Les Juifs du Maroc : histoire d’une catastrophe qui n’a jamais eu lieu

יגאל בן נוןLes Juifs du Maroc : histoire d’une catastrophe qui n’a jamais eu lieu

Par Amina Boubia

Le Journal Hebdomadaire n° 341, du 15 au 21 mars 2008, Casablanca, pp. 56-57. 

Dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la création d’Israël et de l’indépendance du Maroc, la communauté juive marocaine quitte le pays par crainte. Retour sur une histoire marquée par plus de peur que de mal.

C’est dans une ambiance très nostalgique et passionnée que se tenait dimanche 9 janvier au Centre Edmond Fleg de Marseille une journée des Juifs du Maroc. Au programme notamment : repas marocain, Oud et conférence de l’historien israélien Yigal Bin-Nun sur « la communauté juive du Maroc après l’indépendance  Compte-rendu.

Qui dit histoire dit fin. En effet, selon Yigal Bin-Nun, la communauté juive du Maroc d’aujourd’hui – entre 2000 et 3000 personnes – n’a plus une grande importance comparée au passé. Mais l’historien insiste : « La présence juive au Maroc reste très importante d’abord dans la mémoire collective de la société marocaine musulmane, comme le montrent les sites Internet et toutes sortes de colloques valorisant ce passé juif. Ensuite, il y a ce phénomène – seul cas pour un pays arabe – d’une communauté juive marocaine dans le monde, en Israël, en France, au Canada et dans d’autres pays, qui a quitté le Maroc sans aucune amertume. Au contraire, plus qu’une simple nostalgie, cette communauté garde en mémoire quelque chose de très positif sur l’histoire du judaïsme marocain. »

Une question se pose cependant : comment est-on passé de près de 160.000 Juifs à quelques milliers seulement aujourd’hui ? Dans l’histoire des Juifs du Maroc, la Seconde Guerre mondiale est indéniablement une date clé du fait de ses profondes conséquences sur le judaïsme dans le monde. Peu après la fin du conflit, en 1948, l’Etat d’Israël est proclamé. Le nouvel Etat, qui ne compte alors que 600.000 Juifs, se tourne vers les populations juives d’Afrique du Nord et plus particulièrement du Maroc pour mener à bien sa politique de peuplement. Enfin, après le Manifeste de l’Istiqlal de 1944, l’idée s’impose chez la communauté juive du Maroc que tôt ou tard la France sera amenée à quitter le pays. C’est donc dans ce contexte historique très mouvementé que cette communauté s’interroge sur son devenir, passant d’une position asioniste, voire antisioniste avant la Seconde Guerre mondiale à un sionisme soft après la guerre. La crainte d’une expulsion, de pogromes, de discriminations se fait de plus en plus sentir au sein de la communauté, ainsi que chez les organismes juifs internationaux et les dirigeants israéliens.

Pourtant, les risques pour la communauté juive au Maroc étaient minimes. Bin-Nun précise à cet égard que les émeutes anti-juives d’Oujda et Jerrada de 1948 – 44 morts – et celles de Sidi Qassem de 1954 – 6 morts – étaient fomentées par les Français. Suivant la logique « diviser pour mieux régner », ils espéraient ainsi se positionner comme protecteurs de cette communauté dans le contexte de la lutte pour l’indépendance. Les Juifs, eux, restaient méfiants à leur égard, étant plus attirés par les motivations nationalistes de leurs compatriotes musulmans. Le 2 mars 1956, le Maroc est indépendant et, très vite, les craintes de la communauté juive sont apaisées. Le Maroc accorde à la communauté juive les mêmes droits que la majorité. Des Juifs sont nommés à de hauts postes de responsabilité, y compris au sein du gouvernement.

Mais malgré cette donne rassurante, le Congrès juif international et les émissaires israéliens entament des pourparlers avec le gouvernement marocain et l’opposition pour garantir la sécurité et « la libre circulation » de la communauté juive – parler de « départs » n’était pas politiquement correct –, persuadés que des pogromes finiraient par éclater tôt ou tard. L’émigration clandestine se poursuit, des armes sont acheminées en secret et des jeunes formés à leur maniement en vue d’une éventuelle nécessité d’autodéfense. C’est la période du Misgeret.

L’inquiétude croit progressivement, d’abord avec l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe. Bin-Nun ajoute que le Maroc, en dépit des discours officiels, résiste pendant deux ans à l’adhésion malgré le prestige de Nasser. Le Maroc craignait en effet l’influence du leader égyptien, symbole de la chute des royaumes au Proche-Orient. L’adhésion a lieu finalement en octobre 1958.

Puis, en novembre 1958, le dahir de marocanisation stipule que tout organisme sera reconnu comme tel à condition de se définir comme marocain et de bénéficier de financements marocains. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce dahir n’a causé, selon Bin-Nun, que des dégâts très limités, favorisant l’accès des Juifs marocains aux postes de directions des organismes après le départ des Juifs étrangers. Le dahir n’a d’ailleurs pas empêché le Congrès juif mondial de s’imposer comme l’organisme le plus présent lors des pourparlers entre le Maroc et Israël.

Le premier coup dur réel est porté par la rupture des relations postales avec Israël le 12 septembre 1959. La communauté juive du Maroc ne pouvant plus communiquer avec ses parents en Israël, la répercussion la plus néfaste de cette rupture a été d’alimenter les craintes d’une escalade. Un réseau alternatif clandestin est mis en place.

Les paradoxes de l’émigration

Les lettres transitant par le réseau clandestin étant contrôlées, la rupture des relations postales a permis de connaître l’objet des correspondances. Les révélations sont pour le moins intéressantes. Les Juifs marocains en Israël se plaignent du manque de logement et de travail, le jeune Etat hébreu ne pouvant fournir les structures nécessaires à l’accueil des nouveaux arrivants ; ceux encore au Maroc évoquent leur désir de partir en dépit des conditions qui les attendent à l’arrivée, leur crainte quant à l’évolution possible de la situation prenant le dessus.

En dépit de ces inquiétudes, il n’en est pas moins vrai que des Juifs marocains ont protesté dans des lettres contre l’acheminement secret des armes. Une mesure jugée inutile, en raison justement de l’absence d’émeutes. C’est ainsi que les jeunes formés au maniement des armes seront employés dans l’émigration clandestine.

Lorsque des exactions contre les Juifs sont perpétrées par la police le 3 janvier 1961 lors de la Conférence de Casablanca, il s’agit, d’après Bin-Nun, d’opérations menées suite à de fausses alertes contre un complot juif lancées par les gardes du corps de Nasser. Des licenciements et des excuses suivront de la part des autorités marocaines.

Le naufrage du Pisces dans la nuit du 9 au 10 janvier 1961, où 45 personnes trouvent la mort, précipite la fin l’émigration clandestine. Pour Bin-Nun, ce drame est la conséquence d’un excès de zèle d’Israël qui a mené l’opération tout en informé du mauvais état de l’embarcation. En effet, après ce drame, en août 1961, un accord de compromis est signé entre le Maroc et Israël autorisant les des départs collectifs.

Interrogé sur l’idée très répandue de propagandes exercées par les organismes juifs et par Israël afin de faciliter les départs de la communauté juive du Maroc, Yigal Bin-Nun répond par la négative. D’après lui, « il est vrai que d’un côté Israël était très intéressé par cette population mais, d’un autre côté, Israël n’avait pas besoin de faire de la propagande pour inciter les Juifs locaux à partir. La pression venant des couches sociales défavorisées de la population juive marocaine pour quitter le Maroc était plus importante que la possibilité d’Israël de les intégrer. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a créé en Israël la ‘sélection’, quelque chose de très péjoratif dans la mémoire collective des Juifs marocains et qui consistait à ne faire venir en Israël que des familles capables de subvenir à leurs besoins. »

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, le départ sans ressentiment de la communauté juive marocaine perpétue aujourd’hui encore l’image d’un Maroc tolérant.

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