La Colombe de la Paix – David Elmoznino

La    Colombe  de  la  Paix

David Elmoznino

   Par beau temps, à vol d'oiseau, d'un seul et même point de vue, un vaste panorama englobant quatre pays s'offre devant les yeux : là devant soi, c'est Israël ; sur la gauche, au-delà des eaux du golfe se profile Aqaba en Jordanie ; les monts éloignés sur la droite, c'est le Sinaï et à l'horizon oriental, en regardant attentivement, il est possible de distinguer l'Arabie Saoudite.

   Eilat a la particularité de chevaucher ces quatre points géographiques. Dans le golf Aqaba-Eilat, deux localités qui, vues du ciel, paraissent se fondre en une seule et même grande agglomération, on observe depuis de nombreuses années l'apparition d'un fait insolite. Une sorte de phénomène naturel unique en son genre. De massives migrations d'oiseaux en quête de nourriture, faisant un va et vient constant et spectaculaire entre les deux localités.

   Un couple de pigeons avait pris ses quartiers sur le rebord d'une fenêtre au cinquième étage d'un immeuble locatif à Eilat, virevoltant, souillant et roucoulant  jour et nuit. Ce fut d'abord un pigeon mâle qui atterrit sur le rebord de la fenêtre, le col brillant, éclatant, affichant une gorge puissante au-dessus d'un abdomen impressionnant. Sa compagne atterrit derrière lui, petite et gracieuse, le plumage blanc comme neige. Le mâle se cambre en arrière, s'étire, redresse le corps et bombe le torse, le regard flou, les yeux dans le vague. Elle s'approche de lui. Il se rengorge et s'envole, paradeur, dans un déploiement d'ailes, fier de sa beauté et de ses atouts. Il fait le tour du bâtiment et revient.

   Elle se tient sur l'extrémité de son perchoir et lance de petits regards saccadés alentour. Il la fixe un instant, elle lui rend un regard intimidé. Il s'approche d'elle, enfouit le bec dans sa tête et dans son ventre, puis leurs becs se soudent, ils "s’embrassent". Il se sépare d'elle et entame une ronde, une parade de séduction riche d'effleurements et de frottements. De sa tête, elle le caresse. Il exhibe une gorge éclatante et brillante, déploie les ailes et, d'un bond, atterrit sur son dos, la couvre et se soude un instant à la femelle consentante.

   Et ainsi de suite, de jour comme de nuit, un spectacle ininterrompu, agrémenté de sons de cour et de bruissements d'ailes.

   La colombe eilatienne appartient à une espèce très particulière unique en son genre. C'est le produit de la colombe commune en Israël, la colombe des rochers – Columba rupestris – et la colombe domestique. Sa couleur varie entre le blanc, le gris et le gris clair. Deux bandes noires recouvrent ses ailes. Sa tête brille d'un éclair métallisé, vert ou violet pourpré. La colombe, communautaire, nidifie en bandes organisées indistinctement dans des bâtiments abandonnés ou habités. A Eilat, les colombes font preuve d'une grande faculté d'adaptions, se fondent dans tout milieu et composent avec toute situation. Tous les efforts déployés par les eilatiens pour s'en débarrasser sont à ce jour restés vains et semblent plutôt renforcer leur pouvoir de résistance.

   Le propriétaire de la maison était résolu à s'en débarrasser par tous les moyens. Il eut recours aux stratagèmes les plus récents et s'essaya à toutes les idées modernes existantes censées les chasser du rebord de sa fenêtre. Mais rien n'y fit. A bout de ressources, il se résigna à boucher l'ouverture, à murer la fenêtre de l'intérieur et pris le parti de les oublier et de les ignorer. Il s'en va, il se retire, il renonce.

   Entre temps, les volatiles à l'abri de toute intrusion, s'occupent d'assurer la relève et de produire en toute tranquillité la génération de continuité. La femelle pond deux œufs blancs plusieurs fois par année qu'elle couve en toute quiétude, cependant que le propriétaire se tient coi, le regard fixe. Observateur passif aux yeux écarquillés, bouillant intérieurement et gardant le silence. Il n'a que quelques heures de répit par jour, des moments de grâce durement gagnés – une belle accalmie lorsque les pigeons s'envolent vers la ville d'Aqaba.

   Jour après jour, aux petites heures du matin, avec le lever du soleil, tandis que l'air est encore pur, vif et transparent et qu'un jour nouveau s'annonce, les oiseaux s'élancent vers le ciel, comme mystérieusement mus par un ordre venu d'en haut.

   Des dizaines de formations de pigeons se constituent à Eilat, prennent leur envol en direction de Aqaba et s'abattent sur le port de mer qui la borde. A Eilat, ne restent que les malades, les blessés, les oisillons tendres et fragiles perchés sur les toits et les rebords de fenêtres. Du haut de leur vol, les colombes distinguent les quatre pays et jouissent du paysage époustouflant du golf d'Aqaba.

   Aujourd'hui encore, nul n'est en mesure d'expliquer le mystère entourant aptitude et faculté à identifier leur lieu de destination. Comment, au grand jamais, dans leur périple entre Eilat et Aqaba, en empruntant la route claire séparant les deux cités, ils ne se sont perdus en chemin.

   A Aqaba, cette multitude de pigeons en quête de nourriture, s'abat sur le port de mer regorgeant de graines et de semences. De gigantesques entrepôts débordant de céréales se dressent dans le port voisin, abritant les précieuses denrées déversées par un grand nombre de navires marchands convoyant leur marchandise vers la Jordanie, l'Irak, les Etats-Unis et autres pays.

   Les pigeons y passent une grande partie de la journée avant de reprendre le chemin du retour, de revenir vers nous à la tombée de la nuit, rassasiés et repus, virevoltant joyeusement en direction de Eilat et survolant un golf éblouissant, éclairé de milles lumières multicolores. Et sans doute, afin d'alléger leur vol de retour au bercail, ils ne manquent pas de lâcher quelques reliquats résiduels issus de leur digestion quotidienne.

  Au cœur du Golf, en pleine mer, passe la frontière virtuelle entre Israël et la Jordanie. Il y a peu d'années, alors qu'aucun traité de paix n'entre les deux pays n'existait encore, le propriétaire se contentait d'admirer le paysage à travers sa fenêtre et rêvait du jour où il pourra contempler Aqaba sans devoir recourir à une longue vue ou à une paire de jumelles.

   Les pigeons n'en avaient cure et traversaient allègrement la frontière en toute impunité. Tel un augure, un présage de la paix à venir entre Israël et la Jordanie. Tout un symbole.

Traduction  de langue hébraïque: Jacob-Rony Ruimy.                 

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