Les veilleurs de l'aube-Victor Malka

Le bedeau, chargé en particulier, pour le coup, de la distri­bution du traditionnel thé à la menthe pendant la séance, est déjà à l'œuvre. Naguère encore, ce n'étaient pas de simples verres de thé que l'on distribuait d'abondance aux fidèles lors de ces veillées shabbatiques, mais des coupes de mahia, un alcool blanc traître – spécialité locale dans la fabrication de laquelle les juifs sont, dit-on, passés maîtres, singulièrement dans certaines villes de l'est du pays – et qui vous tourne la tête en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire.

 Le résultat était que ces rencontres à vocation religieuse, mystique et spirituelle mais aussi musicale, débouchaient parfois, en fin de parcours et au cœur même de la synagogue, sur le spectacle d'hommes dont l'exaltation et la ferveur ne devaient rien alors au sentiment religieux mais tout aux effets et aux effluves (aux dommages collatéraux) de l'alcool.

 Les rabbins de la ville, unanimes, eurent vite fait d'y mettre bon ordre. La décision fut prise : le thé à la menthe, autre spécialité locale, remplacerait désormais avantageusement l'alcool blanc, qu'il ait été fabriqué à Meknès ou à Sefrou.

Le maître de cérémonie, c'est lui. Il est appelé le moqaddem ou chantre en chef. Rabbin, poète, chantre, David Bouzaglo est tout cela à la fois. C'est autour de lui et sous sa direction que se conjugueront et que vont s'articuler notamment le rythme et la distribution des poèmes et des rôles, ainsi que, d'une manière générale, le déroulement des événements. Il est l'homme de la poésie, de la connaissance et de l'art, et c'est d'abord lui que l'on est venu écouter.

Autour du maître, quelques-uns de ses collaborateurs les plus assidus et les mieux formés. Tout au long de la semaine, il a pris soin de préparer, chez lui, ses collaborateurs à l'organisation et au déroulement de la veillée ainsi qu'aux difficultés éventuelles que peuvent receler tel ou tel poème, tel ou tel passage de l'art musical andalou.

 Il a notamment attiré leur attention sur tel piège musical dans telle pièce de la musique andalouse. C'est que deux modes de cette musique sont, en tel endroit, tellement proches l'un de l'autre que l'on risque simplement le déra­page ou la confusion.

 Le maître a bien vérifié que les collaborateurs en question – tous jouissant de très jolies voix, c'est bien le moins – connaissent les différents modes musicaux sur lesquels seront chantés les poèmes et autres pièces liturgiques du jour. Ces participants actifs doivent également connaître les rythmes spécifiques à la ׳< partition musicale », jamais écrite, de la semaine, ainsi que les règles qui lui sont propres.

 Par ailleurs, le maître ayant, de notoriété publique, des cordes vocales fragiles et sensibles, par exemple aux brusques évolutions du cli­mat, il a tout au long de la semaine pris des médicaments prescrits par ses médecins habituels afin d'être fin prêt pour la veillée du shabbat.

La cérémonie peut désormais commencer. Les quelques fidèles qui se trouvent là depuis des heures ont commencé très tôt par la lecture d'extraits du Zohar, ceux notamment qui appellent l'homme à purifier son âme avant que ne se lève le jour et ceux qui mettent spécialement l'accent sur la promesse divine de la rédemption.

 Ces fidèles n'ont attendu personne pour prendre cette initiative. C'est ainsi qu'ont opéré leurs pères et leurs grands-pères. Et peu importe qu'ils ne comprennent pas toujours les tenants et les aboutissants du texte dela Kabbale: ils sont convain­cus que Dieu, lui, les comprend.

Puis, quand enfin arrive le maître, un récitant, choisi par lui, donne lecture sur des airs marocains d'un certain nombre de textes liturgiques et de psaumes du roi David : Au milieu de la nuit, je me lève pour te rendre grâce (Ps 119, 62) ; Lève-toi, clame dans la nuit, au début des vigiles (Lm 2, 19) ; Quand chantent en chœur les étoiles du matin et que tous les fils d'Elohim acclament (Jb 38, 7 ').

On dit parfois que ces airs sont tellement anciens qu'il n'est pas impossible qu'ils aient appartenu au patrimoine musical palestinien jadis en usage au Temple de Jérusa­lem. Et qu'ils seraient parvenus dans ces régions de l'ex­trémité de l'Afrique dans les bagages de commerçants juifs à l'époque lointaine où les bateaux du roi Salomon, fils de David, faisaient escale dans les ports du pays et venaient faire commerce – de bois d'ébène notamment – avec les populations locales.

La psalmodie de ces textes terminée, on passe à l'inter­prétation musicale de deux poèmes eux-mêmes en rap­port avec la littérature ésotérique que l'on appelle ici la « sagesse intérieure ». Ces textes sont communs au rituel de toutes les semaines, même si, à chaque fois, ils sont chantés sur des airs différents. Le premier de ces textes (Dodi yarad leganno, Mon amant est descendu à son jar­din) est l'œuvre d'un poète-kabbaliste de l'école de Safed, Haïm Cohen, originaire d'Alep et disciple de rabbi Haïm Vital, lui-même héritier spirituel d'Isaac Louria dit le Ari (le lion).

 Le poème – long de vingt-sept strophes et aujourd'hui connu par tous les juifs originaires du Maroc – a un caractère résolument ésotérique. Il s'agit d'une sorte de dialogue conduit entre Dieu et la communauté d'Israël, un peu dans la résonance du Cantique des Cantiques.

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