Accueil des réfugiés d'Europe-Joseph Toledano

epreuves-et-liberationJoseph Toledano

Epreuves et liberation

Les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

Une tranquillité non partagée

Seule la communauté juive ne put pleinement profiter de ce répit et partager cette fausse euphorie, elle restait trop obsédée par le sort de ses coreligionnaires d'Allemagne et par la persistance d'une atmosphère d'hostilité sourde à son égard.

Reprise du boycott

En 1938, après la nuit de Cristal, le boycott, qui désormais touchait également les produits italiens, prit une nouvelle ampleur. Un négociant en cuir allemand écrivit d'ailleurs à Berlin que le marché de l'Afrique du Nord, où les Juifs occupaient une place prédominante, était fermé et qu'un voyage de prospection en Algérie et au Maroc était devenu pure perte de temps.

Mais cette fois, la réaction de le Résidence, indisposée par ce renouveau de l'intrusion des Juifs dans l'arène politique, fut immédiate. Lorsque les Services des Renseignements signalèrent qu'un appel au boycott des produits allemands et italiens avait été lu dans les synagogues de Casablanca, le Conseiller aux Affaires Chérifiennes éleva une protestation énergique auprès du Président du Comité de Casablanca, Yahya Zagury. Il lui enjoignit d'éviter à l'avenir de tels manquements dans des lieux réservés uniquement au culte et de trouver l'auteur de la circulaire.

Accueil des réfugiés d'Europe

Malgré l'isolement relatif, nombre de lettrés juifs marocains étaient abonnés à des revues juives paraissant en Europe et se tenaient au courant par ce biais de l'évolution de la tragédie européenne. C'est ainsi par exemple que rabbi Yossef Messas de Meknès, à l'époque en mission à Tlemcen, écrivait à rabbi Zeev Litter qui avait réussi à fuir l'Europe pour Pitsburg, en avril 1938 (Otsar hamikhtabim, II) :

« J'ai été attristé de la détérioration de votre état de santé à force de soucis pour nos frères à Vienne et dans d'autres localités, sachez que nous également sommes en deuil de la situation tragique de nos frères qui nous touche tout autant. C'est pour cela que nous avons été comparés à un agneau unique dispersé à travers le monde. Chaque fois qu'un de ses membres souffre, tout le reste du corps le ressent… »

Un an plus tard, en août 1939, il écrivait au rav Moché Litter à Brooklyn :

" Je ne pourrais exprimer par des mots toute la joie ressentie en apprenant que vous et toute votre famille avez réussi à quitter l'enfer allemand, bien qu'ils vous aient dépouillés de presque tous vos biens, l'essentiel est le sauvetage de justes des mains d'un peuple cruel…»

Le bimensuel L'Avenir Illustré signalait, en novembre 1938, l'arrivée des premiers réfugiés d'Allemagne et s'inquiétait, avec sa vigueur habituelle, des conditions de leur accueil :

Déjà quelques familles sont arrivées à Casablanca. Le contact direct avec les proscrits va-t-il enfin éveiller chez les Juifs du Maroc le sentiment des réalités et les rappeler au devoir de solidarité humaine, sinon de solidarité juive ? On nous parle de constitution d'un comité chargé de recueillir les fonds dont le montant était destiné à être remis à l'Alliance Israélite Universelle… Si navrante que soit la constatation, nous sommes bien obligés de le faire — la souscription pour l'aide et l'accueil n'a produit au Maroc qu'un néant significatif… Réunir des meetings, protester bruyamment à la bonne heure ! Voter des ordres du jour fulminants contre la politique " anti-démocratique " d'Hitler ? Parfait ! Mais donner de quoi relever les victimes et les empêcher de sombrer dans la misère qui les rendrait encore plus encombrants et moins utiles à la société ? Cela, non. Il est temps de prouver à ceux qui nous taxent de matérialisme outrancier que la solidarité, la charité juive ne sont pas de mots vides de sens. »

Le journal donnait comme exemple d'actes individuels à imiter le propriétaire de l'hôtel Victoria à Casablanca, qui avait accueilli gratuitement dans son établissement un jeune couple de réfugiés.

Toutefois le réquisitoire de ce journal totalement dévoué à la cause de la solidarité juive, était trop sévère, ne tenant pas assez compte du contexte limitatif local. Le Maroc sous Protectorat français ou espagnol ne pouvait être un pays d'accueil pour une masse de réfugiés. Maître Hélène Cazes Benattar, la première femme avocate du Maroc, s'était vu refuser en 1938 l'autorisation de créer à Casablanca un " Comité d'Assistance aux Réfugiés " sur le modèle de l'organisation fondée à la même époque à Paris.

Par contre, à Tanger, ville plus ouverte en raison de son statut international, l'afflux de réfugiés fut considérable.

Au départ, les premiers arrivés, ayant quitté d'Allemagne dès 1933, furent accueillis selon les normes traditionnelles de l'association caritative Hébrat Hakhnassat Orhim, habituée à l'accueil des rabbins et indigents de passage dans la ville. Mais elle n'était pas armée pour assurer seule une telle mission ni en mesure d'en assumer les dépenses nécessaires. Elle se tourna alors vers le Comité de la Communauté. La Junta comprit que c'était une tâche d'une toute autre dimension, qui nécessitait notamment une intervention auprès de l'administration internationale pour permettre le séjour des réfugiés dans la ville et l'obtention de permis de travail. Guillermo Abergel, un des membres de la Junta, avait critiqué avec véhémence l'excès de zèle de son collège H. Azancot en faveur des réfugiés. Il lui reprochait de secourir financièrement les réfugiés sur la caisse de la communauté. Ce dernier, indigné, démissionna, mais revint finalement sur sa décision, à la demande des autres membres du Comité de la Communauté. Un Comité d'Assistance aux Réfugiés fut officiellement fondé, sous la direction de l'ancien Président du Comité de la Communauté, Abraham Larédo. Il était assisté d'Albert Theinhardt, lui-même réfugié du Luxembourg, pour recueillir des fonds et organiser l'accueil. Puis affluèrent de nouveaux réfugiés qui avaient quitté la Hongrie pour les États-Unis, à bord d'un navire italien. Rome craignait que les autorités américaines ne se saisissent du navire si la guerre venait à éclater. Il fut ordonné à son capitaine de débarquer ses passagers à Tanger et la Junta, le Comité de la Communauté, décida de tout mettre en œuvre pour leur venir en aide moralement et matériellement. Les réfugiés bénéficièrent notamment de l'octroi de prêts d'installation pour fonder de petites affaires, en contractant dans ce but des prêts auprès de la Banque Commerciale et de la Banque d'Etat du Maroc. Tenant compte de leur destination humanitaire, les deux établissements consentirent à la Junta des taux d'intérêts préférentiels. Au bout du compte, entre 1938 et 1940, le nombre de ces réfugiés à Tanger oscilla entre 1500 et 2000, pour une population juive totale de 12.000 âmes. Ils venaient en majorité de Pologne, d'Allemagne et de Hongrie mais comprenaient aussi des centaines de séfarades originaires de Rhodes, occupée par l'Italie.

Pour le territoire du Maroc français, les limitations à l'accueil des réfugiés étaient strictes et complexes comme le reconnaissait L'Avenir Illustré, loin d'imaginer le sort réservé à ceux qui resteraient en Europe, dans sa livraison de novembre 1938 :

« Malheureusement, la question des réfugiés ne se pose pas au Maroc de la même façon qu'en Europe Occidentale. Ici les restrictions à l'immigration constituent un grand obstacle. Le second, décisif celui-ci, est l'absence d'œuvres spéciales d'orientation artisanale et agricole. Accueillir des petits Juifs d'Allemagne pour en faire de futurs miséreux du mellah de Casablanca ou d'ailleurs, vraiment cela n'en vaut pas la peine. Ne serions-nous pas mieux inspirés en sollicitant du gouvernement l'autorisation d'une aide pécuniaire ? »

Dans les mailles de cette législation restrictive, les rares réfugiés qui réussirent à entrer au Maroc furent souvent hébergés et pris en charge par des familles juives à Casablanca et dans les autres villes. C'est ainsi qu'en 1939, on comptait dans la seule petite communauté de Safi une trentaine de familles de réfugiés d'Europe.

Dans son rapport à Paris daté du 14 février 1939, le Résident Général Noguès se faisait l'écho, sans ajouter de commentaires, de l'arrivée de ces réfugiés :

 « La population israélite des grandes villes, émue par les persécutions dont sont victimes ses coreligionnaires du Reich, s'organise pour boycotter les marchandises d'origine allemande, des tracts en hébreu ont été répandus à cet effet à Rabat… Elle essaie d'assurer l'entretien de ces réfugiés venus d'Europe et cherche à leur procurer les moyens de se rendre en Amérique du Sud…

Les revendications italiennes provoquent dans les villes les réactions d'éléments français et Israélites. Deux cinémas italiens à Fès sont boycottés et des manifestants Israélites ont tenté d'y pénétrer… »

L'accueil de ce petit nombre de réfugiés ne souleva pas trop d'opposition chez les dirigeants nationalistes de la zone française, en relations étroites avec la gauche française – SFIO et Ligue des Droits de l'Homme – en laquelle ils plaçaient encore leurs espoirs d'évolution. La seule voix discordante, aussi minoritaire que véhémente, fut celle du dirigeant nationaliste de Salé, Andelatif Sbihi, rallié au Général Noguès. Il se distinguait, comme nous le savons déjà, par ses positions antijuives, et cherchait à calquer sur la réalité marocaine les thèmes de la propagande nazie.

Par contre, le journal indépendant de Salé Takadoum, Le Progrès, dénonçait la tromperie de la propagande nazie qui se présentait comme l'alliée de la cause arabe contre la France (au Maroc) et l'Angleterre (en Palestine) :

« Le Reich n'a qu'un seul but ! Dominer les peuples faibles et les asservir à ses intérêts sans reconnaître les droits des individus. Cette conception s'applique en ce moment aux Juifs et aux Chrétiens dont on ferme les synagogues et les églises. Quelle sera donc un jour son attitude à l'égard des Musulmans ? »

Dans la zone de Protectorat espagnol, plus travaillée par la propagande nazie et celle des Phalanges fascistes espagnoles, les chefs nationalistes rivalisaient de zèle pour dénoncer " le flot de réfugiés tendant à faire subir au Maroc les conséquences de la persécution des Juifs en Europe ". Ils faisaient valoir l'exemple de la fermeture de la Libye aux Juifs chassés d'Allemagne. Les sentiments défavorables aux Juifs n'étaient un secret pour personne, dans la capitale de la zone nord. Une note adressée au Résident à Rabat, en avril 1933, était en ce sens explicite ?

« Tout le monde de Tétouan applaudit Hitler et dit que tout le mal vient des Juifs On s'appuie sur le fait que tout ce qui est en faveur de ces derniers a toujours m grand retentissement, tandis que le moindre petit mouvement des Musulmans es immédiatement combattu… En milieu indigène, on dit que les Juifs sont la cause de tout ce qui brouille les Chrétiens et les Musulmans et qu'ils ne cherchent qu'à gagner de l'argent sur les uns et les autres. On reproche à la France de les protéger. Il y a vraisemblablement là une activité politique allemande. »

A l'occasion du second anniversaire du PNR, le Parti National de la Réforme, en novembre 1938, ses fondateurs sur le modèle fasciste, Abdel Hakim Torrès et T. Ouazzani, adressèrent des télégrammes au sultan et au gouvernement français contre l'immigration juive au Maroc. Leur adversaire, le transfuge de Salé installé à Tétouan Mekki Naciri, fondateur du Parti de l'Union Marocaine, ne pouvait être en reste et exhortait ses compatriotes à chasser les Français du Maroc comme Hitler a chassé les juifs d'Allemagne. Il appelait les Juifs marocains, comme ceux des autres pays musulmans, à méditer l'expulsion des juifs d'Europe et à apprécier à sa juste valeur la tolérance dont seuls les pays d'islam continuaient à faire preuve à leur égard… Ce fut donc avec encore plus de véhémence qu'il s'éleva contre les autorisations d'entrée soit-disant accordées par la France à un nombre stupéfiant de Juifs venant d'Allemagne et d'Italie, avec le risque de dissolution de ce peuple marocain si fier.

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