Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton

Le 22 avril

La ville est calme. Nos troupes, réparties entre Fez Bali et Fez Jdid et les camps de Dar Dbibagh et Dhar Mahrez, en gardent toutes les issues et font des rondes dans les quartiers. Les soldats chérifiens révoltés qui sont encore en ville sont réunis et désarmés. On arrête également un certain nombre de gens sans aveu qui ont pris part aux massacres et au pillage.

  1. Régnault nomme une commission chargée de pourvoir aux besoins les plus pressants des israélites; des distributions de vivres leur sont faites par l’autorité militaire et le consulat britannique.

On connaît aujourd’hui le total de nos pertes. Elles s’élèvent, pour les civils, à 9 tués (dont 2 femmes) et 2 blessés; pour la mission militaire, à 19 officiers et sous-officiers massacrés: pour les tirailleurs, à 35 tués (dont 2 officiers) et 70 blessés (dont 5 officiers): au total, 63 tués et 72 blessés. Les pertes du mellah sont de 51 tués et 40 blessés. Il est impossible d’indiquer, même approximativement, les pertes subies par les tabors révoltés et la population musulmane.

L’état de siège ayant été proclamé, on procéda au désarmement des habitants, et le vendredi suivant, 26 avril, à l’occasion de la khotba, le sultan fit donner lecture dans les mosquées du message suivant:

Serviteurs de Dieu,

Vous savez de quels meurtres et de quels actes de pillage ont été victimes les Européens qui étaient nos hôtes.

En agissant ainsi, c’est contre Dieu que se sont insurgés les meurtriers, les instigateurs, ceux qui leur ont donné leur approbation tacite et tous ceux qui, pouvant s’opposer à leurs actes, s’en sont abstenus.

Ne saviez-vous pas que les Européens vivaient dans la paix de Dieu et sous sa garde? Ignoriez-vous que dans ces conditions il n’était pas licite de se livrer contre eux à de pareils attentats?

Votre devoir était de combattre pour eux comme pour vos propres enfants alors même que l’issue de la lutte eût été avantageuse pour l’islam, et à plus forte raison si elle devait lui être nuisible.

Or il est évident que pour chaque Européen tué une foule d’entre vous devait trouver la mort, et que la ville devait s’effondrer sur vous et vos enfants si vous touchiez à un seul Français.

Craignez Dieu dans votre intérêt et dans le nôtre et obéissez à ses décrets!

On notera qu’aucune mention n'est faite des atrocités commises contre les Juifs ou de l’obligation des musulmans de respecter les termes de la dhimma. L'original de cette khutba est conservé à Nantes, AAE, Légation de France à Tanger; série B, 279. 

Il nous reste à rechercher les causes de la sédition et à en dégager la leçon.

  1. Régnault considérait la révolte des tabors comme un accident fortuit ayant des causes purement militaires. Le général Moinier, au contraire, la croyait entièrement fomentée par le makhzen. Les deux conceptions étaient aussi éloignées l’une que l’autre de la vérité.

La cause profonde, autant de la sédition des troupes chérifiennes que de l’attentat projeté contre l’ambassade au moment de son départ de Fez et de l’attaque ultérieure de la capitale par les tribus, ce fut l’état d’esprit que je n’avais cessé de signaler dans mes lettres au «Temps» dont la dernière, datée du 12 avril, parvint à Paris le 20, trois jours après le début de l’émeute. Cet état d’esprit avait contaminé toutes les classes de la population dont, bien entendu, les soldats recrutés dans sa lie et en contact constant avec elle.

Quelque temps après, cette vérité fut proclamée du haut de la tribune de la Chambre par M. Barthou, alors président de la commission des affaires extérieures:

… Ce qu’il faut dire, c’est que des faits particuliers se sont produits dans une atmosphère de malaise — pour ne pas employer une autre expression—. Ce qui peut étonner, c’est que les autorités chargées de représenter la France au Maroc n’aient pas eu le sentiment de ce malaise… Il y avait des précautions à prendre. Il est regrettable qu’elles n’aient pas été prises… Cela est d’autant plus fâcheux que des hommes, qui habitaient le Maroc depuis longtemps, ne s’étaient pas mépris sur la situation.

Il est certain que le sultan portait une large part de la responsabilité de ce malaise, auquel il avait contribué par son attitude avant l’arrivée de M. Régnault, sa hâte à vouloir quitter Fez après la signature du traité et certains propos tenus aux oulama pour leur prouver qu’il n’avait cédé qu’à la contrainte. Il n’est pas douteux non plus que ces propos, déformés et grossis, ont été colportés par un entourage mécontent de l’avènement d’un régime d’ordre, et que certains hauts fonctionnaires et chefs militaires indigènes, une fois l’émeute déchaînée, n’ont pas, par dépit, par crainte, ou par simple veulerie, déployé tout le zèle désirable pour tenter de l’étouffer. Mais de là à les incriminer d’avoir poussé les soldats à la révolte il y a de la marge.

Les askris étaient profondément atteints du mauvais état d’esprit général; ce qui les conduisit finalement à la révolte, ce furent diverses mesures d’ordre militaire dont je ne mentionnerai ici que les deux principales: le sac et l'ordinaire. En réalité les sacs n’avaient pas encore été distribués, mais les soldats avaient pu les voir au mechouar, dans de grandes caisses à claire-voie, et ils savaient qu’ils leur étaient destinés. Or l'askri marocain assimilait le sac a un bât (bardâa) et considérait son port comme une humiliation à laquelle il ne voulait se soumettre à aucun prix. Quant à la question de l’ordinaire, la voici en deux mots: les soldats chérifiens, dont la plupart vivaient avec des femmes, étaient tous engagés volontaires en vertu d’un dabit (contrat) qui leur assurait une solde de cinq bilioûn' (environ un franc) par jour. Ils se nourrissaient comme ils l’entendaient et plutôt mal. Pour y remédier, on avait décidé de porter la solde journalière à six bilioûn mais d’en retenir la moitié ou même les deux tiers pour la création de l’ordinaire. Cette mesure fut annoncée aux tabors sans aucune préparation, à l’occasion de la paye du 17 avril.

Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Les soldats ne voyant que le fait brutal de la réduction de leur solde, quelques-uns osèrent protester; d’autres, enhardis par l’exemple, élevèrent la voix; aux murmures succédèrent les cris, et aux clameurs les coups de feu en l’air. Une députation se rendit auprès du sultan pour protester contre la rupture du dabit. Celui-ci les invita à se, réfugier à la mosquée de Moulay Abdallah, leur promettant d’arranger leur conflit avec les instructeurs. Cette réponse n’ayant pas donné satisfaction aux mutins, ils se répandirent en ville et appelèrent les musulmans au jihad. La populace se joignit à eux et les massacres et le pillage commencèrent.

Le Pogrome des Fes ou Tritel-1912-Deuxieme partie Témoignages oculaires-Paul B.Fenton-page 109

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