Reflexions sur l'origine des Juifs des regions nord-sahariennes

A cette présence judaïque qui dans l'Antiquité nous paraît relative­ment faible, bien que plus importante que dans les autres provinces de l'Occident, s'oppose curieusement l'ensemble des documents du Moyen Age et des Temps modernes qui révèlent une toute autre ampleur des communautés Juives chez les Berbères

Il serait trop long, et cela dépasserait largement les dimensions que nous voulons donner à cette communication, de faire seulement le recensement de tous les textes qui montrent un renversement complet de la situation. Dès les débuts de l'époque musulmane, au moment même de la Conquête, il semble bien que les communautés juives apparaissent non plus dans un cadre urbain, comme sous l'Empire romain, mais organisées en tribus. Même si nous faisons preuve d'un esprit hypercritique à l'égard de sources, qui paraissent en grande partie légendaires, nous ne pouvons repousser totalement l'impression très nette d'une augmentation de la population juive ou judaïsante à partir du Ve et surtout du Vie siècle et d'une ruralisation de cette population. Certes, on insiste certainement à tort sur le personnage de la Kahéna, reine de la tribu aurasienne des Jarawa qui comme la plupart de ces contribules aurait été de religion juive. Cette héroïne berbère s'appelait en réalité Dahiya et son père Mathia porte un nom hébreu mais qui peut être aussi chrétien. Il n'est pas impossible que le surnom qui lui a été donné par les auteurs arabes "Kahina" (devineresse) ait contribué à accréditer son origine juive par confusion avec le nom de Kohen. Il n’empêche que des tribus entières comme les Mediouna étaient et restèrent juives. Le nom de Medioni est d'ailleurs exclusivement porté par des Juifs au Maghreb. Cette tribu nomadisait dans le Maghreb central, dans l'actuelle Wilaya de Tlemcen. Pendant les premiers siècles de la domination musulmane des principautés juives ou de Berbères judaïsants s'organisèrent; celle du Touat ne disparaîtra qu'au XVe siècle. Dans les nouvelles villes, comme dans les anciennes cités, des communautés juives prospèrent: à Kairouan, où brille l'école rabbinique la plus célèbre après celle de Bagdad et où, sous les derniers émirs aghlabites et le premier calife fatimite, la médecine de cour est assurée par des Juifs tels Ishak ben Amrane et Ishak ben Soleîman; à Fez, où, dès la fonda­tion, les Juifs occupent tout un quartier, celui d'Aghlen et où le gram­mairien Iehouda ben Karish, né à Tahert, participe sous Idriss II à la jeune renommée de la capitale. Comment s'étonner, dès lors, que les Juifs participent activement à la vie politique? Souvent conseillers des émirs, ils n'hésitent cependant pas à donner le signal de la révolte tel cet Abou el Faradj (l'homme au coq) dont An Nuwayri dit qu'il était Juif et qui, au Xe siècle, souleva les Kétama contre les Zirides

Or cette population judéo-berbère était, pendant le Haut Moyen Age, bien plus importante, relativement à l'ensemble de la population, qu'elle ne le devînt au cours des siècles car il faut tenir compte des conversions forcées et massives exigées par les Almohades au Xlle Maïmonide, trois siècles avant les Marranes, précise à cette occasion que la conversion cachée n'est pas un péché si elle s'accom­pagne d'une fidélité secrète. Il n’empêche que des communautés en­tières comme celles de Tlemcen et de Sigilmassa disparurent alors. Les siècles suivants virent ainsi disparaître celles de Tamentit et du Touat, et encore au XVIIIe siècle, si on croit A. Cahen, qui écrivait en 1866, les Juifs de Touggourt furent contraints de se convertir à l'Islam par décision de Bou Djellab, sultan de la ville. Ces convertis constituèrent le groupe social des Mehadjerin, qui demeure le plus riche de la ville et garda des relations étroites avec les communautés juives des autres villes du désert

Ce peuplement fut, en effet, particulièrement important dans la zone prédésertique et c'est, je crois, cette répartition qui peut nous donner la clé de son origine. Recherchons tout d'abord l'âge des premières manifestations. Certes, Saint Augustin nous fait connaître la présence de Juifs à Tozeur" mais c'est là un fait isolé et qui peut être mis en relation avec les communautés tripolitaines. On peut songer à des groupes de commerçants établis dans le Nefzaoua et le Djerid pour le commerce des dattes et des produits caravaniers. En fait l'arrivée massive de Juifs ou la conversion de nombreux Berbères au Judaïsme -"est faite dans ces régions avant la conquête arabe, comme tend à le montrer l'histoire, même légendaire, de la Kahina

De nombreux auteurs pensent expliquer cette expansion du Judaisme par les persécutions ordonnées contre les Juifs par l'administration byzantine: les Juifs chassés de Carthage et de Tripolitaine et, plus à l'Est, de Cyrénaïque, auraient gagné le désert et auraient con­verti les tribus dans lesquelles ils trouvaient refuge. Cette explication ne me paraît pas recevable car je ne pense pas que quelques décennies aient suffi pour, à la fois, intégrer les communautés juives et judaïser des tribus entières

En revanche, faire remonter à l'échec de l'insurrection juive de Cyrénaïque (en 115-118) le développement, sous l'influence des Zélotes, de communautés juives du Désert qui n'auraient atteint le Maghreb que quatre à cinq siècles plus tard est aussi illusoire car le mouvement paraît beaucoup trop lent et insuffisamment documenté

C'est cependant de Cyrénaïque et de la Tripolitaine voisine, qui dans l'Antiquité étaient des provinces où l'implantation juive était ancienne et puissante, que vinrent nécessairement les ferments sinon les groupes qui contribuèrent à judaïser une partie de la population des régions prédésertiques du Maghreb. A mes yeux, le vecteur prin­cipal est l'apparition, à la fin du Ve siècle des groupes chameliers, des nomades Zénètes, ces Néoberbères qui vinrent s'enfoncer comme un coin dans la masse des Paléoberbères Sanhadja descendants des Numides, des Maures et des Gétules de l'Antiquité, les séparant en deux masses principales, les sédentaires montagnards au nord et à l'est, les grands nomades au Sahara central et occidental (Lemtouna et Touareg). On peut suivre entre le IVe siècle et le Moyen Age le lent déplacement de ces tribus Zénètes. Le cas des Louata (les Levathae des auteurs latins) est particulièrement démonstratif, on les voit passer successivement du Sud de la Cyrénaïque au voisinage de l'Aurès puis dans le Maghreb central, tandis que la tribu des Maghrawa se répand de l'Ifriqiya méridionale au Maghreb el 'Aqsa. C'est donc une large bande prenant en écharpe le sud du Maghreb central, l'Oranie et une bonne partie du Maroc et le nord du Sahara qui passe ainsi sous le contrôle des Zénètes. Or, si de nombreuses communautés juives sont liées indiscutablement à ce groupe néoberbère, il faut bien reconnaître qu'elles font pratiquement défaut chez les groupes paléoberbères sanhadja, qu'ils soient Kabyles ou Touareg

La liaison entre les Juifs maghrébins et les Berbères principalement zénètes me paraît donc indéniable. L'existence de textes liturgiques en langue berbère, telle que la Haggadah de Pesah retrouvée à Tinrhir dans le Todrha (sud-marocain) et publiée par Mme Galand et M. Zafrani n'est pas en contradiction avec cette opinion

?Mais pourquoi les Zénètes auraient-ils été les vecteurs de cette judaïsation

Aucune réponse satisfaisante ne peut être donnée à cette question

possible que l'ébranlement initial des Zénètes se soit accompa­gné d'un brassage de populations et que plusieurs groupes juifs de Cyrénaïque et de Tripolitaine, déstabilisés par de multiples persécu­tions mais conservant la tradition zélote et prosélyte, se soient joints aux tribus berbères dans leur lente progression vers l'Ouest. Cette association se serait faite d'autant plus facilement que ces groupes juifs auraient pu conserver ou reprendre une vie nomade.

Si les Zénètes viennent de plus loin encore et descendent vraiment des Himyarites sud-arabiques les possibilités de judaïsation sont encore plus fortes et plus anciennes. Les Falasha d'Ethiopie, qui furent séparés de la Synagogue avant la rédaction du Talmud, sont les témoins de ce très ancien prosélytisme dans la corne est de l'A­frique

On ne saurait, enfin, s'étonner que quelques tribus berbères aient pu être partiellement judaïsées en ces premiers siècles du Haut Moyen Age puisque en d'autres lieux et au même moment les Khazars de la Basse Volga se convertissent en masse au Judaïsme.

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