Le Mossad – Michel knafo


Les institutions d'éducations juive au Maroc-Michel Knafo

Les institutions d'éducations juive au Maroc

L'éducation occupait la première place dans l'activité publique juive dans les deux domaines de la transmission des valeurs religieuses dans les Talmud Torah et de la culture générale dans le réseau des écoles de l'Alliance Israélite Universelle. Il faut retenir que tous les enfants recevaient une éducation religieuse, dans les grandes villes comme dans les villages les plus reculés. Dans les écoles primaires suivant les méthodes pédagogiques modernes et dans les "hadarim" selon les méthodes d'enseignement traditionnelles datant des générations passées. Même les plus démunis apprenaient au moins la Torah et les prières. Nombre d'organismes, dépendant des communautés ou recevant des subsides de l'étranger, s'occupent de cet enseignement. Le réseau d'Otsar Hatorah entretient sept établissements, incluant vers 1960 quelques 6,000 élèves, 70% de son budget était assuré par le Joint.

Le réseau des écoles de l'Alliance date de 1862. Son enseignement dispense à la fois un enseignement moderne et un enseignement juif. En 1960, le réseau comptait 83 établissements dont 19 furent nationalisés par les autorités marocaines. Prodiguant un enseignement primaire, secondaire et une école normale d'instituteurs. La langue d'enseignement est le français, mais une grande place est désormais réservée a l'arabe. Il ne fait aucun doute que les écoles de l'Alliance ont ouvert une fenêtre à la culture occidentale préparé leurs anciens élèves à l'insertion dans la fonction publique et le secteur privé moderne. Parallèlement, les élèves reçoivent des rudiments d'éducation juive et religieuse.

Ce sont des anciens élèves de l'Alliance qui ont enseigné l'hébreu dans l'association des amoureux de la langue hébraïque "Hobébé hassafa". Il existait une commission de l'enseignement de l'hébreu dont l'objectif était l'enseignement de la langue aux adultes, également prodigué par des anciens élèves de l'Alliance. En résumé, le réseau des écoles de l'Alliance a été, et est, une œuvre grandiose qui a joué un rôle déterminant dans l'élévation du niveau d'éducation du judaïsme marocain.

L'autre pôle est le réseau des Talmud Torah dont la mission est l'étude des matières sacrées et de la langue hébraïque – à côté de l'enseignement du français et des matières générales.

Le budget était couvert conjointement par les communautés, le Joint et Otsar Hatorah. Parallèlement le Joint a financé la création d'écoles maternelles et de jardins d'enfants.

Le réseau de l'ORT a créé 3 établissements d'enseignement professionnel pour garçons et filles, avec comme matières principales la menuiserie, le textile, la cordonnerie et la tôlerie pour les garçons; et pour les filles, la couture et l'enseignement ménager. Le nombre des élèves de ces écoles en 1960 était de 400 garçons et 400 filles. De même, l'ORT organisait des cours d'enseignement professionnel dans divers métiers. A Casablanca, l'Alliance possédait un établissement d'enseignement professionnel, "l'Ecole Professionnelle Juive" qui enseignait le travail des métaux, le dessin industriel, la soudure, le tournage et la menuiserie. Il convient de souligner particulièrement l'œuvre éducative des Hassidim du Habad, les émissaires du rabbi de Loubavitch qui sont installé partout et qui font preuve d'un remarquable dévouement.

Quelques 5,000 étudiants se trouvaient dans leurs 46 établissements, du jardin d'enfants aux grandes Yéchivot (pour les garçons de 14-15 ans), la langue d'enseignement est l'hébreu et les matières enseignées uniquement religieuses. Toutefois, pour les filles il y avait un rudiment d'enseignement professionnel. La majorité des livres d'études étaient imprimés en Israël à Kfar Habad évoquant en termes religieux l'Etat d'Israël. Les autorités marocaines faisaient preuve d'une grande tolérance, permettant l'arrivée de maître religieux de l'étranger, ce qui n'est pas très habituel dans les autres pays

Au total en 1960 on estimait le nombre des élèves de l'enseignement juif à quelques 45,000 dont 32,000 dans les écoles primaires. Une partie des instituteurs étaient affiliés au syndicat professionnel national. Il existait aussi une association d'étudiants juifs avec 270 membres anciennement affiliée à l'Union Nationale des Etudiants du Maroc. Il convient souligner que tous les chiffres avancés datent de 1960 et depuis lors grands changements se sont produits.

La jeunesse juive

Dans les premières années de l'indépendance du Maroc, la jeunesse juive marocaine a poursuivi le processus d'occidentalisation commencé depuis des décades.

Ce processus s'est élargi, incluant des couches de plus en plus larges, arrivant jusqu'au fond des mellahs. L'influence des écoles de l'Alliance dans ce processus était déterminante. En 1956, se sont ouvertes devant ces jeunes de nouvelles opportunités dans le service public, les finances et le commerce. D'autres se sont dirigés vers les études universitaires où les débouchés, choisissant de préférence les disciplines de médecin et ingénieurs étaient les plus prometteurs. Le travail éducatif n'était pas confiné aux seules écoles. Il faut y ajouter les mouvements de jeunesse, locaux et sionistes pionniers qui ont aussi contribué à l'élévation du niveau d'éducation des futurs citoyens. Il y avait aussi un mouvement scout, les Eclaireurs Israélites de France (E.I.F) englobant des milliers de jeunes directement lié au centre du mouvement en France.

Le Mossad – Michel knafo-Les institutions culturelles

Les institutions culturelles

l'Association des Anciens Elèves de l'Alliance était très active avant l'Indépendance dans l'organisation de rencontres, conférences, soirées dansantes et activités sportives. Elle est restée active même après l'Indépendance, lui valant es hommages des recteurs des universités et du ministre de l'Éducation. Elle a organisé des concerts et des conférences données par des conférenciers de renom mondial auxquels étaient également conviés des intellectuels musulmans et même français. Le club de basket-ball de Casablanca était d'un haut niveau reconnu. Avant l'Indépendance, le mouvement "Charles Netter" comptait des centaines de jeunes adhérents prenant part à ses activités culturelles, sociales et sportives. L'activité sociale a baissé après l'Indépendance, ne laissant place qu'aux activités sportives – en plus du bal annuel dont les recettes servaient à financer la branche sportive. Le Cercle de l'Union est un club plus fermé, réservé aux notables dont activité principale est le jeu de Bridge et de temps à autre des conférences. Il existait à Casablanca et avait des filiales à Rabat et Tétouan.

Autres institutions sociales

l'O.S.E. Oeuvre de Secours aux Enfants sous la direction de M. Marciano a organisé les soins médicaux pour l'ensemble de la population essentiellement pour les élèves des écoles de l'Alliance et d'autres enfants.

Au centre social de Casablanca se trouvaient à l'époque 200 enfants dont les parents ne pouvaient s'occuper pour une raison ou une autre. Il y avait dans les diverses communautés des asiles pour vieillards et de soupes populaires. "Em Habanim" à Casablanca était à la fois une école et un orphelinat avec quelques 400 pupilles. Il faut aussi ajouter l'orphelinat du "Home Bengio" avec 50 enfants. Les enfants pauvres des écoles étaient nourris par l'œuvre de "l'Aide Scolaire". Elle organisait aussi des colonies de vacances.

Quelques 23,000 enfants bénéficiaient chaque année de ses services. Il faut y ajouter l'œuvre "Malbich Aroumim" fournissant des vêtements aux démunis et l'œuvre d'aide aux petits artisans par l'octroi de prêts, la Caisse Israélite de Relèvement Economique.

Les rapports avec la communauté française du Maroc

Les relations avec la communauté française étaient en général amicales. Les familles juives de la classe bourgeoise entretenaient des liens d'amitié avec des familles françaises, le plus souvent par l'intermédiaire de familles juives françaises du même cercle social.

La majorité des juifs avaient surtout des liens économiques avec les français. Il convient de souligner le rapport favorable de la communauté française envers la communauté juive. Sans doute à cause du sentiment de communauté de destin. Cette communauté était inquiète des restrictions à la liberté de circulation imposées aux juifs et avait partagé leurs craintes lors de la visite de Nasser à Casablanca. Ils avaient apprécié la libéralisation dans l'attribution des passeports. Ils comprenaient les motifs de l'émigration juive, attribués à l'appauvrissement du pays dans lequel les juifs avaient jadis joué un grand rôle et de grandes responsabilités en particulier dans les entreprises françaises, ce qui leur donnait à réfléchir sur leur propre avenir au Maroc.

Manifestations d'antisémitisme

Sans aucun doute y avait-il des manifestations d'antisémitisme de la part d'individus isolés. La jalousie de la fortune réelle ou imaginaire des juifs faisait son effet. Dans les articles de la presse, plus particulièrement celle de l'Istiqlal. n'étaient pas rares les allusions à la domination économique des juifs. Le mépris traditionnel du Marocain des villes et des compagnes – pour le juif est resté vivace. mais il conduisait plus à l'isolement qu'à l'hostilité et au sentiment de la nécessite de protéger le juif inférieur, le dhimmi.

Tout cela est loin de constituer l'infrastructure à une propagande antisémite, ou à la formation de mouvements faisant de l'antisémitisme leur raison d'être, l'ancienneté de la présence juive au Maroc – ne pouvant ainsi être accusés d'avoir pris la place de quiconque contribuait également à cette absence d'antisémitisme à la mode européenne.

La propagande menée par les palestiniens et l'ambassade de la République Arabe Unie au Maroc, avec la distribution de tracts en 1959, ne devait pas avoir d'effet notable. Les tracts reproduisaient le Magen David comme symbole de la domination juive sur le monde. Des tracts de ce genre devaient de nouveau être diffusés au cours de l'été 1960, mais les autorités étaient déterminées à punir les responsables. Au moment de la flambée de l'antisémitisme en Europe en 1960, le Maroc est resté calme. Une croix gammée tracée sur le mur d'une synagogue devait être aussitôt effacée par la police qui a activement recherché les coupables. Les Marocains, et leur roi en tête, ont toujours été fiers d'avoir refusé l'application des lois raciales de Vichy au cours de la Seconde Guerre mondiale. Malgré cela, les germes de l'antisémitisme existent et la politique pro-arabe extrémiste des années 1959-60 qui avait entraîné la rupture des relations postales avec Israël, avait provoqué une psychose de peur au sein de la population juive. En 1960, les autorités ont conseillé aux juifs de ne pas porter de couleur bleu-blanc, et des policiers à Rabat devaient interdire aux bijoutiers juifs de vendre des bijoux en forme d'étoile de David. C'était une initiative privée locale d'excès de zèle. A la même époque, la presse s'était attaquée au Magen David, qualifié de symbole du sionisme. Au cours de l'été 1960, le pacha de Salé devait demander d'effacer les nombreuses étoiles de David sur les tombes du cimetière de la ville pour ne pas indisposer les musulmans – et les juifs durent s'y plier.

Il convient de ne pas oublier la facilité avec laquelle il est possible d'enflammer les foules par une bonne propagande et combien il fut facile aux musulmans d'Oujda et de Djérada de massacrer des juifs en 1948, suite à la proclamation de l'État d'Israël. Il convient de souligner que les autorités s'efforcent de prévenir la diffusion de termes et de thèmes antisémites, estimés contraires à l'esprit de la nation marocaine, mais cela ne devait pas prévenir les campagnes de presse incontrôlées présentant un grand risque de débordement. C'est ainsi que le journal Al Fajar devait aller jusqu'à remettre en cause le statut juridique des juifs au Maroc.

Le Mossad – Michel knafo-Le début du régne du roi Hassan II

Le journal El Maghreb elArabi, organe du Mouvement Populaire, s'est aussi joint à cette chorale. Il devait atteindre le pire en publiant en février 1962 des extraits des Protocoles des Sages de Sion, "prouvant" la volonté de domination des juifs sur le monde. Par ignorance, les rédacteurs croyaient avoir fait une "grande découverte". alors que l'on sait depuis longtemps qu'il s'agit d'un faux grossier. Mais de telles accusations tombant sur un public crédule pouvaient mettre en danger l'ordre public et la sécurité des juifs du pays.

Le début du régne du roi Hassan II

Lorsque le prince Moulay Hassan annonça le 26 février 1961 la mort de son père Mohammed V un deuil profond s'est abattu sur tout le Maroc. Plus d'un million de personnes devaient assister aux obsèques à Rabat dans une atmosphère de stupeur qui englobait tous les cercles, tous les partis.

Le nouveau roi avec les hommes de cour et les ministres du gouvernement, ne devaient pas perdre de temps pour assurer la continuité du pouvoir. Quelques heures après la mort de Mohammed V, Hassan II était intronisé. La famille royale et les Oulémas furent convoqués sans délais pour prêter serment d'allégeance au nouveau roi.

La cérémonie d'intronisation eut lieu dans la même semaine. Les officiers supérieurs, les chefs des partis même ceux de la gauche s’empressèrent de lui prêter allégeance. Tous sauf Mehdi Ben Barka qui étant à l'étranger, envoya un télégramme de condoléances.

La nouvelle politique intérieure devait refléter les changements intervenus dans la politique étrangère vers moins de panarabisme et plus d'équilibre et de modération. Cette nouvelle politique imposée par le jeune roi Hassan II devait avoir un écho favorable sur la Conduite envers les juifs, se traduisant notamment par une libéralisation dans l'attribution de passeports, permettant l'émigration de ceux qui souhaitaient quitter le pays, habituant l'opinion à cette nouvelle situation. Cette politique répondait aux attentes des juifs et devait permettre à de nombreuses familles d'envisager sans pression leurs perspectives d'avenir dans le pays. La poursuite de cette libéralisation dépendait maintenant de la stabilité du régime, une stabilité que le nouveau roi devait favoriser par différentes mesures sans que les dangers aient disparu ou neutralisés.

Il convient de souligner à quel point la baisse du prestige de la Ligue Arabe et de la République Arabe Unie devait permettre au nouveau régime de changer d'orientation et de développer des liens d'amitié avec la France et d'adopter envers les juifs une attitude plus modérée. La France devait appuyer cette nouvelle orientation par de grandes concessions: l'évacuation de ses bases militaires du territoire marocain l'arrêt des essais nucléaires au Sahara la liquidation progressive des causes de frictions entre les deux pays en acceptant de mener à terme l'Algérie  vers l'indépendance. Les attaques quotidiennes contre la France et l'Occident devaient laisser la place à une atmosphère d'amitié et de coopération. La politique étrangère marocaine s'était libérée des impératifs de la Ligue Arabe. Un ministre marocain pouvait calmement affirmer que son pays était opposé à l'émigration des juifs alors que dans la pratique la situation était diamétralement opposée. Cette nouvelle politique était le fruit de contacts entre le général De Gaulle et le roi Hassan II en mai 1962, et devait avoir des effets positifs sur la situation des juifs du pays.

Le Mossad – Michek Knafo-Le Vrai Visage du Judaïsme Marocain Simha Aharoni

Le Vrai Visage du Judaïsme Marocain

Simha Aharoni

Simha Aharoni est né en Palestine en 1933. Diplômé de Sciences politiques et de culture française de l'Université Bar-Ilan. Colonel de réserve, il a rempli divers postes de commandement dans l'armée de l'Air. Envoyé en mission par le Mossad en France et au Maroc dans les années 1961-1965; correspondant militaire du journal Hatsofé dont il fut aussi le directeur. Depuis 1978, il collabore aux Yédiot Aharonot. Auteur d'une étude sur la sortie des juifs du Maroc dans le cadre de l'opération Yakhine. Lauréat du Prix Ben-Tsvi pour cette étude.

Voici la traduction d'un article qu'il a publié dans le journal Yédiotle 12 octobre 1981.

De toute la polémique qui s'est développée ces derniers temps sur les écarts sociaux, c'est le judaïsme marocain qui en est sorti perdant, son image écornée, causant une grande injustice aux dizaines de milliers de ses membres montés en Israël. Cela est le fait que, tous les participants à la discussion sur la discrimination et les tensions inter-communautaires ont abordé le sujet, considérant l'ensemble des olim du Maroc en une seule masse, une seule famille avec un dénominateur commun. Or, il n'y a pas de plus grande erreur que cela.

Quelques 170.000 juifs vivaient au Maroc quand a commencé, le 28.11.1961, la Alyah de masse dans le cadre de l'opération Yakhine, dispersés dans les 14 districts du pays. Des grandes villes comme Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Meknès et Tanger – jusqu'aux petits villages isolés dans le sud du pays, aux frontières du Sahara et dans les régions de Ksar-Souk et Ouarzazat et jusqu'à la frontière mauritanienne.

Il est naturel que les grandes distances entre les agglomérations et les difficultés de communication avec les grands centres aient créé des écarts sociologiques entre les communautés. Nombreux étaient les juifs des grandes villes qui avaient absorbé la culture française qui avait dominé le pays jusqu'en 1956. Pour nombre d'entre eux, la langue française était la langue de tous les jours, et leurs enfants étaient éduqués dans les écoles françaises, ce qui n'était pas le lot habituel des habitants des villages éloignés. Mais ils avaient un dénominateur commun: l'attachement à la tradition et la nostalgie de Sion. Ni les distances ni les barrières de la culture occidentale n'y pouvaient rien.

Dans les petits villages, distants de centaines de kilomètres des grands centres juifs, nombreux étaient ceux qui savaient l'hébreu ou plus exactement la langue sacrée, et entretenaient leur correspondance en arabe en caractères hébraïques. Contrairement à ce qui a été écrit récemment, ils étaient pénétrés de culture juive qu'ils avaient préservée pendant les siècles, la transmettant de père en fils.

Quand a commencé la grande Alyah, il fut décidé d'évacuer d'abord les habitants des petits villages, dans les régions d'Oujda, Agadir, Ksar-Souk et Ouarzazat. Un des objectifs recherchés était de réduire en priorité la dispersion de la population juive vers les centres. De grands efforts furent donc déployés dans cette direction bien que le nombres de juifs de ces villages ne dépassait pas les 8% de la population juive globale. L'opération était complexe, ne serait-ce qu'en raison des problèmes de transport et de mauvaises routes afin d'arriver au port de sortie, mais tous ceux qui y ont participé sont revenus profondément marqués par leur rencontre avec eux.

Le pays des rêves

Comme par exemple cette rencontre au village d'Amizmiz, en plein désert, non loin de la frontière mauritanienne. Les 231 habitants du village avaient accueilli avec émotion les deux jeunes arrivés aux premières heures de la matinée, en cette journée de printemps, après avoir parcouru à pied les 25 kilomètres qui séparaient la route praticable au village. Ceux-ci leur ont fait savoir qu'ils étaient venus pour les emmener au pays dont ils avaient rêvé toute leur vie. Très émus ces gens simples n'ont pu s’empêcher de pleurer. Huit heures plus tard, tous les juifs du village, vieillards et enfants, entamaient la grande marche vers Israël les sifré Torah dans les bras, laissant derrière eux leurs champs et leurs biens, et un monde de souvenirs et de légendes.

Ils n'ont pas abandonné leurs vieux, leurs parents ni les ont placés dans des asiles – comme il est habituel dans la culture occidentale – mais les tenaient par la main, le petit-fils soutenant le grand-père. Le même spectacle s'est reproduit dans les 59 villages évacués la même année, réduisant progressivement la dispersion juive aux seules villes. Aujourd'hui ils sont parmi nous dans les nouveaux villages édifiés dans le sud du pays.

Ces impressions devaient revenir sur elles-mêmes, après que le centre de gravité de l'opération se soit concentré sur les grandes villes. Là aussi brûlait le feu de l'amour de Sion. Là aussi était ancrée une culture juive authentique – à côté de la culture française; là aussi le respect dû aux anciens était resté vivace, ainsi que celui dû au chef de la communauté, au père et à la mère. Ils étaient prêts à laisser tout derrière eux: travail, magasin, bureau, biens, propriétés pour arriver au pays de leur rêve. Mais ils n'étaient pas disposés à laisser derrière eux les vieux et les déshérités, dans l'esprit de la maxime de la tradition juive qui veut que "nous montions avec nos jeunes et nos vieux". C'est justement alors que devait se lever dans l'Etat d'Israël "civilisé" une grande protestation: pourquoi admet-on l'arrivée des vieux et des aveugles? Et des juifs cultivés, imbus de culture occidentale, demandaient d'effectuer une sélection. Est-ce là la "culture" que prônent aujourd'hui ces belles âmes qui cherchent les raisons de la discrimination chez les olim et non en eux-mêmes?

La protestation "civilisée", provenant d'Israël, cette "sélection" qui devait boulverser jusqu'au tréfonds de leur âme tous ceux qui s'occupaient de la Alyah des juifs, sans choquer le moins du monde aucun des habitants de Sion – ashkénazes comme sépharades – qui ont continué à vaquer à leurs occupations comme s'il ne s'était rien passé. Nos hommes sur le terrain, eux, ne pouvaient réagir, ils ne pouvaient expliquer combien l'amour du prochain, qui caractérise les juifs du Maroc, est cent fois supérieure à la froide culture occidentale prête, pour sa convenance, à barrer la voie des vieux qui se dirigent vers Eretz-Israël! Et les familles, riches comme pauvres, sont montées en Israël avec leurs vieux parents, en dépit des difficultés et des souffrances. Et de fait pour chaque 24,6 olim venant du Maroc, il n'y avait seulement qu'un parent-vieux dépendant.

Le Mossad – Michel knafo-Un doigt accusateur

Un doigt accusateur

Qui sont les olim arrivés du Maroc en Israël? Comme nous l'avons dit, 8% étaient des habitants des villages. Le reste était d'une manière ou d'une autre, lié à la culture occidentale. Ce fait contredit totalement le préjugé que la majorité des  olim n'avait pas été en contact avec la culture occidentale jusqu'à leur arrivée en Israël. Plus encore, si nous retenons le critère de la formation professionnelle, il n'est pas différent de celui des olim venus en leur temps d'Europe Orientale: -49% des olim étaient des artisans; tailleurs, cordonniers, mécaniciens, etc… dans 41 branches différentes. 21.4% étaient liés aux professions commerciales: commerçants, boutiquiers, vendeurs, bouchers – dans dix branches du commerce; 21% des ouvriers ou travailleurs de la terre. Mais 17.6% étaient liés à des métiers considérés comme modernes: comptabilité, enseignement, employés, rabbins, dentistes, économistes; et ce pourcentage n'est pas inférieur à celui des olim "ashkénazes" de la même époque.

De plus, même si on accepte cette fausse croyance du manque de culture des olim du Maroc, cela ne ferait que renforcer le doigt accusateur envers les habitants d'Israël pour avoir aggravé la situation. Il y a en effet un fait irréfutable: 48.4% – près de la moitié – des olim du Maroc étaient, à leur arrivée, des adolescents de moins de 16 ans. Pourquoi ne les a-t-on pas éduqués et "civilisés" comme il le fallait, alors qu'il n'y a rien de plus facile que d'éduquer des enfants? Si aujourd'hui, vingt ans après leur Alyah, on invoque leur manque de culture, la faute en incombe avant tout au système éducatif israélien. Au rapport des éducateurs envers les enfants des olim; à l'incapacité de répondre à l'attente d'enfants assoiffés d'apprendre. Depuis la Alyah des "Bilou", aucune autre vague d'immigration n'a amené un tel pourcentage d'enfants, et c'était là le plus beau cadeau offert par le judaïsme marocain à Israël.

Il est faux d'avancer que les juifs riches et éduqués du Maroc ont émigré en France. Les départs vers la France et les autres pays n'a englobé qu'entre 5 à 8% de tous ceux qui ont quitté le Maroc, ne dépassant pendant des années le taux de croissance démographique naturel de la population juive.

Certes nous ne disposons pas de données statistiques précises sur la formation professionnelle de ceux qui ont choisi la France, mais il est possible de supposer qu'elle n'était pas différente de ceux qui sont venus en Israël. Mais en France, contrairement à Israël, la communauté juive, le Consistoire, s'est occupée de ces immigrants. Elle ne les a pas envoyés dans des maabarot (ou dans des bidonvilles), agglomérations reculées, leur disant: "débrouillez-vous!" mais a tout fait pour qu'ils s'intégrent à la vie de la communauté et à ses institutions.

Les juifs d'Algérie, de Tunisie et du Maroc qui se sont installés en France, ont doublé, sinon triplé la population juive de ce pays, et la communauté n'en a pas été effrayée. Au contraire, elle en a été heureuse et leur a permis de prendre des postes de premier plan, conformément à leurs talents. Alors qu'ici la majorité des olim ont été dirigés vers des agglomérations éloignées et on leur a dit "continuez à vivre comme dans votre pays d'origine!" sans même vérifier si cela était possible, sans tenir compte ni de leurs talents, ni de leurs métiers. Et eux ces juifs candides qui avaient vu leur rêve se réaliser, ont obéi et sont allés là où on les a envoyés, alors que les anciens – ashkénazes comme sépharades – ne se sentaient pas concernés par la vision de la réunion des dispersés, ne se préoccupant pas de cette grande tribu éloignée qui venait d'arriver. Seuls quelques visionnaires isolés comme Louba Eliav et Rivka Gover avaient senti la grandeur du miracle.

Une minorité mégligeable

Et voilà que les graines semées – presque à la volée – dans le désert du Néguev, en Galilée, dans les petites agglomérations à travers le pays, ont commencé à pousser. Les villes de développement se sont agrandies et renforcées; et de ces immigrants venus du Maroc font leur apparition des dirigeants qui ont su prendre en mains les destinées de leur communauté. Soudain le Yichouv (anciens du pays) se comporte avec respect envers les villes d'immigrants: Dimona, Yavné, Kiriat-Gat, Ofakim, Sdérot et Beit-Shean.

Il ne pouvait croire que certains "Marocains", certains des isolés qui avaient quitté la respectable tradition de leur communauté, éblouis par les grandes villes – n'étaient pas eux les véritables représentants authentiques de cette grande communauté. Le Ychouv a voulu généraliser à partir de ces cas isolés sur toute la communauté. Certes, il est vrai que parmi les dizaines de milliers de olim venus du Maroc, il y avait certains dont le mode de vie n'était pas tout à fait adapté au vingtième siècle, et qu'il y avait des villages où la technologie moderne n'était pas encore arrivée, mais ce n'était qu'une minorité négligeable. Il faut donc chercher d'autres causes au sentiment de discrimination des juifs du Maroc.

Ceci dit, il me semble qu'il y a une grande exagération dans le phénomène de pitié de soi de cette communauté. Au lieu d'être fière de ce qu'elle a, elle cherche à se défendre et à s'excuser, tendant à interpréter de manière irrationnelle des faits simples. Comme ce brillant professeur qui avait expliqué aux journalistes combien il avait été humilié d'être pulvérisé au DTT en arrivant à Haïfa à l'âge de 10 ans. Pourquoi ressentir cela comme une humiliation? Moi-même j'ai subi à plusieurs reprises le même traitement. Moi aussi, en descendant d'un avion avec des olim que l'on craignait être atteints de poux, j'ai été aspergé en même temps qu'eux – et je ne m'en suis pas senti humilié le moins du monde, pas plus que les membres de équipage. Deux heures plus tard, ne nous étions-nous pas retrouvés à déguster une bière dans un bar?

Le judaïsme marocain est porteur d'un grand patrimoine juif. Une tribu qui n'a pas connu les mariages mixtes, qui toute entière – religieux comme les moins religieux – a le plus grand respect pour la tradition d'Israël. Entre parenthèses, même les musulmans montraient le même respect, s'abstenant dans les villages d'occuper les maisons de prières juives abandonnées, par respect pour leur sainteté les juifs du Maroc n'ont pas laissé derrière eux les déshérités, les vieux, malgré les protestations de l'Israël "civilisé". Le judaïsme marocain portait en son sein une culture juive brillante et c'était là son dénominateur commun.

Un jour deux jeunes sont arrivés au village d'Igli, dans le sud du pays. Après qu'ils aient raconté le but de leur visite, toute la communauté s'est levée prête à partir. Un des vieux a alors dit aux jeunes: "attendez un moment, nous voulons aller au cimetière pour demander pardon à ceux que nous allons laisser derrière nous, et demander pardon au saint rabbin dont nous ne pouvons emporter la sépulture. Ce même rabbin nous avait prédit que le jour était proche ou nous nous mettrons en marche." Ils se sont rendus au cimetière et commencé à prier. A ce moment, le rabbin s'est arrêté et a dit aux fidèles: "Nous pouvons prendre la route, l'âme de notre saint est déjà là-bas, en Eretz-Israël".

Le camp de Mazagan Révolte Populaire du Judaïsme Marocain-Michel Knafo

Le camp de Mazagan

Révolte Populaire du Judaïsme Marocain

S'il est des épisodes douloureux, auréolés d'héroïsme dans l'histoire d'Israël, des épisodes de révolte populaire et de foi – l'histoire du camp de transit de Mazagan n'en est pas un des moins glorieux.

Fin 1955, le combat du peuple marocain pour son indépendance atteignait son paroxysme. Le terrorisme paralysait les villes, et l'Armée Nationale de Libération livrait ses premiers combats. Ce fut également l'année record de la Alyah du Maroc, atteignant 3 à 4000 immigrants par mois. L'activité sioniste aussi battait son plein.

A 25 kilomètres au sud de Casablanca, se trouvait le camp de transit Kadima (appelé par les juifs du Maroc le Camp de Mazagan), capable d'accueillir 1500 immigrants pour un court séjour avant leur embarquement pour Marseille. Les passeports étaient visés et tamponnés aux bureaux de l'Agence juive Kadima. Les autorités du Protectorat n'ayant jamais permis à l'Agence d'agir sous son nom, elle s'était servie depuis la légalisation de la Alyah en 1949, de la couverture d'une organisation philanthropique de la communauté juive ashkénaze au Maroc, Olam Katan – kadima. La Alyah légale s'est poursuivie au cours des premiers mois de l'indépendance du Maroc, proclamée le 2 mars 1956, jusqu'à la fermeture des bureaux de Kadima à Casablanca en juin de la même année. Les émissaires d’Israël et les activistes locaux devaient alors déployer les plus grands efforts pour permettre, même après l'arrêt brutal de la Alyah légale, le départ de tous les immigrants du camp.

Il faut souligner, en particulier à cet égard, le rôle joué par Baroukh Douvdévani, le responsable à l'Agence Juive de la Alyah d'Europe et d'Afrique du Nord et par Mandel Vilner, le responsable des relations avec la police des frontières, qui devaient réussir à poursuivre la Alyah malgré l'interdiction officielle. Grâce à leurs efforts et également à ceux d'Amos Rabel, le chef du bureau de Kadima, du secrétaire général David Moyal, des émissaires Arié Abrahami, Yaacov Hassan et de nombreux activistes juifs marocains, les départs ont pu se poursuivre sous différentes formes: passeports collectifs, passeports individuels, ordres d’embarquement, etc… Ces arrangements s'étaient fait avec l'accord des autorités du port et de la Compagnie de navigation française Paquet. Près de 13.000 juifs ont ainsi pu quitter le Maroc jusqu'en octobre malgré l'arrêt officiel des activités de l'Agence Juive.

Les derniers jours d'activité du camp de mazagan Moché Arnon (Hababou) raconte: "A la suite de la fermeture presque hermétique du port de Casablanca, nous avons commencé à diriger les immigrants vers Tanger. Cela ne devait pas pour autant soulager la situation des olim concentrés à Casablanca à la suite de la fermeture du camp de transit par les autorités marocaines. Elles ne cessaient d'exiger de vider le camp, sans tarder, et avaient fini par poster des policiers et des soldats, tout autour du camp, pour en interdire l'entrée des candidats supplémentaires à la Alyah.

De notre côté, nous avions décidé l'évacuation des villages isolés de l'Atlas et de diriger les familles – à un rythme programmé – vers Marrakech.

Quand leur nombre devint suffisant, nous les avons transportées en camions vers le camp de Mazagan.

L'infiltration dans le camp se faisait de nuit à travers des brèches dans les barbelés, avec l'aide des activistes clandestins de Gonen.

Les responsables marocains n'arrivaient pas à comprendre comment le nombre d'habitants du camp ne baissait pas malgré les départs incessants…"

Naftali Elbaz (natif de Boujade, était étudiant à Casablanca. En août 1955, au moment du second anniversaire de la déposition du sultan, il se trouvait en vacances dans sa ville natale, Boujade. Il raconte: "Il y a eu des évènements sanglants dans tout le Maroc. Dans la ville voisine de Ouedzem, des dizaines de Français ont été assassinés, et le même mois fut assassiné le grand-père de Shaul Amor (ancien député du Likoud et ambassadeur d'Israël à Bruxelles.)

De nombreux juifs voulaient monter en Israël, mais la maudite politique de sélection déclarée par Israël leur interdisait de réaliser leur rêve. La communauté juive s'est adressée aux émissaires de l'Agence Juive et leur a demandé avec insistance d'arriver à Boujade. Je me souviens de l'arrivée de Mandel Vilner, Baroukh Douvdévani, Haïm Talmor et Arié Abrahami – alors que le directeur à Casablanca était Amos Rabel et le secrétaire général David Moyal. Au cours de l'assemblée générale, dans une atmosphère de panique, alors que des blindés de l'armée française patrouillaient en ville, nous les avons pressés de nous aider à monter en Israël et de mettre fin à la politique de sélection. Le président de la communauté, Issakhar Elbaz, leur a dit: "Je comprends qu'il y a une procédure, des visites médicales, etc… Je vous demande: qui va faire cela ici?"

Un des émissaires a alors proposé ma candidature et c'est ainsi que j'ai commencé mon activité. J'ai été contraint d'abandonner mes études et de me consacrer à la Alyah des membres de ma communauté. Je dirigeais les familles vers le camp de transit de Mazagan.

En plus de ce travail, j'étais le correspondant local de trois journaux nationaux: "Le Petit Marocain", "Maroc Soir" et "La vigie Marocaine" et délégué du Congrès Juif Mondial pour Boujade et la région.

En raison de mes activités, je me heurtais à l'hostilité de la population musulmane locale. Quand mon activité sioniste fut connue de la police, je risquai l'arrestation.

J'en ai fait part à Haïm Talmor qui m'a suggéré de partir le jour-même pour Paris.

J'ai téléphoné à ma mère pour prendre congé. Elle a pleuré et m'a interdit de quitter le Maroc sans les autres membres de la famille. J'ai alors annulé mon vol et j'ai pris directement contact avec Mandel Vilner. Je lui ai expliqué que ma famille avait quitté sa maison et était dans le dénuement, puis j'ai à mon tour éclaté en sanglots. Vilner, un homme chaleureux, m'a conduit à son domicile et a téléphoné à Paris. A la fin, il m'a donné une note de recommandation pour le directeur du camp, Mr. Liberman. Je suis parti avec ma famille au camp où je n'ai pas tardé à y prendre une position dominante à la direction.

Vilner m'a ensuite demandé de l'accompagner auprès des familles candidates au départ, recueillir les photos et les encourager à rejoindre en masse le camp. Effectivement, au bout de quelques jours, des centaines de familles l'avaient rejoint. J'y suis revenu moi-même m'occuper de leur départ vers Israël. C'était l'époque où le sultan avait autorisé les 6.000 résidents du camp à rejoindre Israël. Par la corruption de fonctionnaires marocains, Mandel Vilner devait réussir à tromper les autorités et à remplacer les partants par de nouveaux arrivés. Le nombre d'habitants du camp était déjà monté à 10.000 alors qu'il était destiné à en accueillir 1.500 au maximum. D'où la propagation de maladies et les risques d’épidémies qui devaient nécessiter la création d'un petit hôpital de campagne, don de la base américaine de Nouaceur. Il y eut nombre de morts, surtout parmi les bébés, en raison des conditions d'hygiène très défectueuses. Dans ces conditions, les autorités marocaines autorisèrent le départ de tous ceux qui se trouvaient dans le camp, fermé définitivement en octobre 1956."

L'action du point de vue sioniste Baroukh Douvdevani

L'action du point de vue sioniste

Baroukh Douvdevani

Baroukh Douvdevani était lié corps et âme au judaïsme marocain en lequel il voyait un élément vital pour la reconstruction de l'Etat d'Israël. Dans cette perspective, i1 devait mener la lutte au nom de l'Agence Juive contre les restrictions de la politique de sélection parmi les candidats à la Alyah. Homme de terrain, il préférait, contrairement à d'autres, quitter son bureau confortable a Paris et rester en contact avec le dernier des émissaires à Casablanca.

Le Maroc obtint son indépendance le 2 mars 1956 et une des premières décisions des nouvelles autorités devait être la fermeture des bureaux de la Kadima.

L'ordre de fermeture du camp de transit et le départ des émissaires israéliens du territoire marocain, devait être donné par le chef de la Sûreté Nationale, Mohammed Laghzaoui. A ce moment étaient prêts à la Alyah 45.000 candidats qui avaient déjà liquidé toutes leurs affaires au Maroc, "assis sur leurs valises", attendant l'ordre de départ.

Nombre d'entre eux étaient des habitants des villages qui avaient "brûlé" tous les ponts avec le passé et étaient logés dans des maisons louées à leur intention par la Kadima. Les circonstances nous contraignaient à œuvrer en même temps, parallèlement à deux niveaux, l'un opérationnel, l'autre politique, avec naturellement une coordination entre eux.

Sur le plan opérationnel – nous avons concentré l'essentiel des efforts sur le remplissage du camp où les immigrants restaient en transit quelques jours, le temps d'arranger leur départ: papiers, visites médicales, etc.. Le camp avait été conçu pour accueillir 1.500 immigrants temporairement, pour quelques jours. Grâce à nos efforts et en quelques jours seulement s'y sont regroupés quelques 9.000 candidats au départ venus de tout le Maroc. Les conditions d'accueil, sans les conditions d'hygiène minimales, devenaient très difficiles. Les maladies se répandaient et la situation ne faisait qu’empirer. Les autorités avaient posté autour du camp des policiers montés sur des chevaux pour en interdire la sortie. De plus, elles avaient infiltré dans le camp des agents dont le rôle était de convaincre les habitants du camp de revenir chez eux, usant tour à tour de promesses et de menaces. Malgré la situation épouvantable et les appréhensions quant à l'avenir, il n'y eut aucune défection.

Le lecteur doit essayer d'imaginer la situation en ces jours-là, avoir à l'esprit qu'il s'agissait de gens simples dans un pays musulman, et que s'il est des épisodes douloureux, entourés d'héroïsme dans l'histoire d'Israël, des épisodes de révolte populaire et de manifestation de foi, l'épisode du camp de transit proche de Casablanca; n'est pas un des moindres. Pour que l'image soit complète, il faut ajouter qu'un certain nombre d'émissaires avaient enfreint l'ordre d'expulsion pour venir en aide aux habitants du camp.

Nous savions, et les habitants du camp le sentaient aussi, que tout ce qui se passait au camp n'était qu'une étape du combat pour le droit à la Alyah. Ce combat était le prélude de ce qui allait se passer au cours des années à venir. C'est dans ce combat qu'ont commencé les racines de l'organisation clandestine de la Misguéret, et il ne fait pas de doute que l'attention des forces de sécurité sur ce qui se passait au camp, les a détournées de l'implantation de la clandestinité dans les autres parties du pays.

Mais parallèlement au plan opérationnel, nous n'avons pas négligé la pression politique, par l'intermédiaire de M. Easterman du Congrès Juif Mondial. Pour résumer le rôle du Congrès Juif Mondial dans le drame de la Alyah des juifs du Maroc, on peut dire à mon avis, qu'il eut un mélange d'ombres et lumières. Il faut se souvenir que les relations du CJM avec les dirigeants marocains datent de l'époque de leur combat pour l'indépendance et après leur arrestation par les autorités françaises. Alors que les dirigeants de l'Istiqlal étaient encore en exil ou en prison, les représentants du CJM leur avaient apporté leur soutien, notamment en expliquant leurs positions, dans la conviction qu'ils seront les dirigeants de demain. Il n'était donc que naturel que ces liens soient exploités en faveur des juifs concentrés dans le camp de Mazagan. Et effectivement les dirigeants du Congrès se sont attelés à annuler l'édit de l'interdiction de leur Alyah.

Nous n'étions pas d'accord avec leur analyse sur la générosité des hommes de l’Istiqlal et la solidité de leurs promesses teintées d'une certaine dose de sympathie pour le sionisme. Ces promesses et ces déclarations ont contribué à endormir la vigilance de l'opinion juive au Maroc, en Israël, et dans d'autres pays – ce qui devait être en partie à la source de la tragédie des juifs du Maroc quelques mois plus tard.

Les méthodes d'action du CJM dans les pays de la diaspora sont diamétralement opposées à celles du mouvement sioniste et de l'Etat d'Israël. Alors que les premiers ne recherchent qu'un répit passager le plus long possible aux édits, et qu'à assurer la tranquillité aux communautés juives dans leur pays de résidence – le sionisme cherche une solution définitive de changement radical en dehors du cadre de la diaspora.

C'était la situation également au Maroc. Notre vision était sioniste: nous n'avions pas peur de décisions radicales, ne croyant pas en l'avenir des juifs au Maroc et étions convaincus de l'urgence d'une action. Ce n'était pas le cas des gens du Congrès qui cherchaient des solutions provisoires destinées simplement à améliorer et alléger la situation sur place. Pour eux, l'entrée du Dr. Benzaquen au gouvernement était un grand succès pour le judaïsme marocain. En bref, ils représentaient la continuation de la tradition des juifs de cour.

Toutefois, il faut ajouter à leur crédit, que leurs liens d'amitié avec nombre de dirigeants marocains, ont évité un bain de sang dans la rue juive pendant la période de transition entre la fin du protectorat et l'indépendance, et ont contribué à l'amélioration de la situation dans le camp de transit.

Le dialogue politique a été mené avec divers cercles, essentiellement avec le palais royal et ses proches. Quand le gouvernement marocain a pris conscience qu'il ne pouvait vaincre la volonté de sortie, le départ de 6.300 habitants du camp fut autorisé – mais la liste devait être bien plus longue. Les sorties effectives devaient être en fin de compte près du double du chiffre officiellement autorisé, malgré les contrôles étroits. Il convient de souligner ici que cela devait être atteint grâce aux relations que Mandel Vilner – l'émissaire de l'Agence Juive – avait tissées avec les responsables dans les ports et aéroports. Il avait développé des relations avec nombre d'autres facteurs, y compris étrangers, ce qui devait être d'une grande utilité plus tard, quand l'action passa à la clandestinité. Nous avions cherché à établir des relations avec les hauts fonctionnaires, les directeurs de société et naturellement avec les dirigeants des organisations juives.

Avant de terminer, je voudrais ajouter quelques mots sur ma propre fuite, celle d'Abrahami et de Yaacov Hassan (qui devait être assassiné plus tard en Algérie où il s'occupait de la Alyah avec un autre émissaire, Raphaël Ben-Guéra).

Au bout d'un certain temps, il devint clair que nous ne pourrons plus continuer notre action au Maroc – ne serait-ce que pour avoir sorti un nombre double d'immigrants par rapport au chiffre autorisé – sans parler de la découverte de l'usage de faux passeports. Nous nous sommes donc dépêchés de quitter les frontières du Maroc, de manière assez aventureuse pour rejoindre Gibraltar. En plus de ces dangers, nous sommes sortis indemnes de notre voiture tombée dans un ravin. Mandel Vilner a quitté Casablanca par avion. Notre fuite devait marquer la fin d'une époque et le début d'une autre dans le drame de la Alyah des juifs du Maroc: le passage de l'époque de la Kadima à celle de l'action clandestine.

La création de la Misguéret et l’activité du Mossad au Maroc 1955-1964-Michel Knafo

 

 Deuxieme partie

Dans les structures de l'autodefense et de l'immigration clandestine 

La création de la Misguéret et l’activité du Mossad au Maroc 1955-1964

Une nouvelle phase du rassemblement des exilés

Eliezer Shohani

Eliezer Shoshani est né en 1905, en Russie, et a immigré en Erets-Israël avec ses parents en 1912. La famille s'est installée à Tel-Aviv, et Eliezer a été élève du gymnase Herzliya. En 1917, les autorités turques ont exilé la famille a Ségéra (A) où elle a vécu un an et demi. En 1927, Eliezer a fait partie du groupe fondateur de Kfar Yéhochoua où il a fait connaissance de Dévora, la première jardinière d'enfants du village, devenue par la suite sa femme.

En 1937, après avoir tenté de vivre à Hadéra et à Ganégar, le couple s'est transféré à Guevat. Eliezer fut nommé commandant (B) de la région et responsable des cachettes d'armes de son kibboutz et de la Hagana.

Le service de renseignements de la Hagana le chargea de centraliser les informations dans la région nord du pays. En 1944, il devint trésorier du Palma'h, et en 1945, lorsque les trois mouvements clandestins se fondirent, il fut nommé trésorier du Mouvement de rébellion.

Après la fondation de l'Etat d'Israël, le Palma'h fut démantelé et Eliezer retourna à son kibboutz, mais pour peu de temps. En effet, il fut envoyé en Italie, comme Trésorier "du bureau des acquisitions" d’armes. En 1950-1951, lors de la scission du mouvement Hakibboutz  hameou'had, Eliezer se joignit avec sa famille aux fondateurs du kibboutz Yifat, et en 1956, il devint secrétaire du l'houdh akibboutzim véhakvoutzot.

En 1961, après le naufrage du Pisces-Egoz, Eliezer fut nommé par Ben-Gourion "commission d'enquête d'un seul membre". Après avoir passé trois semaines en France, il présenta ses conclusions à Ben-Gourion.

En 1964, le Mossad l'envoya en France où il rassembla tout le matériel concernant l'immigration clandestine des Juifs du Maroc en Israël. Il le tria, le résuma, y ajouta ses propres observations et publia, avec l'aide du Mossad, un mémorandum auquel il donna le titre de" Neuf ans sur deux mille". Pendant de longues années, ce texte est resté confidentiel / top-secret, et Eliezer n'a pas eu la joie de voir son texte mis à la disposition du public.

En 1967, Eliezer a été nommé secrétaire du mouvement kibboutzique et plus tard élu secrétaire général et rédacteur du journal du kibboutz yifat. Eliezer est décédé en 1987 le jour de ses quatre-vingt deux ans.

Comment s'est accomplie "la parole de l'Etat d'Israël"? On ne sait jamais dans quel ordre se font les choses dans l'histoire d'un peuple, et il est donc difficile de classer les événements. Il est encore plus difficile de faire une recherche de ce genre dans l'histoire d'un peuple lorsque celui-ci est très ancien et dispersé dans le monde entier. On ne peut que montrer les différentes positions du terrain d'actions sans insister sur l'une plus que sur l'autre. Comme on le sait, l'histoire est le fruit d'un "travail d'équipe", auquel contribuent les conditions géographiques et climatiques, ainsi que les êtres humains – qui sont toujours les participants essentiels de l'action.

La réalisation de l'antique espérance des Juifs d'Afrique du Nord, surtout de ceux du Maroc, a reçu l'aide d'un travail effectué par des êtres humains pendant plusieurs décennies durant lesquelles le mouvement sioniste a créé les instruments dont il avait besoin.

L'Agence juive a propagé l'information sioniste, a organisé les mouvements de jeunesse et l'immigration vers Israël, autant que possible par des routes droites et faciles, mais parfois aussi par des chemins sinueux.

Au Maroc sous le protectorat français, le travail sioniste s'est fait de la même façon que dans les autres pays libres, bien que les autorités françaises aient souvent tenté de l’empêcher, pour des raisons liées à l'essence même de l'occupation.

Des dizaines de milliers de Juifs ont ainsi immigré en Israël, mais en fait la population juive n'a pratiquement pas diminué en nombre, car la baisse causée par l'émigration a été remplacée par la natalité. L'action de l'Agence juive a donc fourni une certaine réponse à la nécessité d'augmenter la population juive d'Israël – tout en répondant ainsi à l'espoir des Juifs du Maroc de s'y rendre – mais n'a pas permis de réponse globale à la question de savoir quel serait l'avenir de cette grande communauté.

Pourtant celle-ci devenait de plus en plus urgente, car la lutte des Marocains pour l'indépendance, qui battait son plein, annonçait des dangers pour l'existence physique des Juifs. Les Agents anonymes qui arrivèrent discrètement au Maroc un an environ avant la fermeture des bureaux de Kadima, ont apporté une expérience de vie de cette école qui s'appelle l'Etat d'Israël, et ils ont été chargés de créer au Maroc des cellules d'autodéfense, d'enseigner aux jeunes juifs l'usage des armes et de les rendre conscients de leur force.

Ceci fut le point de départ d'où le travail a divergé dans différentes directions qui devaient s'adapter aux circonstances. Accompli selon les règles de la clandestinité, ce travail les obligea à organiser la défense et le passage clandestin de la frontière aux Juifs en route vers Israël. Elle impliquait d'inculquer la conscience de la fierté nationale aux représentants de la communauté, et il fallut même quelquefois aller en prison. Tout ceci a été imposé aux agents d'Israël et aux membres de la Misguéret au Maroc, et ils ont accompli leur mission à la satisfaction générale pendant des années.

Une fois qu'il est accompli, ce travail semblait tout à fait naturel. Lorsque la lutte pour l'indépendance du Maroc a éclaté, il suffisait d'avoir de bons yeux et un peu d'intelligence pour voir les nuages qui s'amoncelaient et les dangers qui se précisaient. C'était pour l'Etat d'Israël non seulement un devoir, mais aussi un privilège, de se préparer à affronter les dangers. Le devoir de ses citoyens était de se demander quels moyens utiliser pour affronter la nouvelle situation des Juifs marocains, comment préparer des Juifs soumis et habitués à attendre l'aide des autorités, à prendre en main leur sort et à se préparer aux événements. Les citoyens israéliens conscients devaient donner des armes à leurs frères du Maroc, et leur inculquer une confiance en eux-même. Ce ne fut pas un hasard si le fait de posséder des armes et de savoir s'en servir leur insuffla l'espoir et la fierté. Certains pensent qu'il y a un conflit entre les intérêts des Juifs de la diaspora et ceux des Juifs d'Israël, mais il n'en est rien. Si l'on donne aux Juifs de la diaspora une force de résistance, la confiance en soi et la conscience de leurs possibilités, ils seront préparés à accepter la théorie sioniste. Les notions de "la diaspora doit exister" et "la diaspora doit disparaître " ont depuis longtemps perdu toute signification, et il est évident qu'un Juif de la diaspora prêt à défendre sa vie et sa dignité trouvera un jour sa voie vers le sionisme.

C'est ainsi qu'il faut comprendre les événements qui ont touché les Juifs du Maroc à partir de 1955, lorsqu'un devoir tout naturel a été imposé au Mossad: mettre des armes dans une main vide, et lui enseigner leur usage.

Il faut noter qu'il s'agissait d'une mission différente de celle dont été habitués les délégués de l'Agence juive. Celle-ci était semi-militaire et ne convenait pas aux méthodes de l'action civile. Par ailleurs les règles militaires ne lui convenaient pas non plus, et l'armée israélienne ne pouvait prendre sur elle son exécution. C'est pourquoi le Mossad, dont la nature est d'œuvrer dans la clandestinité, en a été chargé.

Ref:Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo Juillet 2007-page 70-73

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

La nature de la mission et des délégués d’Israël

Lorsque cette tâche a été confiée au Mossad, il a fallu choisir les hommes capables de l'accomplir. Il a fallu faire un choix rigoureux des personnes, leur donner les connaissances nécessaires, leur enseigner les principes de la vie clandestine, et surtout, il fallait qu'ils s'identifient complètement à leur mission.

Le Mossad a choisi ses Agents essentiellement au sein de deux groupes: les coopératives agricoles et l'armée. Mais il ne faut pas oublier que certains excellents délégués vinrent d'autres milieux.

Dans les coopératives agricoles, et surtout dans les mouvements kibboutziques, il y avait des francophones originaires d'Afrique du Nord, et de plus on y trouvait une tradition de service des institutions nationales. Quant à l'armée, elle avait des officiers qui apprirent le métier déjà durant leur service, et doués du sens du commandement, deux qualités indispensables à toute opération aussi compliquée.

Ces agents étaient donc munis des données de base nécessaires. Le Mossad leur enseigna les sujets qu'ils allaient devoir affronter, puis la vie – très dure – allait leur faire acquérir l'expérience.

Les négociations pour arracher ces gens de leur travail et de leur cercle social n'étaient pas faciles. Il fallait beaucoup de patience, de conviction et de persévérance. Avec le temps, s'est formé un groupe de personnes dévouées à la cause, quelquefois même passionnément. Comme dans toute bataille difficile et dangereuse, là aussi il y a eu une sélection naturelle. Parmi ceux qui ont été envoyés, certains n'ont pas tenu le coup, et ceux qui n'étaient pas assez forts sont repartis ou ont été rappelés. Quant à ceux qui sont restés, ils se sont mesurés aux difficultés et aux déceptions qui ne manquaient pas, et en sont sortis renforcés.

Les exigences de la Mission et les règles de la clandestinité

Les Agents d'Israël n'étaient pas seuls à préparer la population à l'autodéfense et à l'Alyah. Avec eux, et sous leur direction, travaillait l'élite de la jeunesse juive au Maroc, mais les agents d'Israël étaient "le levain de la pâte", et il leur appartenait de faire bouger l'ensemble de la population. Une petite partie de ces agents étaient, on l'a vu, d'origine nord-africaine, mais la plupart d'entre eux se trouvaient dans un pays qu'ils connaissaient très peu, au sein d'une population qui leur était inconnue. Même leurs frères juifs pour lesquels ils étaient venus, avaient une mentalité très différente de la leur. Ces agents devaient adopter une nouvelle identité, se transformer en non-juifs, citoyens de différents pays du monde, changer leur manière de vivre, et renoncer à toute vie sociale. Il leur était interdit d'être vus en compagnie de personnes appartenant au groupe qu'ils étaient venus préparer à l'auto défense et à l'Alyah.

D'un côté, ils étaient en quelque sorte les agents d'un pays étranger, travaillant en coulisse et cherchant à passer inaperçus, et de l'autre, leur tâche consistait à œuvrer au sein de leur peuple, afin que leur activité soit concrète et que leur personnalité israélienne puisse rayonner sur ceux qui étaient en contact avec eux. Bien sûr, quelques personnes seulement entrèrent en contact avec le commandant de la Misguéret au Maroc. Le cloisonnement exige qu'un individu ne connaisse que peu de personnes de la même organisation, par crainte d'un "éboulement" au cas où l'un des membres du groupe serait arrêté. Les agents du Mossad devaient donc agir en secret. En examinant ce grand mouvement de l'Alyah du Maroc vers Israël de 1956 à 1963, on ne peut ignorer le fait que des milliers d'activistes qui ont œuvré dans la clandestinité ont traversé ces épreuves de manière professionnelle, et que leur dévouement à la cause de l'Alyah et la confiance qu'ils ont faite à des inconnus qui leur ouvraient la voie vers Israël ont été remarquables.

Les délégués d'Israël agissaient dans les quartiers juifs par l'intermédiaire d'activistes qui y vivaient et leur servaient  d"yeux et d'oreilles.

Neuf ans de ce travail clandestin ont prouvé de manière évidente qu'une synthèse et une interaction satisfaisantes avaient été trouvées. Ce qu'il y avait de particulier à cette clandestinité avait permis à ce travail d'acquérir la tension mentale qui poussait ces jeunes gens à l'Alyah, et à ceux qui exécutaient cette Alyah le sentiment de mission accomplie. On retrouvait dans ce travail en commun les conditions qui n'étaient pas sans rappeler l'épopée de la Hagana à la veille de la création de l'Etat d'Israël.

Nous avons décrit l'arrière-plan du travail des délégués d'Israël et des militants. Le lecteur connaît maintenant les conditions dans lesquelles ils allaient travailler, mais il nous faut aussi parler des organismes qui étaient à la tête de ces travaux, l'Agence juive et le Mossad.

Il existe un document montrant comment le département d'immigration de l'Agence juive (que nous appellerons dorénavant le département d'immigration) et le Mossad se sont unis pour une action commune. Ce document contient plusieurs articles décrivant comment un organisme civil et un organisme des services de renseignement quasi-militaire doivent fonctionner pour accomplir ensemble cette mission historique de grande envergure. Il est évident que la rédaction finale de cet accord a fait suite à des négociations sur le rôle et sur les responsabilités de chacune des parties, mais l'accord lui-même et le style des relations qui l'ont suivi pendant toutes ces années témoignent de la conscience qu'avaient aussi bien le département d'immigration que le Mossad de la nécessité de faire le maximum à la réussite d'une coopération sincère.

On peut affirmer aujourd'hui que non seulement l'opération elle-même en a tiré le plus grand profit et qu'avec le temps des relations harmonieuses de confiance mutuelle se sont développées entre ces deux organismes. Ces bonnes relations ont sans aucun doute joué un rôle important dans le dévouement des protagonistes, élément essentiel à la confiance que les Juifs de la diaspora accordent aux délégués d'Israël.

L'Etat d'Israël a un charme qui attire le cœur de tous les Juifs, il jouit auprès d'eux d'un énorme crédit – mais celui-ci n'est pas inépuisable. Pour le conserver, les délégués d'Israël doivent investir toutes leurs forces afin d'obtenir leur confiance et justifier ce crédit. Il leur faut sans cesse semer afin de pouvoir récolter. C'est ce qu'ont fait les membres de la Misguéret au Maroc, et c'est la raison pour laquelle l'ensemble des Juifs de ce pays ont accordé une confiance illimitée aux "sionistes"

et les ont suivis les yeux fermés. C'est seulement parce qu’ils ressentaient cette confiance que les émigrants ont pu suivre des chemins difficiles, et accepter la promiscuité et l'atmosphère suffocante, la peur des services de police surveillant les routes, les nuits dans des abris précaires. C'est cela seulement qui leur a permis d'accepter le passage de la frontière clandestinement, la mer agitée et les nuits sombres et silencieuses. Tout cela n'a pas été accompli par des héros entourés de gloire, mais par des hommes, des femmes et des enfants comme vous et nous.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo Juillet 2007-page 73-76

Michel Knafo-Le département d'immigration, le Mossad et autres organismes

Le département d'immigration, le Mossad et autres organismes

Depuis que Kadima, l'organe du département d'immigration, avait été dissous sur ordre des autorités du Maroc indépendant, l'émigration des Juifs vers Israël s'est poursuivie sous diverses formes. Ils quittaient le pays de manière légale ou illégale, avec l'accord des autorités ou malgré leur interdiction, par la négociation ou l'activité clandestine. Des caravanes plus ou moins grandes d'émigrants étaient organisées – recevaient des instructions nécessaires et on les transportait, clandestinement, au-delà des frontières. Derrière toutes ces activités la main directrice de l'Etat d'Israël.

La participation du département de la Alyah dans l'organisation de la sortie clandestine des Juifs du Maroc n'a pas été le fruit du hasard. Elle est née, et ensuite poursuivie, de manière toute naturelle, étant l'émanation de l'essence même du mouvement sioniste œuvrant en faveur de Sion, quant à l'autre partenaire il représentait la ligne officielle de l'Etat d'Israël qui agissait en faveur du rassemblement des exilés. On le sait, le département d'immigration était chargé de l'Alyah des Juifs déjà avant que naisse l'Etat d'Israël, et c'est encore sa fonction aujourd'hui. Ce sont là des considérations d'ordre général, mais dans le cas de la Alyah du Maroc, les choses ne pouvaient être si simples en raison naturellement de l'interdiction de sortie imposée aux Juifs.

Rappelons qu'un an avant la fermeture des bureaux de Kadima, des agents de l'Etat d'Israël oeuvraient déjà, au Maroc, avec la collaboration de l'élite de la jeunesse juive, à l'organisation de l'autodéfense. La fermeture des bureaux de Kadima a joué certes un rôle prépondérant dans l'interruption de l'activité sioniste. Les délégués de l'Agence juive ont donc dû quitter le Maroc lorsque la validité de leurs visas est arrivée à terme, mais en revanche, les autorités marocaines ont été dans l'impossibilité de mettre la main sur les agents de l'Etat d'Israël restés dans le pays.

Telle était la situation, et il était donc naturel que ces agents et les activistes de la Misguéret investissent leurs efforts, aient pris le relais de l'organisation de la Alyah clandestine à ses débuts. La volonté des Juifs de partir était plus forte que jamais, surtout à la suite des événements de cette période.

On comprend donc comment se sont associés ceux qui, depuis des années, l'Agence juive avait chargé de s'occuper de l'immigration, et les agents d'Israël venus enseigner aux Juifs du Maroc la fierté israélienne d'être indépendants. La collaboration du département d'immigration avec le Mossad fut donc la conséquence directe des événements. Le département d'immigration apporta à cette association sa longue et riche expérience dans l'organisation de l'immigration des Juifs vers Israël, ses relations avec les autorités portuaires et les compagnies navales et aériennes, et ses possibilités financières; le Mossad apportait son expérience du travail clandestin et ses hommes, recrutés essentiellement dans les rangs de Tsahal, dans les colonies agricoles et parmi les originaires d'Afrique du Nord.

A partir de 1956, la collaboration entre les deux équipes a été entière. Si au depart cette coopération fondée encore sur la négociation des droits et compétence  réciproques très vite devait régner une harmonie totale, grâce à la sagesse des dirigeants et au dévouement commun à la même cause.

La question toutefois peut se poser pourquoi un organisme de l'Etat d'Israël qui, par sa nature devait s'occuper de sujets tout différents, a été chargé de l'émigration des Juifs du Maroc. En approfondissant la question, à la lumière de l'expérience marocaine, on comprendra la différence entre l'immigration illégale en Erets- Israël à l'époque du mandat britannique, et l'immigration après la création de l'Etat d'Israël. En effet, dans le premier cas, l'entrée était interdite, mais les Juifs étaient libres de quitter leurs pays d'origine, alors que dans le deuxième cas, après la création de l'Etat d'Israël, avec l'accession à l'indépendance de différents pays arabes, les choses avaient changé. L'entrée en Israël était absolument libre, mais plusieurs pays fermaient petit à petit aux Juifs leurs frontières.

L'organisation devait subir des changements stratégiques mais fondamentalement le travail restait identique; aussi bien avant la naissance de l'Etat d'Israël qu'après, on ne pouvait renoncer au travail clandestin. Le front n'était plus le même, mais la clandestinité n'avait pas changé. Sur le nouveau front, la terre du Maroc, il était nécessaire de trouver les hommes adéquats de cristalliser de nouvelles méthodes et de faire appel à l'expérience. Les personnes qui semblaient aptes à préparer les Juifs du Maroc à l'autodéfense semblaient capables aussi d'organiser leur émigration vers Israël

C'est donc ainsi que se sont déroulés les événements. Le Mossad a été jugé apte à ce travail de par son expérience de la vie clandestine et anonyme qui est en fait son mode de vie.

Dans les conditions particulières qui régnaient au Maroc, il était nécessaire d'utiliser une méthode de travail fondée sur la notion de commandement et non pas sur une hiérarchie administrative, ce qui est la spécialité du Mossad.

Il fallait aussi trouver les instruments nécessaires. L'Etat major de la Misguéret à Paris a pris la direction du travail des nouvelles antennes: l'Alyah Beth – l'immigration illégale, et les mouvements de jeunesse pionnières – et à partir de fin 1961, aussi l'antenne de l'Alyah Guimel qui a succédé à la Alyah Beth.

Au cours des premières années de la collaboration, la répartition du travail entre le département d'immigration et le Mossad était la suivante: les aspects politiques, les négociations apparentes avec les différents organismes pouvant avoir de l'influence sur les questions d'émigration du Maroc étaient du ressort du département de la Alyah alors que l'aspect opérationnel et organisationnel de l'émigration des Juifs du territoire marocain relevait de la compétence de la Misguéret, c'est-à-dire du Mossad.

Globalement, on peut dire que la Misguéret était chargée de faire sortir les émigrants du sol marocain et de les mener à un des camps de transit à Marseille, Naples ou Gibraltar. A partir de là, et jusqu'à leur arrivée en Israël, ils étaient sous la responsabilité du département de la Alyah. Il est évident que toutes les dépenses de la Misguéret liées aux opérations étaient couvertes par le département d'immigration de l'Agence Juive.

Telle était, en ligne générale, la répartition du travail qui a été décidée en son temps et qui a effectivement fonctionné pendant des années. Inutile d'ajouter que la coopération exigeait souvent des consultations réciproques.

Il y avait aussi des camps de transit à Marseille, Gibraltar et à Naples, dirigés par des délégués du département d'immigration et de la Misguéret.

L'étroite coopération entre le département d'immigration et le Mossad s'est poursuivie même à la période de l'Alyah Guimel (opération Yakhine), mais la répartition du travail a subi des changements. Si on avait eu la certitude que les portes du Maroc resteraient ouvertes jusqu'à la fin des opérations, et que la sécurité des Juifs ne risquait plus d'être remise en question, le Mossad aurait pu se dégager de ses responsabilités et laisser toute l'activité sous la responsabilité du département d'immigration. Malheureusement, ce n'était pas évident, et la collaboration a continué plus ou moins dans les mêmes schémas

Le Mossad et le département d'immigration étaient les principaux protagonistes, presque exclusifs, dans l'organisation et dans la mise en pratique de l'émigration des Juifs du Maroc, mais il ne faut pas pour autant oublier la contribution des autres organismes: le Congrès juif mondial, en collaboration étroite avec l'Agence juive, et le ministère des Affaires étrangères d'Israël qui était en permanence lié aux consultations et aux décisions, et dont les fonctionnaires suivaient les événements du Maroc. Il y avait aussi HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) dont les dirigeants, aussi bien aux Etats-Unis qu'en France ont contribué à la promotion des négociations avec les proches du Palais royal avant le début de l'opération Yakhine, et ensuite pour l'application des accords.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo Juillet 2007-page 76-79

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- Se préparer à l’imprévu

Se préparer à l’imprévu

Tant que le Maroc se trouve sous protectorat français, l'entreprise sioniste s'y déroule ouvertement, comme dans d'autres pays de la diaspora. A l'Agence Juive, le département de l'immigration s'occupe du départ des immigrants vers Israël; le département de la jeunesse pionnière organise les mouvements de jeunesse et structure les groupes de colonisation agricole; les diverses formations sionistes rivalisent entre elles d'influence sur la communauté et de popularité auprès des jeunes.

L'immigration pour Israël est libre, et Kadima, le bureau de l'Agence juive organisant les départs pour Israël, fonctionne au vu et au su de tous.

Mais les tendances nationalistes arabes vont se renforçant, la lutte pour l'indépendance du pays s'exacerbe et une crise imminente pointe à l'horizon. Ce contexte ne manque pas d'influencer les responsables de l'administration française, qui se mettent eux aussi à freiner, voire à entraver, l'immigration juive. Néanmoins, des milliers de juifs immigrent alors en Israël avec des passeports en règle, comme tout ressortissant marocain libre de quitter à sa guise le pays.

La lutte pour l'indépendance nationale marque les prémices d'une époque lourde de danger pour les Juifs du Maroc. Il y a lieu de penser qu'avec l'accession à l'indépendance, les portes du pays se fermeraient. A ce contexte instable s'ajoutent les luttes pour l'indépendance, menées dans divers pays d'Afrique du Nord.

En été 1954, le Mossad est chargé d'organiser des cellules d'autodéfense au sein des communautés juives du pays. Au cours des mois de septembre-octobre 1955, des Agents du Mossad arrivent d'Israël.

Chargés de mettre sur pied ces cellules, ils ne savent pas encore quelle sera la structure de l'entreprise, son envergure, ni de quelle nature seront leurs rapports avec les communautés juives locales. Le danger est évident, mais la manière d'y résister reste assez confuse. En 1955, dans un Maroc sous protectorat français, les Juifs éprouvent donc encore un sentiment de sécurité, tout en se préoccupant de l'avenir.

Les Agents du Mossad, qui doivent – par la force des choses – œuvrer dans la clandestinité, constituent des exceptions dans une structure où, à priori, tout fonctionne normalement. Adiré vrai, ces émissaires fraîchement débarqués, devant agir en coulisses, sont malvenus aux yeux des gens en place: leurs prédécesseurs, les représentants de l'Agence juive, voient en eux des usurpateurs entravant la bonne marche du travail. Bref, les premiers émissaires de l'organisation Misguéret doivent affronter les affres que connaissent tous les pionniers d'une entreprise en devenir.

Il faut souligner que dans les pays arabes, l'organisation de cellules d'autodéfense avait déjà été tentée. Cette expérience apporte dans les pays d'Afrique du Nord une aide qui s'avérera instructive. L'une des premières mesures adoptées alors concerne l'instauration d'une organisation militaire touchant les procédures et le statut des militants.

L'organisation Misguéret affronte dès sa création, divers problèmes politiques ou autres – exigeant des solutions immédiates et touchant en particulier à la texture sociale et structurelle des communautés juives marocaines. Des réponses au jour le jour doivent résoudre la question des rapports avec les organisations communautaires et avec leurs notables. Il faut en outre adopter des procédures plus efficaces, choisir entre centralisation et décentralisation, et enfin fixer l'ordre hiérarchique dans le pays et dans les quartiers généraux fonctionnant à Paris et en Israël. En outre, il faut créer des stations radio et constituer des caches d'armes. Les années 1955 et 1956 peuvent être considérées comme une période de mise en place des moyens nécessaires et d'instauration d'un réseau de relations. Ce sont également – et ce n'est pas là le moins important – des années de formation à partir d'erreurs, d'échecs et d'expérience acquise. Autrement dit, cette époque peut être qualifiée de préparation rigoureuse en vue d'un avenir annoncé, d'une ère nouvelle dans la vie de ce grand pays, marqué par l'accession à l'indépendance. Les difficultés du début de l'organisation Misguéret sont perceptibles dans l'adéquation des agents à leurs fonctions; dans l'adaptation au travail en commun (certains agents sont renvoyés en Israël); dans la constance face aux dangers, à l'entraînement comme sur le terrain; dans le stockage d'armes légères et l'instauration de normes cérémonielles et sociales.

L'apogée de cette période est marqué par l'ouverture du premier stand de tir dans un bosquet ainsi que par le départ des premiers jeunes à un cours de formation aux postes de commandement. De ce brassage naîtra la structure de défense des Juifs du Maroc, qui adopte le nom de Gonen. Cette organisation connaîtra au fil des ans plusieurs appellations différentes, afin de mieux lui conserver son caractère confidentiel.

Peu à peu émerge l'organisation Misguéret dans les rangs de laquelle s'enrôlent des centaines de jeunes. Fort heureusement, le savoir qu'ils acquièrent et les armes qu'ils détiennent ne seront jamais utilisés. Mais la vie dans la clandestinité ne s'en poursuit pas moins. Par la suite, les responsables de l'immigration juive allaient se joindre à cette organisation. En effet, en 1956, avec l'accession du Maroc à l'indépendance, les portes se ferment devant les Juifs voulant quitter le pays. Le travail ostensible cesse, les bureaux de l'organisation Kadima ferment sur ordre du gouvernement, et les émissaires du département de l'immigration quittent le pays à l'expiration de leur permis de séjour et des visas apposés sur leur passeport.

Les Juifs marocains demeurent donc face à leur destin… Entrent alors en scène les agents d'Israël demeurés au Maroc dans la clandestinité. Le gouvernement marocain ne peut mettre la main sur ces derniers, qui sont prêts à assumer ce fardeau. Ni eux, ni ceux qui les ont envoyés, n'estiment alors à sa juste mesure le poids écrasant de cette entreprise, qui allait s'inscrire dans l'histoire du peuple juif et de l'Etat d'Israël.

La Misguéret clandestine, née pour la défense des Juifs du Maroc, prit aussi la responsabilité de leur émigration vers Israël. Avec le temps, des unités de Gonen prirent aussi part à ce projet. Le travail de la Misguéret fut divisé entre plusieurs sections, dont deux principales: d'abord Gonen, dont nous avons déjà parle, et la Makéla, dont le rôle était de faire émigrer les Juifs clandestinement vers Israël L'année 1956 fut cruciale. Ce fut alors qu'on décida pour la première fois que l'obéissance de la population juive aux édits et aux décrets n'allait pas de soi, et que certaines règles nouvelles furent établies.

La situation était la suivante:

  • 1- Des Juifs continuaient à partir pour Israël malgré les dangers et les souffrances que ces départs comprenaient.
  • 2 – Ceux qui partaient insufflaient un espoir de délivrance au cœur de leurs nombreux coreligionnaires qui restaient.
  • 3 – La désobéissance aux décrets et la lutte pour le droit à l'émigration vers Israël ont permis aux Juifs du Maroc de retrouver leur dignité.
  1. 4 – Le lien avec les Agents d'Israël, accomplissant leur travail tout en étant perpétuellement en danger, s'est renforcé au point d'arriver à une confiance illimitée, et durant cette sombre période Israël était devenu pour eux un phare. En fait, l'Alyah n'a jamais cessé, et petit à petit, une Diaspora tout entière s'est déracinée pour "monter" en Israël.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo Se préparer à l’imprévu

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

 

Trois périodes du travail de la Misguéret

Après la fermeture des bureaux de Kadima par les autorités marocaines, le travail de la Misguéret a connu trois périodes:

Les années 1956-1957

Ce furent les années de transition entre l'émigration légale et l'émigration clandestine. En 1956, il y avait encore des milliers d'émigrants bloqués dans le camp de l'Agence juive près de Casablanca (Appelé par les juifs du Maroc le Camp de Mazagan étant situé à 26 kms de Casablanca, sur la route de Mazagan), et des négociations se poursuivirent avec les autorités pour permettre leur sortie. A ces négociations participèrent diverses organisations, dont le Congrès Juif Mondial. Le gouvernement marocain céda aux pressions, et autorisa de temps à autre, le départ de groupes d'immigrants. Mais le camp se remplissait de nouveau, car d'autres y étaient introduits en secret par les hommes de Gonen. Mais en fin de compte le camp fut définitivement fermé au mois d'octobre 1956.

Les années 1957-1961

Ces années furent celles de l'Alyah Beth (Immigration illégale) – la deuxième étape de l'opération – durant lesquelles le flot d'émigrants diminua de beaucoup. La police surveillait de plus en plus les voies de sortie, et il fallait constamment en chercher de nouvelles.

La sortie se pratiquait par des voies illégales à travers les présides de Ceuta e: Mélilla, enclaves restées espagnoles après l'Indépendance, où ils arrivaient par voie de terre ou par mer. D'autres ont fait une route plus longue par mer, jusqu'.: Gibraltar. Des émigrants solitaires ou en longues caravanes furent arrêtés par le; garde-frontières, mis en prison et même quelquefois torturés. L'émigration ava:־ ralenti, mais elle ne cessa pas. Le naufrage de l'Egoz provoqua une très grand; émotion à tous ceux qui s'occupaient de l'Alyah, et au sort des Juifs. On peut dire que cette tragédie fut l'occasion d'un tournant, bien qu'il fallût attendre encore six mois pour voir la reprise de l'émigration et l'accord officieux des autorités marocaines.

Le naufrage de l'Egoz a servi d'indicateur dans les chemins tortueux de l'émigration du Maroc. Les faits qui étaient gardés sous silence jusque là devinrent publics. Il est évident que ce fut une terrible tragédie pour les Juifs marocains, dont beaucoup avaient des parents parmi les disparus, et ils se rendirent compte des dangers de !'émigration clandestine. Dans le monde aussi, la tragédie des Juifs de ce pays qui venait d'obtenir l'indépendance causa une forte impression. Les militants de la Misguéret furent très bouleversés, eux aussi, et il a fallu beaucoup de temps pour se remettre de ce coup terrible. Même les autorités marocaines comprirent la terrible signification du naufrage de l'Egoz.

Les cinq ou six années de travail clandestin qui avaient précédé le naufrage n'avaient pas été vaines. Le judaïsme marocain avait changé, et le prestige de l'Etat d'Israël et de ses émissaires s'était grandement accru. Les militants impliqués dans l'autodéfense et l'émigration étaient relativement peu nombreux mais l'écho de leur action avait été sans proportion et avait contribué à renforcer le sentiment de sécurité et de fierté des Juifs du Maroc. On voyait ça et là des personnalités juives réclamant la même liberté de circulation que pour les autres citoyens du pays.

Des tracts furent diffusés au cours de l'opération Bazak, naturellement organisée et supervisée par la Misguéret. Deux des diffuseurs furent arrêtés, et à leur suite. 18 autres militants de la Misguéret qui subirent dignement la détention et les interrogatoires de la police, il y avait donc une autre atmosphère au sein de la communauté juive. En fait, le naufrage non seulement n'avait pas dissuadé des Juifs qui voulaient fuir par mer, mais leur avait fait comprendre qu'il n'y avait aucun espoir de vie en diaspora. Beaucoup de Juifs simples et candides continuèrent à emprunter des voies difficiles vers l'inconnu, ils acceptèrent toutes les souffrances avec amour et allèrent vers la mer récitant des versets des Psaumes.

  1. Les années 1961-1964

Ce fut une période d'émigration légale avec l'accord des autorités marocaines, qui eut le nom d'opération Yakhine. Il aura fallu, bien entendu, un certain temps pour s'adapter à une situation qui n'était plus secrète – elle était admise sans être tout à fait officielle. L'opération Yakhine dura de novembre 1961 jusqu'à fin 1964, durant laquelle environ quatre-vingt dix mille Juifs quittèrent le Maroc. On peut dire que la majorité des Juifs du Maroc se sont installés en Israël. En un laps de temps relativement bref, le judaïsme marocain a donc cessé d'être une diaspora susceptible de préoccuper l'Etat d'Israël sur le plan de sécurité.

Pendant toutes les années de la Alyah clandestine, des négociations se sont poursuivies avec les autorités marocaines afin d'assurer le droit des Juifs de quitter librement le pays, ainsi que le stipule la constitution, et ainsi que l'affirme publiquement le gouvernement. Avec les milieux de l'opposition, les contacts n'ont jamais été interrompus. Les leaders du judaïsme marocain, eux aussi, ont compris que l'Alyah était devenue inévitable. Soit qu'ils affirmaient leur <volonté à haute voix, ou qu'ils la réservaient seulement à des cercles intérieurs, il n'y avait plus aucune raison de l'ignorer. Si certains milieux juifs avaient autrefois cherché l'intégration au peuple marocain, cette option ne correspondait absolument plus à la réalité. Le mouvement de rapprochement judéo-musulman le "Wifaq", affilié au parti de l"Istiqlal", avait cessé d'attirer les intellectuels juifs dans ses rangs.

Après le naufrage de l'Egoz et la visite de Abdul Nasser à Casablanca, la distribution de tracts de protestation au cours de "l'opération Bazak", et l'arrestation d'une vingtaine de militants de la Misguéret, il était devenu évident que l'Alyah était la seule issue possible, au point de devenir la principale, sinon l'unique revendication de la rue juive.

Lorsque les différentes branches de la Misguéret, Gonen, la Makéla et le service de renseignements ont pris de l'essor, ce débat n'est pas resté stérile car les faits ont décidé de son sort: la pression croissante sur les portes de sortie qui se faisait de plus en plus forte, l'infiltration d'émigrants cherchant à atteindre les frontières, les vieillards, les groupes de femmes et d'enfants qui affrontaient les difficultés des chemins, étaient arrêtés et déférés devant les tribunaux – tout cela était en quelque sorte une preuve qu'il n'y avait pas d'autre issue. Les négociations se déroulèrent aussi sur un autre plan.

Les représentants du Congrès juif mondial ont aussi tenté, à plusieurs reprises, d'y prendre part, d'avoir des contacts avec des membres du gouvernement, avec le roi et ses proches. Il y a eu des promesses, des tergiversations: "Le roi est en déplacement… Le gouvernement est en crise… Nous sommes à la veille des élections…" Toutes ces réponses sont connues d'autres régions, d'autres époques de l'histoire juive, et il n'était pas possible d'arriver à un accord sérieux. Et si les Juifs avaient attendu la fin des ces débats (qui étaient menés en accord avec l'Agence juive et le ministère des Affaires étrangères d'Israël) on en serait encore aujourd'hui à attendre. Ce qui vient d'être décrit correspond à la période qui a duré jusqu'à fin 1961. Année où a débuté l'opération Yakhine, appelée aussi Alyah Guimel. Au cours de l'été de cette même année, des négociations difficiles ont été menées avec des Hautes personnalités du Maroc afin d'obtenir l'autorisation rour les Juifs d'émigrer, et il était question d'un nombre important de candidats au départ. Il y a eu à cette époque des périodes d'espoir et d'autres où l'on doutait de la réussite. Ceux qui étaient de l'autre côté de la table des délibérations n'ont jamais éveillé chez nous à cette époque une confiance totale, et bien que la promesse ait été faite de permettre à des dizaines de milliers de Juifs d'émigrer en l'espace de quelques mois, le doute ne nous a jamais quittés. Les nombreux télégrammes envoyés du Maroc à Paris et en Israël et vice-versa témoignent d'une grande anxiété aussi bien que de l'enthousiasme à la suite d'un engagement obtenu. Telles ont été les voies sinueuses des négociations qui ont précédé l'époque de l'Alyah Guimel. Etant donné qu'on considérait que des dizaines de milliers de juifs quitteraient le territoire marocain en l'espace de quelques mois, fallait-il taire la grave question de la confiance qu'avaient les responsables des négociations, et ceux qui représentaient les intérêts juifs au Maroc quant à ce nombre de partants?

Ces milliers de juifs étaient vraiment désireux d'émigrer? N'allait-on pas découvrir au dernier moment qu'on avait travaillé en vain? Pendant toutes les années de l'émigration, les militants avaient l'impression de marcher sur une corde mince et raide, et la justification de leur action était la "volonté générale" de la population juive d'aller vivre en Israël.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel —page82-85 Knafo

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

Les méthodes de travail de la Misguéret

Avec le temps, le travail de la Misguéret s'est ramifié, mais son activité essentielle est restée l'Alyah. Par ailleurs, il y avait aussi le travail des cellules de Gonen chargées de l'autodéfense. Des ces deux activités, d'autres, plus secondaires ont pris leur essor pour les servir: le service de renseignement et la "branche civile". En effet, en réaction aux intentions du gouvernement d'en terminer avec l'activité de la Misguéret, et face à la surveillance et à la poursuite des services de police marocains, on était dans l'obligation de donner "des yeux" et des oreilles à la Misguéret.

Le quartier général installé à Tel-Aviv dirigeait l'activité des Etats Majors montés à Paris et au Maroc. L'activité au Maroc ne représentait qu'une partie, bien qu'essentielle, de la responsabilité de l'état-major à Paris qui était chargé aussi de l'autodéfense des communautés juives en Tunisie et en Algérie. Ces deux bureaux avaient plusieurs antennes. La transmission des informations et des ordres se faisait par des stations-radio situées sur le terrain et à l'arrière, et par l'intermédiaire de messagers qui transportaient du matériel dans différentes sortes de contenants. Après les premières investigations, des volontaires ont été recrutés dans le cadre de la Misguéret. Le travail a pris de l'ampleur, le nombre des recrues a augmenté, on a nommé des commandants régionaux. Les recrues ont été entraînées dans l'usage d'armes légères. Les plus doués étaient envoyés à des stages en France, et en Israël où ils étaient préparés à des postes de commandement. A leur retour au Maroc, ils prenaient une part plus active aux opérations. Petit à petit, l'élite fut choisie, le travail devint plus systématique et le plus important était la motivation des recrues et leur identification avec leur mission, condition sine qua non de toute grande entreprise humaine.

Malgré le cloisonnement rigoureux entre les cellules, indispensable dans toute organisation clandestine, tous les membres de Gonen ressentaient le même esprit d'équipe et de fierté de corps.

Cette description est surtout valable durant les premières années de l'Indépendance du Maroc. Il était naturellement difficile de prévoir quel serait l'avenir, car les inconnues étaient nombreuses, et l'anxiété était inévitable. Il est naturel pour l'homme d'être plus anxieux face à l'inconnu ne sachant quelles manœuvres il devra utiliser pour l'affronter alors qu'une attaque claire et franche exige la mobilisation de moyens nécessaires à sa défense.

Ce qui s'est passé plus tard a confirmé cette appréciation. L'atmosphère qui régnait au sein de la population avait été examinée, et la situation politique avait été pesée. On savait aussi par expérience ce qui était déjà apparent: le danger pour les Juifs avait différentes origines, mais il n'y avait pas de péril physique immédiat.

Les conclusions qui s'imposaient étaient qu'il fallait faire sortir les Juifs du territoire marocain et les faire immigrer en Israël.

La conclusion militaire opérationnelle a été la création d'une branche supplémentaire chargée de l'immigration clandestine en Israël, tandis que la conclusion civile a été de varier les méthodes de travail de la Misguéret. On comprend donc que Gonen et la Makêla ne représentent pas deux fonctions différentes, mais bien une seule et même mission.

Le nouvel objectif dont la Misguéret a été chargé exigeait de nouvelles recrues trouvées essentiellement parmi les membres des mouvements de jeunesse sionistes, et parmi les volontaires de la communauté juive. La communication avec les familles d'émigrants de l'Alyah Beth se faisait à l'aide de ces nouvelles recrues. Pour le transport des familles, la protection des itinéraires, et pour l'étape anale de l'opération à l'approche de la frontière ou de la côte, on mobilisait les membres de Gonen et de la Makéla. La nécessité du cloisonnement, de crainte de "grillage" et d'arrestations en masse, obligeait à limitér les contacts au strict nécessaire, en particulier entre les militants de Gonen et de l'Alyah clandestine. Il ne faut pas oublier, en effet, de souligner que les peines encourues pour tentative d’immigration illégale étaient nettement plus légères que celles qui étaient imposees pour l'appartenance à une organisation de défense, considérée comme une atteinte à la sécurité de l'Etat.

Les membres des mouvements de jeunesse "prêtés" à l'émigration clandestine étaient engagés à plein temps jusqu'au jour de leur propre Alyah en Israël Les jeunes gens et les jeunes filles recrutés restaient en contact avec les mouvements de jeunesse dont ils étaient issus, afin de ne pas apporter atteinte à leur préparation éducative et idéologique. Ce système leur a permis une "vaccination" contre une vie aventureuse durant l'adolescence, tout en préservant l'entité des groupes de préparation à l'Alyah, édifiés à si grand-peine.

L'évaluation des objectifs en vue desquels les jeunes gens avaient été recrute; et la mission sacrée qui leur avait été impartie ont permis à leurs chefs de tenir coup dans les situations difficiles qu'ils ont dû affronter. En fin de compte, il devait s'avérer que les deux parties, la Misguéret et les Mouvements de Jeunesse, en sortaient enrichis et renforcés.

La poursuite des services de sécurité marocains contre la Misguéret

Les services de sécurité marocains filaient les membres de la clandestinite opérant occasionnellement des arrestations, ont mené des enquêtes accomragnees parfois de tortures, déférant devant la justice de nombreux immigrants illégaux et membres de la clandestinité interceptés.

Par prudence, le mouvement clandestin faisait partir à l'étranger ceux qui étaient "brûlés" de même que les activistes libérés sous caution dans l'attente de leur procès. Bien que leur absence ait rendu le travail plus difficile, celui-ci ne  s'est jamais arrêté, même en période de grave avalanche, comme lors de l'opération Bazak en février 1961.

Il y a eu donc des bouleversements plus ou moins importants qui ont provoque, de

temps à autre, l'interruption des activités. N'oublions pas non plus que les services de sécurité marocains, n'avaient pas encore eu le temps de s'organiser et avaient bien d'autres préoccupations en dehors du mouvement clandestin juif.

Les tribunaux n'ont pas dépassé les limites en fait de procès tendancieux. Même en infligeant des condamnations sévères pour des raisons politiques, ils l'ont fait sans exagération. Toutes les personnes arrêtées et jugées ont eu droit à un défenseur, les salles des tribunaux étaient ouvertes au public, et l'écho de la tragédie juive n'était plus un secret pour personne. Ceci n'est pas dit pour amoindrir en quoi que ce soit les épreuves difficiles auxquelles ont été exposés les détenus. Nous avons déjà dit qu'il y a eu des tortures, même très cruelles. Il est même possible que l'un des torturés, Raphi Vaknine, soit mort à la suite de ces tortures, tandis que son compagnon de cellule, Méir Knafo, a été hospitalisé à Meknès dans un état très grave. Il n'existe naturellement rien qui puisse dédommager d'une souffrance, mais le XXème siècle nous a donné une "plus grande culture" en matière de souffrance humaine, et ce qui est dit ici doit être pris dans ces proportions.

Certains émigrants aussi ont été arrêtés. Il fallait que les représentants de la loi fussent complètement aveugles pour ne pas se rendre compte de l'effervescence qui régnait dans les quartiers juifs, quand des familles entières quittaient l'endroit où elles avaient vécu pendant des siècles, liquidant au plus vite leurs affaires et prenant la route. Les réponses que les émigrants tenaient prêtes en cas d'arrestation étaient pourtant très banales. Le plus souvent ils répondaient aux enquêteurs qu'ils faisaient route vers la tombe d'un saint rabbin ou qu'ils allaient à un mariage ou à une hiloula – et autres réponses de ce genre adaptées à la vie juive marocaine. Pourtant, lorsque ces réponses banales reviennent trop souvent, elles éveillent les soupçons. Il ne faut sans aucun doute pas oublier le fait qu'il s'agissait d'un mouvement populaire qui avait sa propre logique, et aucune méthode de la clandestinité ne pouvait y mettre un frein.

Les convois interceptés étaient parfois contraints de rebrousser chemin et parfois arrêtés et soumis aux interrogatoires de police. Le renvoi au point de départ était une épreuve cruelle; il fallait à nouveau parcourir des centaines de kilomètres, vers ce qui était encorte hier sa maison, mais aujourd'hui en rentrant, on la trouvait habitée par d'autres, souvent une famille musulmane. Ainsi, en un jour, l'émigrant renvoyé à son point de départ cessait d'être chez lui dans le pays de ses pères, et devenait un déraciné qui avait besoin d'aide de personnes charitables.

Dans certains cas, les personnes renvoyées chez elles étaient rassemblées sous un même toit provisoire, un garage, une école ou un autre bâtiment vide jusqu'à ce qu'une décision soit prise à leur sujet et que les hommes de la Misguéret leur trouve de nouvelles filières de sortie. Les militants et les délégués d'Israël qui les ont rencontrés peuvent raconter les déboires de familles ayant traversé ces épreuves à plusieurs reprises, et qui, lorsqu'on leur demandait si elles étaient à nouveau prêtes à reprendre la route, répondaient à peu près de cette manière: "Que les sionistes décident pour nous ce qu'ils jugent pour le mieux. Nous savons qu'ils nous amèneront en Terre sainte." Cette foi aveugle dans les délégués d'Israël et dans les militants de la Misguéret provenait d'une aspiration très ancienne à la rédemption. Le marteau avait donc trouvé l'enclume.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo-page 85-89

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