Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale

L’antisémitisme d’Etat

En juin 1940, les Français d’Afrique du Nord débordaient encore d’enthousiasme pour continuer la guerre aux côtés de l’Angleterre, donner l’exemple à leurs compatriotes décadents de la métropole et fauver l’honneur de la France. Très vite cependant, en quelques semaines, ds se muèrent en adeptes des plus intransigeants du régime de Vichy et se vouèrent au culte du chef de l’État Français, le maréchal Pétain. Ce culte allait être d’autant plus fervent dans la colonie française du Maroc qu’elle lui restait reconnaissante de son rôle en 1925, lors de l’écrasement final dans le Rif, de la révolte d’Abel Krim qui, après avoir battu les troupes espagnoles, avait menacé Fès. Ce processus d’identification avec le nouveau régime, pourtant issu de la défaite, reçut un renforcement décisif avec la destruction par la marine anglaise, le 3 juillet 1940, de la flotte française en rade à Mers El Kébir, sur la côte algérienne, pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains des Allemands. Une " trahison " de la part d’un allié, qui rapprochait de l’ennemi et justifiait a posteriori l’armistice signé avec lui. Mais ce processus d’identification avait des racines bien plus profondes comme l’écrivit le gaulliste Jacques Soustelle, futur gouverneur de l’Algérie Française :

Si la Révolution Nationale n’avait pas été instaurée en France, il aurait fallu inventer pour de nombreux Français en Afrique du Nord. Eloignée des misères de la métropole et du contact direct avec l’ennemi, notre Afrique du Nord offrait un terrain d’élection à la propagande du maréchal. Nulle part en France et dans l’Empire, on ne la voit s’étaler avec autant d’indécence, en énormes slogans barbouillés sur les murs, avec de gigantesques portraits du bon dictateur. Nulle part, la Région des Combattants puis le Service d’Ordre Légionnaire ne feront autant de recrues… »

De la défaite à la collaboration

Certes, le maréchal Pétain avait été appelé, moins d’un mois plus tôt, à former un gouvernement, dans le cadre des institutions républicaines, pour autant, le vote par le Parlement et le Sénat des pleins pouvoirs, le 10 juillet, signait le suicide de la Illème République et la naissance de l’Etat Français. En proclamant la fin des combats et en signant l’armistice, le maréchal Pétain disait avoir fait " don de sa personne ", pour protéger le peuple français de l’occupant. En réalité, il profitait de cette situation pour installer un nouveau régime. Au-delà de l’armistice, présenté comme une nécessité inévitable et de l’administration temporaire du pays jusqu’à la fin de la guerre, il voulait dépasser le mandat originel pour réformer profondément la société française, se servir de la défaite militaire pour redresser le cours de l’histoire de France. Aux yeux des hommes d’extrême-droite entrés au gouvernement dans le sillage du maréchal Pétain, la défaite sublimée était apparue comme l’occasion " divine " de prendre leur revanche, de réaliser leur révolution : la Révolution Nationale. Une révolution qui n’avait pas de scrupules à chercher volontairement, au-delà de ce qui était imposé, la collaboration avec le vainqueur, pour préserver la place de la France, au sein de la future Europe, sous domination de l’Allemagne dont la victoire était jugée inévitable. Dans ce cadre, pour Pétain et Laval, l’adoption par la France d’un régime autoritaire se rapprochant du fascisme et du nazisme, était également un signal adressé à Berlin, dans l’espoir illusoire de lui valoir le jour venu, de meilleures conditions de paix.

Le tournant en ce sens – impensable quelques mois plus tôt, si contraire à la tradition libérale de la France depuis la Révolution, qui lui avait toujours valu la gratitude des Juifs en Afrique du Nord – fut pris avec la poignée de main entre Pétain et Hitler, lors de la rencontre de Montoire, le 24 octobre 1940. A l’issue de cette entrevue décisive, le maréchal annonça au peuple français : « C’est dans l’honneur que j’entre aujourd’hui dans la voie de le collaboration. C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’a¡ subi de sa part aucun diktat, aucune pression. Une collaboration a été envisagée '. J’en ai accepté le principe. Ces modalités en seront discutées ultérieurement… »

Le changement d’atmosphère

L’arrivée au pouvoir, dans la légalité républicaine, du maréchal Pétain que l’on ne soupçonnait pas particulièrement d’antisémitisme, ne souleva

aucune véritable inquiétude. Ainsi, au cours des premières semaines de son gouvernement, les Juifs du Maroc furent amenés, à l'unisson du reste de la population, à l'acclamer. Dans son livre, André Elbaz rapporte ce témoignage :

«A trois ans, je fréquente pendant quelques semaines, l’école maternelle française, en ville nouvelle de Fès. Avant les classes, les petits comme moi sont réunis, en rang, dans la cour, pour saluer les couleurs et chanter : " Maréchal, nous voilà ! ”, en l’honneur de Philippe Pétain. Cela ne dure pas longtemps… »

Dès la formation du gouvernement Pétain, les antisémites sentant le vent en poupe, sortent de leur attentisme, avant même que le nouveau régime ne fasse officiellement de l'antisémitisme son credo… La première manifestation de ce tournant fut révélatrice du nouvel état d’esprit : l'abrogation le 27 août de la loi Marchandeau, adoptée en 1939, réprimant l'incitation à la haine raciale et religieuse, qui avait contribué à mettre un frein à la très virulente campagne antisémite, en particulier dans la presse française d’Algérie.

Au Maroc, divers incidents, encore sans grande gravité, illustrèrent ce changement d’atmosphère.

A Oujda, nombreux et influents étaient les Français originaires d’Algérie, à l'antisémitisme viscéral, comme le rapporte Yvette Katan, dans son livre

Oujda ville frontière :

«Les tracts de propagande antisémite, adressés sous enveloppe en 1936 étaient, en juillet 1940, placardés sur les murs de la ville et sur tous les magasins israélites indiquant : " Maison juive, maison des profiteurs " ; " Travailleur, ton ennemi c’est le Juif il te vole et édifie sa fortune crapuleuse sur ta misère " ; " Acheter chez les Juifs, c’est ruiner le commerce français ” ; " Un Juif par créneau, telle est ma devise pour la guerre prochaine ? un juif puis un Franc-maçon… »

La réaction de l'administration locale consista à prendre des mesures pour assurer l’ordre public contre les Juifs !

« j’ai signalé que les samedis soirs, la grande rue d’Oujda est envahie d’une jeunesse Israélite dont l’impertinence, l’exubérance vestimentaire et la joie bruyante sont les causes déterminantes des bagarres, soit avec les tirailleurs marocains, soit avec les membres de troupes de retour du front, soit enfin, avec des Français plongés dans le deuil…

En conséquence, interdiction est faite aux Israélites, plus particulièrement à la jeunesse marocaine de se grouper, notamment le samedi, dans la rue du maréchal Bugeaud, lieu habituel de promenade. Suppression totale de la mendicité pratiquée par les Israélites… et enfin, les jeunes Israélites en provenance de la zone espagnole qui se feront remarquer par une attitude arrogante, seront présentés à la Région et, le cas échéant, refoulés sur leur lieu d’origine… »

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale page-86

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