Juifs du Maroc a travers le monde – Robert Assaraf

Pour les Juifs marocains, ces propos sonnaient comme l'annonce d'un nouvel âge d'or. Eux, qui malgré les progrès de la période du Protectorat, avaient été tenus en marge par les Français et par les nationalistes, voilà que le sultan Sidi Mohamed ben Youssef les procla­mait citoyens à part entière. Mieux, le Maroc indépendant, sultan et partis nationalistes confondus, leur disait que le pays avait besoin de leurs compétences pour se développer. Avec leur étemel optimisme, les Juifs étaient prêts à relever ce défi. Francophiles, sionistes, traditionalistes, religieux, tous répondirent présents. Malgré la générosité des intentions, tout concourut pour faire échouer ce pari et faire de cet épisode unique un bref âge d'or de moins de deux ans.

« Remarocanisés », les Juifs marocains avaient naïvement pensé que, comme eux, leur pays avait opté sans retour pour la modernité à l'occidentale, et s'était ancré à une franco­phonie garantissant l'ouverture sur le monde. L'arabisation et le « tiers-mondisme » leur donnèrent une impression de recul et d'enfermement. Confiants dans les promesses qui leur avaient été faites, ils avaient pensé que, malgré son appartenance au monde arabe, le Maroc ne les couperait pas totalement de l'État d'Israël, vers lequel allait leur solidarité naturelle et où des dizaines de milliers des leurs s'étaient installés. Le Maroc nouvellement indépendant n'était pas disposé à payer ce prix pour fidéliser et fixer ses juifs. Le divorce était inévitable. Au moins, il se fit à la marocaine – relativement en douceur.

Dans un premier temps, ce fut l'enthousiasme qui prévalut au sein de la communauté juive, un enthousiasme conforté par le discours du Trône du 18 novembre 1955, le dernier prononcé par le sultan avant le recouvrement de l'indépendance :

En ce jour béni Dieu Nous comble de ses bienfaits en Nous permettant, après une douloureuse séparation, de revenir dans notre chère patrie, au milieu de Notre peuple, ce peuple qui n 'a jamais cessé de Nous attendre, comme nous n 'avons jamais perdu l'espoir de le retrouver; et qui a largement payé de retour Notre fidélité à son égard… Le moment est venu de mobiliser toutes les énergies pour construire le Maroc nouveau, Cette entreprise exigera une transformation profonde des habitudes, des institutions et des méthodes de gouvernement, de même qu’elle impliquera une émancipation de l’individu, lui assurant dans la sécurité, la jouissance de toutes les libertés. Ainsi, le Maroc parviendra à réaliser l'indépendance que Nous n ’avons cessé de revendiquer, non seulement comme le droit naturel de tous les peuples sans distinction, mais encore comme le moyen le plus sûr de les faire bénéficier, à la fois de l’évolution du monde moderne, et des avantages d’un régime démocratique excluant toute discrimination raciale et s’inspirant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Notre premier objectif est la constitution d’un gouvernement marocain responsable et représen­tatif expression mathématique de la volonté du peuple. Il aura à remplir trois missions à la fois :l.la gestion des affaires publiques ; 2. la création d’institutions démocratiques issues d'élections libres, fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, reconnaissant aux Marocains de toutes confessions les droits de citoyen et l’exercice des libertés politiques et syndicales. Il est évident que les Marocains israelites ont les mêmes droits que les autres Marocains ; 3 La troisième consistera à ouvrir avec le gouvernement français des négociations sur l’indépendance du pays…

Dès le lendemain, le Conseil des communautés fit parvenir à Mohammed V un message de gratitude très révélateur des espoirs nourris par les Juifs marocains, y compris ceux qui étaient sensibles à la cause sioniste :

Les communautés israélites du Maroc sont heureuses d'exprimer à Votre Majesté leur sentiment de fierté et de profonde gratitude pour le message adressé à leur intention dans le discours de la fête du Trône. Ce message ne fait que confirmer les dispositions constantes de Votre Majesté à l’égard d’une communauté qui, en reconnaissance pour Votre noble attitude en sa faveur en des heures critiques, a gardé à Votre Majesté des sentiments d’attachement indéfectibles. Consciente des difficultés de toute nature que connaît le Maroc au seuil de 1ère nouvelle dans laquelle il s’engage, les communautés israélites du Maroc voudraient assurer Votre Majesté de leur entier dévouement aux tâches qui seront entreprises sous Vote haute égide.

Le 2 mars 1956 fut publiée la déclaration commune reconnaissant formellement l’indé­pendance du Maroc, « laquelle implique en particulier une diplomatie et une armée, ainsi que la volonté de respecter et de faire respecter l’intégrité du territoire marocain, garantie par les traités internationaux ».

Le retour du sultan porteur de la bonne nouvelle, le 5 mars 1956, souleva presque autan: d’enthousiasme que son retour d’exil. Partout, ce furent des manifestations de joie où se mêlaient dans la franche fraternité Marocains – musulmans et israélites – et Français, qui voyaient maintenant dans la personne du sultan la meilleure assurance pour leur avenir.

Dans son discours radiodiffusé du 7 mars 1956, Mohammed V mit avant tout l’accent sur la nécessité du maintien de l’ordre et de l’union, « vertu essentielle au salut de la patrie » :

En quittant le Maroc, Nous avons laissé derrière Nous une nation sous la tutelle, qui s'interrogeait sur son avenir et se demandait quand serait tenue la promesse qui lui fut faite à la suite de Notre retour d’exil. Aujourd’hui, nous retrouvons Notre chère patrie et Notre peuple qui a tant attendu, et la France a reconnu au Maroc son indépendance, le droit de jouir de tous les attributs de sa souveraineté, de même qu ’elle s'est engagée à garantir son intégrité territoriale et à la faire respecter. Nous voici arrivés au stade des réalisations où Nous pouvons gérer Nous-mêmes nos propres affaires. C'est ainsi que Nous exercerons Notre pouvoir législatif sans restriction aucune, constituerons une armée nationale et assurerons Notre représentation diplomatique. Ces résultats auxquels Nous sommes parvenus ont dissipé tous les doutes et toutes les équivoques. L’inquiétude et l’espoir ont laissé place à la certitude et à la foi en Notre pays et son avenir.

L'optimisme était de nouveau de rigueur, comme devait l’exprimer Jacques Dahan dans l’éditorial de la Voix des communautés :

Élevé à la citoyenneté intégrale par la grâce de Sa Majesté le Sultan, et de par la volonté démocratique du peuple, le judaïsme marocain saura, j’en suis convaincu, se monter digne de sa promotion. Les juifs sont reconnaissants à ceux qui leur tendent une main fraternelle et ils s’emploient avec ardeur à mériter la confiance qu'on leur témoigne. Le dernier discours du Trône les débarrasse de leurs complexes et leur ouvre les perspectives d’une intégration parfaite dans la communauté marocaine.

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