Meknes – Joseph Toledano – Portrait d'une communaute juive marocaine

 

MeknesUN NOUVEL APPORT

Mais repliement ne signifie pas isolement total. Le flux des échanges conti­nua à couler même si à un rythme réduit. Si les souverains Saadiens firent appel aux talents diplomatiques et commerciaux des expulsés d'Espagne et de leurs descendants, cela profita peu à Meknès. Le centre du pouvoir trans­féré à Marrakech, ce devaient être les descendants des expulsés d'Espagne dans la capitale du Sud et les villes du littoral at­lantique, et également ceux de Fès, qui devaient servir d'agents de liaison commerciaux et diplo­matiques avec les pays européens. C'est pourtant dans cette période incertaine que devait se produire un des événements mar­quants pour l'histoire de la communauté juive de Meknès – l'arrivée tardive d'une grande famille de rabbins descendants des expulsés d'Espagne qui allait tant contribuer à son épanouissement comme centre de Torah au cours des siècles sui­vants : les Tolédano.

Au moment de l'expulsion d'Espagne en 1492, les membres de cette famille de rabbins originaires de Tolède, s'étaient dispersés, les uns trouvant refuge au Portugal et en Eretz Israël, la grande majorité dans l'Empire ottoman. C'est ainsi qu'une de ses branches de cette famille, celle de rabbi Yossef et son fils rabbi Daniel s'établit dans le port de Salonique, conquise par les Turcs en 1430. L'afflux des expulsés accueillis à bras ou­verts par le sultan Batazid devait grandement contribuer à l'épanouissement économique de la ville qui allait devenir pour des siècles le plus prestigieux centre culturel séfarade, attirant même un grand nombre d'originaires du Ma­roc. A la différence du Maroc, les descendants des expulsés s'y étaient organisés selon leur province d'origine avec leur propre synagogue et yéchiba; Aragon, Catalogne, Léon, Castille, Portugal, Maroc. Rabbi Daniel y portait le titre de Roch Hakhmé Castilla, chef des rabbins de Castille; titre inconnu en Espagne -même. Il devait pourtant avec ses deux fils quitter cette communauté -phare pour s'installer au Maroc, à Fès, vers 1545, on ne sait pour quelle raison et dans quelles circonstances. Pen­dant une vingtaine d'années, il y dirigea une grande yéchiba. Ses deux fils, rabbi Haïm et rabbi Yossef quittèrent à leur tour Fès pour s'établir à Meknès vers 1565, sans doute suite aux épreuves dont fut victime la communau­té de Fès lors de son occupation par les Turcs en 1554, et à l'épidémie qui décima la commu­nauté en 1559. Accueillis les bras ouverts, les deux frères furent dès leur arrivée invités à se joindre au tribunal rabbinique dont leurs des­cendants allaient désormais faire partie tout au long des siècles suivants et jusqu'à nos jours. Ils y transférèrent leur célèbre yéchiba contribuant à la diffusion des études sacrées. Rabbi Yossef eut deux fils, Batoukh et Daniel qui à la génération suivante furent membres puis pré­sidents du tribunal rabbinique de Meknès.

Rabbi Haïm laissa deux fils : Habib et Daniel. L'aîné, rabbi Habib, surnom­mé le Hassid, le pieux, présida le Tribunal rabbinique cumulant cette fonc­tion religieuse avec celle de Naguid, chef de la communauté responsable des relations avec les autorités. Sa piété, son érudition et son dévouement pour le bien public lui valurent l'estime générale au -delà des frontières de sa ville natale, comme en témoigne le style d'une requête que lui avait adressée par un Juif de Fès venu s'établir à Meknès, Réouben Ben Zikri : " Lumière sacrée, toujours disponible pour toute action de sainteté, roi assis sur son trône, une couronne divine sur sa tête, débordant de pitié pour les indigents; secours pour les démunis, homme de compassion; fils de notre grand maître rabbi Haïm Tolédano – que sa mémoire soit bénie. Je viens d'une grande ville de sages et de lettrés, mais à l'heure présente les cèdres du commerce se sont appauvris et à plus forte raison les talmidé hakhamim, et quand le feu prend dans les cèdres que peut -il en être des simples plantes grimpantes ? Et il ne nous reste plus sur qui compter que sur notre Seigneur au Ciel et sur des hommes généreux discrets et compatissants comme votre honneur et les autres gardiens des vignobles qui suivent votre voie …Depuis mon arrivée dans votre ville, je n'ai trouvé nulle part où me loger et je serais resté dans le rue sans l'hospitalité du sieur Yéshaya Bahtit qui m'a pris en pitié et je fais donc appel à votre compassion pour moi et ma famille restée à Fès … "Il laissa nombre d'ouvrages dont un livre de sermons et commentaires en trois tomes Sha'aré hokhma, Les Portes de la Sagesse, dont le manuscrit se trouve en Amérique. Son fils, rabbi Haïm alla sur les traces paternelles à la fois dans l'érudition et l'activité publique. Malgré son isolement et sa fermeture sur elle -même, la communauté de Meknès ressentit la même angoisse que celle de Fès, plus ouverte aux affaires politiques, face au danger de conquête du Maroc par le Portugal.

POURIM DE LOS CHRISTIANOS

La mort en 1574 du sultan saadien Abdallah el Ghalib (1557 -1574), ouvrit une terrible guerre de succession propice à l'intervention des puissances étran­gères dans le cadre complexe des rivalités entre le Portugal, l'Espagne, et l’empire ottoman rêvant d'étendre sa conquête au Maroc après celles de la Tunisie et de l'Algérie..

Contestant l'accession au trône de son neveu, Sidi Mohammed el Moutawakil (1574 -76), le frère du sultan défunt, Moulay Abdelmalek qui s'était réfu­gié à Alger, parvint avec l'aide d'un corps expéditionnaire turc à s’emparer du pouvoir en prenant Fès en 1576. En contrepartie de son soutien, la Turquie avait obtenu la promesse d'un versement de 500.000 onces d'or et d'une al­liance militaire contre l'Espagne. Le nouveau souverain eut la prudence d'ob­tenir le rapide retrait de l'armée turque en s'acquittant de la somme promise. Mais le sultan déchu qui s'était replié à Marrakech, revint à l'assaut, et fut de nouveau battu dans la région de Salé. Il remonta alors vers le nord jetant dans l'angoisse les communautés juives, en particulier Fès et Meknès, qui connais­saient ses mauvaises dispositions envers elles. Après bien des péripéties, il arriva à Lisbonne. Il n'eut pas de mal à convaincre le jeune et impétueux roi du Portugal, Don Sébastien, qui rêvait de conquêtes et de croisade, à entre­prendre une expédition pour le ramener sur le trône, en contrepartie de la remise de la place d'Azila et de sa reconnaissance comme vassal du roi du Portugal

Le souvenir de l'extrême cruauté de l'expulsion du Portugal, encore très vif chez les descendants des Mégourachim, explique la panique de la communau­té juive à la perspective de tomber entre ses mains alors qu'il avait juré de convertir ou d'exterminer les Juifs du Maroc comme le rapportent les Chro­niques de Fès.

Restée dans l'histoire dans l'Histoire comme la Bataille des Trois Rois, suite à la mort des trois chefs d'armées; elle eut un grand retentissement en Europe. (1578). Suite à la mort du roi Sébastien sans laisser d'hériter; son trône revint au roi d'Espagne qui annexa le Portugal. Les Juifs du Maroc instituèrent pour commémorer leur sauvetage un petit Pourim; Pourim de los Christianos. " Les rabbins prirent l'engagement, pour eux et leur postérité, jusqu'à l'avènement du Messie, de célébrer le second jour du mois de Ellul comme Pourim en donnant des aumônes aux pauvres …"

A l'instar de la Méguila d'Esther, une Méguila fut désormais lue dans toutes les synagogues le 2 du mois de Ellul :.. "

UNE PARENTHÈSE DE PAIX ET DE PROSPÉRITÉ

Le soir de cette éclatante victoire; le frère du sultan défunt fut proclamé comme nouveau souverain sous le nom d'Ahmed El Mansour. Ses 25 ans de règne (1578 1603־) furent une parenthèse de paix, de stabilité et de prospé­rité dont profiteront largement tous les Juifs du Maroc. Et plus particulière­ment ceux de sa capitale Marrakech et des villes du littoral engagées dans le commerce international comme la célèbre famille Pallache qui fut à l'origine de la promotion des relations diplomatiques et commerciale avec le premier pays chrétien à signer un traité de paix avec l’empire chérifien, la Hollande. Ou l'homme des relations commerciales entre le Maroc et le Portugal, rabbi Yaacob Rosalis de Fès. Certes, le transfert de la capitale ne devait pas porter atteinte à la prééminence de Fès comme centre de la Torah où se poursuivit la rédaction du livre des Taqanot rythmant la vie sociale et religieuse de Fès et des communautés satellites. Mais Fès n'était plus désormais l'unique réfé­rence, d'autres centres apparaissent Dans le sud : Marrakech, Taroudant et Sijilmassa, dans le Tafilalet. Et dans le nord, Meknès. Depuis l'installation de la famille Tolédano on ne peut plus parler de simple dépendance, mais de collaboration et de symbiose, ses rabbins consultés et parfois même impli­qués dans la rédaction des taqanot des Sages de Castille. Son épanouissement comme centre de Torah allait être mis en relief pour la première fois à l'occa­sion de la traumatisante épreuve de la crise messianique qui allait ébranler l'ensemble du monde juif.

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