onomastique-judeo-nord-africaine-jerusalem-1976


David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

REFLEXIONS SUR L’ONOMASTIQUE IUDEO-NORD-AFRICAINE

DAVID CORCOS

Un chercheur qui aborde la question des noms propres chez les Juifs de l’Afrique du Nord pressent immédiatement l’intérêt qu’un tel champ d’action offre à sa curiosité. Ses premières investigations lui révèlent déjà le parti qu’il peut tirer de cette étude. Il constate que dans le vaste domaine où il vient de pénétrer, les Juifs avaient éprouvé très tôt le besoin de fixer un nom pour leurs familles. C’étaient, comme toujours, des noms de plantes, de fleurs, d’épices, de particularités physiques, des noms de métiers, des ethniques de noms de lieux, des noms patronymiques, prénoms ou surnoms d’ancêtres lointains. Sur cette vieille terre chargée d’histoire, où plusieurs civilisations se sont superposées, on trouve encore des noms de famille qui plongent leurs racines jusque dans l’antiquité; et ce n’est pas là la seule surprise que l’onomastique judéo-nord-africaine nous réserve.

En Afrique du Nord, l’influence arabe n’a pas transformé le caractère fondamental des Berbères. Les moeurs et les coutumes ancestrales de ces derniers sont restées pour ainsi dire immuables. Il y a encore quelques décades, l’organisation tribale des Berbères était une réalité dont le maître du moment devait tenir compte. Les tribus berbères étaient fractionnées en un grand nombre de petites unités: c’étaient des familles et chacune d’elles avait un nom propre.

En dehors d’autres considérations qui. certes, ont leur importance, il semble bien que ce soit sous l’influence des Berbères que les Juifs Nord-Africains, dont une partie, d’ailleurs, sont de purs autochtones, avaient adopté des noms pour leurs familles. Cette pratique, les Juifs de la Berbérie l’ont prise avec eux en Espagne où elle se généralisa, en milieu juif, depuis les XIII-XIV siècles. Comme en milieu musulman, certaines familles juives reprirent alors une méthode qui existait au X et XIe siècle en Afrique. Cette méthode consistait à choisir dans leur liste généalogique un prénom plus remarquable que les autres et moins usité en y ajoutant l’indice de filiation arabe “ibn”. Dans le cas où il n’y avait que des prénoms d’un usage courant dans leur liste, ils choisissaient un de ceux qui était composé de trois consonnes en y ajoutant la syllabe ün (oun). L’orientaliste R. Dozy avait d’abord pensé que cette terminaison était l’augmentatif espagnol qui, par exemple, se trouve dans Hombron (-gros homme) etc. Plus tard, il convint qu’il s’agit d’un augmentatif non pas espagnol, mais arabe. Au XI" siècle, remarque S. D. Goitein, cette forme est particulière à la Tunisie. C’est de cette manière que se formèrent un grand nombre de noms propres chez les Juifs et chez les Musulmans, par exemple: Ibn Khaldün (de Khalid), Khalfün (de Khalifa), Farjün (de Faraj), Sa‘dün (de Sa‘d), etc.

Il y a d’autres formes beaucoup plus anciennes; celles-là sont d’origine libyque, berbère. Trois d’entre elles ont particulièrement frappé le savant Stéphane Gsell qui avait remarqué que dans la Johannide de Corippus, les noms propres ne sont pas latinisés. Le poète africain les a reproduit sous leur forme indigène. En citant plusieurs exemples, Gsell écrit:

Un grand nombre d’entre eux se terminent par la désinence an qui rappelle la formation du participe berbère des verbes qualificatifs, participe tenant lieu d’adjectif: par exemple, aberkan, étant noir, celui qui est noir. D’autres se terminent avec la désinence in, ou avec la désinence asen: ces formes se sont perpétuées dans le Maghrib . . ,

En effet, la liste est longue des noms chez les Musulmans de la Berbérie et de l’Espagne, de l’Occident Musulman comme on dit depuis peu, qui se terminent par an, asen et in. Chez les Juifs, ces catégories de noms propres sont également nombreuses: Issan, Meran, Ghozlan etc., sans parler des noms communs aux Juifs et aux Musulmans et qui ont une origine identique. Un prénom juif assez courant dans les communautés du Sud et de l'Atlas, était, il y a à peine vingt ans, Messen. Or, ce nom se compose de MS (Mes) qui veut dire “Maître” en berbère ancien et garde encore sa signification chez les Touaregs, et de SN (sen ou bien asen) qui signifie “ux”, d’eux”, c’est-à-dire leur maître, exactement comme Yaghmorasen, se composant de “Yaghmor” qui veut dire étalon et de “asen” (=d’eux). signifie leur étalon ou chef de sa tribu. Aussi, il n’est pas aventureux de dire que Messen était à une époque reculée peut-être un nom de plus pour désigner, chez les Berbères, le “Naguid”, le “Zaken”, l’“Amghar” juif, c’est-à-dire le “Sheikh al-Yahud” ou le “Mukkadem” dans les régions arabisées. Notez que chez les Juifs de la Berbérie il a existé, et il existe encore, aujourd’hui, des noms propres comme “Ben-Zaken”, “Ben-Amghar” et, à ce qu’on m’a rapporté, au moins deux familles “Ben-Messen”. Quant à la désinence in qui exprime une qualité et joue le rôle d’adjectif (généralement au pluriel), elle est la plus répandue. Pendant la période anté-islamique, nous connaissons déjà en Afrique des Autufadin, Cutin, Garafin, Marzin, Sanzin etc. Après la conquête arabe, on nous parle de Yahya ibn Telagaggïn, chef lemtounien au Sahara peu après l’an 1000, converti à l’Islam. Son ancêtre qui vécut au VIIIe siècle s’appelait aussi Telagaggïn. Son successeur, Tilütan (m. en 837), gouvernait sur toutes les tribus du Sahara dont quelques-unes, disent les chroniqueurs arabes, étaient “des Arabes (c’est-à-dire des nomades) et pratiquaient la religion juive”. Les légendes sur cette question ne manquent pas, ce n’est pas ce qui nous importe tellement ici, mais le fait qu’il a existé au Moyen Age et jusqu’à aujourd’hui, des familles Gaggin (moderne Gaguin) originaires de l’Afrique du Nord (le nom de R. Hayyim Gaggîn était célèbre au début du XVIe siècle à Fès) et qu’on ne sait pas quelle est l’origine de leur nom. Il y a eu aussi des Berbères qui s’appelaient Ü-Gagg et Wa-Gagg ou encore Ü-Agagg.; Les premiers maîtres berbères de Sijilmassa, Ibn Wanüdïn, sont bien connus de même que les vizirs hafsides Ibn Tafraggïn etc. On connaît également les grandes tribus berbères du Moyen Age, les Bâdïn, les Tüjin etc. Un nom qui me paraît significatif est celui de Ibn Isrâggïn, mais le plus intéressant de tous est certainement, pour nous, celui de Ibn ‘Aknïn. C’est un nom qui est, bien entendu, d’origine berbère, mais ce nom n’a été porté que par des Juifs. C’est ce qui frappe en premier lieu.

‘Aknïn (עקנין qu’on écrit aussi, mais par erreur עכנין), à qui l’indice de filiation berbère Ü semble avoir été ajouté à une époque assez récente, est formé de ‘Akn et de in. Or, ‘Akn est le même que ‘Akân, diminutif judéo-berbère de Ya'küb (Jacob). Dans le parler judéo-berbère ou judéo-arabe du Maroc, ‘Akân est encore fréquemment employé; mais depuis un certain nombre de générations, ce diminutif s’était localisé dans le Sud où il est resté uniquement comme un diminutif. Dans un acte officiel, rabbinique, on n’écrira jamais ‘Akân’ pour Jacob. Même un homme, montagnard, campagnard ou citadin, qui n’a jamais été connu que comme “ ‘Akân X” ne s’appellera pas autrement que “Jacob X” dans sa Ketuba par exemple. Dans le cas qui nous intéresse ‘Akân’ est devenu ‘Akn parce qu’avec la terminaison in, où se trouve déjà une voyelle, ce diminutif se prononce mieux ainsi dans la bouche d’un Africain du Nord et en particulier d’un Marocain. De ‘Akânïn on a fait ‘Aknïn comme de Dawîdi on a fait Daüdi. Chez les Musulmans de Fès, par exemple, un des saints les plus révérés dans cette ville, Mahammad ben al-Hassan, se prononce Mhamd ben l’Hssen.

[1]          Gaggîn est naturellement dérivé de Oggag ou bien Waggag. qui tous les deux signifient “fils de Gagg” ou bien “fils de Aggag”. Voyez “ ‘Aknïn’’, ci-dessous.

[1]          En général les noms se terminant par in sont purement berbères commes Bologgïn, Tashfïn Merïn, Ifuïn, Warrugïn Urtajïn etc., ou judéo-berbères comme ‘Aknïn, Assü-lïn, Gaggîn, Hassïn, Faggïn, Funïn, Ütmezggin etc. Les noms où la désinence in est précédée d'un d, ce qui forme le mot arabe din me paraissent difficiles à situer et cela d'autant plus qu’ils sont portés par des Berbères musulmans comme Wanüdïn (comparez Wad-Dïn = fleuve de religion — l'Islam — ). Cette difficulté ne peut exister quand il s’agit de Juifs.

[1]          Nous savons déjà qu’en berbère le Ü qui précède un nom veut dire “fils de”; N — An=En, Mez, Mis ou bien Ammis et enfin Ür ont été plus anciennement utilisés avec la même signification, par exemple: Mez-Zerwal (=fils de Zerwal. MeZrZerwal prend un autre sens dans le dialecte arabe du Maroc moderne). Mez-Üaret, (=fils de Üaret aussi “l'hérétier”). On trouve chez les chroniqueurs arabes des noms de la Berbérie qui commencent par Ü, O, Mez etc. précédés du ibn, ben qui dans ces cas fait double emploi. C’est une faute qu’Ibn Khaldün, comme d'autres, commet très souvent (voyez les remarques que fait à ce sujet son traducteur, de Slane, Histoire des Berbères, Paris 1927, t. II, p. 3, n. 2, p. 76, n. 2 et p. 174, n. 3). Les listes rabbiniques contiennent la même erreur, par exemple, Ben-Ohana, Ben-Wa‘knïn, Ben-Wahnün etc. Dans un autre ordre d’idée il faut indiquer que l’arabe Abu (vulg. Bou ou bien Bo = père de) est quelquefois employé dans un sens autre que celui qui est véritablement le sien, par exemple Abü Darba n’est pas le “père de Darba’’ (Darba n’est pas un nom), mais “le balafré”, c’est un surnom et Bohbot veut dire “le ventru”.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976-page131-134

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