Les veilleurs de l'aube-Victor Malka

Il écrit lui-même (il dicte plus précisément, notamment à sa fille), comme l'ont toujours fait, dans le pays, tous les rabbins et tous les hommes lettrés de sa communauté. Ne fut-ce, dans son cas, que pour dire ce qui déchire son cœur et lui ôte tout sommeil. Raconter le côté désormais tra­gique de son existence. Il compose des textes hébraïques sur des musiques populaires marocaines et parfois égyp­tiennes.

Mais il ne donne jamais à ses poèmes – quoi que lui en disent ceux qui, shabbat après shabbat, viennent l'écou­ter – une importance quelconque. Il ne les signe même pas de son nom complet, se contentant d'avoir recours à telle ou telle forme d'acrostiche. C'est désormais pour lui essentiellement un gagne-pain, voilà tout ! Il ne se consi­dère pas comme un véritable poète. C'est pourquoi il refusera toujours avec humilité, mais résolument, les dif­férents projets qu'on lui apporte – clefs en mains, comme on dit – consistant à réunir ses poèmes dans un recueil. Il a une grande admiration pour des poètes comme David Elkaïm ou David Hassine, ou encore Raphaël Moshé Elbaz qu'il chante avec jubilation et délectation. Mais aussi avec une admiration enthousiaste qu'il exprime publiquement (par des onomatopées du folklore local comme « Allah, allah ! » pour dire « que c'est beau ! ») au moment même où il les chante. Mais qui est-il, fait-il observer calmement à ses amis et à ses élèves, pour oser se comparer à de telles sommités ? Le signataire de ces lignes se souvient de l'avoir entendu dire un jour : « Face à ces géants, je ne suis que poussière. »

Et reprenant un vers célèbre du poète de l'âge d'or espagnol Abraham Ibn Ezra, il ajoute : « Ne sont-ils pas des lions quand je ne suis qu'un vermisseau ? »

David aurait par ailleurs écrit une lettre dans laquelle il évoque le rapport qu'il a à ses poèmes. Il dit n'avoir jamais considéré « ces chuchotements de (son) cœur » ou ses méditations comme des textes pouvant tenir le coup face à la critique. « J'accepte, ajoutait-il, que, demain, l'oubli les frappe et en balaie jusqu'au souvenir. Je ne m'en soucie pas »

Sans doute David Bouzaglo se considérait-il davantage comme musicien que comme poète, plutôt comme chantre religieux que comme un réel écrivain. De la musique avant toute chose : voilà ce qu'était son idéal. Les vers qu'il écrivait ne semblaient être pour lui que prétexte à faire vivre par le chant les modes les plus difficiles et les plus sophistiqués de la musique andalouse. Et il n'ajoutait guère foi à ceux des rabbins pourtant éminents qui, le samedi au petit matin, après l'avoir écouté, lui faisaient mille compliments sur ses poèmes et sur la beauté et l'élé­vation de son inspiration. Il s'était, en matière de poésie, formé à rude école. Il y avait appris l'exigence. Il pensait sans doute que, tant qu'à se livrer à l'écriture de poèmes, il fallait tenter d'être Yehouda Halévy ou rien. Mais des Halévy, il n'y en a qu'un par siècle – et encore ! Il importe peu : lui ne se considérait pas comme un poète. Mais tout le judaïsme marocain, en ces années 1960, n'évoquait son nom que comme l'un de ses poètes les plus représentatifs. Une sorte de porte-parole. Une fois installé en Israël, il y sera d'ailleurs – ainsi qu'on va le voir – accueilli, reconnu et célébré comme tel.

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