Tehila le David.R.D.Hassine


Tehila le David.R.D.Hassine

תהלה לדוד 001

Mais les temps sont difficiles. Nous avons vu que David Ben Hassine vit dans une période tragique de l'histoire des juifs au Maroc. Les guerres de succession font régner l'anarchie jusqu'à l'avènement de Sidi Mohammed Ben'Abdallah, qui ramène le calme, en 1757. En 1747 , Meknès est assiégé pendant six mois, et le mellah est encore une fois livré au pillage. Ces malheurs sont aggravés par les fléaux naturels qui s'abattent sur la population marocaine. Le 18 novembre 1755  ,un violent tremblement de terre détruit la ville de Meknès. Au mellah, toutes les "maisons, les tours et les murailles s'effondrent… Deux cents juifs sont tués, et un nombre infini de musulmans…" La sécheresse, et les famines qui s'ensuivent, de 1749  à 1755  et de 1776  à 1782  accompagnées d'épidémies de peste meurtrières, déciment la population, et vident les grandes agglomérations juives. Dans un piyyout "composé le jour où Dieu s'est souvenu de son peuple et lui a envoyé la pluie", David Ben Hassine fait allusion à "la honte de la faim". Il compose plusieurs complaintes sur "la grande famine des années 1780  et 1781 pendant laquelle ont péri des centaines de coreligionnaires dans chacune des villes du Maroc, et de nombreuses personnes se sont converties à l'islam" pour échapper à la faim. David Ben Hassine est durement affecté par sa propre détresse:

Je me suis senti diminué, avili à mes propres yeux …

Le temps m'a criblé de ses flèches.

Je me suis caché là où personne ne me connaissait.

J'ai revêtu des vêtements de deuil noirs …

Dans mon exil, la poésie s'est tarie sur mes lèvres…

Souviens-Toi (mon Dieu) de ma pauvreté et de mon

dénuement, car je n'ai plus rien.

Ma douleur a grandi, je n'en peux plus.

Des jours sont venus, que je n'ai plus le goût de vivre.

La malédiction de chaque jour est encore plus terrible

que celle du jour qui le précède.

Je suis l'homme qui a connu la misère,

sous la verge de Son courroux.

173 – לדוד זממור חסד ומשפט אשירה – קע

פיוט יסדתי שנת….אשמר לו חסדי, שעברו עלי כמה הרפתקי מחמת הרעב לא תקום פעמיים צרה. סימן לדוד חזק.

 

לדוד מזמור חסד ומשפט אשירה

לך ה' אהלל ואזמרה

על טוב ועל רע, שמך אברך אזכרה

כל מעיני בך יום ולילה לא ישבתו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

דלות מעשים בשורך בעבדך

כבוש יכבשו רחמיך את כעסך

כחמר ביד היוצר הוא בידך

אחר מה חרדף מלך, אין קץ לגדלתו

אחרי יתוש אנוש, אנושה מכתו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

 

ונקלות עוד נבזה הייתי בעיני

כתותי מכתת, כי נגעה בי יד ה'

אכן שבחיו ישכחו חגוני

בהם אודיע לכל יבוא גבורתו

עשה יעשה משפט עבדו ואמתו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

ירה הזמן דרך חצים לעמתי

הלוך הלכתי מקום אין מכירין אותי

לבוש לבשתי שחורים ונתעטפתי

או אז יכנע החמר ותאותו

לעבד יוצרי יחיד ואין בלתו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

דבר טוב על בן מפחדך בשרו סמר

הורק מכלי אל כלי וריחו נמר

בגולה הלך דממו שפתיו מזמר

עורה כבודי הקשב ושמע צעקתו

לא יוסיפו עוד בני עולה לענותו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

חטאת נעורי ופשעי אל תזכר, קוני

ברחמיך פנה אלי וחנני

יסרני אך במשפט, פן תמעיטני

נותן לכל איש מחסורו ופרנסתו

לחם לאכל וגם בגד לכסותו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

זכר את עניי ומרודי כי כסף אפס

גדול הכאב ובאו מים עד נפש

הגיעו ימים אשר אין בהם חפץ

כל יום מרבה מחברו קללתו

הגבר ראה עניח בשבט עברתו

זכר ה' לדוד את כל ענתו

 

קרא נא שנת רצון רחמים ועלצון

תכלה שנה וקללותיה נוס ינוסון

תחל שנה וברכותיה הן יפרצון

שנה גשומה יורה ומלקוש בעתו

איש תחת גפנו ואיש תחת תאנתו

זרע יעקב חלק חבל נחלתו

Tehila le David – poemes de David Ben Hassine

תהלה לדוד 001

Même en temps ordinaire, le métier de poète n'est guère lucratif, et David Ben Hassine a du mal à nourrir sa famille nombreuse. Il doit chercher des expédients pour augmenter ses maigres revenus. Il exerce quelque temps le métier de copiste, comme beaucoup d'étudiants sortant de la yéshiva, où on leur enseignait l'art de la calligraphie pour qu'ils puissent gagner leur vie. Ainsi, en 1747, David Ben Hassine recopie les manuscrits de Séfer Ha-Kavvanot, de Yishaq Luria, et de Shir Mikhtam, un long poème didactique sur les lois de l'abattage rituel, de Yéhouda Ben 'Attar (1655-1733).

Des notables généreux lui versent également, selon la coutume, une modeste rétribution parce qu'il fait partie de confréries d'études sacrées.94 Un document légal daté de 1763 nous apprend que David Ben Hassine est un ministre-officiant, comme beaucoup de paytanim: il lit régulièrement la Thora dans la "Synagogue Rabbi Moshé de Avila", à Meknès, dans un Séfer Thora que le dayyan de Fez Réphael 'Obed Abensour (1706-1769), lui a confié, ce qui lui vaut quelques dons des fidèles.

Par ailleurs, un acte notarié daté du mercredi 9 Nissan 5523 (23 mars 1763) nous apprend que le rabbin Réphael 'Obed Abensour a versé à David Ben Hassine "la somme de 250 oqiot… pour les dépenses qu'il a encourues lors des travaux de construction effectués dans l'immeuble de la 'Synagogue Rabbi Moshé de Avila', à Meknès … dont le dit Réphael possède une partie". Dans un deuxième document judiciaire daté de juin 1763, David Ben Hassine donne le détail de ses dépenses, et produit deux témoins qui attestent de sa bonne foi. Ainsi, David Ben Hassine était, à l'occasion, une sorte d'entrepreneur, d'agent immobilier, ce qui révèle une facette pratique inattendue dans la person­nalité du poète.

״אני החתום מטה מודה שנתן לי החכם השלם הדיין המצויין כהה׳ר [כבוד הרב הגדול .95 רבי] רפאל עובד אבן צור נר׳ו [נטריד. רחמנא ופרקיה] ספר תורה אי[אחד] להיות קורא בו בציבור בבית הכנסת של כמהר׳ם [כבוד מורנו הרב משה] דאבילה זיל [זכרונו לברכה] …"

(document manuscrit écrit et signé par David Ben Hassine, dans une collection privée). Il est possible que notre poète soit devenu plus tard le chantre officiel de la modeste synagogue de la rue du Cimetière, à Meknès. Cette synagogue desservait encore quatre- vingt fidèles de nos jours. Au XVIIIe siècle, elle portait le nom de son premier propriétaire, Rabbi Ya'aqov Ben Simhon, mais au début du XXe siècle, on l'appelait "Synagogue Rabbi Abraham Ben Hassine", puis, plus tard, "Synagogue Rabbi David Ben Hassine" (cf. Yossef Messas, אוצר המכתבים, op. cit., 1:35).

Tehila le David.R.D.Hassine

תהלה לדוד 2

Une légende se fait l'écho de la notoriété du poète, accompagnée du dénuement le plus cruel. On raconte que deux pères, qui fêtaient le mariage de leurs enfants, n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur la manière de chanter certains piyyoutim. Le père de la mariée trancha le débat:

"Allons consulter Rabbi David. S'il trouve que j'ai tort, tout ce que j'ai préparé pour la noce sera pour lui! "

Or, ce jour-là, les enfants de Rabbi David s'étaient mis au lit sans dîner, après avoir pleuré tant ils avaient faim. Il n'y avait rien à manger à la maison. Leur pauvre mère s'était étonnée auprès de Rabbi David:

"Pourquoi le Saint, Béni soit-Il, permet-Il que des enfants innocents souffrent de la faim?"

Rabbi David répondit qu'il ne fallait pas désespérer: "Même si les enfants se sont endormis, il est encore possible que Dieu pourvoie à leur subsistance! "

Puis il se mit à prier, les larmes aux yeux. Là-dessus, les parents des mariés arrivent, et prennent Rabbi David pour arbitre de leur querelle. Dès que ce dernier leur apprend que le père du nouveau marié a raison, son adversaire tient parole, et donne l'ordre de transférer tous les mets du festin chez le poète. Rabbi David appelle son épouse:

"Va réveiller les enfants pour dîner. Dieu a entendu mes prières, et nous avons de quoi les nourrir pendant une semaine!"

Ainsi, malgré sa popularité, la situation financière du poète reste précaire pendant toute sa vie. Dans ses prières les plus poignantes, la quête du pain quotidien devient parfois obsessive. Il consacre tout un piyyout à son voeu le plus cher, au plus "grand des miracles de Dieu, qui nous nourrit ainsi que l'univers entier … à chacun selon ses besoins, pour tout ce qui peut lui manquer." Ailleurs, le poète interpelle Dieu

Remarque :    Légende racontée par Mazal-Tov 'Amar, née Hassine, descendante de David Ben Hassine à la cinquième génération, in André E. Elbaz, Folktales of the Canadian Sephardim, op. cit., pp. 45-46.

[1]          cf.״לאל עושה נפלאות גדולות לבדו״.

directement: "Israël Ton peuple a besoin de subsistance … Si mon péché est trop grand pour être pardonné, je T'implore de m'accorder ma nour- riture, comme Tu le fais pour les chiens et le corbeaux". A sa mort, Shélomo Halewa pleurera ce maître qui a vécu "dans la gêne et la pauvreté".

166 – לאל עושה נפלאות גדולות לבדו – טז

 פיוט נועם " ידי נפשי ואהובי ". סימן לדוד חסין.

 

לְאֵל עוֹשֵׂה נִפְלָאוֹת גדולות לבדו / צדקתו הגידו

הזן אותנו ואת העולם כלו / הַזָּן :

 

דר שחקים מפתח פרנסה בידו / צדקתו הגידו

צבא מרום במרום בו לא יִמְשֹׁלוּ / הזן :

 

ומשביע לכל חי בעצמו וכבודו / צדקתו הגידו

לכל איש די מחסורו אשר יחסר לו / הזן:

 

דלו עֵינֵי כל אליו כי לעולם חסדו / צדקתו הגידו

מי ידמה אליו ישלם גמולו / הזן :

 

ברך ה' יום יום אין עוד מלבדו / צדקתו הגישו

נברך שמו שאכלנו משלו / הזן :

 

נותן שכר ליראיו ורשעים יאבדו / צדקתו הגידו

לאיש כדרכיו וְכִרְפִי מַעֲלָלָיו / הזן :

 

חִזְקוּ וְאִמְצוּ אַךְ בַּה' אַל תִּמְרֹדוּ / צִדְקָתוֹ הַגִּידוּ

תִּתְעַנְּגוּ וְטוּב הָאָרֶץ תֹּאכֵלוּ / הַזָּן :

 

סֹלו סלו לָרוֹכֵב בָּעֲרָבוִת הוֹדוּ / צִדְקָתוֹ הַגִּידוּ

לְיִרְאָה אוֹתוֹ וְלִשְׁמֹעַ בְּקוֹלוֹ / הזן :

 

ישא פניו אליכם אותו תעבדו / צדקתו הגידו

ימציא לכם מזונכם איש לפי אכלו / הזן :

 

נין לישי משיח בן דוד נגידו / צדקתו הגידו

תִּתְנַשֵּׂא מַלְכוּתוֹ וְיִתְרוֹמֵם דִּגְלוֹ / הזן "

Tehila le David.RabbiDavid Hassine

תהלה לדוד 2

Un de ses rares poèmes personnels, composé lors d'un pèlerinage à la tombe du saddiq d'Aguiga, nous renseigne sur les préoccupations de David Ben Hassine, en 1778. Le poète y épanche son coeur et demande au saddiq d'intercéder auprès de Dieu pour qu'il soulage ses misères:

Et moi, ton serviteur, aujourd'hui je me tiens

 Près de ta tombe. Ecoute ma prière!

Guéris ma douleur et ma blessure!

Aide-moi à gagner ma vie!…

Plaide en ma faveur auprès du Roi,

Le Roi Un, éternel, des mondes!

Qu'il entende et exauce ta prière! Qu'il ait pitié de moi!

Qu'il protège mes chers enfants!

Qu'ils aient une longue vie heureuse!

Qu'ils respectent et accomplissent (Ses commandements)!

Il semble malgré tout, qu'en dépit de ses difficultés, le poète a réussi à faire vivre sa famille nombreuse modestement, mais décemment, et à doter ses nombreuses filles avant leur mariage! Il habitait dans une maison qui portait encore son nom au-début du XXe siècle, dans la rue El-Gzzarin, ou rue des Bouchers, qui s'appelait aussi, en son honneur, rue Rabbi David Ben Hassine, dans le Vieux Mellah de Meknès.

 

קפג. אל הר השיג הזה באתי

שיר מעין אזור בין שמונה מחרוזות ומחרוזת פתיחה. בכל מחרוזת ארבעה טורים דו־צלעיים: שלושה טורי ענף וטור מעין אזור. צלע א בטור ג ובטור מעין האזור חורזות בחריזה הסופית של טורי הענף. צלעות א של שני טורי הענף הראשונים חורזות ביניהן. במחרוזת הפתיחה החריזה שונה.

חריזה: א/ב א/ב ג/ד ג/(ד) ה/ו ה/ו ו/ו ו(ד) ז/ח ז/ח ח/ח ח/(ד).

משקל: שמונה הברות בצלע.

כתובת: פיוט יסדתי כאשר עמדתי על מצבת קבורת הצדיק הקבור באגיגה תנצב״ה. והוא נועם ׳סגולתי ואור עיניי. מרובע. סימן: אני דוד חזק. ב״צ: פיוט בשנת ישא ברכה עת בו הלוך הלכתי אל קבר איש האלהים הצדיק הקבור באגיגא וחברתי לכבודו שיר זה ואמרתי אותו על מצבת קבורתו והוא לנועם פודה ומציל. [נ״י: שיר כוננתי על מצבת… זלה״ה נועם ׳מצוק זמני אבחנה׳ מרובע…]. מקור: א- מא ע״א; ק־ מח ע״ב; בן צבי 2144 – 42 ע״ב (ב״צ); נ״י 3097 – 7 ע״ב (נ״י).

אל הר הטוב הזה באתי / אל איש אלהים קדוש הוא

42 – אל הר הטוב הזה באתי

פיוט יסדתי כאשר עמדתי על מצבת קבורת הצדיק הקבור באגינה תנצב"ה

   אל הר הטוב הזה באתי / אל איש אלהים קדוש הוא

   לשמע אזן שמעתי / ועתה עיני ראתהו

   מחזה שדי יחזה / שוכן גבוהים.

           מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   ניצב אני כדל על דל / דופק שערי חמלתה

   עמוד בפרץ אל תחדל / לך אלי לישועתה

   אל ה' בצרתה / היה נא לי לעזרתה

          עורה, והבאת אתה / הדברים אל האלהים. 

     מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   יספרו ויגידו / פלאך באי עולם

   מגשת לך יפחדו / מקטנם עד גדולים

   ואם שמך מהם נעלם / צדקתך צדק לעולם

         אל ישוב דך מהם נכלם / ישימו כסלם באלהים. 

 מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

.

   דר שחקים, אין בלעדיו / לכל לראש הוא מתנשא

   כי הכל מעשי ידיו / מי יאמר לו מה תעשה

   אך צדיקים בהם ירצה / מכל צרה אותם יפצה

          רצון יראיו יעשה / צדיק מושל יראת אלהים.  

מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   ולי אנוכי עבדך / היום הזה הן עמדתי

   על מצבת קבורתך / שמע נא את תפילתי

   רפא שברי ומכתי / והמצא את פרנסתי

      על כן פניך ראיתי / כראות פני אלהים. 

   מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   דבר אלי אל המלך / מלך יחיד חי עולמים

   ישמע וירצה קולך / ימלא עלי רחמים

   ישמור בני הנעימים / יאריכו בטוב ימים

יהיו שומרים ומקימים / מצות ה' אלהים. 

מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   חרדו נבהלו עצמי / ממצבת קבורתך

   כי רבו גדלו אשמי / לא יגור רע במגורך

   אך נשענתי על חסדך / כי הסליחה עמך

       ממדת קונך יש בך / מי אל גדול כאלהים. 

מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   זכותך תהיה עומדת / בכל עת צוקה וצרה

   סועדת וגם עודדת / זו תורה וזו שכרה

   ונשמתך הטהורה / בצרור החיים צרורה

         עם אבות שוכני מערה / בתוך גן עדן אלהים.    

מה נורא המקום הזה / אין זה כי אם בית אלהים.

 

   קרבן שלמים ועולה / ירצה יחשב שירי

   לפני אל נורא עלילה / ברוך ה' צורי

   כי ממנו יבוא עזרי / בחושך יאיר את נרי

       ויאמר אדם אך פרי / לצדיק אך יש אלהים      

ויאמר אדם אך פרי / לצדיק אך יש אלהים   

LE STATUT DU POETE DANS LA COMMUNAUTE

ר דוד חסין תהלה לדודLE STATUT DU POETE DANS LA COMMUNAUTE

Dans la communauté juive de Meknès, David Ben Hassine jouit d'une position sociale respectable, par suite de son érudition, et de son mariage. De commerce agréable, il aime ceux qui l'entourent. De son côté, il est entouré d'amis, dont, à Meknès, le dayyan Moshé Tolédano, Ya'aqov Delouya et Elisha' 'Atiya, "un homme selon mon coeur, … le confident de mes secrets", et, à Tétouan, le dayyan Yéhouda Aboudarham.

Une légende rapporte que l'un de ses amis, Rabbi Hayyim Pinto, le saddiq de Mogador, aimait chanter en sa compagnie. Aussi, tous les vendredis soir, David Ben Hassine se retrouvait miraculeusement dans la ville de Mogador, à six cents kilomètres de Meknès, et les deux chanteurs "passaient la nuit à louer l'Eternel". Rabbi Hayyim Pinto assurait à son ami que son épouse ne s'apercevrait pas de ces absences mystérieuses!

  1. Légende imprimée au Maroc sur une feuille volante, sans indication de date (Collection André Elbaz). Une amitié entre Rabbi Hayyim Pinto, mort en 1845, et David Ben Hassine, né en 1727, semble peu plausible.

David Ben Hassine compte également, parmi les amis qu'il affectionne particulièrement, les rabbins Zikhri Ben Messas et 'Amram Diwan, l'éminent émissaire de Hébron, auquel il consacre un piyyout, puis une élégie, dans lesquels il brosse un portrait émouvant de ce rabbin de Hébron, bien avant que la vénération des pèlerins juifs marocains ne l'ait transformé en un saddiq légendaire.

  1. אערוך שיר מהללי״" et אזיל דמעה״". Peu de temps après, Shélomo Halewa, poète meknassi disciple de David Ben Hassine, parle des pèlerinages sur la tombe de Rabbi 'Amram Diwan, qui a déjà acquis le statut de saddiq (Ms. J.T.S. 8578, 134a).

 Le poète s'attache à 'Amram Diwan entre 1773  et 1781  lorsque ce dernier est forcé de séjourner à Meknès, par suite des guerres de tribus incessantes qui sévissent autour de la ville. Zikhri Ben Messas organise alors dans sa propre maison une yéshiva où les trois amis étudient avec d'autres rabbins, parmi lesquels Mordekhay, le fils de Zikhri Ben Messas, et Mordekhay Asaban, sous la conduite du savant rabbin-émissaire de Hébron.

״נתעוררו מלחמות גדולות בין שבטי הפלשתים, אודות שר גדול שנמצה הרוג הוא ושני  עבדיו, בפרשת דרכים, ואז נסגרו כל הדרכים, אין יוצא ואין בא, ונשאר הרב [עמרם דיוואן] מתאכסן בבית מרז [מורי זקני זכרי בן משאש], משך שמנה שנים, כל ימי משך המלחמה, ומרז קבע לו ישיבה בביתו, ויום יום היו רבני העיר וחכמיה באים ללמוד עמו, והקבועים תמיד היו מרז, ובנו מוהר"ר [מורנו ורבנו הרב רבי] מרדכי הצדיק, והרב המשורר המפורסם כמוהר׳ר [כבוד מורנו ורבנו הרב רבי] דוד בן חסין זצ׳ל [זכר צדיק לברכה], והרה׳ג [והרב הגדול] מוהריר מרדכי אצבאן זצ׳ל. ונמשך הדבר עד חדש אביר [אב רחמן] שנת התקמ׳א, שאז שקטה הארץ, והתחילו השיירות לנסוע ממקום למקום, ואז מרז הניז [הנזכר] עמד ומכר כל נכסיו, ונסע הוא וביתו עם רב עמרם הנ׳ז לפאס, ומשם יעלו אל הארץ על דרך אלגיריין.״ אוצר המכתבים רבי יוסף משאש זצ"ל

Par suite de son grand prestige, Rabbi 'Amram Diwan contresigne, pendant son séjour à Meknès, les décisions halakhiques des dayyanim de la ville.

Ainsi, pour ses contemporains, David Ben Hassine n'est pas seulement un poète. C'est aussi un hakham, un sage, qui consacre une partie de son temps à l'étude. Le poète trouve ses joies les plus grandes dans l'étude de la Thora, à laquelle il consacre toute une série de piyyoutim Son voeu le plus ardent, c'est que ses "enfants chéris … observent les misvot de Dieu", et que son fils Aharon "étudie la Thora d'une manière désintéressée". C'est à cette époque qu'il rédige les exégèses, aujourd'hui disparues, auxquelles il fait lui-même allusion, et que mentionnent également diverses autorités rabbiniques.

Tehila le David.Rabbi David Hassine

 

ר דוד חסין תהלה לדוד

Une légende populaire exalte son amour de l'étude. Comme il poursuivait ses lectures tard dans la nuit, il gardait les pieds dans une bassine d'eau froide pour éviter de s'endormir. Un soir, voulant continuer son étude après le coucher du soleil, il demanda à son épouse d'allumer la lampe à huile. Dans l'obscurité, elle se trompa d'ingrédient et, au lieu de verser de l'huile dans la lampe, elle y versa du vinaigre. Rabbi David la consola: "Ne crains rien. Dieu, qui fait fonctionner une lampe avec de l'huile, saura   Et, également la faire fonctionner avec du vinaigre. Et, en effet, la lampe illumina la chambre jusqu'au matin

L'arrière-petit-fils de David Ben Hassine, Aharon Ben Hassine (mort après 1860 (  reproduit des écrits inédits de son aïeul dans son ספר יעיר אזן, aujourd'hui disparu (cf. תהלה לדוד, Casablanca, pp. 60b-61a). En 1931, un autre descendant du poète, Aharon Ben Hassine (1891-1964), manifeste l'intention de publier ces "ouvrages de mon ancêtre, encore manuscrits, avant qu'ils ne soient rongés par les vers" (une des pages de garde de l'édition casablancaise de  תהלה לדוד). Nous n'avons pas réussi à retrouver ces manuscrits.

Légende racontée par Mazal-Tov 'Amar, in André E. Elbaz, Folktales of the Canadian Sephardim, op. cit., p. 44. Le motif du saddiq qui reste éveillé en gardant les pieds au-dessus d'une bassine d'eau froide se retrouve dans plusieurs légendes de rabbins miraculeux (cf. celle de Réphael Berdugo, in מלכי רבנן, op. cit., p. 107a).

 Ni David Ben Hassine ni son public ne considèrent ses piyyoutim comme des créations littéraires gratuites, des exercices de virtuosité ayant une finalité purement esthétique, mais comme l'expression de l'âme religieuse et de la conscience collective de la communauté: "La passion de l'amoureux le pousse à chanter son amour en tous temps et en tous lieux. Comme l'amour de notre Créateur transcende l'amour des femmes, celui qui L'aime de toute son âme doit continuellement chanter [Ses louanges] devant Lui", explique le poète

״דרך החושק לשורר תמיד בלכתו ובשבתו בביתו על תשוקתו, לרב אהבתו. וכיון שאהבת יוצרנו נפלאת מאהבת נשים, האוהב אותו בלב שלם ישיר לפניו תמיד.״ (Postface de David Ben Hassine à תהלה לדוד [Amsterdam, 1807], p. la). Nous verrons bientôt qu'une génération avant lui, le grand poète marocain Moshé Abensour a défendu avec éloquence cette conception mystique de la poésie, dans sa préface à צלצלי שמע, op. cit., pp. 2a-6a.

 Quand il glorifie l'enseignement de Dieu, quand il chante les joies et les peines de son peuple, il se sent le porte-parole de la collectivité, qui se reconnaît en lui. Il fait partie de l'élite intellectuelle de la communauté, qui n'est pas loin de le considérer comme un de ses guides spirituels. Les nombreuses haskamot que lui accordent vers 1781-82  les rabbins les plus éminents de Fez, Meknès et Marrakech pour Téhilla Lé- David, louent aussi bien le poète que le hakham, le sage, le rabbin.

Rabbi Moshé Maïmaran le qualifie même de saddiq Depuis au moins l'année 1774. 

David Ben Hassine est un des hakhamin reshoumim – des rabbins officiels – de Meknès, digne de signer les taqqanot, ou ordonnances communautaires, de la ville, en même temps que des rabbins éminents comme Réphael Berdugo ou Shémouel Ben Wa'ish.

 Les poèmes écrits en son hon­neur, de son vivant, et les élégies composées à sa mort, en 1792, témoignent du grand prestige dont il jouissait au Maroc, bien avant la publication de son oeuvre poétique.

Dans l'ensemble, David Ben Hassine apparaît comme un homme agréable, très populaire, entouré d'une famille aimante et d'amis fidèles qui le soutiennent dans sa difficile, mais exaltante carrière de poète. Bon vivant, il aime bonne chère et bon vin … avec modération. Sensible à la beauté de la nature, il reste néanmoins un homme très pieux, un hakham érudit, versé dans les sciences rabbiniques et la kabbale, un linguiste qui maîtrise aussi bien l'hébreu que l'araméen. Il ne sépare pas la poésie du service de Dieu et du peuple d'Israël, dont il se considère comme le porte-parole.

David Ben Hassine signe la taqqana somptuaire du 9 mars 1774, et celle de décembre 1791, qui limite le nombre des synagogues à Meknès (cf. 0תקנות חכמי מכנא, op. cit., pp. 390-393 et 35-38).

[1]             En plus des poèmes d'Abraham Alnaqqar et de Hayyim David Séréro (voir ci- dessus, p. 75), plusieurs élégies sont composées, après la mort de David Ben Hassine, par des poètes comme Aharon Ben Simhon (copie du manuscrit communiquée par Réphael Ben Simhon, à Jérusalem) et Shélomo Halewa, in Ms. J.T.S. 1237, fs. 147a- 149b (Voir Yossef chétrit, ״שירתו האישית והחברתית-היסטורית של ר׳ שלמה חלואה …״, op. cit., pp. 63-65).

 

PUBLICATION DE TEHILLA LE-DAVID

ר דוד חסין תהלה לדודPUBLICATION DE TEHILLA LE-DAVID

Vers 1780  David Ben Hassine rêve de publier son oeuvre et de s'assurer ainsi une place dans l'histoire des lettres juives. Il regroupe donc les poèmes qu'il a écrits, du moins ceux dont il a conservé une copie! En effet, à cette époque, les nouveaux piyyoutim, d'abord chantés par leur créateur lui-même, circulent de main en main, en cas de succès, sous forme de copies manuscrites et, pour cette raison, finissent parfois par disparaître, tantôt parce qu'ils ne sont pas reproduits en nombre suffisant pour garantir leur survie, tantôt parce qu'ils ne sont pas inclus dans les anthologies poétiques établies par des amateurs cultivés, pour leur propre usage.

David Ben Hassine constitue ainsi un recueil de 184  poèmes, auxquels il adjoint les livrets de Méqoman Shel Zévahim et des Azharot. Il intitule ce volume Têhilla Lé-David [Hymne de David], Le manuscrit est prêt en 1782  date de la plupart des haskamot de la première édition. Le premier poème est dédié au Hakham Shélomo Shalem, Grand-Rabbin de la communauté séphardie d'Amsterdam, amateur de piyyoutim, dont il espère l'appui pour la publication de Téhilla Lé- David.\ Or, comme le Hakham Shalem est mort en 1781  cela signifie, même si la nouvelle du décès a mis une année à parvenir au Maroc, que le manuscrit était déjà prêt en 1781  et peut-être même avant, soit plus de vingt-cinq années avant sa publication..

Ce manuscrit ne semble cependant avoir quitté Meknès pour Amsterdam que beaucoup plus tard, probablement à la fin de l'année 1789  ou au début de 1790  au plus tard, puisqu'un poème daté de 1789  est inclus dans l'édition d'Amsterdam. Ce retard s'explique certainement par l'activité fébrile déployée par le poète pour trouver des mécènes susceptibles de financer cette publication, comme en témoignent les appels de fonds dans plusieurs haskamot, ou le poème dédié aux bienfaiteurs qui voudront bien l'aider à faire imprimer son oeuvre. De même, David Ben Hassine couvre de bénédictions son généreux protecteur "Shélomo Sebbag, qui m'a assuré de façon absolue qu'il s'évertuerait à rendre justice à ce livre et à le faire imprimer".

Ici se place la légende du voyage de David Ben Hassine à Amsterdam, où il aurait rencontré Shélomo Sebbag, qui souffrait d'un calcul dans la vessie. Citant un verset du Deutéronome  (25, 13) le poète lui aurait adressé la bénédiction suivante: "N'aie point dans ta bourse deux poids [pierres] inégaux, un grand et un petit!" L'allusion ingénieuse fait éclater de rire le malade, si bien qu'il en expulse le calcul, et guérit sur-le-champ! Anecdote piquante, mais sans fondement: David Ben Hassine ne s'est jamais rendu à Amsterdam, et il n'a connu son bienfaiteur qu'au Maroc.

David Ben Hassine reçoit des haskamot particulièrement élogieuses des autorités rabbiniques des grandes villes: de Meknès, celles de son beau-frère Réphael Berdugo, de son gendre Binyamin Elkhrief et de Moshé Maïmaran, qui exhorte ses lecteurs à patronner la publication de Téhilla Lé-David, "malgré le dénuement de nos coreligionnaires écrasés d'impôts"; de Fez, où son ami Hayyim David Séréro lui dédie un poème, et de Marrakech.

Nous savons que David Ben Hassine avait décidé, dès 1780  de publier son oeuvre à Amsterdam, puisqu'à cette date, il en parle de façon explicite dans son poème dédié au Hakham Shalem. Pourquoi Amsterdam? A cette époque, il n'y avait pas d'imprimerie au Maroc, si bien que les auteurs devaient surmonter toutes sortes de dificultés pour publier leurs ouvrages en Europe. Or, au XVIIIe siècle, Amsterdam était devenu un important centre d'édition hébraïque, qui exportait des livres juifs dans toute l'Europe et au Moyen Orient. Il était donc naturel que David Ben Hassine songeât à y faire imprimer son oeuvre, d'autant plus qu'un cercle poétique hébraïque y était très actif, dans la communauté séphardie, sous l'impulsion du Hakham Shalem et du poète David Franco Mendes. C'est certainement pour cette raison que David Ben Hassine en espérait un soutien efficace.

Bien que le manuscrit de Téhilla Lé-David, probablement confié à Shélomo Sebbag, que ses activités commerciales conduisaient régulièrement en Europe, quitte Meknès en 1789   ou au début de 1790 il ne sera publié aux Editions Proops, d'Amsterdam, qu'en 1807 quinze ans après la mort de David Ben Hassine. En fait, le manuscrit est en mauvais état lorsqu'il arrive chez l'imprimeur. Le correcteur des épreuves de Téhilla Lé-David, Moshé Edder'i (c. 1774-1842), se plaint, dans son préambule, des "nombreuses difficultés que j'ai éprouvées pour réviser ce livre précieux en vue de son impression, même si je l'ai fait avec amour, car il avait été écrit à la main depuis de nombreuses années, et de ce fait de nombreux mots et lettres en étaient effacés, à force de passer de main en main … Et j'étais le seul à pouvoir accomplir cette lourde tâche, car personne d'autre n'était compétent pour déchiffrer cette écriture, qui est celle de mon pays."

Après la clôture de son manuscrit, David Ben Hassine continue à composer des piyyoutim jusqu'à son dernier souffle, comme il l'écrit textuellement vers 1790 "Ceci [ce poème], je l'ai ajouté après le départ de mon ouvrage pour l'imprimerie." Il compose alors notamment sa complainte sur le sac du mellah de Meknès en 1790, et les poèmes nouveaux, inclus plus tard dans l'édition de Casablanca, dont il constitue un deuxième recueil, qu'il intitule Shétil David [Scion de David]. Le protecteur de David Ben Hassine, Shélomo Sebbag, meurt vers 1790  mais trois de ses amis, les riches et puissants notables mentionnés dans la page titre de Téhilla Lé-David, poursuivent sa tâche, et font publier le recueil poétique à leurs frais.

Diffusion de l'oeuvre de David Ben Hassine

תהלה לדוד 001DIFFUSION DE L'OEUVRE DE DAVID BEN HASSINE

Cette modeste première édition, sans doute tirée à un petit nombre d'exemplaires, est en grande partie écoulée au Maroc, comme il est d'usage pour les publications de l'époque. Elle connaît aussitôt un succès prodigieux, et devient rapidement introuvable. La notoriété de David Ben Hassine s'étend, non seulement au Maroc, mais dans toute l'Afrique du Nord, et jusqu'en Orient, où ses piyyoutim sont popularisés par les rabbins-émissaires de Terre Sainte. Ainsi, le grand voyageur Réphael Ohana (1850-1902),  originaire de Meknès, émissaire de Tibériade en Extrême Orient en 1886 ,  les fait connaître à Samarkand et dans tout le Turkestan. Certains d'entre eux sont publiés dans Séfer Pizmonim, à Calcutta, en Inde, en 1842 et à Aden, au Yémen, en 1925 . On en a même retrouvé dans la Guéniza du Caire. Enfin, Yossef Messas rapporte que le piyyout 'E'érokh Mahalal Nivi était bien connu en Pologne! De plus, à cause de la rareté de l'édition d'Amsterdam, de nombreux poèmes de David Ben Hassine continuent à paraître dans des anthologies publiées aux XIXe et XXe siècles, et même à circuler sous forme manuscrite, comme en témoignent les innombrables anthologies manuscrites, anciennes ou récentes, éparpillées de par le monde.

Des piyyoutim de David Ben Hassine comme 'E'érokh Mahalal Nivi, chanté pendant la Havdala et la brit-mila, sont entrés dans les rituels marocains et orientaux. De même, le piyyout 'Asadder Toush-bahta se trouve dans des mahzorim de Soukkot. Le plus connu de ses poèmes, " 'Oh.il Yom Yom 'Eshta 'é", est considéré comme une sorte d'hymne à la gloire de la ville de Tibériade et de ses saddiqim. Enfin, Vé-Simman Tov Vé-Haslaha, couplet extrait d'un poème nuptial, est devenu un chant d'allégresse entonné dans toutes les fêtes des juifs du Maroc.

EDITIONS ULTERIEURES DE TEHILLA LE-DAVID

Dans sa préface à la deuxième édition de Téhilla Lé-David, Aharon Ben Hassine, descendant du poète à la cinquième génération, explique que, par suite de son succès, et de sa rareté, l'édition d'Amsterdam ne pouvait suffire à la demande du public. Au début du XXe siècle, l'usage intensif des exemplaires imprimés, très recherchés, en avait rendu la lecture difficile. Finalement, Aharon Ben Hassine décide, vers 1930  d'entreprendre une collecte pour faire paraître une nouvelle édition. En 1931  il publie le nouveau recueil chez l'éditeur Yéhouda Razon, à Casablanca, en y "ajoutant des élégies et poèmes nouveaux, que le Maître composa après le départ de son volume pour la première édition". L'édition de Casablanca contient 240  poèmes, soit 56 de plus que celle d'Amsterdam. Cependant, le nouvel éditeur ignore l'existence de la longue complainte de David Ben Hassine sur les persécutions des juifs marocains pendant le règne du sultan Elyazid, dont nous parlerons plus loin, ainsi que les trois piyyoutim écrits par son ancêtre pour accompagner ses Azharot.

L'édition de Casablanca, très populaire, est largement diffusée. En 1973, Téhilla Lé-David est de nouveau imprimé à la suite d'un traité sur l'abattage rituel d'Aharon Ben Hassine. Cette édition, qui reproduit sans changement celle de Casablanca, n'est guère connue. Nous présentons ici la première édition universitaire de l'oeuvre poétique de David Ben Hassine.

אזיל דמעה Complainte sur la mort de Rabbi Amram Diwab-David Ben Hassin

אזיל דמעה

COMPLAINTE SUR LA MORT DE RABBI  AMR AM

DIWAN

"J’ai composé cette élégie en apprenant la nouvelle de la mort du grand sage, émissaire de Terre Sainte, le vénéré Rabbin ‘Amram Diwan, de bienheureuse mémoire, délégué par Hébron – Qu ’elle soit reconstruite incessamment, de notre vivant! Amen! – au mois de Av 5542 (entre le 12 juillet et le 10 août 1782). Sur l’air de 'למי אבכה'. Acrostiche:״.'אני דוד בן אהרן, עמרם׳

Je pleure à l’annonce de la mauvaise nouvelle.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

On n’entend partout que pleurs, plaintes et lamentations.

"Hélas! Hélas!", crie la Terre d’Israël, désespérée.

Le vaisseau a cru sombrer.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

La communauté d’Israël pleure amèrement.

Il n’y aura plus de fêtes ni de chants d’allégresse.

Comme elle est assise solitaire, la ville de Hébron!

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Personne ne se soucie de ses tourments.

La douleur de Qiryat Arba‘ est grande,

Car elle a perdu son protecteur, et sa lumière s’est obscurcie.

Elle se lamente. Il n’y a plus de sécurité pour les passants.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Rabbi ‘Amram savait susciter la générosité

Des enfants d’Israël (lors de ses collectes pour Hébron).

Il accomplissait les commandements du Créateur,

Il servait Dieu avec amour.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Chaque génération a ses prédicateurs et ses notables.

Tous se pressaient à ses homélies

Et prisaient ses commentaires, attrayants, plaisants.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Il remplissait sa mission avec diligence,

Puis repartait en Israël, où était sa demeure.

Là où ü séjournait, il attirait des étudiants.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Son jugement était pur et limpide,

Ses arguments décisifs. Ses paroles étaient écoutées,

Car elles étaient appropriées, toujours pertinentes.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Père affectueux, (sage) comme Darda‘, Khalkol et Heiman (au temps du roi Salomon),

Emissaire probe, toujours prêt à enseigner la Thora,

Ses paroles étaient pleines de charme.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

C’était un juge perspicace.

En tant qu’émissaire de Terre Sainte,

Sa réputation et sa probité étaient proverbiales.

Sa campagne de collecte resta fructueuse jusqu’au bout.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

Tel Rav Tavyomi, c’était le plus grand des sages.

Vision sublime! Il ressemblait à un ange de Dieu,

Avait toutes les perfections, comme une perle précieuse.

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

L’angoisse m’étreint jusqu’aux entrailles.

Comment ce juste irréprochable a-t-il pu être enterré en terre étrangère?

Maître de l’Univers! Pourquoi est-il venu (jusqu’au Maroc),

et n’a-t-il pu retourner chez lui (en Terre d’Israël)?

Hélas! La Terre d’Israël vient de perdre un grand homme.

‘Amram a été distingué, pur comme la laine la plus blanche.

Tel un astre éclatant, sa lumière pointait comme l’aube.

Son commerce était plus précieux que celui de l’argent et de l’or.

Qu’il lui soit accordé une part éminente dans le Monde Futur!

Dieu de pureté, Notre Protecteur, Eternel,

Roi qui décide de la vie et de la mort,

Accorde une longue vie à son fils (Hayyim),

Et qu’il mérite de devenir un grand sage comme son père!

Que Dieu veille sur lui jusquà un âge avancé!

Les dernieres annees de David Ben Hassine

LES DERNIERES ANNEES DE DAVID BEN HASSINE

La joie de savoir que son oeuvre va être publiée ne dure pas bien longtemps. Les derniers jours de David Ben Hassine sont endeuillés par les événements sanglants qui accompagnent le règne du sultan Elyazid. En avril 1790  ce dernier succède à son père Sidi Mohammed Ben 'Abdallah. Aussitôt monté sur le trône, il "déchaîne les soldats sur les juifs de Tétouan, les livre au pillage", écrit l'historien marocain Ennasiri. Des hommes et des enfants sont massacrés, les femmes sont violées. Elyazid donne l’ordre de détruire les grandes communautés juives du Maroc.

Le 28 avril 1790, le mellah de Meknès est mis à sac. Le pillage et les violences durent quinze jours, les juifs errent dans la campagne, nus, pendant trois semaines. Au début, comme le note David Ben Hassine avec soulagement, les juifs de Meknès échappent aux meurtres aveugles et aux viols généralisés qui ont été le lot des autres villes du Maroc. Mais, le 10 mai, Elyazid lui-même arrive à Meknès, où il exécute, dans des conditions atroces, les grands courtiers juifs de son père défunt. Mordekhay Shriqi est brûlé vif. Mes‘od Ben Zekri et d’autres notables sont pendus par les pieds à la porte du mellah pendant quinze jours, sous les huées de la populace. Le 6 juin, Elyazid chasse les juifs de Fez de leur quartier, pille leurs biens, détruit les synagogues et l’antique cimetière juif, où étaient enterrés les Expulsés de Castille. Il fait construire une mosquée au mellah, et torture les chefs de la com­munauté pour en extorquer une rançon. Les juifs de Fez sont forcés de camper dans des huttes de paille, dans un terrain vague insalubre, pendant vingt-deux mois. Les mêmes scènes de cruauté gratuite se répètent dans toutes les villes.

Profondément affecté, David Ben Hassine épanche son amertume dans une élégie déchirante, dans laquelle il brosse un tableau saisissant de ces persécutions cruelles:

Qui jamais entendit parler d’un pareil forfait?

Qui a vu venir semblable ignominie? …

Les brigands furent autorisés par les autorités

A agir à leur guise. Ils se livrèrent à tous les excès…

Ils se livrèrent au pillage jour et nuit,

Dévorèrent Israël à pleine bouche.

Dans les rues, fuyaient toutes dévêtues,

Des femmes chéries … terrorisées par l’ennemi en furie. Les mères furent écrasées avec leurs enfants …

Ils nous battaient à mort,

Avec mépris, de façon délibérée …

Les chefs de la communauté …

Chargés de chaînes, livrés au mépris et à l’humiliation … La colère du sultan s’est enflammée.

Il a pendu plusieurs hommes aux portes (du mellah de Meknès).

Une mort atroce, si cruelle! …

Le malheur et l’affliction ont frappé (les juifs du Maroc) Si bien que nombre d’entre eux ont abjuré leur foi. D’autres sont morts en martyrs Pour sanctifier le Tout-Puissant …

Souviens-Toi, mon Dieu! N’oublie pas Ton alliance! Sauve, sauve Ton peuple! Ce cauchemar ne prend fin qu’en février 1792, lorsque le sultan Elyazid, blessé à mort pendant une bataille près de Marrakech, est remplacé par son frère Moulay Sliman. Les juifs marocains connaissent enfin un peu de répit.

MORT DE DAVID BEN HASSINE

En 1792, la renommée de David Ben Hassine est bien établie au Maroc. Son talent et son érudition sont respectés partout, et il a la satisfaction de savoir que son oeuvre poétique va être publiée. Les plus hautes autorités rabbiniques des grandes villes lui ont témoigné leur estime en rédigeant des préfaces élogieuses pour son oeuvre. Le dimanche 10 Tammouz 5552, soit le 30 juin 1792, il s’éteint à Meknès, au milieu des siens, à l’âge de soixante-cinq ans. Pendant les obsèques, Aharon Ben Simhon, de Meknès, prononce une oraison funèbre en prose rimée, où il fait l’éloge du sage, du poète et du maître qu’il vient de perdre, en termes dithyrambiques. Le poète meknassi Shélomo Halewa, qui se considère comme le disciple de David Ben Hassine, compose quatre élégies en son honneur, où il exalte sa science rabbinique et son talent d’orateur, sa notoriété de poète, sa grande modestie et son amour de l’étude: "Ce sage, ce juste, chantre des cantiques d’Israël … Sans lui, je reste orphelin … Même pendant ses vieux jours, sa réputation n’a cessé de croître. Il était honoré comme un roi par tout Israël … Il a étudié la Thora de façon désintéressée, dans la gêne et la pauvreté".

״נעים זמירות ישראל … בלתו נותרתי אלמן… איה שוקל וסופר? גלה כבוד מישראל … גם עד זקנה ושיבה, שומעו גדל והולך. מכובד כמו מלך בעיני כל ישראל …ולומד תורה לשמה, מדוחק ומעוני״.,

David Ben Hassine est enterré dans l’ancien cimetière, maintenant désaffecté, du vieux mellah de Meknès. Aujourd’hui, sa tombe allongée, vieille de deux siècles, n’est plus qu’un simple monticule de terre arrondi, chaulé de blanc, qui ne porte plus aucune inscription. Très rares sont ceux qui connaissent son emplacement, tant elle est semblable aux innombrables tombes anonymes qui l’entourent de toute part. Yossef Ben Naïm précise que David Ben Hassine est enterré près des rabbins Shémouel Ben-Wa‘ish et Shémouel Abensour.

Comme pour beaucoup de rabbins marocains, sa tombe a fini par devenir l’objet d’un culte touchant. On raconte qu’une vieille femme avait fait le voeu de chauler la tombe de Rabbi David Ben Hassine, à Meknès, une fois par an. Mais une année, elle était si pauvre qu’elle ne put acheter la chaux nécessaire. Comme elle se lamentait, un homme vêtu comme un musulman fit son apparition au seuil de sa porte, et lui laissa un seau plein de chaux, sans se faire payer. Tous les voisins furent convaincus que le musulman était le messager de Rabbi David, dont le renom s’étendit encore davantage.

Tehila le David- Section francaise-Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan-1999-page 92-96

Tehila le David- Section francaise-Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan-1999

 

LA POESIE HEBRAÏQUE AU MAGHREB

A partir du Xe siècle, le judaïsme maghrébin, qui entretient des relations étroites avec les Académies babyloniennes et palestiniennes, participe à la floraison de la poésie hébraïque ancienne, qui s’était développée en Terre d’Israël et en Orient depuis l’époque talmudique. A ses débuts, cette poésie, essentiellement liturgique, a pour fonction d’embellir ou même de remplacer le texte des prières. Malgré l’opposition de certains Guéonim, qui estiment que les prières canoniques ne doivent pas être interrompues par les piyyoutim, Sa‘adya Gaon cède à la pression populaire et les introduit dans son Siddour. Jusqu’au Xe siècle, le piyyout accompagne les prières, notamment pendant le Yoser et la répétition de la ‘Amida.

Hayyim Schirmann, le grand historien de la poésie hébraïque espagnole, affirme que "l’apport du Maghreb et de l’Ifriqiyya (l’Afrique du Nord du Maroc à la Tunisie) a été déterminant dans le développement de la poésie hébraïque ancienne: Yéhouda Ibn Qoureish, Dounash Ben Labrat, Ya‘aqov Ben Dounash et Adonim Ben Nissim Ha-Lévi, tous y sont nés et tous ont contribué de façon importante à l’épanouissement de notre littérature. "

 Yéhouda Ibn Qoureish (de la deuxième moitié du IXe siècle au début du Xe siècle): grammairien, lexicographe et poète hébraïque originaire de Tahert, en Algérie, en contact avec les juifs de Fez.

Dounash Ben Labrat Halévi (c.920-c.990): linguiste et poète hébraïque originaire de Fez (voir ci-dessus, note 8, p. 10).

Ya‘aqov Bar Dounash (c. Xe siècle): poète hébraïque apparemment originaire du Maroc (cf. שירים חדשים מן הגניזה, op. dt., pp. 42-45).

Adonim Ben Nissim Ha-Lévi (deuxième moitié du Xe siècle): rabbin et poète de Fes.

Le piyyout oriental ancien continue à se développer en Afrique du Nord comme en Espagne, qui constituent à cette époque une seule entité culturelle et même politique.5 Mais, au milieu du Xe siècle, Dounash Ben Labrat, linguiste et poète originaire de Fez, adapte l’art poétique arabe à la poésie hébraïque, notamment dans le domaine de la prosodie.

D'une manière générale, la prosodie est l'inflexion, le ton, la tonalité, l'intonation, l'accent, la modulation que nous donnons à notre langage oral en fonction de nos émotions et de l'influence que nous désirons avoir sur nos interlocuteurs. En outre, c'est l'étude des traits phoniques, c'est-à-dire l'étude du rythme (vitesse d'élocution), l'accent et l'intonation.

Il introduit artificiellement, dans la langue hébraïque, une différenciation marquée entre les syllabes brèves et les syllabes longues, et fixe pour chaque vers le nombre et l’ordre de ces syllabes. Cette innovation, accueillie avec enthousiasme, amorce l’épanouissement de l’Ecole classi­que espagnole (Xe-XIIe siècles), où vont s’illustrer Shémouel Ha-Naguid (993-C.1055), Shélomo Ibn Gabirol (c. 1020-c. 1057), Moshé Ibn ‘Ezra (c.1055-c.1136), Abraham Ibn ‘Ezra (1089-C.1167) et Yéhouda Ha-Lévi (c. 1074-1141).

Yéhouda Ha-Lévi, le plus grand poète de la période classique espagnole, a utilisé dans son oeuvre la métrique arabe, qu’il accuse pourtant de "forcer la langue hébraïque" et de "corrompre la structure et l’harmonie de notre langue"! 

 En plus de Dounash Ben Labrat, des poètes d’origine maghrébine comme Yishaq Ben Khalfon (c.965-après 1020) ou Yéhouda Ibn ‘Abbas (mort en 1167), auteur du célèbre piyyout "‘Et Sha‘arei Rason", font partie de l’Ecole espagnole. Pour la première fois, les poètes hébraïques ne se cantonnent plus exclusivement dans la création liturgique, mais abordent avec talent des thèmes purement profanes: la

beauté de la nature, le lyrisme personnel, le vin, l’amour, y compris celui des éphèbes, et même, chez Shémouel Ha-Naguid, la guerre!

L’adoption de la métrique arabe favorise l’introduction de la musique hispano-mauresque dans la poésie hébraïque, surtout dans les mouwashahat, poèmes lyriques séduisants d’origine arabe, composés de strophes aux rimes variées, et terminés par une kharja, ou sortie, sorte d’envoi piquant rédigé en hébreu, en arabe ou en dialecte roman. Les mouwashahat sont destinés à être chantés sur l’air de chansons andalouses populaires, ce qui leur assure un grand succès. Aussi, ce genre poétique essentiellement profane, aux thèmes bachiques et érotiques, est bientôt adapté à la poésie liturgique, en Espagne comme au Maghreb,11 au grand scandale de puristes comme Maimonide, qui condamne sans recours l’introduction de la musique "étrangère" et des thèmes érotiques dans la poésie hébraïque.

Après la destruction des communautés juives andalouses par les Almohades, au milieu du Xlle siècle, l’Ecole espagnole amorce son déclin. Cependant, des poètes hébraïques comme Yéhouda Al-Harizi ou Todros AbouBafia, en Espagne chrétienne, Yishaq Ben Shéshet Perfet et Shim‘on Ben Sémah Douran, réfugiés espagnols à Alger, ou Yéhouda Ben Dra‘ et Yéhouda Sigilmassi, au Maroc, continuent à composer leurs poèmes selon les normes classiques. De même, après l’Expulsion de 1492, des poètes espagnols comme Sa‘adya Ibn Danan, Abraham Ha- Lévi Baqrat et Abraham Abi-Zimra s’installent au Maghreb, où, avec des poètes expulsés de la deuxième et troisième générations comme Abraham Gabishon et Yishaq Mandil Aben Zimra, ils constituent un pont entre la poésie et la culture andalouses et la poésie hébraïque nord-africaines des siecles suivants.

  1. Yéhouda Al-Harizi (c.ll70-m. après 1235): auteur espagnol de maqamat, pièce

 en prose rimée, imitées de l’arabe-sefer tahkemoni- et traducteur du (more nevouchim,) de Maimonide.

Todros Ben Yéhouda Ha-Lévi Aboul'afia (1247-C.1300): poète populaire à la Cour de Tolède.

Yishaq Ben Shéshet Perfet, dit Ha-Ribash (1326-1408): illustre rabbin et poète espagnol né à Barcelone, réfugié à Alger à la suite des massacres de 1391 (voir ci- dessus, note 31, p. 61).

Shim'on Ben Sémah Douran, dit Rashbas (1361-1444): savant rabbin, philosophe, médecin et poète espagnol, lui aussi réfugié à Alger à la suite des massacres de 1391. Ses responsa y exercent une grande influence.

Yéhouda Ben Shémouel Ben Dra‘: poète marocain du XHIe ou XIVe siècle (cf.

Ephraïm Hazan, ״רבי יהודה בן שמואל בן דראע משורר קדום ממרוקו״, Sinaï 92 [1983]:138-149).

Yéhouda Ben Yossef Sigilmassi: poète marocain de la deuxième moitié du XlVe siec (cf. Shim‘on Bernstein, ״ר׳ יהודה בן יוסף סג׳למאסי, הפייטן הנשכח ופיוטיו״, in 19561:217-233] 12 חורב

Tehila le David- Section francaise-Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan-1999-page 100

אוחיל יום יום אשתאה Saddikim de Tiberiade.Rabbi David Hassine

 

אוחיל יום יום אשתאה

SADDIQIM DE TIBERIADE

 

"J’ai composé ce piyyout à la gloire des caveaux sublimes de la ville de Tibériade. Qu ’elle soit reconstruite incessamment, de notre vivant, Amen! Sur l’air de '

כוכב עוזך'. Acrostiche:׳״אני דוד בר אהרן בן חסין חזק׳

 

Tous les jours, rempli d’espoir, je le souhaite ardemment.

Mon regard impatient espère sans cesse.

Ah! Que j’aimerais y aller, et contempler La terre sainte de Tibériade!

 

Comme son site est agréable!

Comme elle est belle!

Elle a pour enceinte le Lac de Kinnéret,

C’est là que la ville est édifiée.

 

Des justes au coeur pur

 Y reposent dans leurs sépultures.

Leurs tombes s’y pressent.

Tous étaient des hommes illustres!

 

Sur le versant de la montagne, on peut voir

 La tombe de Rabban Yohanan.

Là gît Ben Zakkay,

Qui fut unique en sa génération.

 

De ses cinq disciples,

Hommes justes et pieux,

Plus précieux que l’or,

Il ne cessait d’énumérer les mérites.

 

Il comparait le premier (Eli‘ezer Ben Horqanos)

 à une citerne étanche,

Qui ne perd jamais une seule goutte.

Il nommait son compagnon (Yossé Ha-Kohen)

"homme pieux",

Et un autre (Shim‘on Ben Nétal’el)

"celui qui craint le péché".

 

Parmi eux, un savant (ETazar Ben ‘Arakh),

rempli de la sagesse de la Thora,

Comme une source qui grossit sans cesse.

 Heureuse celle qui enfanta (Yéhoshoua‘),

Le fils de Hanania.

 

Une stèle se dresse au faîte de la montagne.

C’est la sépulture de Rabbi ‘Aqiva,

Avec ses vingt-quatre

 Mille disciples.

 

Heureux celui qui forme le dessein

D’aller y voir, de près,

Rabbi Hiyya et ses fils,

Yéhouda et Hizqiyya!

 

Au sommet de la haute montagne

A été édifiée

La tombe de Rabbi Méir,

Le Maître des miracles et des merveilles.

 

Ici repose Rabbi Yohanan,

Tout près de Rav Houna,

Et avec eux, Rav Kahana

 Et Rabbi Yirmiyya.

 

C’est là qu’a été inhumé,

Rabbi Moshé Bar Maïmon,

Le commentateur de la Thora,

Le Maître de tous les sages.

 

Mais voici également, de mémoire bénie,

Le grand Maître,

L’Arbre de Vie, le commandant suprême,

Scion de la famille Aboul'afia,

 

Ceint d’une couronne sacrée,

Conseiller des nations.

Son enseignement de la Thora était recherché

De l’aube au coucher du soleil.

 

O Dieu Tout-Puissant, à nul autre pareil!

(Rabbi Hayyim Aboul'afia) était un saint homme de Dieu.

Le souffle de ses paroles

Etait semblable à une braise incandescente, une flamme divine.

 

Il rebâtit, embellit la ville (de Tibériade),

Son enceinte et ses bastions.

Il fut le mécène de son Académie

Tous les jours qu’il vécut.

 

Que sa postérité soit étemelle!

Qu’elle jouisse de la prospérité la plus grande!

Que mon humble bénédiction ne paraisse pas

 Insignifiante et indigne!

 

Que mon chant d’allégresse,

Mes paroles et ma mélodie

 Soient à Tes yeux, O mon Dieu,

Comme l’offrande la plus pure!

Tehila le David- Section francaise-Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan-1999

Après la destruction des communautés juives andalouses par les Almohades, au milieu du Xlle siècle, l’Ecole espagnole amorce son déclin. Cependant, des poètes hébraïques comme Yéhouda Al-Harizi ou Todros AbouBafia, en Espagne chrétienne, Yishaq Ben Shéshet Perfet et Shim‘on Ben Sémah Douran, réfugiés espagnols à Alger, ou Yéhouda Ben Dra‘ et Yéhouda Sigilmassi, au Maroc, continuent à composer leurs poèmes selon les normes classiques. De même, après l’Expulsion de 1492, des poètes espagnols comme Sa‘adya Ibn Danan, Abraham Ha- Lévi Baqrat et Abraham Abi-Zimra s’installent au Maghreb, où, avec des poètes expulsés de la deuxième et troisième générations comme Abraham Gabishon et Yishaq Mandil Aben Zimra, ils constituent un pont entre la poésie et la culture andalouses et la poésie hébraïque nord-africaines des siecles suivants.

  1. Yéhouda Al-Harizi (c.ll70-m. après 1235): auteur espagnol de maqamat, pièce

 en prose rimée, imitées de l’arabe-sefer tahkemoni- et traducteur du (more nevouchi,) de Maimonide.

Todros Ben Yéhouda Ha-Lévi Aboul'afia (1247-C.1300): poète populaire à la Cour de Tolède.

Yishaq Ben Shéshet Perfet, dit Ha-Ribash (1326-1408): illustre rabbin et poète espagnol né à Barcelone, réfugié à Alger à la suite des massacres de 1391 (voir ci- dessus, note 31, p. 61).

Shim'on Ben Sémah Douran, dit Rashbas (1361-1444): savant rabbin, philosophe, médecin et poète espagnol, lui aussi réfugié à Alger à la suite des massacres de 1391. Ses responsa y exercent une grande influence.

Yéhouda Ben Shémouel Ben Dra‘: poète marocain du XHIe ou XIVe siècle (cf.

Ephraïm Hazan, ״רבי יהודה בן שמואל בן דראע משורר קדום ממרוקו״, Sinaï 92 [1983]:138-149).

Yéhouda Ben Yossef Sigilmassi: poète marocain de la deuxième moitié du XlVe siec (cf. Shim‘on Bernstein, ״ר׳ יהודה בן יוסף סג׳למאסי, הפייטן הנשכח ופיוטיו״, in 19561:217-233] 12 חורב

  1. Sa’adya Ben Maïmon Ibn Danan (mort en 1493): illustre rabbin, grammairien, grand poète et médecin originaire de Grenade, réfugié en Algérie à la suite de l’Expulsion espagnole de 1492, auteur d’un traité sur la versification hispano- hébraïque, מלאכת השיר (Francfort-sur-le-Main, 1865).

Abraham Ben Shélomo Ha-Lévi Baqrat (fin du XVe-début du XVIe siècle): poète originaire de Malaga, en Espagne, réfugié à Tlemcen à la suite de l’Expulsion de 1492, auteur de nombreux poèmes encore inédits.

Abraham Ben Méir Abi-Zimra, ou Zmiro: poète espagnol, originaire de Malaga, réfugié à Tlemcen avec son ami Abraham Baqrat après l’Expulsion. Loué pour son érudition et sa connaissance de la langue et de la poésie arabe dans עומר השכחה, d’Abraham Gabishon (Livourne, 1748), pp. 126-127.

Abraham Ben Ya’aqov Gabishon (15657-1605): talmudiste, médecin et poète algérien, descendant d’Expulsés espagnols. Nombre de ses poèmes ont  été publiés dans

עומר השכחה

Yishaq Mandil Aben Zimra (mort après 1614): rabbin et poète à Fez, puis en Algérie, fils d’Abraham Abi-Zimra.

David Ben Hassine connaît "les traités théoriques et la poésie des grands classiques" séphardis, et il considère "notre maître Yéhouda Ha-Lévi" comme "le plus grand des poetes"

 Du XVIe au XVIIIe siècle, les poètes hébraïques maghrébins restent conscients de la prééminence des modèles classiques espagnols. Ya‘aqov Abensour, de Fez (1673-1752), et Moshé Abensour, de Salé (mort après 1717), sont les derniers poètes à rester fidèles à la métrique classique d’origine arabe, dans une partie de leur oeuvre. Mais la poésie marocaine va bientôt suivre sa propre voie, et adopter progrès- sivement les techniques et les thèmes que nous retrouvons chez les poètes des XVIIIe et XIXe siècles. En général, ces derniers s’affranchissent des modèles prosodiques arabes, par trop contraignants. Ainsi, David Ben Hassine et ses contemporains, en Afrique du Nord comme en Orient, n’utilisent plus le mètre quantitatif espagnol, mais le mètre "syllabique- phonétique", beaucoup plus souple et plus naturel, mieux adapté à la langue hébraïque.

Au point de vue linguistique, ils abandonnent le purisme biblique des grands classiques séphardis. Leur hébreu, plus simple, plus populaire, puise dans toutes les sources historiques de la langue: Mishna, Talmud, prières, langue de la philosophie et de la kabbale. Ils n’hésitent pas à utiliser l’araméen. La langue de David Ben Hassine abonde en néologismes: mots nouveaux créés de toutes pièces par le poète, acceptions nouvelles données à des termes existant déjà dans la langue hébraïque.

Les poètes maghrébins généralisent l’usage de la signature en acrostiche, et adoptent avec enthousiasme la technique du shibbous, ou insertion dans leurs piyyoutim d’une mosaïque de versets ou de fragments de versets bibliques, et de textes des prières et du Talmud, prati- quée par les poètes séphardis depuis l’époque classique espagnole. Chez David Ben Hassine, nous trouvons même un hémistiche entier pris dans un poème de Yéhouda Ha-Lévi, ce qui confirme qu’il connaît bien les grands classiques du Moyen Age. En fait, il ne se contente pas d’insérer des fragments de textes sacrés dans ses compositions poétiques. Avec une virtuosité éblouissante, il change l’orthographe des termes

empruntés, ce qu’il signale souvent, avec un clin d’oeil au lecteur, par des guillemets. Il leur attribue un sens inattendu, riche de sous-entendus, radicalement différent de celui qu’ils avaient dans le texte sacré original, ou encore se livre avec humour à des jeux de mots, des calembours spirituels qui montrent sa maîtrise de l’hébreu et de l’araméen, mais en même temps, intègrent harmonieusement ces insertions dans sa création poétique.

La poignante "Elégie sur la mort d’une femme en couches" con­tient de nombreuses illustrations de cette technique. Le vers 6, "Pour prendre le deuil de Sara et pour la pleurer" reproduit Genèse, xxiii, 2. Au vers 7, "Une voix retentit dans Rama" (Jérémie, xxxi, 14) devient "Un cri d’affliction amer" (mara, en hébreu). Au vers 22, les avances lascives de la femme de Poutifar à Joseph, "pour être à ses côtés et coucher avec elle" (Genèse, xxxix, 10), évoquent l’image saisissante d’un bébé innocent qui veut téter le sein de sa mère morte! Aux vers 17־ 18, l’appel pathétique de la mère mourante, qui donne le ton à toute cette élégie, est pris directement dans le livre de Job (xvii, 14). Elle aussi crie à la tombe qui l’attend: "Tu es mon père!", et aux vers de terre qui vont bientôt ronger son cadavre: "Tu es ma mère et ma soeur!" Enfin, au vers 35, comme dans beaucoup d’autres de ses piyyoutim, le nom du poète se profile derrière un des noms donnés au Tout-Puissant dans le Psaume 89, verset 9 ("Hassine", en hébreu). L’usage, et souvent l’abus, du shibbous caractérise la poésie hébraïque nord- africaine des quatre derniers siècles.

  1. Ces jeux de mots sont très nombreux dans les piyyoutim de David Ben Hassine. Ainsi, dans l’élégie ״הנה מית״תו שלשלמה״,״קול שופר במחנה״, au lieu de ״הנה מטתו שלשלמה״ (Cantique des Cantiques, iii, 7); dans le piyyout ״מזמור שיר השירים״, il écrit au premier vers, ״שיר השירים אשי״ר לשלמה״, au lieu de ״שיר השירים אשר לשלמה״ (Cantique des Cantiques, i, 1), et, au vers 29, "זהו מקומן של שבחים" au lieu de "איזהו מקומן של זבחים״ CMishna, Zévahim, v, 5); dans le piyyout ידידי תן הוד״", le poète joue avec les lettres du dernier mot de chacun de ses vers, par exemple, au début, en épelant le nom de la personne louangée, Eliézer: ׳אל״ף למ״ד יו״י עי״ן זיי״ן רי״ש׳, etc.
  2. On trouvera d’autres exemples de la technique du shibbous dans l’introduction hébraïque.

Tehila le David- Section francaise-Andre E.Elbaz et Ephraim Hazan-1999-page-103

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