Il etait une fois le Maroc-David Bensoussan- La coexistence judéo-arabe n'était donc pas de tout repos

il-etait-une-foisLes crises de famine furent atroces

La crise de famine de 1604 à 1606 est contée par Saul Serrero : « En cinq mois de 1606, 800 personnes sont mortes de faim… près de 600 ont apostasié. Les précieux ressortissants de Fès sont gonflés comme des outres… Celui qui reste dans la ville meurt. Celui qui en sort est tué par l'épée… Nous avons vu des gens se jeter dans le puits, d'autres se suicidant, et nous avons vu des pères jeter leurs enfants et des mères assommant leurs enfants par pitié… Des malheureux vieillards et des jeunes étaient jetés dans les rues.» Une autre crise de famine qui débuta en 1641 est contée par le rabbin Saul Ibn Danan : « Mon cœur flanche à l'idée de conter la famine et les troubles… qui suivirent la sécheresse depuis trois ans. Que ma tête devienne eau pour pleurer jour et nuit les victimes de mon peuple, les victimes de Fès la délicate, cette noble ville pleine de centres d'études…. maintenant tous dispersés dans les collines et les montagnes dans les villes et les villages pour mendier de la nourriture… Les maisons des riches étaient désertées… les voleurs vinrent et ôtèrent jusqu'aux portes, aux poteaux et aux pierres de construction… Ceux qui le purent vendirent leurs boiseries et leurs avoirs à la ville nouvelle de Fès qui ne fut construite qu'à partir des ruines du Mellah; le visage des personnes changea… Les nobles habitants de Fès s'en prirent aux détritus, les picorant tels des coqs… Deux milles moururent cette année-là; un millier de personnes apostasièrent…»

Précisons que les effets des crises de famine et des épidémies sur la population marocaine durant les derniers siècles ont été relatés par plusieurs chroniqueurs et voyageurs. Les crises de famine étaient perçues comme des punitions divines et les autorités exhortèrent l'ensemble de la population à un plus grand respect de la pratique religieuse. On demanda aux Juifs de ne pas négliger leurs prières. Durant la crise de famine qui se déclencha en 1777 et qui dura sept ans, le chroniqueur Ezziâni rapporta que les gens furent réduits à manger «des animaux morts, du sanglier et de la chair humaine…» Les épidémies de peste décimèrent une grande partie de la population en 1799 et selon James Grey Jackson, les vivants n'avaient même plus le temps d'enterrer les morts. Suite à l'épidémie de peste en 1818 attribuée aux pèlerins revenant de La Mecque et qui décima une partie importante de la population de Tanger, les pèlerinages à La Mecque furent abolis avant de pouvoir débarquer dans les ports marocains. Une épidémie de choléra de variole et de typhus se développa en 1878, suite à une des plus graves crises de famine survenue en 1877, résultant en une véritable hécatombe.

La coexistence judéo-arabe n'était donc pas de tout repos

En 1903, Méïr Barchichat de Safi prit connaissance du mouvement sioniste en Europe. Dans la missive qu'il écrivit à l'Organisation sioniste mondiale, il décrivit ainsi la communauté juive du Maroc : « Nos frères qui résident dans cette diaspora sont persécutés jusqu'à l'extrême par des oppresseurs odieux, souffrent peine et misère …, sont la proie des brigandages et des pillages, des assassinats et des pertes des leurs, autant de crimes qui restent impunis. Ils sont tels des vers rampants aux yeux de la populace sauvage.»

Dans son ouvrage La communauté de Sefrou au Maroc, le rabbin David Obadia a compilé 691 documents portant sur de nombreux aspects de la vie juive. L'un de ces témoignages du père de l'auteur parle de la situation à Sefrou :« Dans la ville de Sefrou gouverne un seigneur… particulièrement cruel envers les Juifs et les Musulmans, il met qui il veut en prison, inflige des amendes injustes et frappe les Juifs ce qui est contraire à la loi et bien que les Français dominent maintenant la ville, cela ne sert à rien, car le gouverneur français ne reçoit personne et ce ministre entre et sort chez lui à sa guise, lui ment et le gouverneur le croit.»

Les Juifs d'Ouezzane écrivirent à l'Alliance Israélite Universelle pour se plaindre des abus contre eux peu avant le Protectorat français : « Permettez-nous de vous faire savoir quel est notre sort, comme nous sommes opprimés et torturés par les fils d'Ismaël dans nos corps et nos biens. Et personne ne vient nous sauver de leurs mains et présentement, leur haine envers nous augmente et ils commettent chaque jour de nouveaux forfaits en enlevant les serrures, en détruisant la synagogue, en bouchant les fenêtres des maisons de la cour; l'élite du pays a été emprisonnée, leurs pieds engagés dans les chaînes, leur cou pris dans un carcan jusqu'à ce qu'ils renoncent à leurs maisons et qu'ils soient plongés dans le désespoir…»

Il va sans dire que la méfiance était grande entre les communautés juive et musulmane. Dans la ville de Sefrou, voisine de Fès, le dicton suivant illustrait la tension sous-jacente entre les communautés juives et musulmanes du Maroc : « Ne fais pas confiance à un Musulman, même après qu'il ait passé 40 ans au tombeau. » A Mogador, un dicton similaire stipulait que, « Rendre service à un Arabe, c'est arroser du sable.» Des dictons crus et osés relatifs aux Juifs, aux Musulmans et aux Chrétiens ont été recensés dans l'ouvrage Diaspora en terre d'islam de Pierre Flamand. Soulignons que les adages de ce type sont plutôt rares dans les recueils de proverbes judéo-marocains tel celui d'Issachar Ben Ami : Mille et un proverbes juifs du Maroc.

Par ailleurs, une étude des stéréotypes prévalant entre Juifs et Musulmans a été faite par Norman A. Stillman dans l'ouvrage The ]ews in Sharifan Morocco édité par Shalom Ben Asher. Il faut dire que des dictons arabes rendaient la pareille, tout comme : « Quand un Juif roule un Musulman, cela fait le bonheur de sa journée » ou encore « Si un Juif rit avec un Musulman, sache qu'il trame quelque roublardise.» Notons que dans le chapitre dédié à l'instruction dans Les Prolégomènes, Ibn Khaldoun semble accepter le stéréotype de tromperie des Juifs mais attribue aux générations de servitude à la tyrannie le besoin de cacher ce qu'ils pensent vraiment. Par ailleurs, plusieurs voyageurs ont fait état du sens des affaires des Juifs et certains ont imputé le recours à l'usure au pouvoir de survie des Juifs fréquemment soumis à des impositions arbitraires et accablantes; l'usure étant permise à eux seuls et non pas aux Musulmans. Enfin, l'on ne pourrait clore ce sujet des dictons populaires sans souligner ceux, non moins nombreux, qui marquent la méfiance entre Berbères et Arabes : « Salue un Bédouin, et tu as perdu ton pain » ou « Ne montre pas le seuil de ta maison à un Filali (habitant du Tafilalet) ou à une souris (sous-entendu : il ne quittera pas de sitôt) » ou encore : « Le Berbère, s'il vient habiter la ville devient comme un tambourin à qui on a mis une peau (sous-entendu : il devient bruyant).» Malgré les inégalités de statut, les positions respectives étaient bien campées. Pourtant, la vie menait son train et ces attitudes n'ont pas empêché les échanges de se tenir quotidiennement : dans l'ouvrage Israël au Maroc daté de 1906, Jean Hess écrivit : « Aussi y a-t-il deux faits que les historiens dotés de sens critique doivent avoir peine à concilier : d'un côté l'excessif mépris où le Musulman tenait le Juif et d'un autre côté l'excessive confiance qu'il avait en lui.»

Bien plus ! Celui qui aurait été témoin des débordements d'affection lors de la fête de la Mimouna à la fin de la Pâque juive lorsque les voisins musulmans et les montagnards berbères inondaient les maisons juives de fleurs, d'épis de blé, de beurre et de miel, ne pourrait sciemment pas comprendre la tenue d'atrocités durant les périodes de troubles. Bien des Musulmans ont vu dans les Juifs des gens d'honneur. Dans son enfance, l'auteur de ces lignes a pu voir des Musulmans traitant leur âne de Juif ou attaquant à coups de pierre des écoliers juifs sur le chemin de l'école. Mais il a été bien plus souvent témoin de la profonde déférence que les Musulmans avaient envers les Juifs, qu'ils saluaient avec la main sur le cœur.

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