Les juifs de C.-Bechar-J.Ouliel


Jacob Ouliel-Les juifs de Colomb-Bechar-LA VIE RELIGIEUSE des JUIFS BECHARIENS

 

LA VIE RELIGIEUSE des JUIFS BECHARIENS

La vie des Juifs de Colomb-Béchar, très tôt constitués en communauté, grâce à la pré­sence des premiers rabbins, Rabbi Eliahou Benitah et Abraham Dahan, qui officiaient vers 1920, fut par la suite organisée autour des synagogues, que les uns, fortement arabi­sés, appelaient ‘ssla (mot d’origine arabe dérivé de salli, prier), une minorité ayant conservé snougha (prononcer : snouRa), déformation par le portugais du mot grec syna- goga.

Les édifices religieux israélites ne se distinguaient en rien des autres constructions, la loi islamique applicable aux Dhimmis ayant depuis toujours interdit qu’ils pussent rivaliser en hauteur et magnificence avec les mosquées. Elles étaient donc d’une architecture sobre, voire neutre, le portail d’entrée donnant sur une cour intérieure, qu’il fallait tra­verser pour accéder à la salle de prière, elle-même fort simple et donc sans artifice, sans luxe ni décoration en dehors de quelques lustres et des rideaux brodés de l’arche sainte. Au centre d’une grande salle, la chaire surélevée d’où le rabbin officiant dominait l’as­semblée des fidèles répartis sur plusieurs rangées de bancs.

La communauté se partageait entre les cinq synagogues, dirigées chacune par son rabbin attitré, dont Rabbi Itzhak Attia, Rabbi Mes’od Cohen, Rabbi ‘Nina Asseraf et les rabbins Abehssera tous descendants de Rabbi Ya’cob Abihssira : Baba Haïm, Babassou (Rabbi Youssef) et, le plus prestigieux, Rabbi Chalom Abehssera grand-rabbin de la commu­nauté.

Rabbi Youssef Amouyal, appelé familièrement Bassou était chargé du Talmud-thora et Rabbi Mes’oud Assouline faisait fonction de hazane-sacrificateur.

La Communauté bécharienne eut à sa tête d’éminents présidents, tour à tour Babaya (Baba Iahia) Amouyal, Baba Simon Bénitah (surnommé le Caïd des Juifs en souvenir, probablement du temps où les communautés juives du Maghreb, avaient un représentant désigné, Cheikh lihoud, auprès des autorités musulmanes dont elles étaient tributaires). Jacob Sebban fut le dernier président de notre communauté.

Le titre Baba était une marque de respect réservée aux anciens placés à la tête de la communauté et qui en étaient devenus les notables.

Synagogue Benitah-Amouyal (rue Lieutenant Jaeglé)

La porte «en arc brisé à deux centres (…), inspirée de l’art marocain et construite (en 1924) par l’un de ces tafilaliens dont le grand-père avait fait son apprentissage à Fez (…) donne accès à l’une des plus belles synagogues construites à Colomb-Béchar ; elle est placée sous la protection du vénéré Simon Benitah.. Elle porte sur sa façade l’inscription hébraïque suivante : «Béni qui entre, béni qui sort» C’est dans cette synagogue qu’officiait le Grand-Rabbin Chalom Abehssera.

Synagogue Asseraf était située rue Lieutenant Ferrand ; ses rabbins furent successivement Rabbi Youssef Abehssera (Babassou) et Rabbi Anina Asseraf. Ce dernier s’est illustré particulièrement en tant que scribe de la communauté : durant sa vie, il aurait réalisé plusieurs dizaines de sépharim (rouleaux de la Thora contenant les cinq livres du Pentateuqué).

Pour se rendre compte de la valeur de la performance – tout à fait considérable – il faut savoir qu’en transcrivant au qalm -(morceau de roseau taillé en forme de plume)-, une année de travail, en moyenne, est requise pour écrire, sur parchemin, chaque rouleau.

Synagogue Azeroual se trouvait dans la rue Isabelle Eberhardt ; elle eut tour à tour pour rabbin-officiant, d’abord Rabbi Itzhak Attia, puis Rabbi Igou [Jacob] Kaouib Amouyal. 

Synagogue Tordjman située rue Lieutenant Ferrand, cette synagogue, la première en date (?), avait un rabbin prestigieux, Rabbi Baba Haïm Abehssera, les cours de Talmud-Thora étant assurés par le rabbin Youssef Amouyal, familièrement appelé Bassou ben Immo.

Synagogue dite de Kenadza. ou synagogue du Rabb, consacrée à Rabbi Sim’on Bar Yohaï, fut édifiée entre 1910 et 1915 et décorée artistement par un membre de la com­munauté, venu de Kenadza, M. Yonathan Benharrouch.

Rabbi Itzhak Attia (1903-1964), originaire de Rissani où il fut un disciple de la yéchiva créée par Rabbi Ya ’akov Abehssera, était le rabbin en titre de la synagogue de Kenadza ; il était appelé affectueusement Bahaki Hazan ou, avec déférence, Rabbi ‘Anina.

La synagogue de Kenadza était celle des Bénichou et de tous les héritiers des Juifs touatiens appartenant à la communauté de Kenadza.

La synagogue Aboukrat fondée en 1956 eut pour ministre-officiant Rabbi Eliahou Cohen, qui était venu à Colomb-Béchar en tant qu’aumônier militaire, et dont le père, Rabbi Mess’oud Cohen, formé à Colomb-Béchar, fut le rabbin d’Ain Témouchent durant un quart de siècle.

Construites dans un style «mauresque» qui rappelait la synagogue médiévale el-Transito de Tolède, quelques-unes de ces synagogues témoignaient ainsi de l’existence de liens fort anciens entre cette population juive et l’Espagne dont les ancêtres étaient issus. Parmi les rabbins qui ont animé la vie communautaire bécharienne, il faut citer Rabbi Mess’oud Assouline, dont il sera question un peu plus loin.

La communauté juive bécharienne est devenue légendaire par la ferveur de sa pratique religieuse et une parfaite connaissance des textes sacrés de la part de nombre des siens : le R.P. Duvollet, dans un de ses ouvrages, s’est émerveillé de ce «voisin marchand de chaussures», un Juif originaire du Tafilalet, «capable de prendre au vol n ’importe quel fragment de la Bible et de poursuivre» de mémoire… Or, c’était loin d’être un cas unique. Particulièrement vivante et dynamique, la communauté s’attachait à transmettre ses valeurs : elle organisa les cours de Talmud-Thora pour les enfants et un mouvement à’ Eclaireurs Israélites pour les adolescents. Elle assurait surtout son organisation interne pour faire face à tous les événements importants de la vie, conformément aux rites et tra­ditions judaïques :

au moment des naissances, la maman juive était assistée d’une sage-femme d’expé­rience, la très compétente, célèbre et vénérée Meryem (Miryam), qui a mis au monde des générations de bébés juifs nés à Colomb-Béchar" ; tous les Juifs béchariens, «ses enfants», l’appelaient avec respect et affection Lalla Mrima.

La brith mila était célébrée à la synagogue, le rabbin, devenu «moel» pour l’occasion, se chargeant de pratiquer l’opération délicate de la circoncision.

Il faut ici rappeler que dans les premières décennies d’existence de la communauté juive bécharienne, la mortalité infantile, importante, incitait les parents à mêler religion et magie, voire sorcellerie : pour préserver l’enfant, ils le munissaient d’amulettes rédi­gées par des érudits ou des rabbins. C’est à cette époque qu’ont fleuri les prénoms I'ich ou Yahia (qu’il vive!), Makhlouf (remplacé)

la bar-mitzva donnait lieu à des fêtes et réjouissances extraordinaires, précédées de la cérémonie d’intronisation à la synagogue : devant les fidèles rassemblés, l’adolescent était reçu au sein de la communauté, dont il allait désormais faire partie, avec le droit de porter le taleth et les tephilin (phylactères), de monter au sepher…

Les mariages étaient célébrés à la synagogue, sous l’égide d’un rabbin et selon «la loi mosaïque», puis les festivités pouvaient commencer. C’était l’occasion de voir une image de Juifs béchariens bons vivants, fort éloignée de la réputation fausse de gens lugubres ; en effet, ils savaient se réunir, danser et chanter de beaux textes en judéo-anda­lou, l’animateur attitré étant le musicien et chanteur David Dahan, familièrement, Doudou ‘Anna.

Jacob Ouliel-Les juifs de Colomb-Bechar et des villages de la Saoura 1903-1962 – page55-58

Jacob Ouliel-Les juifs de Colomb-Bechar et des villages de la Saoura 1903-1962

Colomb-Bechar

Les cérémonies funèbres

Le Cimetière israélite était situé de l’autre côté de L'Oued Béchar, au lieu-dit Zakour, un ancien ksar dont nous avons déjà parlé, et qui se trouvait sur la rive gauche de l’oued, à 4 kilomètres du centre de la ville de Colomb-Béchar : c’est à cet endroit que furent retrouvés les corps de Rabbi Shlomo bar Berero, rabbin de Tamentit vers 1490-1492, et de son fils Isaac.

La HEBRA KADICHA

C’est le nom hébreu de l’équipe de bénévoles chargés des derniers devoirs ; dans la tra­dition juive, les communautés se chargent de trouver et, au besoin, de former ceux qui s’occupent de la toilette des défunts, de leur transport et de leur inhumation.

Parmi les membres, tous dévoués, efficaces et discrets de la confrérie, Messieurs Makhlouf Maman, Jacob Teboul, Abraham Melloul, Yahia et Salomon Amar, Joseph et Isaac Amouyal, Joseph Benchetrit, Yahia Tordjman, Meyer Benhamou, Elie Aboukrat, Jacob et Salomon et R. Youssef Bénichou ; ce dernier, personnalité éminente de la communauté, présida durant quarante années la Hébra Kadicha, dont le rabbin attitré était Rabbi Itzhak Attia..

La Hébra Kadicha agissait sous le haut patronage spirituel de Rabbi Sim’on bar Yo’haï, Maître de la Kabbale et auteur du Zohar. Evidemment, elle pouvait compter sur l’aide matérielle de la communauté. Parmi les bienfaiteurs il faut citer M. Bellalou qui réalisa à ses frais une installation complète d’adduction d’eau courante au cimetière, ce qui ne fut pas une mince affaire, compte tenu de l’éloignement ; d’autres manifestaient discrète­ment leur générosité, comme M. Bach, fournisseur à titre gracieux des outils de terrasse­ment.

Malgré la gravité de la mission, la Hévra Kadicha eut l’occasion, dans l’exercice de son activité, de se trouver dans des situations pour le moins inattendues, ou de vivre certains incidents, qui, aujourd’hui, peuvent prêter à sourire ; en voici deux rapportés par Emile Teboul, dont le père, Monsieur Jacob Teboul, fut longtemps un des piliers de la Hévra Kadicha

1-Si le lecteur veut bien se rappeler que le cimetière israélite de Colomb-Béchar se trou­vait à environ 4 kilomètres au sud de la ville, sur la rive gauche de l’Oued Béchar, il com­prendra qu’à une époque où les hommes devaient s’y rendre à pied ou avec des voitures hippomobiles – avant d’aller à leur travail -, il leur fallait partir vers les 4 heures du matin. Or, un jour, que M. Jacob Teboul, s’était levé aux aurores, il voulut, en attendant l’arrivée de ses compagnons, leur préparer le café : il alluma pour s’éclairer sa lampe à acéthylène, qui aussitôt explosa. Aveuglé quelques instants, il n’eut que le temps de se passer un peu d’eau sur le visage avant de se mettre aussitôt en route, avec ses compa­gnons qui venaient d’arriver.

Jacob Teboul pensa à faire constater et soigner ses blessures au retour du cimetière, une fois la tâche sacrée accomplie.

2-A une autre occasion, l’équipe de la Hébra Kadicha, qui était arrivée au cimetière de très bonne heure, avait dû travailler longtemps quand elle décida de faire une pause ; on sortit les ustensiles nécessaires, les verres, le sucre, la menthe, mais le thé avait été oublié. L’un des ouvriers-fossoyeurs, musulman qui habitait à peu de distance de là, proposa d’aller en acheter. Plus d’une heure plus tard, il n’était pas revenu ; il fut décidé d’envoyer quelqu’un à sa rencontre. Mais celui-ci revint bien vite alerter ses compagnons : une crue soudaine de l’Oued Béchar interdisait le passage de l’homme retenu sur l’autre rive. L’équipe se munit de la seule corde à sa disposition et alla, après l’avoir attachée solide­ment à un arbre, lancer l’autre bout à l’homme qui devait les rejoindre. L’opération était sur le point de réussir quand la corde se rompit : impuissants, ils virent leur malheureux compagnon emporté par les flots en furie.

Note de l'auteur: M. Youssef Bénichou, fils deYa’acov, né à Kenadza en 1889, est décédé en 1971à Beer Sheva, en Israël.

Que faire? Ils suivirent le cours de l’oued avec l’espoir, au moins de retrouver la dépouille de leur infortuné compagnon et de la ramener à sa famille. Ils marchèrent plusieurs heures avant d’apercevoir, stupéfaits et heureux, l’homme, bien vivant : il embrassait de toutes ses forces un tronc d’arbre que les eaux avaient charrié et qui avait été arrêté dans sa progression par des rochers. Enfin délivré, l’homme leur remit le sachet de thé qu’il serrait encore dans une main !

Rabbi Shlomo bar Berero

Rabbi Shlomo Bar BERERO, dont le nom est attesté au Maroc sous cette forme ou la variante Bar Beriro. 

Rabbi Shlomo bar Berero était vraisemblablement un descendant de ces rabbins espagnols réfugiés au Maghreb après les persécutions de 1391 dans la péninsule et qui ont trouvé refuge à Alger (Rabbi Isaac Bar Sheshet et Rabbi Sim’on Bar Semah Duran), Tlemcen (Rabbi Ephraïm Enkaoua, le RAB) ou au Sahara (à Biskra, Ouargla, Touat…)

 Rabbi Shlomo bar Berero était le rabbin de Tamentit vers la fin du XVe siècle. Quelques années avant le désastre de 1492, les responsables, désireux de protéger leur rabbin, le firent partir vers le nord, sans doute pour le placer sous la protection des communautés avec lesquelles le Touat avait encore des liens. Rabbi Shlomo bar Berero était accompagné de son fils Isaac. Selon la tradition les deux voyageurs se rendaient sur le littoral, à Oran, quand tous deux seraient morts de soif à proximité du ksar de Zakour, à 4 km au sud de factuel Béchar

«On découvre enfoui sous les dunes les murs en pisé d’un ancien qçar connu sous le nom de Zakour ou Zekoum : n ’aurait-il pas abrité une communauté juive ?» Le rabbin et son fils furent enterrés à l’endroit même où furent découverts leurs corps, sans doute par des Juifs du pays, habitants de Kenadza ou de Zakour. A moins que la fondation de ce dernier village ne soit postérieur aux événements dont il est question : en effet, il pourrait avoir été fondé à cet endroit, précisément pour rappeler cette tragédie, puisque le mot hébreu זכור signifie «mémoire, souvenir».

La communauté juive de Béchar – venue du Tafilalet après 1903, nous le savons – a bâti autour de leurs tombes un mausolée, qui se trouve à l’entrée du cimetière israélite de la ville. «Le cimetière juif de Colomb, situé sur la rive gauche de l’oued Béchar, immédiatement en amont du vieux Zakour à plus de quatre kilomètres de l’agglomération, a une origine ancienne. Des Saints avaient depuis un temps immémorial leurs tombeaux sur son emplacement actuel : c’étaient les saints Salomon bar Berero et son fils Isaac»

Le nom du rabbin de Tamentit, Shlomo bar Berero, considéré désormais comme le saint patron de la ville de Béchar (en arabe : Moula B ’char), était invoqué et vénéré tout à la fois par les Juifs et par les Musulmans de la région.

«une vision mystérieuse frappait les visiteurs du cimetière qui abrite la sainte dépouille de R. Shelomoh Bar Beriro : un chameau et un homme tenant une outre et une tasse, près de la sépulture, qui disparaissaient au fur et à mesure que l’on s’en approchait…»

«la protection des saints s’étend également sur la collectivité juive et sur les mellahs (…)R. Shelomoh Bar Beriro brandissait une canne contre les ennemis des Juifs.»

 Quand les deux hommes furent retrouvés morts de soif par des gens du pays ; les Juifs de Kenadza se chargèrent de les enterrer à l’endroit-même où ils furent découverts. Rabbi Youssef ben Abraham, le grand-père de M. Jacob Benichou, si souvent cité ici, a rédigé un PIYYUT (conte poétique) à la mémoire de Rabbi Shlomo bar Beriro ; il avait entendu par- 1er de ses miracles et de sa sainteté. Il avait, notamment, entendu le récit des circonstances dans lesquelles le saint avait reçu sa sépulture : un HAKHAM (savant) l’aurait, à plusieurs reprises, vu et entendu, dans ses rêves, supplier qu’on donnât une sépulture à ses restes. Il alerta les gens de Kenadza.

Plusieurs siècles plus tard, lorsque la communauté juive bécharienne constituée eut besoin d’un emplacement pour son cimetière, elle choisit cet endroit et y fit construire le mausolée pour abriter leurs tombes ; le nom arabe Moula Béchar du saint-patron deviendra celui du cimetière.

Jacob Ouliel-Les juifs de Colomb-Bechar et des villages de la Saoura 1903-1962 – page 61

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