Langues et folklore des Juifs marocains-Pinhas Cohen-2014- Histoire de la mahia au mellah

Histoire de la mahia au mellah

Tout le monde buvait de la mahia au mellah, même les femmes et les enfants, même les rabbins, et cela à toutes occasions .A ce propos, je me fais un devoir de me référer à J.Tolédano qui en a retracé l’histoire avec justesse, finesse et humour, en connaisseur avisé des traditions juives de sa ville natale Meknès qu’on appelait autrefois “ la petite Jérusalem”

J’en appelle pour cela à son amabilité pour qu’il me permette de citer un extrait de l’article magistral qu’il a consacré à l’histoire de la mahia “ Plaidoyer pour la mahia, dans son ouvrage “ l’Esprit du Mellah Ce faisant, je ne ferai que rendre hommage à sa réputation d’historien et d’ethnologue de la vie juive du mellah :

“ Autant que le thé à la menthe, sinon plus, la mahia était la boisson nationale des juifs du Maroc, un élément du folklore du mellah, avec ses drames, ses bonnes histoires, ses excès, ses légendes et ses miracles. Enfermé dans son mellah, le juif trouvait sa raison de vivre dans la fidélité à la Loi et son appétit de vie terrestre dans la bonne chair et la boisson . A petites doses la mahia était une bénédiction, un euphorisant qui vous fait oublier les misères de la vie ; à doses excessives une plaie. Les raisons de boire ne manquaient pas. La mahia n’apparaissait généralement à table, que lorsqu’il y avait une Sebba c’est à dire une occasion, une raison, comme l’a si bien noté Pascale Saisset dans son livre “ Heures juives au Maroc ” :

“ La mahia n’a pas son pareil pour animer les conversations.Elle accompagne tous les évènements heureux ou malheureux de la famille. Il n’est point de pauvre qui n’ait chez lui une provision dont il fait usage pour toute réjouissance :la petite réjouissance du chabbat, la grande réjouissance d’une fête rituelle ou d’une circoncision ou d’un mariage. On en boit lorsqu’on a des coliques, on en prend une lampée lorsqu’on est fatigué, ou pour calmer une rage de dents.Mélangée avec du cumin, elle est utilisée comme médicament qu’on appliquait sur les plaies.

Autrefois la mahia se fabriquait à la maison. Depuis l’occupation française en 1912 la distillation artisanale n’était autorisée que sous le contrôle de l’Etat et à certaines conditions.Croyez-vous que les juifs se soient résignés à cette interdiction?… ”

Certaines villes du Maroc étaient autrefois réputées pour la qualité de leur mahia en raison de la qualité de leur raisin et de leurs figues comme par exemple Debdou, Demnat, Fès et Meknès.

La fabrication de la mahia a souvent été la cause de démêlés avec les autorités. Dans sa tolérance, l’Islam maghrébin a toujours permis aux juifs de fabriquer leur boisson favorite, à condition de ne pas en vendre aux Musulmans. Le Pacte de la Dhimma qui régit le statut des non-croyants en terre d’Islam, interdit de détourner les fidèles des principes de leur religion. Mais pour les professionnels de la distillation -et il ne fallait pas un grand équipement, outre un alambic rudimentaire – le musulman était le meilleur des clients .

La Chronique de Fès (Yahas F as), abonde en avertissements des autorités contre ce commerce illicite et en Takanot (ordonnances rabbiniques), interdisant formellement de fabriquer au-delà des besoins de sa propre famille, pour assécher ainsi l’approvisionnement du marché noir.

En 1736, les notables et les rabbins de la communauté de Meknès habilitèrent leur Grand Rabbin Rabbi Yaacob Tolédano, à fixer à chaque famille un quota suffisant à ses propres besoins et qu’ il était interdit de dépasser sous peine d’amendes .Il fallut toute l’autorité de ce dirigeant hors pair pour enrayer le fléau -momentanément..

L’arrivée des Français, faillit bien coûter la vie à la mahia si les Juifs s’étaient résignés. Les autorités voulurent en effet imposer comme en France le monopole des vins et alcools. Dans un premier temps, elles se contentèrent de limiter la fabrication domestique aux besoins familiaux, ensuite elles interdirent totalement la distillation artisanale à domicile.

Face à ce cruel décret la première réaction fut tout naturellement d’en appeler à la pitié et au bon sens des autorités du Protectorat comme en témoigne cette lettre adressée à l’historien Nahum Schlouz envoyé par Paris en 1914 pour enquêter sur la situation des communautés juives du Maroc :

“ Monseigneur, c’est avec de chaudes larmes et le cœur brisé que nous venons déverser notre plainte auprès de Votre Honneur et lui faire connaître une goutte de la mer de nos malheurs. Nous, les soussignés sommes pauvres et misérables…Parmi nous il y a des invalides, des orphelins et des veuves, mais nul d’entre nous ne se livre à la mendicité. Nous vivons à la sueur de notre front, de la distillation de l’eau-de-vie que nous vendons à nos coreligionnaires pour les jours de fête et de joie et nous subvenons ainsi avec peine à nos besoins. Le jour de l’arrivée des Français, nous avons pensé améliorer notre misérable vie à leur ombre, nous leur avons juré fidélité et qu’avons-nous reçu en échange ? Leur première mesure a été de nous priver de notre gagne-pain, en ordonnant que désormais, nul juif, riche ou pauvre, n’aurait plus le droit de distiller car ce commerce leur est réservé et ils ont établi des gardiens dans la ville. Tout contrevenant est sévèrement puni, et la petite source qui nous faisait vivre a été asséchée.Nous avons adressé nos suppliques aux quatre coins, nous avons essayé de parler au cœur des ministres et des juges, mais il n’y a point de sauveur. Maintenant que la lumière de Votre Seigneur est tombée sur nous, nous nous prosternons à vos pieds d’avoir pitié de nous, des familles réduites à la faim, de bien vouloir intercéder auprès des autorités pour qu’elles adoucissent la sévérité de leur décret qui nous a touché jusqu’à l’âme, et de nous laisser entrevoir une ouverture, ne serait-ce que de nous imposer une taxe mensuelle ou annuelle afin de nous permettre d’exercer notre métier que nous savons faire. ” Pour autant la distillation ne chôma pas un seul jour malgré les menaces et les perquisitions. Les amateurs de “ la goutte forte ” ne connurent jamais de manque. Il y avait dans chaque mellah quelque brave matronne à vendre ses bouteilles de mahia en cachette. ”

A Meknès on racontait d’inombrables anecdotes à propos des amateurs invétérés de mahia dont le fameux Yousef Chriqui. “ Sa popularité à Meknès, nous dit Joseph.Tolédano, n’avait d’égale que sa bonne humeur car il avait la mahia gaie et l’humour désopilant. Au lieu d’être la victime des histoires d’ivrognes il en était bien souvent l’auteur .” En voici quelques unes à titre d’exemples :

A suivre

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