Le tournant décisif de l’année 1961 : le naufrage du Pisces- Yigal Bin-Nun

יגאל...הרצאהLe tournant décisif de l’année 1961 : le naufrage du Pisces
L’année 1961 fut une année décisive dans l’histoire du Maroc. Elle vit se dérouler des événements déterminants pour le destin des Juifs : le 3 janvier, Gamal Abdel Nasser arriva au Maroc pour participer à la conférence de la Ligue arabe à Casablanca. Sa visite déclencha une vague d’incidents qui resta gravée dans la mémoire de la communauté. Le 11 janvier, le bateau d’émigrants Pisces (Egoz) coula avec 45 personnes à son bord. Un mois plus tard, à l’occasion de la cérémonie commémorative de leur disparition, la Misgeret  distribua des tracts contre les autorités, ce qui entraîna plusieurs arrestations et l’effondrement du réseau clandestin israélien au Maroc. Le 26 février, le roi Mohammed V décéda, quelques jours seulement après avoir reçu les dirigeants de la communauté pour écouter leurs doléances et les rassurer. Son fils Moulay Hassan fut couronné roi à sa place. Au début août, les négociations entre Israël et les autorités marocaines pour une évacuation des Juifs du pays aboutirent et le 21 novembre débuta l’opération Yakhin, au cours de laquelle les Juifs commencèrent à quitter le Maroc avec des passeports collectifs et individuels pour s’installer principalement en Israël. Cette année fut sans doute une date charnière dans l’histoire de la communauté, qui transforma aussi la démographie d’Israël.

La visite du président égyptien à Casablanca fut un événement traumatisant pour la communauté. Il était le symbole du réveil nationaliste panarabe et de l’effondrement de plusieurs régimes monarchiques. Cette tendance ne manqua pas d’inquiéter le régime marocain qui dut s’aligner, contre son grès, sur les tendances pro-nassériennes de son opinion publique. La politique anti-israélienne de Nasser rapprocha le conflit israélo-arabe du cœur des Marocains, ce qui renforça leur nationalisme arabe et suscita une certaine hostilité envers l’Occident, imperceptible auparavant. Les Juifs, de leur côté, attendaient avec angoisse l’ennemi d’Israël, pour voir comment sa visite pouvait avoir une influence sur leurs relations avec les Musulmans. Nasser atterrit au Maroc le 2 janvier 1961 mais, dès la veille, des témoignages avaient fait état d’exactions policières contre des passants juifs. Des policiers insultèrent des vieillards, des femmes et des enfants dans la rue parce qu’ils portaient des vêtements avec un mélange de couleurs bleue et blanche, rappelant, à leur avis, le drapeau israélien. On leur reprocha aussi de porter des vêtements noirs, comme signe de deuil envers l’ennemi d’Israël. Des policiers insultaient le Premier ministre israélien Ben Gourion . On entendit parallèlement des policiers glorifier Nasser, le dirigeant du monde arabe. Il est nécessaire de noter à ce sujet que cette atmosphère n’avait rien de spontané. Elle est la conséquence, au moins en partie, de la propagande panarabe diffusée dans la presse en langue arabe des partis politiques, à la veille de la visite .
Les dirigeants de la communauté dressèrent une liste détaillée des actes antijuifs au cours de ces dix jours néfastes, du premier janvier jusqu’au naufrage du Pisces, le 10 janvier. Le compte-rendu faisait état de vingt incidents, au cours desquels des policiers s’en prirent à 200 ou 300 Juifs, dont certains furent même arrêtés . Ces incidents ne firent pas de victimes et les personnes interpellées furent relâchées au bout de quelques heures, mais cela ne calma pas l’atmosphère lourde d’inquiétudes dans la population juive . L’événement le plus grave commis par la police marocaine eut lieu l’après-midi du samedi 8 janvier, dans le quartier d’Aïn Seba‘ à Casablanca, au cours duquel 25 élèves de la yeshiva Névé Shalom furent arrêtés. Les élèves étaient sortis en toute innocence pour assister au passage du cortège de Nasser en route pour l’aéroport pour quitter le Maroc, lorsqu’ils furent arrêtés par des policiers qui les interpellèrent. Emmenés au poste de police, ils furent accusés d’avoir manifesté contre Nasser sous l’instigation d’Israël. Lorsque le directeur de la yeshiva, le rabbin Meir Wrechner, citoyen suisse, se rendit au poste de police pour demander de les relâcher, les policiers en profitèrent pour l’insulter, le frapper et l’arrêter . Le soir, les élèves furent relâchés, mais le rabbin resta en garde à vue. Le lendemain, des membres du Conseil des communautés rencontrèrent l’adjoint du gouverneur de la ville, Seddiq Abou Ibrahimi, qui présenta ses excuses pour le comportement des policiers, qui avaient mal interprété les instructions. Le consul suisse et le directeur de l’ORT Bernard Wand Polack intervinrent en sa faveur ainsi que David Amar qui s’adressa au colonel Oufkir, directeur des services de sécurité . Max Lœb membre du Conseil municipal de Casablanca et l’ancien ministre Léon Benzaquen rencontrèrent le lundi Ibrahim Zakaria, de la police de Casablanca, qui reconnut que le rabbin avait été frappé et que c’était la raison pour laquelle la police ne voulait pas le libérer dans son état. Le rabbin ne fut libéré que deux jours après, le 10 janvier .
Après que les dirigeants de la communauté eurent réuni systématiquement les témoignages sur ces incidents, ils en firent un rapport au roi. Ce rapport contenait aussi des certificats médicaux attestant des traces de coups ainsi que des témoignages d’enfants humiliés par des policiers . Le président de la communauté de Casablanca, Meier Obadia s’adressa au gouverneur adjoint de la ville, Mohammed Madbouh, et au commandant de la police, Ali Belqacem, et leur décrivit le comportement des policiers frappant femmes et enfants sans aucune raison. Le gouverneur promit aux dirigeants de la communauté qu’une enquête était en cours et leur demanda d’apaiser les esprits dans les quartiers juifs . L’homme d’affaires Isaac Cohen Olivar s’adressa de son côté à son associé, le prince Moulay Ali, et se plaignit du comportement de la police de Casablanca. Le prince était déjà informé de la situation et précisa qu’à part à Casablanca rien de pareil ne s’était produit dans une autre ville du Maroc. Il saisit l’occasion pour se plaindre du fait que les sionistes organisaient une campagne de presse contre le Maroc et qu’ils exagéraient la gravité des faits . L’ancien ministre Léon Benzaquen déclara aux dirigeants de l’American Jewish Committee, Zakariah Schuster et Abraham Karlikov : « Au moins à présent la situation est claire et la fracture visible ».
Contrairement au palais, les dirigeants des partis politiques n’avaient pas trouvé nécessaire de dénoncer les attaques et préférèrent ne pas intervenir, de crainte de perdre la sympathie de l’opinion publique. Pourtant, ils n’étaient pas moins inquiets face à la démagogie nassérienne. Le quotidien de gauche, Attahrir, publia même le 4 janvier une critique sarcastique contre la communauté, à propos de la visite de Nasser : « Il faut remarquer l’absence du grand rabbin de Casablanca [aux réceptions officielles en l’honneur du président égyptien]. Ce jour a été décrété comme un jour de deuil par la communauté juive. C’est ainsi que les Juifs se sont séparés du reste de la nation ». Trois jours plus tard, le journal dut reconnaître son erreur en publiant la réponse du Conseil de la communauté de Casablanca, qui précisait que le rabbin de la ville et les dirigeants de la communauté n’avaient pas participé aux réceptions parce qu’ils n’y furent pas conviés . Il semble que les autorités avaient suffisamment de tact pour ne pas embarrasser les dirigeants juifs avec une telle invitation .
En dépit des tentatives des autorités pour réparer le préjudice, la visite de Nasser suscita un choc psychologique dans la rue juive. Bien qu’aucun incident ne fût constaté dans les autres villes du pays, l’image du « gentil Marocain » avait terni. Les Juifs, habitués à n’entendre que des déclarations d’apaisement les appelant à considérer le Maroc comme leur patrie, et leur rappelant que le pays avait besoin de leurs talents, furent surpris de découvrir un autre visage du pays. Beaucoup se demandaient si ces événements, en liaison avec le conflit israélo-arabe, seraient sans lendemain ou s’ils étaient annonciateurs d’autres humiliations. Même dans les milieux aisés on commença à ressentir le doute et l’angoisse. Les classes moyennes se demandaient avec appréhension ce que signifiaient ces événements et quels étaient les motifs de cette éruption de violence antijuive à Casablanca. Cette alarme conduisit la petite bourgeoisie à prévoir son départ du pays. Des familles qui ne s’étaient jamais intéressées à l’émigration en Israël n’écartaient plus cette idée. En outre, les partisans de l’intégration dans la société marocaine, parmi lesquels Meier Obadia et Marc Sabbah, révisèrent leurs propos et intensifièrent leurs revendications pour les droits des Juifs .
Quelques mois seulement avant le naufrage du Pisces, en octobre 1960, le secrétaire du Conseil des communautés juives, David Amar, traça une image pessimiste de sa communauté devant une délégation du Joint en visite au Maroc. Selon lui, près de 80 % des 240 000 membres de la communauté souhaitaient émigrer et 60 % souhaitaient partir immédiatement, et il fallait les aider à réaliser leur projet. Les 20 % restants espéraient pouvoir rester encore sur place, mais n’écartaient pas la possibilité d’un départ. Parmi ces derniers, il y avait des hommes d’affaires, qui craignaient une détérioration de la sécurité et s’inquiétaient pour leurs biens. Cette catégorie comprenait aussi les fonctionnaires de l’administration publique. Mais il ne faut pas oublier, expliqua Amar, que d’ici cinq ans environ les écoles arabes pour musulmans formeraient assez de jeunes qui monopoliseraient le marché du travail. Surgirait alors le problème de la concurrence entre employés juifs et musulmans. Les premiers devraient lutter pour défendre leurs avantages. D’après lui, plus personne n’était optimiste : « Aujourd’hui on a besoin de nous, mais qu’en sera-t-il demain ? » .

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