaires israéliens au Maroc,M. Yigal Bin-Nun, spécialiste de l’émigration marocaine vers Israël, a pu établir qu’au moins deux stages professionnels d’autodéfense, a priori sans arme à feu, furent organisés en 1958-1959 à Cambous. Le premier de ces stages eut lieu au cours de l’été 1958.

Le directeur du stage à Cambous était alors Gad Shahar (Georges Chemla), né à Tunis en1923 et membre du kibboutz Regavim, responsable de deux des branches de la Misgeret  (Maqhela, chargée de l’émigration clandestine, et Balet  , chargée des mouvements de jeunesse israéliennes). Yona Zabin, né en 1925, dirigeait quant à lui le stage de la section Lavi, chargée de l’autodéfense. Les autres moniteurs étaient trois émissaires israéliens :Yishay Shtikman, membre du kibboutz Mishmar Hanegev ; Hayim Yehezqeli, né en 1935 à Haïfa ; et Roger Hamou (Ben Ami), né en 1938 à Fès.

Les stagiaires, dont l’un sera torturé à mort, étaient : Marcel Antibi (né à Fès en 1932, de nationalité française), Charles Reboh (né à Fès), Edmond Sadoun, Charles Bouhsira (né à Fès en 1938), Felix Monsonego (né à Fès), Isaac Cohen (né à Fès en 1934), SimonCorcos, Haim Hamou, Raphael Oiknin (né à Casablanca en 1927, mort sous la torture en1961), Suzanne Chkouri, Rachel Zrihen (née à Marrakech en 1940), Lisette Elmosnino,Marie Torjman (ou Corchhia, née à Fès en 1939), Gabriel Benlolo, Jeanette Ohayon, et Jacqueline Hagège.

L’un d’eux, Raphael Oiknin (1927-1961), n’échappera pas aux griffes de la police marocaine. Ainsi, quand une quarantaine de fugitifs, embarqués clandestinement sur lePisces (ou Egoz), sombrèrent en mer en janvier 1961, une campagne de tracts accusa le régime marocain, par son interdiction de l’émigration, d’être responsable du désastre et une violente répression s’abattit aussitôt sur la communauté juive marocaine. Le jeune Oiknin, qui s’était porté volontaire en 1948 pour servir en Palestine lors de la guerre d’indépendance, et qui fut en 1955-1956 l’un des premiers volontaires pour la création de la Misgeret , fut alors arrêté et torturé à mort (le drame maritime de janvier 1951 permit cependant l’ouverture de négociations officielles et le retour à une émigration légale quelques mois après).

Le second des stages organisés à Cambous eut lieu à l’été 1959. Le directeur du stage était alors Fredy Shani, secondé par divers moniteurs, les émissaires Ezra Ayalon, Moni Behar, Pinhas Nemet, Yaacov Stanger et Bruno Sigal, Moshé Liba (né en 1931) etGeorges Benaïm (né à Fès en 1930). Les stagiaires étaient : Georges Elie Oiknin (né àRabat en 1938), Marcel Antibi (né à Fès en 1932, de nationalité française), Léon Zabali(né à Fès), Felix Monsonego (né à Fès), Marcel Ruimy (né à Fès en 1932, de nationalitéfrançaise), Armand Ouliel, Elie Achach, Claude Sultan, Michel (né à Casablanca en1939) et Chantal Knafo, Albert Bensimon, Simon Cohen (né à Fès), Eli Levy (né à Fès en1938), Michel Pariente (né à Larache en 1932), Rachel Assoulin (épouse du précédant),Simon Benlolo, Roland Dukhan, et David Oiknin (de Melilla), ainsi que d’autres personnes venues de Tunisie, dont deux filles, ou d’Algérie.

Mais ce ne sont là que des groupes de passage, assez peu nombreux et sans doute aussi discrets que possible . En 1959, le nombre de chiens taxés pour le château et parc de Cambous passe ainsi de sept à deux seulement, signe de désaffection générale du domaine.

Le château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch

misgueret

Quelques mois de plus et Léon Pépin (1909-1982), fils de Paul, l’ancien maire d’avant la Libération décédé en 1954, devenait à son tour maire de Viols-en-Laval en novembre1959, le restant jusqu’à son décès, le 28 juillet 1982. Le Cambous juif vit alors sesdernières heures, d’autant plus que les négociations menées avec le gouvernement du Maroc permettront enfin aux juifs de ce pays de sortir à la fin 1961 du cadre clandestine dans lequel se plaçait depuis 1956 leur émigration.

Dès l’été 1961, un premier acompte d’un demi-million de dollars est débloqué par EranLaor, trésorier de l’ Agence juive à Genève, et est versé en liquide aux représentants du roi du Maroc. L’étau administratif et policier s’ouvre, l’opérationYakhin peut commencer(soit 97 000 migrants supplémentaires en 1961-1964), et le Camp de Cambous n’a désormais plus guère d’utilité pour gagner Israël.

D’autres stages de la Misgeret  se déroulent cependant encore à Cambous en 1960-1961, plus ou moins discrets, déguisés sous le nom officiel de colonies de vacances, avec environ 500 participants comme le précisait une affiche israélienne dont copie a éte donnée plus haut.

Affiche israélienne relative à des passeports collectifs (avec l’aimable autorisation de M. Serge Chétrit, site http://ruhama.blog4ever.com)

Le passeport marocain jaune, dressé en novembre 1961, est «valable pour tous les pays à l’exception d’Israël  »

l’émigration du Maroc vers Israël étant officiellement interdite en 1956.

Le 2 mars 1960, en préfecture de l’Hérault, dans une note adressée au préfet sous couvert du secrétaire général, le chef de la l ère division du Service des étrangers et des passeports constate cependant la fin définitive du Centre de transit juif de Cambous qui ne fonctionnera plus, de temps à autre, que pour les besoins de colonies de vacances, du moins officiellement. Son historique reprend des points déjà connus, mais développe néanmoins divers aspects réglementaires de l’époque qu’il est bon de préciser, malgré le caractère répétitif de l’introduction

« En 1950, une organisation israélite ayant son siège en France, mais fonctionnant sous le contrôle administratif des autorités diplomatiques de l’Etat d’Israël et bénéficiant des subsides de ce dernier, acquiert le château et ses dépendances qui formaient [alors], sur le territoire de la commune de Viols-en-Laval, le camp militaire dit « De Lattre de Tassigny ». La maison d’enfants israélites de Cambous avait pour objet d’héberger, pendant une période moyenne de 3 mois, des enfants israelites  de 10 à 15 ans en provenance d’Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Algérie). Au cours de cette période, ces enfants suivaient une formation spéciale visant surtout le perfectionnement de leurs rudiments en langue hébreu, puis étaient dirigés sur Israël.

Le fonctionnement dudit Centre était assuré par un personnel de direction et administratif (5 personnes), de moniteurs et monitrices (13 personnes), en quasi totalité de nationalité étrangère, et de personnel domestique, comprenant en majorité des éléments français (13 personnes). L’effectif des enfants oscillaient, selon les périodes,autour de 120.

Au point de vue contrôle administratif, le Ministère de l’Intérieur avait prescrit les dispositions suivantes :-

 les intéressés étaient munis d’un titre de séjour temporaire ;

– l’admission au Centre des moniteurs et stagiaires était subordonnée à l’agrément préalable du Ministère de l’Intérieur ;

– la réglementation sur le séjour en France des étrangers leur était appliquée.Tous les trimestres, nous fournissions au Ministère un rapport sur la situation des effectifs présents (état numérique des enfants, du personnel d’encadrement et notice individuelle des personnes nouvellement arrivées). Ces renseignements nous étaient fournis par le commissaire principal, Chef du Service départemental des Renseignements généraux, qui était chargé du contrôle du Centre. J’aj-oute que la maison d’enfants israélites de Cambous a cessé de fonctionner au début de l’année 1958 : seul un concierge, de nationalité française, assure l’entretien de l’immeuble».

Sur la base moyenne de 120 enfants par trimestre (mais on a vu les effectifs chuter à30-40 stagiaires seulement), soit 480 par an, on pourrait estimer que Cambous vit ainsi transiter, sur huit années pleines, de 1950 à 1958, aux alentours de 3 840 enfants, chiffre que l’on arrondira à 4 000 et qui pourrait avoisiner, selon un ancien agent du camp, les 7000 à 7 500 enfants en y ajoutant les périodes de pointe, mais aucun registre des entrées et sorties n’est aujourd’hui disponible dans la liasse 490 W 130 des Archives de l’Hérault,l’information se trouvant certainement dans les archives sionistes auxquelles nous n’avons pas eu accès. Peu après, l’indépendance de l’Algérie amenait sur la région une autre déferlante de toutes origines confessionnelles, amenant la population montpelliéraine, de seulement 97501 habitants en 1956, à passer à d’un coup à 118 000 ou 121 000 habitants en 1962, puis à 161 910 en 1968…Lors du recensement de 1968 réalisé à Viols-en-Laval, le gardien (concierge) du châteauétait Auguste Cournut, né en 1926 à Viols-le-Fort, vivant sur les lieux avec son épouse etdeux jeunes enfants, l’un né à Amiens, l’autre à MontpellierEn 1972, le Centre de Cambous n’ayant plus aucune utilité, la S.C.I. constituée en 1950 fera cession des lieux à Gildas Dubois et Catherine Scheyvaerts, lesquels en ferontrevente en 1978 à un artiste et couturier juif d’origine algérienne, Yves Moïse Asseraf (1933-1989), plus connu sous les noms d’Olivier Brice ou Michel Tellin (cf. infra)

( La fin des camps de Julhans et des Rhuets (1959

La fin des camps de Julhans et des Rhuets (1959)misgueret

Entre-temps, dès 1959, les structures sionistes se défaisaient de leur domaine du châteaude Julhans, à Roquefort-la-Bédoule, qui avait été acquis en mars 1950, à la même époque que Cambous.En cette année 1959, la famille Lévitte habitait désormais Paris, installée au n° 76 de larue Bonaparte, mais la S.C.I. de Julhans restait néanmoins domiciliée au 20 rue de l’Est àBoulogne-sur-Seine, du moins sur l’acte de revente de 1959, puisque nous avons vu plushaut la S.C.I. de Cambous passer en 1956 au 83 avenue de la Grande Armée, à ParisXVIe, comme le précisent les matrices générales quinquennales, alors même que l’adresse de Boulogne restait inchangée sur la case 38 de la matrice des propriétés bâties et non bâties.

Retour aux Rhuets pour deux anciens de l'Aliya d’après-guerre : MM. Addad et Shraga(avec l’aimable autorisation de M. Stéphane Lacombe, directeur des Rhuets)

Parallèlement, les parts de la S.C.I. propre au château de Julhans que Louis Thouvard avait cédées dès 1951 à Adrien Gensburger, avaient été cédées en 1956 par celui-ci à Emile Vajda, autre ingénieur agronome.Le site de Julhans n’avait pas parfaitement répondu aux espérances mises en lui sur le  plan agricole. De plus, il avait perdu une grande partie de son utilité en raison des évolutions de  l'Aliya

puisque le mouvement général vers Israël s’essoufflait. Aussi, Denise Klotz, épouse Lévitte, agissant en qualité d’administrateur unique de la S.C.I. du château de Julhans, et ayant reçu tous pouvoirs de M. Emile Vadja par acte du 29 octobre 1959 (Blanchardon, not.), en fit cession les 3 et 4 novembre 1959 à un organisme de sécurité sociale de l’Algérie française.

L’exploitation agricole avait alors pour régisseur salarié M. Albert Petronio, époux de Mme Suzanne Chapelier, tous deux ne pouvant cependant revendiquer l’application à leur profit du statut de fermage et de métayage, ni même un quelconque contrat de travail, étant tout au plus payés au mois et assujettis au régime de sécurité sociale sous le n° 130 202, la S.C.I. étant quant à elle immatriculée comme employeur sous le n° 44 194.L’acte relatif à cette cession fut dressé par-devant Me

Auguste Malauzat, notaire à Marseille, et fut transcrit aux Hypothèques de cette ville le 14 décembre 1959 (vol. 2699, n° 13). C’est la copie de cet acte, accompagné d’un important historique de propriété depuis 1933, ainsi que de multiples pièces annexes, soit 28 pages en tout, qui nous a  permis d’évoquer plus haut les conditions de mise en place en 1950 de cet éphémère centre sioniste parallèle à celui de Cambous

Le nouvel acquéreur du château et du domaine de Julhans est alors le

Comité technique de coordination et d’action sociale de la région de Constantine un organisme de

l’Algérie française dont le siège social était fixé en cette ville, 33 avenue Charles de Foucault. Cette structure à vocation sociale avait été mise en place comme suite à deux arrêtés des 15 juin 1957 et 17 février 1958 du Ministre résidant en Algérie, et était représentée lors de cette cession de 1959 par Jean François André Delort, directeur de la

Caisse sociale interprofessionnelle du Commerce de la région de Constantine,  secrétaire du [susdit] Comité technique de coordination et d’action sociale de la région de Constantine

». Celui-ci avait reçu pour cela délégation du président du comité technique le 21 octobre 1959, en application de la décision d’acquisition prise par le comité lors de sa séance du 7 juillet 1959 et validée par le Gouvernorat général le 27 août.

Le château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch

Le Chateau de Cambous

Le tout, château et domaine attenant de 302 à 328 hectares, était ainsi cédé en cette année 1959, avec ses installations, selon le descriptif que nous avons évoqué plus haut, moyennant la somme de 79 000 000 de francs, laquelle fut payée comptant à la société vendeuse par ledit Delort, par utilisation des deniers du comité acquéreur (soit 790 000 nouveaux francs de 1960). Mais, à la rubrique origine de propriété, Mme Klotz, assistée de son époux, précisait néanmoins que le prix d’acquisition de 1950, soit 10 000 000 de francs de l’époque, n’était toujours pas payé aux époux Nembriny-Aligro, indiquant page 10 de l’acte «

que ce prix est toujours dû, mais qu’il sera payé au moyen des fonds provenant des présentes et que l’inscription d’office sera [de ce fait] entièrement etdéfinitivement radiée ».

Le but de l’opération est alors d’accueillir en France des colonies de vacances pour enfants de salariés travaillant en Algérie, ce que l’indépendance algérienne viendra bouleverser en 1962. Ainsi, à l’occasion des accords d’Evian, la propriété de plusieurs dizaines d’installations acquises en France par les caisses d’allocations familiales ou desécurité sociale de l’Algérie française fut transférée à la jeune république algérienne.Mais l’Etat algérien se désintéressa de ces propriétés, ne sachant trop quoi en faire, se contentant bien souvent de les faire gardienner, et des associations de rapatriés tenteront par la suite de s’approprier les lieux, quasiment laissés à l’abandon pendant plus de deux decennies

C’est ainsi qu’en 1988, bien après les événements de 1962, l’on verra les militants de l’U.S.D.I.F.R.A. (Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie), alors menés par Eugène Ibañez, un pied-noir domicilié à Tourves (Var), s’emparer par laforce du château et de ses dépendances, et ester en justice afin que l’Algérie soit officiellement dépossédée du château au profit des seules organisations representatives des Français d’Algérie. En 1998-1999, un premier jugement donnait néanmoins raison àl’Etat algérien, y compris en appel, sans pour autant que les squatters déguerpissent…Ceux-ci, encore présents sur le site à la fin 2009, envisageaient en 2008 de réaliser sur les lieux un musée de l’histoire et de la culture pied-noir , y organisant de temps à autre diverses festivités ou manifestations, louant même en liquide les bâtiments du domaine à divers particuliers, jusqu’à une trentaine de personnes .

Le site, tel que nous l’avons visité rapidement en septembre 2009, est cependant extrêmement dégradé et sans véritable entretien, faute de véritable solution aux  problèmes juridiques et financiers rencontrés. Le château est toujours occupé par les  pieds-noirs, les vitres parfois brisées, et son statut alimente toujours les polémiques, avec tout autour des terrains désormais en friche. Ainsi verra-t-on apposé sur la façade de l’ancienne chapelle de Julhans une inscription, en lettres de fer forgé : – Notre-Dame des  Pieds-Noir

Mais c’est néanmoins vers le seul consulat d’Algérie de Marseille, qui payait jusque-là les taxes foncières, que les autorités se retournaient en décembre 2008, quand un effondrement de la toiture de la chapelle amena la municipalité à prendre un arrêté de  péril imminent, puisque le site restait officiellement la propriété de la C..N.A.S.A.T. algérienne

( Caisse Nationale des Assurances Sociales des Accidents du Travail et des  Maladies professionnelles)  non de la C.T.P.N. Collectivité territoriale pieds-noirs qui occupait illégalement les lieux…

L’imbroglio juridique était donc total à la fin 2009, plus de dix ans après le jugement de1'ère instance maintenant l’Etat algérien comme seul propriétaire du château de Julhans…A la même époque (1959), les structures sionistes se défont également du château desRhuets, à Vouzon (Loir-et-Cher), un domaine de Sologne, à une trentaine de kilomètresau sud d’Orléans, qui avait été acquis dès le 17 juillet 1944 et qui avait perdu dès1950-1952 sa vocation de Maisons d’enfants en partance pour Israël, devenant en 1952un centre de post-cure sanatoriale puis, en 1954, un centre de reclassement professionnel.

Le château de Cambous

Le Chateau de CambousC’est ainsi que les représentants de la S.C.I. des Rhuets, Mme Denise Klotz, épouse de Simon Lévitte (que nous avons déjà vu intervenir pour Julhans et Cambous), domiciliés 76 rue de Bonaparte à Paris (6e)

, et M. Maurice Allouche, publiciste, domicilié 164 rue Legendre à Paris (17e), font vente le 19 mars 1959 du château et du domaine des Rhuets à une fédération de prisonniers de guerre et ancient combattants (F.N.C.P.G. – CA.T.M.) .

Cette vente de 1959 portait sur un peu plus de 53 ha de terres, incluant le château, les communs, la ferme des Blanchins, prairies, friches, bois et étant, le tout pour 5 millions de francs.

En 1962, ce château devenait un Centre de pré-orientation et de rééducation professionnelle qui dispose aujourd’hui d’un site Internet où l’Aliyah des jeunes n’est évoquée qu’en quelques lignes.

Les mémoires de Denise Gamzon (1909-2002), née Lévy (alias Pivert  dans la résistance),épouse en 1930 de Robert Gamzon (alias Castor ), disponibles sur Internet , y font référence en quelques lignes, évoquant en 1949 le grand jardin maraîcher et les champsdes Rhuets qui étaient alors le prélude aux travaux agricoles qui attendaient les migrants pour Israël, dans le cadre de leur hakhchara

 (préparation) préalable en France.Quelques anciens viennent aujourd’hui, de temps à autre, visiter les lieux.

Un ancien de l’Aliyah des jeunes, M. Emmanuel Bibas, revient en 2010 à Cambous (Coll.auteur)A droite, le jeune Emmanuel Bibas, en mai 1956 à Haïfa, peu après son passage àCambous (Coll. Bibas)

Cambous : un « vrai desert », une –  pension de vieux

Des graffitis et dessins en tous genres décorent encore de nos jours les murs des bâtiments subsistants, pour certains ruinés, pour d’autres en bon état et même habités, de ce qui fut jadis le camp militaire (1942-1950) puis le camp juif (1950-1957) de Cambous.Ceux de Julhans ont par contre disparu, comme nous le précisaient fin 2009 les occupants des lieux lors de notre rapide passage sur le site.

On y trouvera ainsi à Cambous, au-dessus d’une fenêtre, une ancienne devise militaire : Union, Force, Courage, comme un texte, assez peu lisible, du 28 mai 1957, d’un certain Beniamin Madayner, des étoiles de David, des drapeaux israéliens, des portraits de jeunesfemmes, etc., parfois très estompés et délavés, ou bien encore parfaitement lisibles et révélant de temps à autre une adresse graphique remarquable.

Pour certains, comme nous l’avons vu plus haut pour des écrits obscènes, on manie aussiles textes à double sens…Par ailleurs, on retrouvera aujourd’hui sur le réseau Internet (forums dafina.net ou terredisrael.com

. les témoignages de quelques anciens pensionnaires de ce Centre juif de Cambous.

Leur mémoire d’aujourd’hui est cependant parfois défaillante et très approximative.Ainsi, l’un des participants à cette vieille épopée des années 1950-1957, qui séjourna àCambous, « très exactement de janvier à juin 1956 pour immigrer en Israël », gagnantalors «

 Atlit, à environ 25 km de Haïfa », écrit en août 2006, sous le pseudonyme

Sion, en parlant du château :

 je crois qu’il appartenait à la maréchale De Lattre de Tassigny

On sait qu’il n’en était rien, pas plus que ce château ne fut jamais la propriété personnelle d’Eleanor Roosevelt comme d’aucuns ont pu l’écrire également.

Le château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch

Le Chateau de Cambous

Le château de Cambous et l’aliyah des jeunes Par Christian Pioch

Passions juvéniles et espoirs d’un monde nouveau : Israël et les femmes sur les murs, en2009,des anciens baraquements militaires de Cambous  

Mais les souvenirs du séjour à Cambous restent néanmoins gravés dans leur mémoire.Certains, comme  Elie Pilo, en parlant de tout cela, craignent cependant de raviver devieilles plaies : « La aliyah juive marocaine est un sujet délicat  […].

Ces souvenirs nous feront du mal : l’accueil, les d.d.t.

 (insecticides), le comportement des anciens habitants,les droits, etc » 

D’autres, comme Simy, disent peiner  d’écrire et de lire toute notre jeunesse perdue ».Mais d’autres se font précis.

Sion raconte ainsi : « Nous ne dormions pas au château,réservé aux visiteurs, mais dans des locaux faits pour la Aliyat Hanoar (l’immigrationdes jeunes). Pour nous amuser, compte-tenu que le coin est un vrai désert, nous allions au village de Viols-le-Fort […]. Les jeunes restaient environ un mois puis étaient mis surles bateaux israéliens (Le Moledet) pour aller vers Haïfa puis à Kfar Sitrin » 

Un autre, Momy, sous le pseudonyme Prophète, ajoute :«

 J’ai séjourné pendant environ deux mois avec un groupe de jeunes israélites marocains affiliés à un mouvement de jeunesse, ayant décidé d’immigrer en Israël […]. Nos dortoirs étaient en dehors du château mais les enseignants, les bureaux de la direction et certains  services, comme l’infirmerie, etc., se trouvaient dans le château même. Le château a été loué par l’Agence juive pour Israël)elle était en fait propriétaire via laS.C.I) afin de  permettre à des jeunes Juifs du monde entier de faire escale en France pour une période d’étude et de préparation avant leur envoi vers Israël .

 Les études [que nous suivions étaient] : apprentissage de l’hébreu, géographie d’Israël. Les activités: sportives, récréatives (jeux, chansons israéliennes, etc.), et aussi l’apprentissage de la discipline dans la vie communautaire. 

Et je me doute aussi que la direction et les instructeurs ont préparé un dossier à chacun des enfants afin de permettre aux services d’accueil, en Israël, de préparer l’insertion des jeunes en fonction de leur niveau d’études, etc.

Quant au village de Viols-le-Fort en 1956, ça ressemblait plus à une pension de vieux qu’à autre chose !!! En tout cas, […] Cambous fait partie intégrante del’histoire contemporaine de l’Etat d’Israël car il a été la plate-forme sur laquelle sont passés des dizaines de milliers de jeunes Juifs dont le rêve était de réaliser ce que les prophètes de la Bible avaient prédit, à savoir, le retour à Sion des enfants d’Israël 

Cambous verra ainsi passer 7 à 7 500 jeunes juifs en partance pour Israël, grandmaximum, mais «des dizaines de milliers  » paraissent invraisemblables. D’autant plusqu’être momentanément témoin ou partie prenante d’une chose ne permet pas pour autantde la quantifier sur la durée, ce que seul l’historien serait à même de faire si lesdocuments disponibles le permettaient. Peut-être Momy en arrive même à confondre dans son esprit le Grand Arénas, l’énorme centre de transit de Marseille, avec la structure, beaucoup plus modeste, et surtout bien plus humaine, qu’était Cambous dans les années1950.

Ainsi, lors d’un entretien téléphonique de fin novembre 2009 avec M. Noah Libermann,ancien chauffeur au Centre juif de Cambous et actuellement installé en Israël, en service à la Maison d’enfants de Cambous de 1950 à 1958, après avoir servi à Vouzon (Loir-et-Cher), ce serait 7 à 7 500 enfants qui auraient transité par ce centre héraultais, en aucun cas advantage.

Mais on comprendra aisément, compte-tenu du vif exode rural qui frappait à cette époque les garrigues nord-montpelliéraines, que pour certains jeunes issus des villes d’Europe,ou de villages africains encore souvent bouillonnants de vie, la désertification humaine,accompagnée d’un faible nombre d’enfants et du départ des plus jeunes vers les emplois des villes, donnait effectivement à Viols-le-Fort (340 habitants en 1954, pour 617 en1911), l’allure d’une très ennuyeuse pension de vieux…

Quelques-uns de ces jeunes de passage, comme l’avaient fait précédemment certains militaires, s’intègreront momentanément, avant leur départ pour Israël, dans l’équipe defootball du village voisin, St-Martin-de-Londres, comme le précisait en juin 2006 un article de presse de Joseph Boudon relatif au château de Cambous.

Obtenir des témoignages précis sur le passage à Cambous de jeunes migrants pour Israël ou de personnes les ayant encadré ne fut pas pour nous chose facile : où les trouver ? par l’intermédiaire de quel site (comme Terre d’Israël.com) ? dans quelle langue ? avec quelle degré de précision ? D’autant plus que les jeunes migrants étaient souvent très jeunes lors de leur bref passage à Cambous pour avoir aujourd’hui des souvenirs dignesd’un réel intérêt et que les moniteurs sont aujourd’hui décédés ou très âgés.

Nous avons pu cependant obtenir de M. le docteur Emmanuel Bibas, âgé de 71 ans, natif du Maroc et qui réside aujourd’hui à Hod Hascharon, en Israël, des souvenirs très intéressants sur les motivations de son aliyah, effectuée en 1956, à l’âge de 11 ans, sur son passage éphémère à Cambous pendant l’hiver 1956 et ce qui l’attendait ensuite en Israël, à partir de mai 1956.

Les souvenirs d’un ancien migrant de Cambous : M. Emmanuel Bibas

 

Le Chateau de CambousLes souvenirs d’un ancien migrant de Cambous : M. Emmanuel Bibas

Sous le titre :

Souvenirs d'un jeune enfant, ancien de Cambous, Dr Emmanuel Bibas, et après une seconde rencontre effectuée en juin 2016 à Carcassonne, M. Emmanuel Bibas,spécialiste israélien en gériatrie, nous a livré sous forme informatique, dans un excellent français, les propos suivants, où seule l’orthographe était parfois à revoir :

" Je suis né le 8 juin 1945, à Ouezzane, une petite ville située dans le nord du Maroc, de Moshe Chaim Amram Bibas, originaire de Tanger, au Maroc espagnol, issu d'une famillede rabbins venue d'Andalousie, dans le sud de l'Espagne, et de Sultana Elmaleh,d'Ouezzane.

Je me souviens, parmi mes souvenirs d'enfance, que mon père m'a souvent parlé de la crise de foi religieuse qu'il eut dans sa jeunesse, mais il resta finalement croyant, même s’il n’alla pas jusqu'à devenir lui même rabbin comme l’avaient été son père et ses ancêtres. Parmi eux, le rabbin et docteur Judah Leon Bibas (1782-1852), originaire deGibraltar, né de parents immigrés de Tétouan, au Maroc espagnol, près d'Ouezzane,qui fut un précurseur du sionisme moderne, bien avant le rabbin Yehuda Elcalay(1798-1878), qui fut son élève, et l'apparition, en 1896, du livre sur l'État des Juifs du Dr Benjamin Theodor Herzl.

Le rabbin Dr Judah Bibas, avait servi comme rabbin de la communauté juive de Corfou.C’était un penseur et arbitre, qui a prêché le retour des Juifs en Israël, même au prix d’un soulèvement contre le régime ottoman en Palestine, au cours de ses voyages en Europe, dans les Balkans, la Turquie et l'Afrique du Nord. Comme exemple personnel, il a émigré en Israël et s'est installé à Hébron. Là, il a établi un Beth Midrash (école religieuse) et une grande bibliothèque qui portent son nom. Il y mourut et a été enterré dans le cimetière juif de Hébron. À Hébron ont lieu des festivités religieuses annuelles(Hiloula) en son honneur, chaque année, la veille de Yom Kippour, le jour du pardon juif.Une rue de Jérusalem porte son nom. Mon grand-père paternel était un grand rabbin et maître qui mourut à un âge avancé et ses funérailles ont été suivies par un grand nombrede musulmans et chrétiens qui sont venus de tout le Maroc pour lui rendre un dernier hommage.

Mes premières années

Parmi mes premiers souvenirs d'enfance, je me souviens que tous les samedis mon pèreavait coutume de réunir ses amis dans notre maison pour y célébrer Seuda shlishit, le troisième repas, une cérémonie religieuse qui a lieu le samedi après-midi, après le repas du vendredi soir et celui du samedi à midi, avant la sortie du Chabbat, le samedi. C’était une cérémonie centrée sur des prières et des poèmes. Puisque ce troisième repas avait lieu le samedi, les lois du Chabbat s'appliquaient, y compris l'interdiction de tout travail. Je me souviens, quand j'avais 4 à 5 ans, que j'avais l'habitude pendant cette cérémonie de taper avec un marteau depuis une pièce voisine, ce qui bien sûr était strictement interdit puisque correspondant à une profanation du saint Chabbat. Je me souviens aussi que les tentatives pour me convaincre de cesser cette ingérence ont été inutiles…

Une composante importante dans les souvenirs de ma première enfance est constituée par une série de rêves qui s'étalaient sur une assez longue période. Dans ces rêves, je montais au toit de notre maison, d’où j'essayais ensuite et en vain de voler. A plusieurs reprises, je n'arrivais pas à voler et je tombais, mais cela ne m'a pas empêché de continuer mes tentatives jusqu'à réussite complète, ce qui m’apparaîtra plus tard plus que symbolique…

 Je me souviens que la ville d'Ouezzane était située au pied du Mont Bouhlal et était divisée en trois zones. La majeure partie de la ville, la Médina, était située sur la partie la plus élevée de la vile et dominait ainsi les autres zones de la ville. La Médina était habitée principalement par des musulmans et une minorité de juifs, plus aisés. Plus bas et à proximité se situait le quartier juif, le Mellah, avec une population strictement juive,constituée surtout de personnes âgées, et les synagogues. En dehors de la ville et bienéloignée de celle-ci, se situait la ville nouvelle, avec une population strictement française, des villas privées somptueuses, des jardins bien entretenus et une église avec un haut clocher au centre. J'aimais aller à la ville nouvelle française, où il y avait des grandes espaces où j'avais l'habitude de jouer en toute tranquillité et en sécurité,contrairement à d'autres secteurs de la ville, et de regarder les entraînements des soldats français.

De ma première enfance, je me souviens aussi de la Hiloula, une cérémonie religieuse juive en honneur et admiration d'un saint rabbin, célébrée annuellement, à Azjen, une petite localité située à quelques kilomètres de Ouezzane, où est enterré le rabbin, faiseur de miracles, que fut Amram Ben Diwan, originaire de Jérusalem . A ce propos, il faut signaler que la ville de Ouezzane est doublement sainte, en premier lieu pour les musulmans, avec l es traces du passage de Moulay Abdallah Cherif, grand maître du soufisme, descendant d'Idriss II, et du rabbin faiseur de miracles, Amram Ben Diwan. Moulay Abdallah Cherif y créa en 1649 une zaouïa, un centre religieux et savant,berceau de la confrérie religieuse des Taïbia. Cette zaouïa devint au cours des XVIII e  et XIX e  siècles un centre politique et spirituel important. De nombreux pèlerins viennent ainsi visiter son tombeau chaque année.

Ma famille habitait à la Médina, la partie arabe de la ville. Les chambres de la maison étaient au rez-de-chaussée et au premier étage, avec accès au toit, autour d'une cour centrale. Je me souviens que pendant l'été nous étalions des matelas dans la cour et dormions sous les étoiles pour fuir la chaleur qui régnait dans les chambres. J'aimais cette expérience de dormir en plein air, sous le ciel, et d’observer le mouvement des étoiles.

On parlait l'arabe juif marocain du côté de la famille de ma mère, une langue faite d’un mélange d'arabe, d'hébreu, de français et d'espagnol qui était mal comprise par les Arabes. Par contre, on parlait l'espagnol juif ladino du côté de la famille de mon père etle français à l'école juive française.

J'aimais les fêtes, surtout celles de la Pâque (L’Exode), et aller à la synagogue avec mon père. Cela constituait pour moi une expérience enrichissante et m'a laissé une profonde impression. Cette expérience me révéla, par son essence, que la vie juive idéale ne peut s'appliquer qu'en Israël, puisque toutes les prières et toutes les fêtes, en particulier celles de Pâque, soulignent le désir fondamental de retour à Zion, le Mont Zion à Jérusalem,avec la déclaration principale qui est répétée en particulier pendant les fêtes de Pâque :Cette année ici et l'an prochain à Jérusalem. Cette déclaration est l'essence et le message dont je goûtais dès ma première enfance.

J'aimais aller à l'école, l’école juive de l'Alliance française, où les bases solides de mon éducation furent posées, avec notamment l'accent mis sur la mémorisation et l'apprentissage par cœur, surtout du calcul mental. J'aimais tant aller à l'école, par opposition aux enfants d'aujourd'hui qui cherchent toute raison ou prétexte pour rester à la maison, que j’étais rempli d'inquiétude et d'anxiété quand je devais m'absenter del'école pour quelle raison que ce soit. Je me souviens de la place et café Roger, avec une horloge, et des amas d’olives qui jonchaient le sol, empilées dans le milieu de la place avant d'être vendues. Mon père avait un magasin de vêtements et il y restait tard le soir. J'allais souvent le rejoindre seul dans son magasin pour lui rappeler que sa journée de travail était terminée et qu'il était temps de rentrer à la maison. Presque chaque fois, lorsque j'allais au magasin, je recevais des coups d'un Arabe haut de taille, au plus sombre de la nuit. Malgré les coups que je recevais et les tentatives de persuasion de mon père de m'interdire de lui render visite si tard le soir dans le magasin, cela ne m'a pas empêché cependant de continuer à lui rendre visite.

Le château de Cambous-Le départ pour Israël

Histoire contemporaine du chateau de Cambous

(Viols-en-Laval, Herault)

De l'Aliyah des jeunes a nos jours

1950-2010

EXTRAITS SANS ILLUSTRATION

transmis a M. Yigal Bin-Nun

periode 1950-1972

Christian PIOCH

Le départ pour IsraëlLe Chateau de Cambous

En 1956, quelques mois avant mon départ pour Israël, il y eut des émeutes

 contre les Français au cours desquelles les Arabes ont incendié et pillé les magasins des juifs. Tous les magasins autour de celui de mon père ont été brûlés et pillés. Le seul qui resta sauf était celui de mon père. On ne sait pas si la raison fut qu'il avait de bonnes relations avecles Arabes, qui l'appelaient familièrement Tanzaoui (originaire de Tanger), ou bien si cela était la main de Dieu

Comme suite à l'éducation religieuse que j'ai reçue au Talmud Torah (les classes religieuses en hébreu, avec étude de la Bible), dans les années préscolaires, jusqu'à l'âgede six ans, âge d'entrée à l'école française, les visites à la synagogue et l'ambiance  des fêtes à la maison, je demandais souvent à mon père : Quand est-ce qu'on monte faire l'allyah, le départ pour Israël ? Il me répondait souvent, en semi-ricanant :

 Quand le Messie viendra…

Par la suite, j'ai saisi que cela était l'attitude de la majorité des juifs des grandes villes,  surtout ceux qui avaient à perdre de ce départ et ceux aussi qui avaient la possibilité d'émigrer en France ou en Amérique du Nord. Par contre, les juifs montagnards et ceux des régions rurales, qui étaient plus conservateurs, plus croyants et plus naïfs, constituaient une proie plus facile pour le départ en Israël. C'est ainsi que l'impression dominante transmise de ces premiers départs, était celle de cette population provinciale et traditionnelle, contrairement à celle même d'Ouezzane, qui n'est pas une grande ville et où la majorité de la population, surtout les jeunes et les hommes, s'habillait en style européen, avec chapeau et cravate, et parlait au moins une langue européenne, français ou espagnol.

Je me souviens que le jour commémorant l'indépendance d'Israël, je hissais le drapeau israélien dans la synagogue comme plusieurs autres enfants. Par contre, je ne me rappelle pas les détails de la séquence des événements qui m'ont conduit à convaincre mon père de m'inscrire pour le départ en Israël.

Mon frère aîné, Coti-Yecutiel, m'a dit que comme enfant, j'étais très têtu. J'avais entendu dire que des filles et des garçons de mon âge s'inscrivaient chez des gens qui travaillaient  pour le compte de la Sochnout, l’Agence juive. Pour faire leur allyah, le départ pour  Israël, dans le cadre de l’Allyat Hanoar, l’allyah des jeunes, les garçons et les filles, devaient s'inscrire le plus tôt possible, car il n'y avait qu'un seul départ d'Ouezzane vers Casablanca pour effectuer ensuite le départ en Israël. C'est pour ça, que j'ai fait des  pieds et des mains pour faire mon allyah. Pour l'inscription, je pleurais ainsi nuits et  jours pour qu'on m'inscrive. A la fin de mon cinéma, c'est mon père qui m'inscrivit chez les gens de la Sochnout. Je me souviens que, juste avant le départ pour la France, car nous devions transiter par elle, mon père et mon frère aîné, Coti, ont essayé en vain de me convaincre de quitter le camp à Casablanca et de retourner chez nous à Ouezzane.

Après l'arrivée à Marseille, nous avons été emmenés dans un camp de transit, à Cambous, à Viols-en-Laval, près de Viols-le-Fort, au nord de Montpellier.Cambous était un ancien camp militaire utilisé par les Français et qui plus tard fut acheté par l'Agence juive. Le château était le centre du camp et était utilisé par la direction et les services centraux, avec cuisine, salle à manger, bibliothèque et  synagogue. Des baraques étaient dispersées autour du château et abritaient les enfants. Les enfants étaient divisés en groupes en fonction de leur âge et de leur appartenance, religieuse ou laïque. Les groupes étaient dénommés d'après des villes et des régions d'Israël : Jérusalem, Galil, Yavné. Je me souviens que j'étais le plus jeune du groupe.

C'est ainsi que les plus grands élèves m'avaient pris sous leurs ailes. Le peu de choses dont je me souviens au sujet de ce séjour à Cambous, par rapport aux périodes antérieures au Maroc et bien sûr plus tard en Israël, est principalement dû à la très courte période que j'ai passé à Cambous. Cela est dû aussi au fait que j'étais  probablement choqué par le soudain passage à l'étranger et l'altération de la capacité d'enregistrement des mémoires, sauf les plus intenses et traumatisantes comme la  Havdalah (différenciation). Cette cérémonie religieuse avec prière, a lieu chaque samedi  soir pour marquer la fin du saint samedi dans lequel tout travail est interdit, y compris l'action de déclencher l'interrupteur de l'éclairage de la synagogue, et le début des jours de la semaine ou tout travail est par contre permis. Il s’ensuivait des moments très  sombres, des moments qui me rappelaient une image semblable à la maison de mes  parents. Ces moments continuèrent jusqu’à l’allumage de la lumière après la prière d’Havdalah, des moments durant lesquels je sentais un grand chagrin, peut-être le plus intense de ma vie, jusqu’à ce jour, pour avoir quitté la maison de mes parents. Je me suis donc promis que, lorsque je rencontrerai mes parents à nouveau, je ne les quitterai plus  jamais. Serment qui au cours des années et des événements se révéla cependant comme étant un faux serment.Un des amis de cette époque dont je me souviens, est Shlomo Gabay, de Casablanca. Je me souviens qu’il était très intelligent, avec un sens de l’humour très développé. Il avait  pour habitude d’imiter Charlie Chaplin. Nous dormions dans des lits l’un à côté de l’autre et je me souviens que nous étions tous deux très religieux, ayant notamment l’habitude de réciter la prière du Chemah dans notre lit avant de dormir, quand les autres élèves, moins religieux, se moquaient de nous et nous harcelaient. Je me souviens aussi d’Évelyne, ma monitrice de l’époque. Je me souviens ainsi qu’elle versait de l’eau chaude sur nous pour que nous puissions nous laver car l’eau des robinets était gelée par le froid de l’hiver. Ensuite, nous avons pris le bateau nommé Arza (ce mot signifiant : vers le pays), de  Marseille à destination d'Haïfa en Israël. Je me rappelle avoir été choqué de voir des marins israéliens fumer le jour du Chabbat. Durant mon enfance au Maroc, je croyais naïvement en effet que tous les juifs du monde, et plus particulièrement en Israël, étaient religieux pratiquants et ne fumaient pas ainsi le samedi.

Le château de Cambous-L’installation en Israël

Histoire contemporaine du chateau de Cambous

(Viols-en-Laval, Herault)

 De l'Aliyah des jeunes a nos jours1950-2010

EXTRAITS SANS ILLUSTRATION

transmis a M. Yigal Bin-Nun periode 1950-1972

Christian PIOCH

L’installation en Israël

Après notre arrivée à Haïfa, on nous a emmenés dans un troisième camp de transit, après ceux de Casablanca, au Maroc, et Cambous, en France, qui s’appelait Ramat Hadassah, situé à Kiryat Tivon, à côté d'Haïfa. Le village pour jeunes Ramat Hadassah Sald avait été créé en 1949 en mémoire d’Henriette Sald (Szold), une leader sioniste, fondatrice de l’association des femmes de la Hadassah et de l'Allyat Hanoar (Allya des jeunes) de l’Agence juive. Durant les premières années, le village servait de foyer d’accueil provisoire pour les enfants rescapés des camps de concentration, et durant les années qui suivirent, le villagea ccepta des enfants de l’Allyat Hanoar venus d’autres pays avant d'être ensuite transférés dans d’autres institutions en Israël. Je me souviens que nous sommes arrivés pendant les festivités de Shavouot, la fête des récoltes agricoles . Nous y vîmes des chariots attelés aux tracteurs, chargés des produits agricoles de cette institution.

A Ramat Hadassah, j’ai rencontré un ami qui venait de ma ville natale, Meir Zenati. Lor sde notre première rencontre, il testa mon hébreu. Je me souviens que nous sommes arrivés du Maroc avec un bon niveau d'hébreu. Nous avions ainsi le niveau en vocabulaire pour pouvoir distinguer entre gazon et simple ou mauvaise herbe. Les deux amis que j’ai rencontrés au cours de mon départ pour Israël, Shlomo Gabay, de Casablanca, et Meir Zenati, de ma ville natale, étaient particulièrement intelligents et jevoudrai les rencontrer afin de voir si eux aussi ont connu la même saga que j'ai vécue en Israël au moment de mon intégration et par la suite.

Après un mois passé à Ramat Hadassah, j’ai été transféré à Yakir, une institution située àcôté de Kfar Haroe, près de Hadera.

Une des images de mes premiers jours en Israël, profondément gravée dans ma mémoire,est celle des éducateurs et des personnes qui prenaient soins de moi. Les hommes avaient des pantalons courts, des chaussures de travail ou des sandales, et un chapeau rond en cloche. Les femmes avaient de longues robes et des chaussures hautes, semble-t-il de style russe ou d’Europe de l’Est. Tous avaient des numéros tatoués sur leur avant-bras,indiquant leur passage dans des camps de concentration durant la deuxième guerre mondiale.

Après tous ces préparatifs et le passage par trois camps de transit, j'espérais arriver enfin dans un lieu plus organisé, avec un programme scolaire cohérent et un service de soutien et d’orientation des élèves pouvant garantir leur développement, leur succès et leur avenir. Il se trouva que je me trompais complètement. Il semblait en effet que le but de l’allya était bien défini et plutôt restreint, consistant à déraciner les jeunes enfants de leur premier lieu natal pour juste les transférer en Israël, et ainsi surmonter l'hésitationde leurs parents pour qu'ils viennent ensuite les rejoindre dans la terre promise. Ce qui pouvait se passer avec eux par la suite n’avait aucune importance. Cela était leur problème. Et ce fut donc mon problème dans tous les sens du terme.

Je suis reste à Yakir pendant un an, en cinquième classe d'école primaire.  

En fin d’année on me transféra dans une autre école, du fait qu’il n’y avait pas de classe supérieure àYakir. J’ai donc été transféré dans une école du nom de Sejera, à côté de Tibériade. Là aussi, la même histoire se produisit,

j’étudiais deux ans en classes de 6e et 7e   et à l’issue de celles-ci il n’y avait pas non plus de classes supérieures dans cette école. Les élèves furent donc orientés vers des écoles professionnelles.

Jusqu’à aujourd’hui, je ne comprends pas comment, à l’âge de 14 ans, j’ai eu le bon sens et le courage, dans mon initiative, d’aller voir le directeur de l’école, Yitshak Wider. Je me souviens très bien de son visage comme si je l’avais rencontré hier, avec une barbe et une kippa sur la tête. C’était pendant la période de Pessah (la Pâque juive), période durant laquelle débutaient les préparatifs de l’année scolaire à venir. Je lui ai demandéd’autoriser mon passage au lycée général. Je me souviens qu’il me répondit alors, enricanant : Comment veux-tu passer au lycée sans avoir terminé la huitième classe et sans certificat de fin d’école primaire ? Je l'ai assuré de ne point devoir s’inquiéter et je lui proposais de m’envoyer passer les examens d’entrée. Si je les réussissais, je serais transféré au lycée pour poursuivre mes études en école secondaire. Si j’échouais, je resterais avec eux en école professionnelle. Je réussis à le convaincre de m’y envoyer afin de passer les examens que j’ai réussis avec succès et je fus donc transféré au lycée agricole religieux Kfar Hanoar Hadati, situé à côté d’un village, Kfar Hassidim, près de Haïfa, afin de poursuivre des études secondaires générales. Dans ce village pour jeunes religieux, et ceci comme dans d’autres institutions, nous effectuions une demi-journée des travaux agricoles et l’autre demi-journée était consacrée aux études générales et agricoles. Il est intéressant de constater que dans cette école l’histoire que j’avais déjà vécue se reproduisit à nouveau, comme dans écoles précédentes. Après trois années d’études, on m'annonçait ainsi que je ne pouvais pas rester pour la quatrième et dernière année de l'école secondaire, sous prétexte que jen’étais pas assez religieux pour terminer la dernière année d’études dans cette même école. J’ai donc été dans l’obligation de me chercher une autre école afin de compléter le programme du lycée, bien entendu une école religieuse, du fait que le programme d’études pour le baccalauréat dans les écoles laïques était différent dans certaines matières. J’ai donc terminé ma scolarité au lycée Mikve Israel, près de Holon et Tel Aviv,dans la section religieuse.

Apres le lycée, j’ai suivi le parcours normal : l’armée et ensuite l’université. En 1967, j’ai débuté mes études à la faculté des sciences naturelles de l’université hébraïque de Jérusalem. Les études ont toutefois été interrompues lorsque la guerre des Six jours éclata avec l’appel des réservistes au front.

Après la guerre, j’ai décidé de changer de direction et de continuer mes études à Bruxelles, en Belgique, à la faculté de médecine. À mon arrivée à Bruxelles, je neconnaissais personne. J’ai dû me débrouiller seul. Malgré la difficulté des études de médecine, j’ai réussi à trouver ma place et par la suite je suis devenu le tuteur de nouveaux étudiants israéliens qui venaient étudier à Bruxelles. À la fin de mes études à Bruxelles, j’ai passé les examens d’entrée pour médecins étrangers, afin de travailler dans les hôpitaux aux Etats-Unis. Par la suite, on me proposa aussi de travailler dans un hôpital juif de New York. Cependant, ma femme, Rachel, que j’épousais deux ans avant en Israël, préféra retourner en Israël.

Aujourd’hui, à l’âge de 71 ans, malgré le fait que je pratique encore la médecine, spécialiste dans trois spécialisations de celle-ci, et donc très occupé, je me sens encore avoir un surplus d’énergie et un potentiel qui n’a pas encore été bien exploité. Je ne peux résumer ce chapitre sans prendre en compte l’influence française au début de mon parcours et par la suite sa consolidation avec les études académiques. Cela en dépit de la courte période vécue sous protectorat français, onze ans au total, dont cinq ans àl'école de l’Alliance française. C’est ainsi que j’ai un rapport particulier à la langue française (je continue à compter en français) et au pays. Pendant les vacances de ski, je préfère les Alpes françaises aux Alpes italiennes ou autrichiennes, et quand j’arrive à Paris, bien que j’ai visité cette ville de nombreuses fois dans ma vie, je suis toujours heureux d’y retourner. Alors, je garde en moi un petit coin chaleureux pour cette langue et ce pays ».

Ce témoignage ne nous apportera rien de bien précis en ce qui concerne le château et le camp de transit de Cambous en 1956, mais est néanmoins intéressant en ce qui concernait le cadre religieux de naissance et les motivations de l’aliyah  pour l’intéressé, ainsi que pour certaines difficultés rencontrées ensuite en Israël.

Histoire contemporaine du château de Cambous

Histoire contemporaine du château de Cambous

(Viols-en-Laval, Hérault)

De l’Aliyah des jeunesà nos jours

1950-2010

EXTRAITS SANS ILLUSTRATION

transmis à M. Yigal Bin-Nun période 1950-1972

Christian PIOCH

Limites et prolongements possibles de la présente étude

Cette histoire des Maisons d’enfants israélites de France, telle celle de Cambous, restait à écrire et la bibliographie à leur sujet est fort rare.Ainsi, en 1973-1974, du 22 janvier 1973 au 4 février 1974, la revue

 Miroir de l’histoire, publiait sous la direction  de Joseph Kessel une remarquable série de 50 fascicules hebdomadaires, soit en tout 1 108 pages, n° 275 à 325, intitulée 'Les combats d’Israël' et racontant avec force détails les origines puis le développement et la consolidation du jeune Etat juif. Mais l’ Aliyah , pourtant élément déterminant du peuplement de l’Etatd’Israël, n’y est cependant évoquée que très succinctement, les différents auteurs de  cette revue s’en étant tenus à de grandes généralités, souvent décevantes pour l’historien etdestinées de ce fait uniquement au grand public .

Les archives sionistes (Central Zionist Archives , P.O.B. 92, 91000 Jérusalem), quiregroupent notamment les archives du mouvement sioniste mondial et de l’ Agence juive ,comporteraient aujourd’hui, selon un courriel que nous adressait, fin décembre 2009,Mme Simone Schliachter, du département  Private Papers Collection , une soixantaine de dossiers relatifs à Cambous (en dehors des dossiers des autres maisons d’enfants), qui sont regroupés sous la cote:

 L 58, Youth Aliyah Department, Continental/European office,Geneva-Paris (1945-1955)

C’est-là une mine précieuse de renseignements pour les chercheurs et les générations futures, constituant un vaste fonds, multilingue (hébreu, anglais, allemand, français, etc.),qui était fin 2009 en cours de numérisation et donc inaccessible à l’époque, sans parler des autres fonds susceptibles d’exister dans tel ou tel département des Central Zionist Archives ou de tout autre organisme. Plus d’une centaine de photographies le complèterait, sous la gestion de Mme Anat Banin.

Conclusion

          Cambous et ses environs, attirèrent de tout temps les amateurs de vieilles pierres et d’histoire locale, notamment dès le début du XIXe siècle, quand des militaires dessinateurs comme Amelin, alors en poste à l’Ecole du Génie de Montpellier, ou des voyageurs parisiens comme Taylor, Nodier ou Cailleux, immortalisèrent avec les dessins de leurs collaborateurs, tels les Laurens, les proches églises ou les proches châteaux deSt-Martin-de-Londres, La Roquette, Montferrand, etc., passant même à Cambous y relever les détails architecturaux de son remarquable et alors si énigmatique portail. Les Leenhardt et autres Chauvet viendront ensuite, avec les années 1930-1940, faire connaître au monde ce qu’était alors ce si beau château de Languedoc.C’était l’époque où le château, épicentre d’un monde agro-sylvo-pastoral enfermé dans ses traditions et où le pastoralisme était l’activité dominante, connaissait les joies et les peines, habituelles et ordinaires, mais néanmoins parfois fort pénibles à vivre, de ses châtelains, de leurs fermiers et de leurs personnels : joies et peines des vies familiales, parfois précocement brisées, comme joies et peines liées au devenir souvent aléatoire desrécoltes et des agnelages, tout aussi incertains.C’était-là le lot commun de nos aïeux à l’époque de la France paysanne et rurale d’antan,un monde rude qui ne laissait point de place aux plus faibles.Par le plus grand des hasards, indépendamment ou non de la volonté de la plupart de ses propriétaires successifs, le château de Cambous devait se trouver mêlé aussi, de 1789 à1961, à la grande histoire des hommes.Celle tout d’abord qui mit à bas, en 1789, l’Ancien Régime et qui vit alors le comte deVinezac, propriétaire du château, faire l’achat en 1792 de 4 000 fusils pour armer les troupes royalistes insurgées, ses neveux disparaissant ensuite, emportés à Lyon ou à Quiberon par la guerre civile qui ravageait alors le pays. Celle aussi qui, de Lisbonne àMoscou, vit ensuite les héritiers des derniers seigneurs de Cambous combattre sous l’uniforme impérial, les Turenne, ou sous l’uniforme royaliste, les Ginestous et les Vogüé.Celle qui vit les Vogüé mourir sous les balles allemandes en 1870 ou les Turenne combattre en 1871 les troupes insurgées du peuple de Paris. Celle encore qui emporta dès1915, le député Leroy-Beaulieu, nouveau propriétaire de Cambous, mort héroïquement au front, comme près d’un million et demi de soldats français de tout âge, et dont un fils devait également trouver en 1940 la mort au combat, quand le monde tout entier sombrait à nouveau dans le pire des chaos et dans une monstrueuse barbarie.Avec les années 1940, le temps douloureux des nouvelles guerres franco-allemandes, del’occupation et de la

Shoah, est venu en effet se greffer sur tout cela, emportant Cambousdans un nouveau tourbillon des temps, l’amenant à se joindre à des événementsd’ampleur mondiale, faits de drames alors sans commune mesure avec les peines abituelles des humains.Que le lecteur, en parcourant ces lieux si chargés d’histoire et de larmes, et en lisant ces lignes, songe ainsi un instant à ce que fut naguère, après la débâcle du printemps 1940,l’abomination nazie et vichyste pour nos parents et grands-parents, de toutes origins ethniques, de toutes confessions religieuses, de tout statut social et de toutes idées politiques, en un monde où il ne faisait pas bon d’être juif, communiste, gaulliste oufranc-maçon.Le désarroi en 1940-1942 des jeunes Compagnons de France, enfants d’un pays alors aufond de l’abîme et affamé, fit alors de Cambous un lieu empli d’espérance, celui où l’on pourrait forger une jeunesse nouvelle et ressusciter à travers elle l’âme d’un paysentièrement à reconstruire. Le désarroi non moins grand des cadres de l’Armée Nouvelle  fit également à cette époque de Cambous l’un des lieux où l’on pouvait préparer en secret l’indispensable revanche contre le vainqueur de 1940 et permettre ainsi à la France de reprendre place dans le concert des nations, espoir hélas brisé à l’automne 1942 quand la barbarie nazie déferla jusqu’au littoral méditerranéen, brisant un temps les rêves de reconquête du général de Lattre. Puis vint le temps qui amena un jour des milliersd’enfants juifs à trouver ici, en ce coin perdu de Languedoc, des raisons d’espérer en ce bas-monde l’existence d’un monde paisible et meilleur. Celui de l’Eretz Israël , le pays de Sion, la patrie dont ils rêvaient tant.

En 1950, le château de Cambous participera ainsi, à sa manière, aux origines du premier Israël, celui des pionniers partis bâtir entre Méditerranée et Jourdain un nouveau pays et une nouvelle nation.Que le lecteur songe pour cela à ces milliers de jeunes juifs qui, fuyant ensuite les ruines de ce qui avait été pour eux un enfer sur la terre (l’Europe), ou qui était devenu une terre sans espoir (l’Afrique du Nord), aspiraient alors au paradis

Mais emportés dans leursfolles espérances et fuyant un monde de persécutions pour rencontrer un monde deconfrontation, ils en oubliaient souvent avec leurs aînés le sort des peuples qui vivaientdéjà sur leur future terre d’accueil, apportant hélas avec eux, sur leur Terre promise, la Palestine, un nouveau malheur pour les populations autochtones.

La Shoah , la grande tragédie humaine du XXe siècle, née d’une insensée aversion idéologique, l’antisémitisme, pour un supposé peuple et pour une religion donnée,engendra en effet pour d’autres populations, chrétiens, druzes ou musulmans de Palestine,une autre catastrophe, celle que les Arabes de Palestine, souvent dépossédés de leurs sols,appellent depuis 1948 la

 Nakba

Avec des sites comme Cambous, Julhans, les Rhuets, etc., mais aussi le Grand Arénas, un peuple de pionniers, souvent démuni de tout, prenait néanmoins naissance enMéditerranée orientale, y formant une nation nouvelle, bien souvent imprégnée des idéaux, idéalistes et généreux, qui furent ceux des débuts du sionisme, avec ses structures collectivistes ou coopératives, les kibboutzim

 et les moshavim, souvent plantées au milieu du désert, qui émerveillèrent si longtemps le monde, mais qui tombèrent ensuite en désuétude dans la foulée des nouvelles aliyot 

C’est cet esprit de peuple pionnier, s’en allant mettre en valeur des terres souvent vierges,qui anima si souvent les premiers olim partant défricher, à la sueur de leur front, les terres souvent incultes d’un nouveau pays pour eux inconnu et restant à bâtir, dans ce vaste et si âpre chantier, qui fut celui des premières années et des premiers combats d’Israël.

Aux origines d’Israël : trois jeunes pionniers à Cambous dans les années 1950(Coll. Estee Du-Nour, avec son aimable autorisation)

Mais ainsi est l’histoire des hommes, comme celle des vieilles bâtisses. Parfois inattendue, mais toujours aussi passionnante pour qui ne se contente pas d’entrevoir lesvieilles pierres qui surgissent au détour d’une route au milieu des garrigues, mais qui aspire, sans parti pris, en poussant de vieilles portes et en parcourant de vieilles archives, à comprendre le pourquoi et le comment des choses, comme à s’imprégner dans sa visite des multiples soubresauts des mondes d’hier et d’aujourd’hui…Des guerres civiles des années 1560-1630 puis 1680-1710 qui ravagèrent le Languedoc, à l’Aliyah

 des années 1950, le château de Cambous et son immense domaine pastoral nous offrent ainsi un fantastique voyage dans le temps et dans l’histoire humaine. Aussi, s’il est bien des lieux chargés d’histoire en Languedoc, Cambous est indéniablement de ceux-là. Un lieu qui ne saurait laisser indifférent.

 

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