Tehila le David.R.D.Hassine


Tehila le David.R.D.Hassine-SYNAGOGUES

TEHILA LE DAVID

Poemes de David ben Hassine

Le chantre du judaisme marocain

תהלה לדוד 001Edtion critique etablie et annotee par

Andre E. Elbaz et Ephraim Hazan

Pour la premiere fois dans l'histoire des letters juives, l'oeuvre poetique complete d'un paytan marocain, replace dans son contexte historique et litteraire, fait l'objet d'une etude systematique, destinee aux specialistes comme au grand public.

SYNAGOGUES

A partir du XVIIIe siecle, le mellah de Meknes est desservi par une vingtaine de synagogues,132 qui portent le nom de leur proprietaire, ou d'un rabbin celebre, et dont l'aspect n'a guere change jusqu'a nos jours. Ce sont souvent de modestes salles amenagees dans un appartement, eclairees par les nombreuses lampes a huile qui pendent du plafond, ou prient de cinquante a cent fideles. Une seule synagogue a prevu une 'azara, ou galerie pour les femmes, au grand scandale des puristes. (La galerie des femmes de la synagogue "Rabbi Shemouel Ben Wa'ish", construite au debut du XVIIIe siecle par le naguid Moshe Ben 'Attar, malgre l'opposition des rabbins (Yossef Messas, .(1:33 ,אוצר המכתבים 

[1]        Comme la taqqana promulguee a Meknes en 1708 (cf. תקנות חכמי מכנאס, op. tit., p. 410), celle qui est contresignee par David Ben Hassine en fevrier 1792 interdit de creer de nouvelles synagogues au mellah (voir ci-dessus, note 98 Un siecle plus tard, Meknes a 19 synagogues (אגרת יחם פאס״", op. tit., 1:136), probablement le nom- bre maximum permis, puisque Yossef Messas n'en compte que 18 au debut du XXe siecle (1:18-39 ,אוצר המכתבים). A titre de comparaison, on denombre a la meme epoque quinze synagogues a Fez, dont une seule est communautaire, toutes les autres etant des synagogues privees ("אגרת יחם פאס", p. 130), et quatre seulement a Tanger (משא בערב, pp. 35 et 39).

 La synagogue sert souvent de local pour une yeshiva ou meme pour une ecole primaire, ainsi que pour des groupes d'etude independants. La plupart des synagogues sont des etablissements prives, geres par leurs proprietaries, qui les considerent comme des sources de revenus non negligeables.

Yossef Messas nous a laisse une description detaillee de la synagogue qui, jusqu'aux annees 1960 , portait le nom de David Ben Hassine, dans l'ancien mellah de Meknes:

Dans la rue [du Cimetiere], a droite, se trouve une synagogue a laquelle on accede en montant quelques marches. L'interieur, de forme presque carree, contient deux arches d'alliance, a Test et au sud. La chaire est au centre, l'offlciant faisant face au nord. La salle est eclairee par des lampes a huile traditionnelles, des bancs, etc., comme les autres synagogues. Les anciens lui donnent le nom de Rabbi Ya'aqov Ben Simhon – Que sa memoire soit benie! – mais tout le monde l'appelle "Synagogue Rabbi Abraham Ben Hassine" – Que sa memoire soit benie! – l'arriere petit-fils de Rabbi David, le celebre poete – Que son merite soit pour nous une protection! Amen! On dit qu'elle est tres ancienne. Ses premiers proprietaries en furent les premiers officiants. Mais, a present, l'honorable Rabbi David et son frere Rephael, les fils d'Abraham Ben Hassine, remplissent les fonctions d'officiants, aides par leurs enfants … 

LIVRES ET BIBLIOTHEQUES

Par suite de l'absence d'imprimeries au Maroc depuis 1524, d'innombrables oeuvres de rabbins marocains sont restees inedites, ou ont disparu au cours des siecles. Cependant, malgre le prix eleve des livres, tous importes de l'etranger, souvent grace aux rabbins-emissaires de Terre Sainte, les lettres se constituent des bibliotheques importantes, et se tiennent au courant des dernieres publications, faisant recopier a grands frais les ouvrages qu'ils ne peuvent acheter. A Fez, les bibliotheques des families rabbiniques Abensour, Sarfati, Monsoniego, Aben Danan, et Serero, sont particulierement celebres. A Meknes, les Toledano, Berdugo et Bahloul possedaient des centaines de manuscrits herites de leurs ancetres, qui servirent de sources a Ya'aqov Moshe Toledano, pour son histoire des juifs du Maroc.

1:35 ,אוצר המכתבים. Cette synagogue a ete desaffectee au debut des annees 1960. Depuis les annees 1980, la synagogue ou prient les descendants du poete, a Casablanca, porte le nom de "Tehilla Le-David", en 1'honneur de David Ben Hassine.

  1. Entre c.1516 et c.1524, des Expulses portuguais, Shemouel Ben Yishaq, dit Nedibot, et son fils Yishaq, impriment a Fez une quinzaine de livres, avant de manquer de papier, que l'Espagne refuse de leur vendre. Jean Muller et Ernst Roth donnent une liste de ces livres dans Aussereuropaische Druckereien im 16. Jahrhundert (Baden- Baden, 1969), pp. 65-67. Apres cette date, certains lettres juifs marocains reussissent a publier leurs oeuvres en Europe, malgre des difficultes quasi insurmontables. La premiere presse hebrai'que moderne fonctionne a Tanger a partir de 1891, suivie par d'autres imprimeries dans la plupart des grandes villes, au XXe siecle. Sur cette question, voir Joseph Tedghi הספר והדפוס בפס (Jerusalem, 1994).

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SYNAGOGUES

Au XVIIIe siecle, l'activite creatrice des juifs marocains est incessante, meme aux heures les plus sombres de leur histoire. Aux exactions de toutes sortes qui appauvrissent et deciment la communaute, repond une veritable effervescence intellectuelle, comme si le judaisme marocain meurtri se refugiait dans l'etude, trouvait sa consolation, et la justification de son existence, dans la production d'oeuvres qui affirmaient sa foi dans la perennite et la gloire d'lsrael. Chaque sage se croit litteralement investi de la mission sacree de transmettre la parcelle de l'enseignement divin qui lui a ete revele.

Au debut du siecle, Fez reste le centre inconteste du juda'isme marocain. Ses savants eminents, Yehouda Ben 'Attar (1655-1733) et Ya'aqov Abensour (1673-1752) sont reconnus dans tout le Maroc comme les autorites spirituelles supremes. Meknes beneficie quelque temps du prestige de ces maitres, puisque Yehouda Ben 'Attar s'y refugie en 1701 et de 1721  a 1724    tandis que Ya'aqov Abensour y exerce les fonctions de president du Tribunal rabbinique de 1718  a 1729     A la mort de Ya'aqov Abensour, Fez perd peu a peu sa place preponderate au profit de Meknes, la nouvelle capitale du Maroc sous Moulay Ismail, qui connait un essor intellectuel sans precedent pendant la vie de David Ben Hassine.

Comme tous les rabbins du Maroc, ceux de Meknes s'interessent particulierement au droit hebraique, a la halakha. Presque tous composent des recueils de jurisprudence et de responsa. Les responsa sont des reponses ecrites donnees par des autorites rabbiniques reconnues, a des questions qui leur sont posees sur divers aspects de la halakha, et qui font jurisprudence. Ces responsa constituent souvent des sources inestimables pour l'histoire de la societe juive de l'epoque. A Meknes, ce domaine est particulierement illustre par les oeuvres de Moshe Berdugo, dit Ha-Mashbir, Hayyim Toledano, Mordekhay Berdugo, dit Ha- Marbis, Moshe Toledano, Rephael Berdugo, Binyamin Elkhrief, Petahia Mordekhay Berdugo, et Mimoun Berdugo.

Les rabbins de Meknes ecrivent aussi des oeuvres d'exegese de la Thora et des autres livres de la Bible juive, sans doute basees sur les lecons et sermons qu'ils prodiguent aux fideles. L'exegese du Talmud est relativement moins frequente, car, comme chez la plupart des rabbins sephardis, l'etude du Talmud est surtout consideree comme un moyen d'arriver a des conclusions halakhiques pratiques. Parmi les oeuvres publiees, les plus marquantes sont celles de Moshe Berdugo, Yehouda Berdugo, Moshe Toledano, Rephael Berdugo et Petahia Mordekhay Berdugo.

Pour la premiere fois dans l'histoire des letters juives, l'oeuvre poetique complete d'un paytan marocain, replace dans son contexte historique et litteraire, fait l'objet d'une etude systematique, destinee aux specialistes comme au grand public.

A Meknes, comme dans les autres grands centres de culture juive, les rabbins gardent une conscience aigue de l'heritage spirituel des Megorashim, dont ils se considerent comme les continuateurs historiques directs. Deux dayyanim illustres le proclament hautement en 1720:

Mordekhay Berdugo 1705 – 1762' דברי מרדכי  Meknes 1947.

Moshe Toledano 1724 – 1773 השמים החדשים   Casablanca 1939

 Rephael Berdugo (1747-1821):  משפטים ישרים  (Cracovie,1891   תורות אמת (Meknes, 1939).

Binyamin Elkhrief (mort apres 1798  op. cit.

Petahia Mordekhay Berdugo (1764-1820): נופת צופים (Casablanca, 1938).

Mimoun Berdugo (1767-1824): לב מבין (Meknes, 1940); פני מבין (Meknes,

144. Moshe Berdugo: ספר ראש משביר, commentaires talmudiques (Livourne, 1845); כנף רננים, comm. de la Thora (Jerusalem, 1976).

Yehouda Berdugo (1670-1742): ספר מים עמוקים וספר מקוה המים, commentaires de la Thora (Jerusalem, 1978). Ses commentaires des cinq מגילות sont encore inedits.

Moshe Toledano: מלאכת הקדש, sur-commentaire de רשיי sur la Thora (Livourne, 1803). Deux autres commentaires de la Thora, ספר משחת קדש et נזר הקדש, sont encore inedits.

Rephael Berdugo: מי מנוחות, commentaire de la Thora (Jerusalem, 1905 et Djerba,

  1. ;          שרביט הזהב, commentaires talmudiques (Jerusalem, 1975 et 1978); שלל ריב, commentaire de la Haggada de Pessah (Lod, Israel, 1992). D'autres commentaires de la Thora, מענה לשון et משמחי לב, ainsi qu'une traduction en judeo-arabe des passages difficiles de la Bible juive, sont encore inedits.

Petahia Mordekhay Berdugo: פתוחי חותם, commentaire du Talmud (Jerusalem,1980).

"Ainsi ont enseigne nos Maitres de l'Exil, les sages de Castille, dont nous suivons scrupuleusement les directives … dont nous sommes les descendants, et dont nous buvons les paroles avec avidite".

L'influence des kabbalistes de Safed se fait encore sentir a Meknes au XVIIIe siecle. De nombreux rabbins marocains sont profondement influences par la doctrine mystique de Rabbi Yishaq Louria, dit Ha-Ari Ha-QadoshM Des societes d'etude et de lecture liturgique du Zohar reunissent partout de fervents fideles, meme parmi ceux qui ne comprennent pas le sens des textes. Dans l'un de ses poemes, David Ben Hassine fait allusion a la science de son compagnon d'etude, Zikhri Ben Messas, "verse dans les mysteres des disciples du ARI. Les deux grands maitres marocains de la mystique juive, dont le renom s'etend dans le monde entier, Abraham Azoulay et son disciple Shalom Bouzaglo, sont originaires de Marrakech.

Enfin, au XVIIIe siecle, presque tous les lettres composent des piyyoutim, que l'on retrouve disperses dans d'innombrables anthologies manuscrites ou imprimees. Les grands poetes marocains sont Moshe Abensour et son fils Shalom, de Sale, Ya'aqov Abensour, de Fez, David Ben Hassine, dont nous analyserons l'oeuvre en detail, et Shelomo Halewa, de Meknes.

Lors de sa premiere reunion pleniere en 1947, le Conseil Annuel des Grands Rabbins du Maroc rappelle solennellement cette "influence immense de la culture juive espagnole, dont les puissantes communautes, avec leurs rabbins erudits et leurs savants, vinrent s'etablir au Maroc, ou ils assurerent notre gloire intellectuelle. Ces guides religieux dignes de foi dirigerent le peuple juif dans tous les domaines … de generation en generation, jusqu'a aujourd'hui" (cf. המשפט העברי במרוקו, op. cit., p. 212). Voir de meme Ya'aqov M. Toledano, נר המערב, p. 102, et Yossef Ben Nairn, מלכי רבנן, p. 2a.

  1. Les 48 regies de conduite mystique, diffusees au Maroc par les kabbalistes de Safed des la fin du XVIe siecle, sont encore pieusement recopiees a Meknes en 1746 (cf. Ya'aqov M. Toledanoאוצר גנזים, op. cit., pp. 48-51)
  1. Sur cette lecture rituelle du Zohar, voir Abraham Stahl, "Ritualistic Reading among Oriental Jews", Anthropological Quarterly 52 (1979): 115-120.

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Poemes de David ben Hר דוד חסין תהלה לדודassine

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 II. LA VIE DE DAVID BEN HASSINE

ORIGINES F AMILI ALES

Les origines familiales de David Ben Hassine sont encore peu connues. Le nom propre Hassine serait un prenom "maghrebin derive de Hassan", qui, "avec la desinence in … signifie celui qui est beau Chez les Juifs du Maghreb, ce prenom est souvent devenu un nom patronymique avec l'indice de filiation ben"A Cependant, ce nom est atteste depuis le Haut Moyen Age. Une ketoubba redigee en 1034 a Fostat, au Vieux Caire, mentionne par deux fois le nom de Hassan Ben Hassine.] De meme, le prenom Hassine est porte par un juif de Ramie vers 1040. Au Maroc, les Ben Hassine, nombreux au debut du XVIIIe siecle, sont peut-etre originates du territoire des Oulad Hassine, au Sud de Mazagan, ou vivait une communaute juive jusqu'au debut du XXe siecle. L'existence d'un Qsar des Alt Hassine dans les confins sahariens, a une cinquantaine de kilometres au sud de Goulimine, laisse penser que des Ben Hassine autochtones vivaient au Maroc avant l'arrivee des Expulses espagnols et portuguais, a la fin du XVe siecle.

Bien que David Ben Hassine soit le plus populaire des poetes juifs marocains, on savait paradoxalement jusqu'a present tres peu de choses sur sa vie et sa carriere litteraire. Les courtes notices que lui consacrent la Jewish Encyclopedia ou l'Encyclopaedia Judaica, ou meme certains articles plus substantiels comme celui d'Abraham Elmaleh, ne font que reprendre, dans l,ensemble, les maigres donnees biographiques publiees par Ya'aqov Moshe Toledano ou Yossef Ben Naim, ou encore les legendes traditionnelles qui entourent sa vie, qui a fini, en deux siecles, par etre assimilee a celle des nombreux saddiqim les "Justes", ou rabbins miraculeux – du Maroc.

Une legende veut que David Ben Hassine soit originaire, comme le rabbin David Boussidan, le saddiq tutelaire de Meknes, "du village d'Ez-Zawiyya". Mais David Ben Hassine est certainement ne a Meknes, ou ont egalement vecu son pere et son grand-pere, dans une famille de lettres qui jouissait sans doute d'une certaine consideration, puisque notre poete pourra recevoir une education rabbinique tres poussee, ce qui lui permettra de faire partie de l'elite intellectuelle de sa communaute, et de former des alliances matrimoniales, pour lui et ses enfants, avec les families les plus respectees de Meknes. Le jeune David est tout a fait conscient de cette conception aristocratique du savoir.

Dans son Sefer Migdal David, un ouvrage de jeunesse inedit, il reproduit, "afin de ne pas l'oublier", une lecon sur Pirqe Avot qui l'a particulierement marque: ",Formez de nombreux disciples signifie: donnez-leur une formation complete, afin qu'ils jouissent d'une position sociale honorable, et qu'ils ne soient pas forces de quitter l'etude de la Thora pour gagner leur vie.

Selon une autre legende, vers 1740 , les rabbins de Safed auraient propose a Aharon Ben Hassine, le pere du poete, de devenir leur "chef et leur juge", mais qu'il serait mort pendant qu'il se rendait en Terre Sainte. Or, David Ben Hassine lui-meme, qui cite respectueusement son pere chaque fois qu'il signe un de ses ecrits, ne lui donne jamais le titre de rabbin, et ne souffle mot de sa pretendue gloire. De plus, son pere etait encore bien vivant, a Meknes, en juillet 1752  et peut-etre meme apres. Le poete et ses contemporains n'auraient pas manque de signaler l'honneur insigne fait a un juif de Meknes par les maitres prestigieux de Safed!

David Ben Hassine est ne en 1727 Ya'aqov Moshe Toledano, repris par divers biographes, dont Yossef Ben Naim, fixait cette date aux alentours de1730 en s,appuyant sur le fait que David Ben Hassine a recopie le manuscrit de Shir Mikhtam, de Yehouda Ben 'Attar, en 1747  Comme, ajoute-t-il, le jeune copiste ne pouvait alors avoir moins de quinze ans, il etait donc ne vers1730. Conclusion imprudente, car il pouvait aussi bien, selon la logique de ce raisonnement, avoir vingt ans, voire vingt-cinq ou meme trente ans lorsqu'il a recopie cette oeuvre!

Or, dans son introduction au Sefer Migdal David, datee de 1747  David Ben Hassine indique qu'il a commence a rediger les textes qui y sont consignes a l'age de dix-sept ans (f. lb). De meme, a la derniere ligne du folio 6b de ce manuscrit, l'auteur precise de fagon decisive: "Je l'ai ecrit [ce commentaire], moi, le jeune David, fils de mon maitre et pere, Aharon Ben Hassine ־ Que Dieu le garde! – en l'an 5504  de la Creation [1744]  alors que j'etais age de dix-sept ans". II est donc clair que notre poete est ne en 1727.

1727 est egalement l'annee de la mort du sultan Moulay Ismail, qui plonge le Maroc dans l'anarchie et la guerre civile, dont les horreurs ont marque la jeunesse du poete.

 Pendant le sac du mellah de Meknes, le 3 aout 1728 le pere de David Ben Hassine  perd toutes ses economies. En effet, un mois plus tard, Ya'aqov Abensour, alors president du Tribunal rabbinique de Meknes, prononce un jugement en faveur d'"Aharon Ben Hassine, fils de Rabbi David – Qu'il repose en paix! – " qui avait confie a la garde de Hayyim Toledano, avant "le jour de l’emeute … une cassette en argent, une ceinture et cinq poignards [d'apparat]". Or, tous ces bijoux ont ete voles par un "Gentil qui menagait de tuer" Toledano. Incidemment, ce document nous apprend que David Ben Hassine, dont le pere etait peut-etre bijoutier, a, suivant la tradition, herite du prenom de son grand-pere Rabbi David, et que ce dernier n'etait plus en vie en 1728.

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L’eminent rabbin Abraham Ben Hassine, auteur de nombreuses decisions judiciaires, est lui aussi un fils de Rabbi David, comme Aharon Ben Hassine. II est donc possible qu'il soit le frere de ce dernier, et l'oncle de David Ben Hassine. La presence de deux Rabbi David Ben Hassine du meme age, a Meknes, exactement a la meme epoque, serait en effet bien improbable. Si cette hypothese s'averait valide, elle confirmerait que David Ben Hassine appartient bien a une famille de lettres.

Ironie du sort, Ya'aqov Abensour, qui instruit cette affaire, n'a pas ete non plus epargne par les pillards de Meknes. Le dayyan Abraham Ben Hassine, oncle de David, enregistre officiellement sa propre declaration de perte, le 24  novembre 1728 (document ms. dans une collection privee, Jerusalem).

EDUCATION

Vers 1738  David Ben Hassine commence ses etudes a la yeshiva apres la bar-misva, celebree, pour les enfants doues, a partir de l'age de dix ans, ou meme avant. Enfance attristee par la famine qui ravage le Maroc de 1730  a 1738 , et par les violences dont le jeune David est temoin pendant les guerres de succession qui ensanglantent le Maroc, et affectent particulierement Meknes, la capitale du pays depuis le regne de Moulay Ismail. Ainsi, le 22  octobre 1736  le quartier juif ou il habite, est de nouveau livre au pillage.

Grace a la decouverte recente du manuscrit autographe du Sefer Migdal David {Livre de la Tour de David), une oeuvre de jeunesse composee entre 1744  et 1749 nous avons pu reconstituer en partie le programme de l'enseignement qu'il a recu a la yeshiva. Nous ne connaissons que les initiales de son premier maitre, qu'il nomme "le rabbin R.I.B.L. ־ Que le souvenir du Juste et du Saint soit pour nous une benediction! – alors que j'etais dans ma prime jeunesse."Puis il frequente la yeshiva du rabbin Mordekhay Berdugo (1705-1762)  disciple et beau-fils de l'illustre savant de Meknes Moshe Berdugo, ce qui va desormais determiner toute sa vie. Mordekhay Berdugo, dayyan a Meknes a partir de 1742  surnomme Ha-Marbis le professeur par excellence – va prendre en main  l'education superieure de cet enfant doue pour les etudes, dont il fera son gendre en 1747.

Comme dans les autres communautes juives du Maroc, l'enseignement traditionnel dispense a Meknes au XVIIIe siecle, est centre sur les sciences rabbiniques. A la yeshiva, David Ben Hassine commence par approfondir sa connaissance de la Bible, et surtout de la Thora, le Pentateuque proprement dit. Sefer Migdal David contient les premieres exegeses bibliques de David Ben Hassine, redigees a partir de 1744  pendant qu'il frequentait encore la yeshiva. Elles portent naturellement sur la parasha de la semaine (fs. 17a, 19a, 65a-b, etc.), les Lamentations de Jeremie, qu'il intitule fort a propos Qina Le-David (fs. 51a-b), Le Livre des Proverbes (fs. 43b, 52b, 54a, etc.), et surtout les Psaumes, qu'il affectionne particulierement (fs. 60a, 63a-64b, 66a, etc.), et qui constitueront plus tard une source et une inspiration privilegiees de son oeuvre poetique. Ces exegeses s'appuient sur les commentaires classiques qu'il etudie a la yeshiva: Rashi bien entendu, mais aussi Nissim Ben Reouben de Gerone, Moshe Alsheikh, Shelomo Algazi ou David Oppenheim, ainsi que les sur-commentaires d'Abraham Ibn 'Ezra, d'Eliahou Mizrahi, dit Ha-Re’em, ou de Shabbetay Bass, tres populaires en Afrique du Nord. David Ben Hassine s'interesse meme a des questions complexes de Massora (fs. 16a, 49a-b).

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La yeshiva accorde une place preponderate au Talmud de Babylone, mais aussi de Jerusalem, qui y sont enseignes par "Ha- Rav", le Maitre, en l'occurence Mordekhay Berdugo. Grace au manus- crit de Migdal David, nous savons qu'en plus des Pirqei Avot (fs. 33a, 46a, 50a, 54a), David Ben Hassine a etudie les traites talmudiques suivants: Berakhot (fs. 5b, 15a, 34a, 38b-39b), Shabbat (f. 42a), 'Erouvin (f. 3a), Pessahim (42b), Soukka (fs. 26b,45a), Ta'anit (f. 18b), Haguiga (f. 34a), Ketoubbot (f. 15b), Sota (fs. 36a, 40a), Bava Batra (f. 14b), 'Avoda Zara (f. 19a) et Sanhedrin (fs. 34a, 44b, 57b, 63a, 68a), notamment le chapitre sur les temps messianiques, theme omnipresent dans son oeuvre poetique. David Ben Hassine se refere souvent aux commentaires talmudiques de Rashi, a ceux de Rashbam, Malmonide, Ramban et Rashba. Bien entendu, il connait aussi les commentaires de rabbins marocains contemporains comme Moshe Berdugo ou Shemouel de Avila.

Les professeurs de la yeshiva utilisent parfois des methodes pedagogiques etonnamment modernes, qui impliquent une participation active de leurs etudiants les plus avances: ainsi, dans Migdal David.

David Ben Hassine raconte que "dans [sa] jeunesse", son "maitre R.I.B.L." lui a demande de preparer l'explication d'un passage difficile du Talmud, dont il devait ensuite faire l'expose en classe (f. 37a). Ce n'est pas un cas isole, puisque d'autres maitres prestigieux, comme Moshe Berdugo de Meknes, ou Shemouel Ha-Sarfati de Fez, faisaient, eux aussi, collaborer leurs disciples a l'elucidation de textes ardus, et n'hesitaient pas a reconnaitre leur contribution dans leurs ecrits. A la yeshiva, l'enseignement superieur revet ainsi l'aspect d'un seminaire ou maitres et eleves analysent en commun les matieres les plus complexes.

En meme temps que l'analyse theorique des sources talmudiques, destinee a affiner l'acuite intellectuelle des etudiants, la yeshiva accorde une place importante a l'etude plus pratique de la halakha psouqa  la jurisprudence – car tout rabbin mandate peut etre appele a donner son avis sur des questions rituelles ou de droit civil, ou meme a sieger dans un beit-din – un tribunal. David Ben Hassine etudie les ouvrages de base, les codes rabbiniques de Mai'monide (Mishne Thora), de Ya'aqov Ben Asher (Arba'a Tourim), et de Yossef Caro (Shoulhan 'Aroukh).

 II doit de meme connaitre les recueils de jurisprudence des grands posqim

codificateurs, auteurs de decisions halakhiques qui font autorite ainsi que des ouvrages plus specialises comme ceux d'Eliahou Ben Hayyim, Abraham Ha-Levi Gombiner ou Yehouda Ashkenazi.

Eliahou Ben Hayyim (c.1530-c.1610): Celebre rabbin halakhiste de Constantinople, auteur de nombreuses responsa, cite dans sefer migdal David

 Abraham Abele Ben Hayyim Ha-Levi Gombiner (c 1637-1683. rabbin polonais, auter de Magen Avraham – 1692

Yehouda Ashkenazi, rabbin allemand du XVIIIe siecle, auteur de " Baer heitev " Amsterdam 1736-1742

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Dans une elegie composee en fevrier1761  David Ben Hassine, louant l'erudition du defunt dayyan Eli'ezer de Avila (1711-1761) semble presenter le programme d'etude ideal des lettres marocains de son epoque, tres probablement celui qu,il a suivi lui-meme. II y inclut quelques references classiques dont il a ete nourri, mais qui ne figurent pas dans Sefer Migdal David: Sifra et Sifrei, la Tosefta, ainsi que les oeuvres de Rabbenou Tam, Yishaq Ben Ya'aqov Alfassi, Asher Ben Yehiel et Yishaq Ben Sheshet Perfet.

Malgre la tradition seculaire qui condamne l'etude de la kabbale avant l'age de quarante ans, David Ben Hassine est initie a la mystique juive avant 1747  c'est-a־dire avant d'avoir atteint l'age de vingt ans (Migdal David, f. 89a). Ses lectures mystiques comprennent, en plus du Zohar, les Tiqqounei Zohar Hadash, Shenei Louhot Ha-Berit, un de ses livres de chevet, ainsi que des ouvrages plus specialises comme Sefer Ha-Emounot, Sefer 'Asara Ma'amarot, 'Emeq Ha-Melekh, ou Midrash Peli'a.

 II explique a deux reprises, peut-etre pour justifier son engouement, qu'il a adopte la doctrine pedagogique de Yesha'yahou Horowitz: "Comme le dit l'auteur de Shenei Louhot Ha-Berit, un homme doit tout d'abord se gorger de Bible, de Mishna et de Guemara [Talmud], puis, apres cela, il pourra s'occuper des sciences esoteriques, de la kabbale". Autrement dit, le jeune David considere qu'il est suffisamment verse dans ces matieres pour "s'adonner a l'etude de la kabbale, du Zohar et des Tiqqounim" (f. 59a), ainsi que de l'enseignement de Rabbi Yishaq Louria et de ses disciples.

 Influence par ses lectures mystiques, il va jusqu'a ecrire que "la Thora de Dieu, c'est la science de la kabbale, comme le savent les inities". David Ben Hassine fait siens les conseils du kabbaliste italien Shemouel David Ottolengo: "Comment un homme peut-il acceder a la connaissance de la kabbale? Deux conditions sont necessaires. II doit, d'une part, etre un sage, rempli de la crainte de Dieu, et, d'autre part, etudier avec ferveur le livre du Zohar".

Shemouel David Ottolengo, Grand-Rabbin de Padoue, mort en 1718 est l'auteur de מעיל שמואל (Venise, 1708), resume et index de שני לוחות הברית.

 Peut-etre conscient de son audace, le jeune etudiant termine parfois ses notes par une priere: "Que Dieu – Beni soit-il! – me rende digne de commenter correctement sa Thora. Amen! Ainsi soit-il!" (fs. 48b, 24a, 68a). Cet interet pour les speculations mystiques se retrouvera dans plusieurs piyyoutim de David Ben Hassine.

Tehila le David.R.D.Hassine

תהלה לדוד 001Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan

Comme tous les maitres qu'il a cotoyes, David Ben Hassine veut bientot ecrire, lui aussi. Dans son introduction au Sefer Migdal David, il explique qu'a l'exemple d'auteurs encore plus jeunes que lui, il a commence a rediger son ouvrage des l'age de 17  ans. Passionne par ses etudes, "plus delectables que le miel" (f. 35a), il transcrit le soir, en hebreu, son interpretation originale des textes sacres, ainsi que ses reflexions sur ce qu'on lui a enseigne pendant la journee, tres probablement en arabe, la langue vernaculaire des juifs de Meknes: "Tout ceci, je l'ai appris aujourd'hui, … 4 Sivan de l'annee 5504  de la Creation 15 mai 1744  ici dans la ville de Meknes – Que Dieu la protege!", note-t-il. Un autre jour, il ne peut cacher son enthousiasme juvenile

״שהצדיקים עניים בעה׳ז [בעולם הזה] ומדוקים ביסורין. צדיק ורע לו, רשע וטוב [לו]… .41 אשריו לאדם שיסורין באים עליו… אין לך אדם צדיק בלא יסורין, שכל צדיק מוכרח שיהיו לו

.(b־ibid., fs. 30a) יסורין״

״אמר הצעיר דוד ן׳ [בן] אדוני אבי המשכיל ונבון כה׳ר [כבוד הרב רבי] אהרן ן׳ חסין יצ׳ו .42 [ישמרהו צורו ויחיהו], בראותי בחזותי אנשים צעירים ממני לימים אשר חיברו ספרים רבים מחודשים … חברתי זה הם׳ [הספר] הנחמד בימי חורפי, ואני בן טו׳ב שנה.״

Une telle precocite n'est pas inhabituelle chez les rabbins marocains. Moshe Edder'i      (1775-1842), le correcteur des epreuves deתהלה לדוד  preche dans une synagogue de Meknes des l'age de 14  ans, et a Londres a l'age de 16  ans (cf. ספר יד משה [Amsterdam, 1708], pp. 23a et 25b). Plusieurs autres contemporains de David Ben Hassine manifestent une maturite exceptionnelle pendant leur adolescence. Ainsi, 'Immanouel Serero II, de Fez, redige son commentaire sur la Haggada de Pessah a 14 ans (Yossef Ben Naim,מלכי רבנן,  Mimoun Berdugo, de Meknes, ecrit son commentaire du traite talmudique Kiddoushin a 17 ans (ibid., p. 81b). En 1811, 'Amram Elbaz, de Sefrou, compose un piyyout celebre sur la fete de Pourim a l'age de 12 ans, et son ouvrageבנין נערים  (Jerusalem, 1980) a l'age de 18 ans

"J'ai ecrit tout ce qui precede le jour meme [ou je l'ai appris], afin de ne pas Toublier"! Mais, des le debut, en1744  le jeune David Ben Hassine insiste longuement sur l'originalite de son oeuvre, et sur sa volonte d'innover. II assure ses lecteurs qu'il ne se borne pas a reproduire les cours reguliers de ses maitres, ni meme a presenter dans son livre de simples comptes rendus de ses lectures. II affirme avec force qu'il s'est applique a offrir des exegeses et des commentaires personnels. Si ces derniers rappellent parfois des exegeses connues, il s'en rejouit, car cela signifie que sa pensee a tout simplement rejoint celle des grands maitres qui l'ont precede! David Ben Hassine reprend ici a son compte une tres belle tradition rabbinique: comme tous les sages d'Israel, il se croit litteralement investi de la mission sacree de transmettre la parcelle de l'enseignement divin qui lui a ete revele au Sinai'.

Un heureux concours de circonstances nous a permis de decouvrir le manuscrit du Sefer Migdal David chez un descendant direct du poete. II s'agit d'un manuscrit autographe de David Ben Hassine, inconnu de la plupart des lettres marocains et des chercheurs modernes. Ainsi, Ya'aqov Moshe Toledano, s'il fait allusion a l'existence de droushim (homelies) de David Ben Hassine, parce qu'ils sont mentionnes par diverses autorites rabbiniques, ignore totalement l'existence de cet ouvrage. De son cote, Yossef Ben Naim cite ce manuscrit dans son dictionnaire biographique et bibliographique, mais il l'intitule incorrectement Migdol David, et donne une description erronee du contenu, ce qui signifie qu'il ne le connait que par ou'i-dire, et, en tous cas, qu'il ne l'a jamais vu lui-meme

Tehila le David.R.D.Hassine..Le manuscrit de Migdal David

Le manuscrit de Migdal David mesure 18,50  cm sur 14,50  cm. II contient 93 feuillets de papier jauni, en assez bon etat, couverts d'une ecriture tres serree, qui en rend souvent la lecture difficile. Comme l'auteur ne laissait la plupart du temps aucune marge, la nouvelle reliure sommaire, realisee probablement au debut du XXe siecle, a parfois mordu sur le texte pour pouvoir brocher les cahiers ou en egaliser la taille. Plusieurs feuillets ont disparu ou ont ete intervertis avant ce travail de reliure.

Le frontispice du volume, decore avec soin par l'auteur, suit un modele traditionnel courant au XVIIIe siecle: bordures de motifs floraux et geometriques, titre du livre encadre par une porte monumentale de style hispano-mauresque. Un verset du Cantique des Cantiques (IV, 4  justifie le titre donne au manuscrit: "Ton cou est comme la tour de David …". Apres l'enonce du titre, l'auteur explique son projet: "Livre de Migdal David que j'ai ecrit, moi, le jeune David, fils de mon maitre et pere, l'homme au grand merite et aux grandes actions, Aharon Ben Hassine – Que Dieu le garde, Amen! II s'agit d'un essai sur quelques versets de la Thora, et un choix de pensees de nos sages – Que leur souvenir soit pour nous une benediction! – comme pourront le voir les yeux du lecteur. [Fait] ici, a Meknes – Que Dieu la protege! ־ en l'an [5]504 [1744]  de la Creation". Plusieurs textes dates montrent que la redaction de Migdal David a dure au moins six annees, de 1744  a 1749 date du dernier texte portant une date precise (f. 23b).

Le jeune talmid-hakham raconte lui-meme avec candeur comment il a compile ses textes disparates: "Je vais commencer a ecrire quelques versets que j'ai recueillis et commentes moi-meme, le petit David, fils de mon maitre et pere Aharon Ben Hassine, Que Dieu le protege! Je les ai recueillis a l'age de dix-sept ans. Ils sont maintenant disperses jusqu'a ce que Dieu intervienne du haut de Son Trone, et que chacun prenne harmonieusement la place qui lui convient, avec l'aide de Dieu! Ceci est mon debut, et je prie pour que Dieu m'aide a continuer". Ce manque de methode initial explique le desordre anarchique qui preside a la juxtaposition des textes contenus dans Migdal David, mais, en meme temps, confirme que ce manuscrit n'est que la premiere ebauche d'une oeuvre que David Ben Hassine n'a jamais retravaillee par la suite. Migdal David reste, en ce sens, une oeuvre de jeunesse.

Neanmoins, l'erudition etonnante de ce jeune homme a peine sorti de l'adolescence, si l'on en juge par le nombre et la variete des ouvrages specialises qu'il cite dans ce manuscrit, reste frappante Migdal David represente ainsi un document historique unique sur la formation intellectuelle d'un talmid-hakham marocain au debut du XVIIIe siecle, et sur le climat spirituel fervent qui regnait au mellah de Meknes, plus particulierement. Temoignage remarquable aussi sur la richesse des bibliotheques de cette communaute juive isolee, mais ou les lettres reussissaient, malgre leur denuement, malgre l'insecurite endemique, a acquerir les publications rabbiniques europeennes les plus recentes.

[1] ״ספר מגדל דוד, אשר חברתי איה [אני הקטן] דוד, בלא׳א [בן לאדוני אבי] איש חייל רב פעלים אהרן בן חסין ישצויא [ישמרהו צורו ויחייהו אמן], והוא חיבור על קצת פסוקי התורה ומאמרי רז׳ל [רבותינו זכרונם לברכה] מלוקטים, כאשר תחזינה עיני הקורא. פה מכנשא יע׳ה [יגן עליה אמן], שנת שרד לפיק [לפרט קטן].״

״אתחיל לכתוב קצת פסוקים מלוקטים אשר לקטתי וחידשתי, אני הצעיר דוד בן לא״א .52 [לאדוני אבי] אהרן בן חסין ישצ׳ו [ישמרהו צורו ויחייהו]. לקטתי אותם ואני בן טויב שנה. והנם מפוזרים עד ישקיף ויראה ה׳ משמים, וכל אחד על מקומו יבא בשלם, בס״ד [בסייעתא דשמייא]. ספר מגדל דוד) וזה החלי, וה׳ אלקים יעזור לי״, f. 52a). Les feuiiiets du manuscrit ayant ete relies en desordre, nous avons probablement ici la premiere page prevue par Fauteur, a l'origine.

MARIAGE ET VIE DE FAMILLE Tehila le David.R.D.Hassine

MARIAGE ET VIE DE FAMILLE

A la fin de l'annee 1746  ou au debut de 1747  au plus tard, David Ben Hassine epouse la fille de son maitre, le dayyan Mordekhay Berdugo. Honneur insigne accorde a un disciple favori, qui va desormais faire partie, par alliance, d'une des families rabbiniques les plus influentes de la ville de Meknes. Mordekhay Berdugo lui-meme est le disciple et le beau-fils du celebre dayyan Moshe Berdugo. Son frere, Yehouda Berdugo (c. 1690-1742 ) juge a Meknes depuis 1731  est l'auteur de plusieurs ouvrages d'exegese biblique, dont Mayim 'Amouqim (Jerusalem 1978 David Ben Hassine a deux beaux-freres eminents: Yeqoutiel (c. 1730-1801  dayyan a Meknes, lui-meme pere de deux rabbins-juges distingues, le savant Petahia Mordekhay Berdugo (1764-1820) auteur de Nofet Soufim (Casablanca, 1938)  et Pittouhei Hotam (Jerusalem, 1980 et le poete Ya'aqov Berdugo (1783-1843)  auteur du recueil de piyyoutim Qol Ya'aqov (Londres,1849  dans lequel il prend pour modeles plusieurs pieces de Tehilla Le-David. Mais le beau-frere le plus celebre de David Ben Hassine est sans contredit Rephael Berdugo (1747-1821)  dit Ha-Mal'akh Rephael – l'Ange Rephael – president du Tribunal Rabbinique de Meknes, dirigeant communautaire dont la personnalite energique et les nombreux ouvrages savants marquent sa generation. Notre poete et ses enfants vont baigner dans cet entourage prestigieux, qui jouera un grand role dans leur vie.

A l'occasion de la naissance de son fils aine Aharon, le mercredi 4  Tevet 5508 6  Decembre 1747 David Ben Hassine prononce, le jour de la circoncision, un sermon qu'il reproduit dans son Migdal David (fs. 28a-29a). II celebre fierement la premiere recitation de la haftara par son fils, a la synagogue, un samedi de Nissan 5514  (avril 1754)  en composant deux piyyoutim, ou il lui souhaite de devenir un rabbin erudit, et de suivre toute sa vie la voie de Dieu, qui lui trouvera une epouse de bonne famille. Mais le petit Aharon se livre bientot a des jeux bien dangereux. Vers 1760  au cours d'une querelle, il blesse grievement "un enfant de son age", au couteau, desesperant son pere et le "couvrant de honte". "Par miracle", l'enfant blesse se retablit, et le poete fait le voeu de chanter tous les jours les louanges de Dieu, qui l'a protege du "grand danger ou il se trouvait".

118 – בשיר ורן אקרא בגרון

 

 pיוט יסדתי כשנתחנך אהרן בני להפטיר הפטרה בציבור

 

בשיר ורן / אקרא בגרון / במקהלות עדת ישרון

 

אשיר היום שירה חדשה

בשפה בנעימה קדושה

לאל ברוך אשר עשה

את משה ואת אהרן

 

נהלל אלהים צבאות

הגיעני זמן זה לראות

ברוך אל רב ההודאות

יארמו נא בית אהרן

 

כפי פרושות השמים

תהיה כעץ שתול על מים

ללמד תורה לשם שמים

מתלמידיו של אהרן

 

יחיד נורא אליך אעתיר

כאשר זכה להיות מפטיר

יזכה להיות אוסר ומתיר

ומשחת את אהרן

 

דברי תורה מאד ערבים

לך יהיו בם חביבים

תורה נביאים וכתובים

יהיו על לב אהרן

 

ואל שדי הוא ידריך אותך

לעשות גדילים על כסותך

ולקשר תפלין על ידך

והיה על מצח אהרן

 

יוסיף עוד שנית צור נעלה

ימציא לך זווגך עם כלה

שלשלת יחס והמעלה

יברך את בית אהרן

 

דעה תוסיף יפה אף נעים

לקרא דת אמון שעשועים

אשר צוה אל תמים דעים

ביד משה ואהרן

 

בן חסין במצות הבורא

תהיה, וממנו התירא

כל רואיך יאמרו : " אשרי "

הנה פרח מטה אהרן

 

חפץ תהיה מאד וחרד

במצות מהם אל תפרד

כשמן הטוב היורד

על הזקן זקן אהרן

 

זכות אבות שוכני מערה

תבורך בברכה סדורה

המשלושת בתורה

האמורה מפי אהרן

 

קולי רצה, חי העולמים

לראות בבנין בית עולמים

שם יקריבו עולות ושלמים

הכהנים בני אהרן

CHANT D'ALLEGRESSE-Tehila le David.R.D.Hassine

תהלה לדוד 001

וסימן טוב והצלחה

CHANT D'ALLEGRESSE

Couplet extrait du piyyout nuptial אנכי היום אשירה״".

Que ce soit un signe de bon augure et de succès

   !pour notre communauté

 Que des cris de joie et des cris d'allégresse

!se fassent entendre dans notre pays

 Alors nous connaîtrons le bonheur

!Quand notre Messie viendra

 Le fils de Yishay, nous lui apporterons une offrande

Il ramènera (dans notre pays) mes opprimés

 Mes dispersés, mes exilés

 Il guidera mon peuple

!Le Messie, qui a pour nom Yinnon, comme il est séduisant

!Comme ses paroles sont plaisantes

 Quand toutes les nations (impies) viendront

combattre son peuple

Il mettra sa foi en Dieu

Et obtiendra Sa faveur

Chant d'amour-rabbi David Hassine-tehila le David

תהלה לדוד 001יחידה רעיה

CHANT D'AMOUR

"Piyyout que j'ai composé pour les réjouissances des noces, en l'honneur de la mariée et de son époux, et que l'on peut chanter sur l'air de 'יחיד ומיוחד וקדמוני', ou encore sur l'air de " יחיד ומיוחד וקדמוני "

Compagne chérie, unique au monde, fontaine fermée, jardin arrosé

Loue ton Créateur, qui sonde les coeurs

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

O la plus belle d'entre les femmes, fiancée honorable

Tu es plus charmante que les objets les plus précieux

Que l'or le plus pur, les rubis et les topazes

Tu trouves grâce aux yeux de tous ceux qui te regardent

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Ton visage, O ma bien-aimée, ressemble

A la pleine lune dans toute sa splendeur

Béni soit Dieu, qui a créé dans Son univers

De belles créatures afin quelles trouvent grâce à nos yeux

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Je te souhaite un foyer tranquille

Un havre de paix, (où tu puisses vivre) dans le calme, en sécurité

Je voudrais te combler d'honneurs et t'offrir un présent

 O ma pierre de faîte, au milieu des acclamations et des vivats

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Si tu ne sais pas encore, belle femme honorable

 Pourquoi je te donne mon amour

 Sache que, si les femmes sont nombreuses,

 tu les supplantes toutes

Car trompeuse est la beauté! Vaine est la grâce

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Ma soeur! viens vite dans mon jardin

Dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle

qui m'a donné le jour! Tu y recevras ton cadeau de mes mains

 Si j'ai trouvé grâce à tes yeux

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Sois bénie entre les femmes qui vivent sous la tente

 Sara et Rivka, Rahel, Léa et Hanna

 Femmes! Sortez à sa rencontre et venez voir

Son front orné d'une auréole de gloire, un diadème de grâce

Car ta voix est tendre et ton visage est beau à voir

O ma biche bien-aimée, ma gazelle pleine de grâce

Le roi David, dont descendra le Messie

 Chantera tes louanges dans ses poèmes

 Dans un cantique des degrés, un cantique au chef des chantres

 Un psaume de David, car les paroles du sage sont plaisantes

Cantique des degrés! Cantique au chef des chantres! Psaume de David

Tehila le David.R.D.Hassine

תהלה לדוד 001

Comme le lui souhaitait son pere, Aharon devient plus tard un homme respectable. II epouse une de ses cousines, fille du dayyan Yeqoutiel Berdugo. Son beau-frere, le poete Ya'aqov Berdugo, en a laisse un portrait elogieux: "Homme tres aimable, responsable de plusieurs oeuvres pieuses, plaisant a Dieu et aux hommes, chantre a la voix agreable, il rejouissait les nouveaux maries, rendait visite aux malades, consolait les families en deuil et enterrait les morts. II etait aime au Ciel, et agreable ici-bas".58

Nous connaissons deux de ses enfants, son fils David, dont les deux fils, Rabbi Aharon et Rabbi Abraham, dayyan a Meknes, continuent la lignee rabbinique des Ben Hassine, et sa fille Oroduena, qui attrista ses dernieres annees. En effet, Oroduena, devenue veuve en 1798, trois mois apres son mariage, a attendu onze annees avant de pouvoir epouser en secondes noces, conformement aux regies du levirat, Shelomo Elmosnino, le frere de son premier mari, qui n'avait que trois ans en 1798. Comme ce dernier est aveugle, Aharon Ben Hassine consent a subvenir a tous les besoins du couple pendant deux ans, a condition que Shelomo Elmosnino s'engage, de son cote, a ne pas prendre de deuxieme epouse!

Apres Aharon naissent plusieurs filles, neuf selon la tradition, sur lesquelles nous savons bien peu de choses. Aucune n'est identifiee par son prénom. L'une d'entre elles épouse, en 1764  le rabbin Binyamin Elkhrief, qui écrira une haskama – une préface approbative – à Têhilla Le-David, en 1782, "en l'honneur de son beau-père". David Ben Hassine compose deux piyyoutim en l'honneur de Yahia, fils de Binyamin, à l'occasion de sa guérison, puis de sa bar-misva en 1777.  D'autres poèmes mentionnent les noms de trois autres de ses gendres: Mordekhay Sarraf, El'azar Ben Lahdeb et Shélomo Raguinos. Enfin, David Ben Hassine pleure la mort de l'une de ses filles et de son mari, l'année même de leur mariage, mais sans les nommer. Il ne nomme pas non plus les parents de son petit-fils Sa'oud, dont il célèbre le pidyon ha-ben.

Selon une légende rapportée par Yossef Ben Naïm, Ya'aqov Berdugo, futur dayyan et poète, aurait demandé la main de la fille aînée de David Ben Hassine, à la suite d'une facétie spirituelle de ce dernier. Un samedi, lisant dans la Thora le verset: "Si Ya'aqov choisit une épouse parmi les filles de Het" (Genèse 27:46), David prononce "Tet" (neuf, en hébreu) au lieu de "Het" (huit, en hébreu). Corrigé par Ya'aqov Berdugo, il répond avec humour: "Si Ya'aqov épousait une de mes neuf filles, il n'en resterait en effet que huit!" Ya'aqov Berdugo comprend l'allusion, et devient bientôt son gendre. Légende plaisante, mais invraisemblable, car Ya'aqov Berdugo, né en 1783  n'avait que neuf ans à la mort de David Ben Hassine, tandis que la fille aînée de ce dernier en avait plus de quarante!

LA VIE D'UN POETE MEKNASSI AU XVIIIe SIECLE

תהלה לדוד 001LA VIE D'UN POETE MEKNASSI AU XVIIIe SIECLE

Entre 1760  et 1790  David Ben Hassine exerce essentiellement les métiers de paytan et de poète, de chanteur et d'auteur de piyyoutim. De sa propre initiative, ou à la demande des intéressés, il écrit et chante ses poèmes dans les synagogues, ou dans des maisons privées, car tous ses piyyoutim sont destinés à être chantés, suivant une mélodie qu'il indique toujours en tête de ses compositions, et qu'il emprunte la plupart du temps à d'autres piyyoutim.

Comme il n'existe pas, au XVIIIe siècle, de presse hébraïque au Maroc, David Ben Hassine ne peut faire imprimer et vendre ses oeuvres. Les droits d'auteur n'étant pas protégés, ses piyyoutim tombent dans le domaine public aussitôt qu'il les a chantés la première fois. Comme seule défense contre les plagiaires, il insère systématiquement son prénom, ou même son nom complet, en acrostiche, dans ses poèmes, ce qui n’empêche pas au moins un de ses contemporains peu scrupuleux de piller allègrement son oeuvre.

Sa seule rémunération provient des dons éventuels des personnes qu'il honore dans ses compositions. On fait appel à son talent pour toutes sortes de cérémonies publiques ou privées, et pour faire l'éloge des défunts. Comme tous les poètes de son temps, il recherche l'amitié, la protection et l'obole des hommes influents, qu'il couvre de louanges, même quand ils ne sont pas toujours au-dessus de tout soupçon! Parmi les mécènes fortunés et généreux qu'il doit flatter, Daniel Tolédano, "qui était un père pour les nécessiteux", Moshé Ben Maman, "grand prince d'Israël", Mordekhay Shriqi et Mes'od Ben Zekri, trois puissants courtiers du sultan Mohammed Ben 'Abdallah, Shalom de la Mar et son fils Mordekhay, négociants de Mazagan proches du Palais, et, surtout, Shélomo Sebbag, de Meknès, le richissime "soutien de ceux qui étudient la sainte Thora", qui promet formellement au poète de subventionner la publication de Téhilla Lé-David.

Malgré les dangers et la difficulté des déplacements, David Ben Hassine, mu par un tempérament quelque peu aventureux, n'hésite pas à effectuer de longs voyages pour gagner sa vie. Il se rend à Fez, à Tétouan, El-Qsar, Marrakech, au Tafilalet, et même à Gibraltar, sans doute invité par la communauté juive d'origine marocaine. Dans cette dernière ville, David Ben Hassine, émerveillé, découvre "la science de la musique des chrétiens", et il est particulièrement impressionné par le système de notation musicale européen, dont il nous laisse une decription détaillée. Ces voyages favorisent la diffusion de ses piyyoutim dans toutes les villes du Maroc.

David Ben Hassine devient très populaire de son vivant, comme en témoignent les haskamot, ou préfaces approbatives enthousiastes imprimées dans l'édition d'Amsterdam de Téhilla Lé-David (pp. la-5b), ainsi que les poèmes rédigés en son honneur, de son vivant. Dans l'un de ces poèmes, Abraham Alnaqqar, de Fez, le qualifie de "grand poète, notre maître le rabbin David Ben Hassine, … rempli d'art et de savoir comme Besalel, chantre des cantiques d'Israël". Le second, daté de 1782  a été inséré par Hayyim David Séréro, de Fez également, dans sa préface à la première édition de Téhilla Lé-David, en signe d'amitié et d'admiration.

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